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Description de la Chine (La Haye)/Dynasties/Treizième Dynastie, Tang

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Scheuerleer (Tome Premierp. 392-411).


TREIZIÈME DYNASTIE
NOMMÉE TANG


Qui compte vingt empereurs dans l’espace de deux cent quatre-vingt-neuf ans.


CHIN YAO TI. Premier empereur.
A régné neuf ans.


Il commença son règne par une action de clémence, qui donna idée de la douceur de son gouvernement. Il diminua la rigueur des supplices, et modéra les impôts. Mais d’un autre côté il se montra trop favorable à la doctrine de Lao kiun ; car il fit ériger un temple à l’honneur du chef de cette secte.

L’année sixième du cycle il vint à bout de réduire tous les rebelles, et devint par là le maître paisible de cette vaste monarchie. C’est lui qui établit que d’une once de cuivre on ferait dix pièces de monnaie, où ces deux lettres tong pao seraient gravées. C’est l’unique monnaie qui soit en usage à la Chine : on s’en sert encore aujourd’hui.

De l’avis de son colao nommé Fou yue, il ordonna que cent mille bonzes se marieraient, afin de multiplier, et de fournir dans la suite des troupes pour grossir les armées.

L’année vingt-troisième du cycle il abdiqua la couronne, qu’il remit à son second fils, nommé Tai tsong, en le déclarant empereur. Il mourut neuf ans après cette abdication à l’âge de soixante-dix ans.


TAI TSONG. Second empereur.
A régné vingt-trois ans.


Ce fut la vingt-quatrième année du cycle que Tai tsong gouverna l’empire ; il est regardé des Chinois comme un des plus grands empereurs que la Chine ait jamais eu. Ils louent surtout sa sagesse, le favorable accès que trouvaient auprès de sa personne tous ceux qui étaient capables de lui donner de sages conseils, ou qui étaient assez courageux pour l’avertir de ses défauts ; sa modération et sa frugalité, qui étaient si grandes, qu’il ne permit jamais qu’on servît plus de huit mets à sa table, et qu’il chassa presque toutes les concubines de son palais. Mais ce qu’il y a eu de plus heureux pour ce prince, c’est que sous son règne la religion chrétienne ait pénétré dans son empire, comme on le verra dans la suite.

Il fit venir de tous côtés les meilleurs livres, et il devint en quelque sorte le restaurateur des sciences par le soin qu’il prit de rétablir dans son palais une académie pour les lettres. On y comptait huit mille disciples, parmi lesquels il y avait plusieurs enfants des princes étrangers. Il leur donna d’habiles maîtres, et entre ceux-là il y en avait dix-huit des plus excellents, qui présidaient aux études, et qu’on appelait Che pa hio sseë.

Il établit pareillement une académie militaire, où l’on s’exerçait à tirer de l’arc et il assistait lui-même très souvent à ces exercices. C’est ce qui ne fut pas du goût des ministres, qui ne pouvaient approuver que l’empereur parût dans cette académie. Ils lui en représentèrent l’indécence, et le danger qu’il y avait pour sa personne. « Je me regarde dans mon empire, répondit Tai tsong, comme un père dans sa famille, et je porte dans mon sein tous mes sujets, comme s’ils étaient mes enfants : qu’aurais-je à craindre ? »

Cette affection pour les sujets, lui faisait dire qu’il voulait que son peuple eût abondamment tout ce qui était nécessaire à la vie. « Le salut de l’empire ajouta-t-il, dépend du peuple. Un empereur qui foule et épuise son peuple pour s’enrichir est semblable à un homme qui couperait sa chair en petits morceaux pour s’en remplir l’estomac : il se remplit, il est vrai, mais il faut qu’en peu de temps tout le corps périsse. Combien d’empereurs dont la cupidité a causé leur perte ! Que de dépenses pour la satisfaire ! Pour fournir à ces dépenses, que d’impôts dont on surcharge le pauvre peuple ! Le peuple étant vexé et opprimé, que devient l’empire ? N’est-il pas sur le penchant de sa ruine ? Et l’empire périssant, quel est le sort de l’empereur ? Ce sont ces réflexions ajouta-t-il, qui me servent de frein pour modérer mes désirs. »

Il avait défendu aux magistrats, sous peine de la vie, de recevoir des présents. Pour s’assurer de l’exécution de ses ordres, il fit tenter un mandarin par un homme qu’il aposta pour lui faire un présent : ce mandarin le reçut, et l’empereur en étant informé, le condamna à mort.

Sur quoi son colao lui dit : « Grand prince, votre arrêt est juste, et le mandarin mérite la mort : mais vous, qui lui avez tendu un piège pour le faire tomber dans la faute qu’il a commise, êtes-vous tout à fait innocent, et ne participez-vous pas à son crime ? » Cette remontrance eut son effet, et l’empereur pardonna au coupable.

L’année suivante un des plus grands mandarins de guerre, reçut pareillement un habit de soie, dont on lui fit présent. L’empereur, qui en fut averti, lui envoya aussitôt quantité d’étoffes de soie. Ceux de la cour qui en furent témoins, ne purent retenir leur indignation et s’écrièrent que ce mandarin méritait le châtiment porté par la loi, et non pas une récompense. « La confusion dont il sera couvert, répondit l’empereur, sera pour lui une peine plus sensible, que le plus cruel supplice : ces étoffes que je lui envoie, loin de l’honorer, lui reprocheront continuellement sa faute. »

Toutes les fois qu’on était menacé de disette, ou par la sécheresse, ou par des pluies trop abondantes, à l’exemple des anciens empereurs, il publiait un édit, par lequel il ordonnait qu’on l’avertît des fautes dans lesquelles il aurait pu tomber, afin qu’il pût s’en corriger, et apaiser le courroux du Ciel.

Il n’ajoutait aucune foi aux augures. Un jour que des cigognes faisant leur nid en sa présence, s’arrêtèrent, et battirent des ailes, ses courtisans lui en témoignèrent leur joie, sur ce que ce battement des ailes pronostiquait quelque bonheur auquel il ne s’attendait pas. L’empereur ayant souri à leur discours flatteur, Choui tsai te hien, dit-il, ce qui signifie : un présage heureux pour moi, c’est d’être environné de sages ; et à l’instant il fit abattre le nid.

La seconde année de son règne, les campagnes furent couvertes de sauterelles, qui, par le ravage qu’elles faisaient, menaçaient d’une grande famine. « Malheureux insectes, s’écria l’empereur avec un profond soupir, en ruinant les moissons, vous ôtez la vie à mon peuple ; ah ! j’aimerais beaucoup mieux que vous dévorassiez mes entrailles ; » et en disant ces paroles, il avala une sauterelle toute vive.

En lisant les livres de médecine, composés par l’empereur Hoang ti, il y trouva que quand on meurtrit ou qu’on blesse les épaules d’un homme, les parties nobles du dedans en sont offensées. Dès lors il fit une loi, qui ordonnait de ne plus donner la bastonnade sur le dos des coupables : mais plus bas, et de la manière qu’elle se pratique encore aujourd’hui dans tout l’empire.

Il avait coutume de dire, qu’un empereur est semblable à un architecte : quand un édifice est bien construit, et appuyé sur de solides fondements, si l’architecte s’avisait d’y faire de nouveaux changements, il l’exposerait à une ruine certaine. Il en est de même de l’empire : quand il est une fois bien établi, et gouverné par de sages lois, il faut bien se donner de garde d’y introduire aucune nouveauté.

« C’est un commun proverbe, dit-il une autre fois, qu’un empereur est craint de tout le monde, et qu’il n’a rien à craindre. Ce n’est pas là mon sentiment : je crains sans cesse, et la providence de l’empereur du Ciel, à qui rien n’échappe, et les yeux de mes sujets, qui sont continuellement attachés sur moi ; c’est pour cela que je veille à tout moment sur moi-même, pour ne rien faire qui ne soit conforme aux volontés du Ciel et aux désirs de mes peuples. »

Pour consoler son peuple dans un temps de sécheresse, il donna la liberté aux prisonniers, et accorda une amnistie générale, en ajoutant néanmoins que c’était une indulgence dont un prince devait user sobrement, de crainte que l’impunité des méchants ne fut préjudiciable aux gens de bien, et qu’il fallait arracher l’ivraie, de peur qu’elle ne nuisît au bon grain.

L’année septième de son règne, il visita en personne les prisons publiques. Il y avait trois cent quatre-vingt-dix prisonniers, qui tous méritaient la mort : il leur fit ouvrir les prisons, avec ordre d’y revenir aussitôt après la récolte. Tous, sans qu’un seul y manquât, s’y rendirent au temps marqué.

L’empereur fut tellement surpris de leur fidélité à garder leur parole, la joie qu’il en eut, fut si grande, qu’il leur accorda à tous la vie et la liberté.

Les annales chinoises rapportent, que la huitième année de ce règne, on vit arriver à la Chine des ambassadeurs des nations éloignées, dont l’air, la figure, et les habillements étaient tout à fait étrangers aux Chinois, qui n’en avaient jamais vu de semblables ; que l’empereur même s’applaudit, de ce que sous son règne, des hommes qui avaient les cheveux blonds et les yeux bleus, eussent pénétré dans son empire. Il paraît certain que ces étrangers sont ceux, dont on lit les noms sur le monument de pierre trouvé en 1625 à Si ngan fou dans la province de Chen si. On y voit la croix, un abrégé de la loi chrétienne, les noms de soixante-douze prédicateurs de cette loi, gravés en caractères syriaques, et la date qui marque l’année huitième du règne de Tai tsong.

On conserve dans la bibliothèque du roi un vieux manuscrit arabe, où on lit que c’est en ce même temps qu’un patriarche catholique des Indes envoya à la Chine des prédicateurs de l’Évangile. On les reçut avec honneur dans la ville impériale, où ils furent introduits par Fan hiuen ling, colao de l’empire.

Ce fut vers ce temps-là que l’empereur fît choix de treize personnes les plus distinguées par leur mérite, et par leur intégrité, pour visiter toutes les parties de son empire ; et en les envoyant, il leur donna plein pouvoir d’exercer souverainement la justice, et de punir sévèrement les gouverneurs des villes, et les vicerois des provinces, dont la conduite serait répréhensible.

Il fut sensiblement affligé l’année dixième de son règne par la perte qu’il fit de l’impératrice nommée Tchang sun. C’était une princesse, qui joignait à une rare prudence, une capacité peu ordinaire aux personnes de son sexe. On a remarqué que tant qu’elle vécut, de cette multitude d’officiers qui servent dans le palais, il n’y en eut aucun qu’on ait puni avec sévérité, ce qui est presque sans exemple.

L’empereur s’étant lassé des avis fréquents et importuns que lui donnait son colao nommé Guei tching lui défendit de paraître en sa présence. L’impératrice, qui en fut informée, prit aussitôt ses plus riches parures, et alla trouver son mari. « Prince, lui dit-elle, j’ai souvent ouï dire que quand un empereur a de la sagesse et de la pénétration, ses sujets ont de la droiture, et ne craignent point de dire la vérité. Vous avez un colao d’un esprit droit et incapable de dissimuler ; c’est ce qui me fait juger quelle est votre sagesse, et combien elle mérite d’être applaudie ; et c’est pourquoi je viens vous en féliciter, et vous en témoigner ma joie. » Ce compliment apaisa l’empereur, et le ministre fut rétabli dans sa première faveur.

Cette princesse avait composé un livre divisé en trente chapitres, sur la manière dont on doit se gouverner dans l’appartement intérieur des femmes. L’empereur le tenant entre ses mains, et fondant en larmes : « Voilà, dit-il, des règlements qui devraient s’observer dans tous les siècles. Je sais, ajouta-t-il, que l’affliction où je suis, m’est venue du Ciel, et qu’il n’y a point de remède. Mais quand je pense à la perte que j’ai faite d’une compagne si fidèle et si accomplie, que je me vois privé pour toujours de ses sages conseils, m’est-il possible de retenir mes larmes ? » Il voulut laisser un monument éternel de sa douleur, et pour cela il lui fit élever un mausolée, beaucoup plus magnifique que celui qu’il avait ordonné pour son père, qui était mort l’année précédente.

Un jour se trouvant avec son colao sur une éminence, d’où l’on apercevait ce mausolée, et le lui ayant fait remarquer, le colao fit semblant de ne pas l’apercevoir. « Prince, lui dit-il, je croyais que vous me montriez le sépulcre de votre père ; car pour celui de votre épouse, il y a longtemps que je l’ai vu. »

À ce discours, le prince ne put s’empêcher de pleurer, et touché du secret reproche que lui faisait son ministre, il fit abattre le mausolée. Tant il est vrai que parmi les Chinois la piété filiale l’emporte sur l’amour conjugal.

L’année onzième de son règne, il admit dans le palais une jeune fille de quatorze ans, nommée Vou chi, qui était d’une rare beauté, et qui brillait encore davantage par les agréments de son esprit. C’est cette fille qu’on verra dans la suite usurper la souveraine puissance, et gouverner tyranniquement l’empire.

L’année douzième l’empereur permit de publier la loi chrétienne dans son empire ; il accorda même un emplacement dans la ville impériale, pour y élever un temple au vrai Dieu.

Guei tching, colao de l’empire, mourut l’année 17e extrêmement regretté de l’empereur. Ce prince écrivit lui-même son éloge, et le fit graver sur son tombeau. Ensuite se tournant vers ses courtisans : « Nous avons, dit-il, trois sortes de miroirs, l’un est d’acier qui sert aux dames à orner leur tête et à se parer. Le second que j’appelle ainsi sont les anciens livres où on lit la naissance, le progrès et la décadence des empires. Enfin le troisième, ce sont les hommes mêmes : pour peu qu’on étudie leurs actions, on voit ce qu’il faut éviter et ce qu’il faut pratiquer. J’avais ce dernier miroir dans la personne de mon colao, et malheureusement je l’ai perdu, sans que j’espère en retrouver un semblable. »

Une autre fois qu’il entretenait ses courtisans : « Un prince, leur dit-il, n’a qu’un cœur, et ce cœur est continuellement assiégé par ceux qui l’environnent. Il y en a qui l’attaquent par l’amour de la vaine gloire qu’ils s’efforcent de lui inspirer ; d’autres par la mollesse et les délices ; quelques-uns par les caresses et la flatterie ; quelques autres ont recours à la ruse et au mensonge pour le surprendre ; et toutes ces machines qu’ils font jouer, n’ont d’autre but que de s’insinuer dans les bonnes grâces du prince, de gagner sa faveur, et de s’élever aux charges et aux dignités de l’empire. Pour peu qu’un prince cesse de veiller sur son cœur, que n’a-t-il pas à craindre ? »

L’année vingt-unième il épousa la fille de son colao, nommée Sin hoei, et lui donna le titre de sage. Cette princesse était célèbre par la beauté de son génie, et par son habileté dans les sciences chinoises. On raconte qu’à cinq mois elle commença à parler ; qu’à quatre ans elle avait appris par cœur les livres de Confucius ; et qu’à huit ans elle faisait des compositions savantes sur toutes sortes de sujets. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle ne quittait pas les livres, et qu’elle employait presque tout son temps à la lecture.

L’empereur se disposait à envoyer une armée formidable pour réduire les Coréens, qui s’étaient révoltés : mais sa mort étant survenue, cette expédition fut différée à un autre temps.

On aurait peine à croire l’attention et le soin que prenait ce prince de l’éducation de ses enfants. Tout ce qui se présentait à ses yeux, servait de matière à ses instructions. Si par exemple il mangeait du riz, il leur faisait sentir combien ce riz avait coûté de sueurs et de fatigues aux pauvres laboureurs. Un jour qu’il se promenait avec eux sur l’eau : « Vous le voyez, mes enfants, leur disait-il, c’est l’eau qui porte cette barque, et qui peut en même temps la submerger. Songez que le peuple ressemble à cette eau, et l’empereur à cette barque. »

Un an avant sa mort, il donna à celui de ses enfants qu’il avait déclaré son héritier, les douze avis suivants, qui étaient exprimés en vingt-quatre caractères. « Rendez vous le maître de votre cœur et de ses mouvements. N’élevez aux charges et aux dignités que des gens de mérite. Faites venir les sages à votre cour. Veillez sur la conduite des magistrats. Chassez loin de votre présence les langues médisantes. Soyez ennemi de tout faste. Vivez avec économie. Que vos récompenses et vos châtiments soient proportionnés au mérite ou à la faute de celui que vous récompensez, ou que vous punissez. Ayez un soin particulier de faire fleurir l’agriculture, l’art militaire, les lois, et les sciences. Cherchez dans les anciens empereurs des modèles sur lesquels vous vous formiez au gouvernement ; car je ne mérite pas que vous jetiez les yeux sur moi, j’ai fait trop de fautes depuis que je gouverne l’empire. Visez toujours à ce qu’il y a de plus parfait, sans quoi vous n’atteindrez jamais à ce juste milieu en quoi consiste la vertu. Enfin prenez garde que l’éclat de votre rang ne vous enfle d’orgueil, ou ne vous amollisse par les délices d’une vie voluptueuse, car si cela était vous perdriez l’empire, et vous vous perdriez vous-même. »

Tai tsong mourut la quarante-sixième année du cycle à la cinquante-troisième année de son âge, et l’année suivante son fils Kao tsong fut reconnu empereur.


KAO TSONG. Troisième empereur.
A régné trente-quatre ans.


Il n’y avait que cinq ans qu’il était sur le trône, lorsqu’il fut pris de la plus forte passion pour Vou chi, cette jeune fille, dont j’ai déjà parlé, et que Tai tsong avait mis au rang de ses femmes. Elle s’était retirée dans un monastère de bonzesses. L’empereur alla la chercher lui-même, et la conduisit dans son palais.

Peu après, sous prétexte qu’il n’avait point d’enfant mâle, il répudia l’impératrice, et l’une des reines, sans écouter les remontrances de ses ministres qui s’y opposèrent de toutes leurs forces. Vou chi fut donc placée sur le trône. Elle s’aperçut néanmoins que ce prince ne perdait pas le souvenir des princesses répudiées : de rage, elle leur fit couper les mains et les pieds, et quelques jours après elle leur fit trancher la tête. Mais à peine eut-elle exercé ces cruautés, qu’elle se crut poursuivie nuit et jour par les mânes de ces princesses, comme par autant de furies prêtes à se jeter sur elle. L’effroi qu’elle en eut lui faisait changer continuellement de place.

Cependant l’empereur se passionnait de plus en plus pour un objet indigne de son amour : il s’aveugla au point de remettre entre ses mains le gouvernement de l’empire, et de lui donner le nom de Tien heou, c’est-à-dire, reine du Ciel : titre d’honneur qui jusqu’alors avait été inouï à la Chine.

Cette barbare princesse se vit à peine revêtue de la puissance souveraine, que le premier usage qu’elle en fit, fut d’empoisonner son fils aîné, dans le dessein de faire tomber la couronne aux enfants de son frère, et de mettre par ce moyen-là sa famille sur le trône. Mais elle n’eut pas cette satisfaction.


Cycle LI. Année de J. C. 664.

Enfin l’année sixième du nouveau cycle, les Coréens rentrèrent dans le devoir de la soumission, et rendirent leur hommage en la manière accoutumée.

Cet empereur fut favorable à la religion chrétienne, comme il paraît par le monument de pierre dont j’ai déjà parlé : il y eut sous son règne des temples élevés au vrai Dieu, et la foi fut prêchée dans les provinces. Un des missionnaires nommé O lo puen, fut même gratifié d’un titre honorable.

Kao tsong mourut âgé de cinquante-six ans, l’année vingtième du cycle. La cruelle Vou heou s’empara du trône.


VOU HEOU. Usurpatrice.
A régné vingt-un ans.


Cette princesse, aussi artificieuse qu’elle était cruelle, voulut se maintenir dans toute l’autorité que le défunt empereur avait eu la lâcheté de lui confier. Pour y réussir, elle chassa son fils, qui avait été déclaré héritier de la couronne, et lui donna une petite souveraineté dans la province de Hou quang. Elle mit à sa place son troisième fils, qui était fort jeune, et qui n’eut que le titre d’empereur. Elle commença d’abord par se défaire de tous ceux qu’elle soupçonnait de n’être pas dans ses intérêts, et dans un seul jour elle fit mourir quantité de seigneurs des premières familles de l’empire.

L’année quinzième de ce règne, il s’éleva une persécution contre la religion chrétienne, qui dura environ quinze ans. La même année le colao nommé Tié, eut le courage de presser vivement la reine en faveur de son fils, qui avait été nommé héritier de la couronne par Kao tsong, et qu’elle avait exilé depuis quatorze ans. La raison qu’il apporta, c’est qu’il était inouï qu’on mît dans la salle des ancêtres, un nom qui ne serait pas de la famille, et que les descendants ne voudraient jamais le reconnaître.

On rappela donc ce prince de son exil, et il demeura pendant sept ans dans le palais oriental jusqu’à la mort de Vou heou, qu’il monta sur le trône. C’est ce qui arriva l’année quarante-unième du cycle, que mourut cette princesse, âgée de quatre-vingt-un ans.


TCHUNG TSONG. Quatrième empereur.
A régné cinq ans.


Ce prince était peu digne du trône, où sa naissance, la tendresse de son père et la fermeté du premier ministre l’avaient placé. Il se livra tout entier à l’indolence d’une vie oisive, et à la débauche. Il fit plus, pour ne penser qu’à ses plaisirs, il déposa toute son autorité entre les mains de l’impératrice nommée Guei, qui avait été sa fidèle compagne dans son exil.

Cette princesse, par le conseil de San se gouverneur du palais, avec lequel elle vivait criminellement, voulut mettre Chang son fils sur le trône. Les princes et les petits rois de la Chine s’opposèrent à cette résolution, et de tous côtés l’on prit les armes.

Tchung tsong mourut à l’âge de cinquante-cinq ans du poison qu’on lui avait donné. Chang fut aussitôt proclamé empereur ; mais son oncle qui avait une principauté, s’empara en même temps du palais ; l’impératrice fut tuée avec sa fille et le jeune Chang ne sauva sa vie, qu’en se livrant lui-même à la discrétion de son oncle, et lui remettant la couronne entre les mains. Iuy tsong frère du défunt empereur, lui succéda.


IUY TSONG. Cinquième empereur.
A régné deux ans.


Le peu de temps qu’a régné ce prince, le met au rang de ceux dont on n’a rien à dire. Tout ce qu’on en sait, c’est qu’ayant pris possession de l’empire la quarante-septième année du cycle, il mourut la quarante-huitième, âgé de cinquante-cinq ans. Hiuen tsong son troisième fils fut déclaré son successeur.


HIUEN TSONG. Sixième empereur.
A régné quarante-quatre ans.


Le beau naturel de ce prince, sa retenue, sa rare modération, et son zèle pour le bien public, donnèrent d’abord une grande idée du bonheur qu’on espérait goûter sous son règne. Il devint le restaurateur de sa famille, qui était sur le penchant de sa ruine. Mais il fit une faute presque irréparable, en confiant à un des eunuques nommé Kao lie se la charge de maître du palais. Sans doute qu’il ne prévoyait pas les malheurs que la puissance des eunuques attirerait un jour à sa personne et à ses successeurs. La loi chrétienne commença à respirer, et à devenir florissante sous le règne de ce prince, et sous les trois empereurs qui lui succédèrent.


Cycle LII. Année de J. C. 724.

Hiuen tsong regardait le luxe comme la perte des bonnes mœurs, et il lui déclara une guerre ouverte. Il porta un édit, qui interdisait la pêche des perles. Un jour il se fit apporter tous les vases d’or et d’argent, avec tous les habits brodés d’or, et les fit brûler devant la porte de son palais, afin de réprimer par son exemple la cupidité de ses peuples, qui se ruinaient par les inutiles dépenses qu’ils faisaient en des somptuosités superflues.

Il établit dans son palais un collège, composé des quarante plus habiles docteurs de l’empire, qui s’appelle encore aujourd’hui Han lin yuen. C’est ce corps qui fournit les historiographes, les visiteurs des provinces, les gouverneurs, les vicerois etc. Il fit chercher de tous côtés les anciens livres qui traitaient de la science militaire, et il en fit composer de nouveaux pour l’instruction des gens de guerre. Il visita un jour la maison où est né Confucius, et il honora ce grand homme du titre de roi de la littérature.

Il eût été à souhaiter que ce prince eût eu plus de déférence pour les conseils que Yuen tchao son premier ministre lui donna. Dans un mémorial qu’il lui présenta, il lui conseillait entr’autres choses de ne confier aucune charge publique aux eunuques, de ne point donner d’autorité à ses parents, d’abolir les sectes idolâtriques de Fo et de Tao, etc. De si sages avis ne furent point écoutés.

Ce fut cet empereur, qui le premier honora du titre de petit roi ou de souverain, les généraux de ses armées, qui s’étaient le plus distingués, ou qui avaient rendu de plus grands services à l’État, quoiqu’ils ne fussent pas du sang impérial. En visitant son empire, il le partagea en quinze provinces.

Il avait fait placer dans son palais avec beaucoup de pompe, la statue de Lao kiun, auteur d’une des sectes qui se trouvent à la Chine. Les disciples de ce sectaire, de même que les bonzes, avaient accoutumé de brûler aux obsèques, des étoffes de soie, et des lingots d’argent. L’empereur, de l’avis de son frère, nommé Van yu, changea cette coutume, et ordonna que désormais on ne brûlerait que des étoffes ou des habits faits de papier. C’est ce qui est encore en usage parmi les bonzes.

Il y avait près de trente ans que l’empire jouissait d’une paix profonde : mais elle fut enfin troublée par de nouvelles révoltes, et l’armée impériale fut entièrement défaite avec perte de soixante-dix mille hommes. Tout cela se passait à l’insu de l’empereur, parce que toutes les avenues du trône étaient fermées par les eunuques.

Le chef des révoltés était un prince étranger nommé Ngan lo chan, que l’empereur, malgré l’opposition de ses ministres, avait élevé aux premières charges, et à qui il avait même confié le commandement de ses troupes. Ce perfide, enhardi par ses succès, et devenu le maître d’une grande partie du nord, eut l’insolence de prendre le titre d’empereur.

Le dedans du palais n’était guère plus tranquille : l’empereur répudia sa femme, fit mourir trois de ses enfants sans beaucoup de sujet, et épousa sa belle-fille.

Un malheur en attire souvent un autre : les pertes qu’on venait de faire, encouragèrent une foule de brigands qui se rassemblèrent, et qui ayant attaqué l’armée impériale, la défirent et tuèrent quarante mille hommes. L’empereur fut contraint de prendre la fuite, et de se retirer dans la province de Se tchuen.


SO TSONG. Septième empereur.
A régné dix ans.


Ce fut vers la fin de la trente-troisième année du cycle que Hiuen tsong prit honteusement la fuite. So tsong se mit en possession du gouvernement, quoique son père fût encore en vie. C’était un prince guerrier qui avec le secours de son colao, nommé Ko tsou y, avait entièrement ruiné l’armée des brigands, et les avait fait disparaître.

La tranquillité ne fut pas plus tôt rétablie, qu’il fit revenir son père de la province de Se tchuen, et qu’il le conduisit dans le palais avec tous les honneurs dûs à son rang. Mais il ne goûta pas longtemps le repos que son fils lui avait procuré. Il mourut la trente huitième année du cycle, âgé de soixante-dix-huit ans.

Cependant Ngan lo chan avait pillé le palais de Tchang ngan, et avec les richesses qu’il avait transportées dans la province de Ho nan, il avait fait conduire une centaine d’éléphants et de chevaux, qu’on avait dressés à danser au son des instruments, et à présenter à l’empereur une coupe qu’ils tenaient dans leur bouche. Ngan lo chan voulut se procurer ce plaisir : mais comme ces animaux eussent refusé de le reconnaître pour empereur, on ne put jamais tirer d’eux ce qu’on souhaitait. Le rebelle en fut si outré, qu’il les fit tuer sur-le-champ.

La perfidie de ce traître qui s’était servi des bienfaits de son maître pour le perdre, ne fut pas longtemps impunie : il fut tué dans son lit par son propre fils. Le parricide fut massacré à son tour par Se mong général de l’armée, lequel voulant nommer pour héritier le dernier de ses enfants, fut tué pareillement par son fils aîné.

So tsong mourut la trente-neuvième année du cycle, et laissa la couronne à son fils Tai tsong.


TAI TSONG. Huitième empereur.
A régné dix-sept ans.


Les commencements de ce règne furent assez heureux, par les soins des ministres habiles auxquels l’empereur avait donné sa confiance. On força les rebelles à rentrer dans le devoir, et la tranquillité se rétablit dans l’empire. Mais elle ne dura pas longtemps. Cinq des plus puissants rois secouèrent le joug, et refusant de reconnaître l’empereur pour leur maître, prétendirent vivre dans une indépendance absolue.

Un mandarin nommé Fou hou tsien, se voyant prêt de mourir, se fit raser la tête, comme font les bonzes, dont il était le protecteur, et voulut être inhumé avec leurs cérémonies. On verra dans la suite que cet exemple fera suivi dans la dix-neuvième dynastie par plusieurs Grands de l’empire.

L’année huitième de ce règne, plus de deux cent mille Tartares firent irruption dans l’empire, et obligèrent l’empereur de prendre la fuite. Son palais fut pillé, et ces barbares, chargés de richesses immenses, se retirèrent dans leur pays.

L’empereur, avec le secours du célèbre Ko tsou y, revint habiter son palais. On voit l’éloge de ce fameux général sur le monument de pierre, dont j’ai parlé plus d’une fois. On y loue sa libéralité, et l’on ne doute point qu’il n’ait contribué de son crédit et de ses biens, à faire élever des temples au vrai Dieu : quelques-uns même conjecturent qu’il avait embrassé le christianisme. Le même monument rapporte que le jour de la naissance du Sauveur, l’empereur envoya de précieux parfums à l’église, et des fruits de sa table aux ministres évangéliques.

Tai tsong mourut à l’âge de cinquante-trois ans, l’année cinquante-unième du cycle. Son fils aîné Te tsong lui succéda.


TE TSONG. Neuvième empereur.
A régné vingt-cinq ans.


L’empire ne trouva pas un fort appui dans ce prince : il ne s’occupait que de bagatelles, il était d’un naturel timide, extrêmement défiant, et prêtant volontiers l’oreille aux flatteurs. Ce qu’il eut de louable, c’est le refus qu’il fit de recevoir des présents étrangers, dont on tirait un favorable augure. « Le meilleur augure que je puisse avoir, dit-il, c’est de me voir environné de gens sages. » Il donna une marque de désintéressement, qui lui attira de grands éloges ; on lui offrit une très grande somme d’argent ; au lieu de la recevoir, il la fit distribuer à ses soldats.


Cycle LIII. Année de J. C. 784.

L’année troisième de ce règne le fameux Ko tsou y, qui avait rendu de si grands services à l’empire, mourut âgé de quatre-vingt-cinq ans. Il avait été premier ministre sous quatre empereurs, et la réputation de sa probité était si grande, qu’on disait communément que depuis plusieurs siècles il n’y en avait jamais eu de pareille.

On avait en ce ministre une telle confiance, qu’il est vrai de dire que la destinée de la famille régnante était entre ses mains : quoiqu’il fût au comble des honneurs, et qu’il eût acquis des richesses immenses, l’envie même le respecta, et il n’en ressentit jamais les traits. Quelque magnifique qu’il fût dans sa maison, il était encore plus libéral. Il laissa huit enfants, qui se rendirent tous célèbres par la gloire qu’ils s’acquirent dans les différentes magistratures, où leur mérite les éleva. La Chine porta pendant trois ans le deuil de ce grand homme, qu’elle pleura comme son père.

La puissance des eunuques devint si redoutable, et leur insolence crût à un point, que de tous côtés on n’entendit parler que de révoltes. L’empereur fut obligé de lever quantité de troupes nouvelles pour grossir ses armées, et il lui fallut doubler les impôts pour les entretenir : on en mit même sur le thé, qui est la boisson commune des Chinois.

Ces impositions extraordinaires aigrirent tous les esprits, et la misère du peuple devenue extrême, donna lieu à une infinité de vols et de rapines. Heureusement les armes impériales furent victorieuses de tous côtés et les rebelles étant détruits, la paix fut rétablie dans l’empire, et le peuple soulagé.

L’empereur attribuait un jour tant de guerres et de calamités à sa malheureuse destinée, et ajoutait qu’une partie de ces malheurs lui avait été prédite par les astrologues.

« Prince, lui dit alors son colao, nommé Li mié, laissons parler de la sorte le vulgaire ignorant, il ne convient ni à vous ni à moi de tenir un pareil langage. C’est nous qui, selon que nous gouvernons l’État bien ou mal, rendons notre destinée heureuse ou malheureuse. »

Ce prince mourut âgé de soixante-quatre ans, la vingt-unième année du cycle. Il eut pour successeur son fils nommé Chun tsong.


CHUN TSONG. Dixième empereur.
A régné un an.


On avait tout lieu de se promettre un règne heureux sous ce nouvel empereur : mais se voyant attaqué d’une maladie fâcheuse, et à laquelle il n’y avait point de remède, il abdiqua la couronne, et la remit à son fils Hien tsong.


HIEN TSONG. Onzième empereur.
A régné quinze ans.


Ce prince était d’une pénétration et d’une intelligence admirable pour débrouiller les affaires les plus embarrassées, d’une égale promptitude à les expédier, et d’une fermeté dans le parti qu’il avait une fois pris, que nulle considération ne pouvait vaincre. Il donna de solides preuves de son affection pour ses peuples dans un temps de famine ; il ouvrit ses trésors et les greniers publics en faveur des provinces affligées : il fit partir des Grands de sa cour pour s’informer de la misère des peuples, et pour les soulager à proportion de leur indigence.

L’année trente-sixième du cycle, il fit venir avec beaucoup de solennité de la province de Chen si un os du doigt de l’idole Fo. Le tribunal souverain des rits s’opposa fortement à cette folle résolution de l’empereur, disant hardiment que les restes exécrables de cette idole devaient être jetées au feu, et consumées par les flammes. Comme ils persistaient avec fermeté dans leur décision, sans craindre la colère de l’empereur, plusieurs d’entr’eux furent abaissés d’un degré : c’est une peine assez ordinaire dont on punit les grands mandarins de l’empire.

Il donna dans une autre folie, qui lui coûta la vie : il fit chercher de tous côtés le prétendu breuvage de l’immortalité, que promet la secte de Tao à laquelle il était fort attaché. Les eunuques lui présentèrent ce breuvage, et l’on ne douta point qu’ils ne l’eussent empoisonné, car ce malheureux prince après l’avoir pris, mourut tout à coup à l’âge de quarante-trois ans. Son fils Mo tsong lui succéda.


MO TSONG. Douzième empereur.
A régné quatre ans.


Le choix qu’avait fait le dernier empereur de son fils Mo tsong pour lui succéder, fut d’abord traversé par quelques seigneurs, qui avaient dessein de placer un autre prince sur le trône : mais leur projet ayant échoué, ils furent mis à mort.

Se voyant paisible possesseur de la couronne, il accorda selon la coutume, une amnistie générale, par trop de déférence pour les conseils de quelques-uns de ses courtisans, il eut l’imprudence de licencier une partie de ses troupes. La misère où se trouvèrent tant de soldats congédiés, les porta à se réfugier vers les brigands, dont ils augmentèrent le nombre.

C’est sous ce prince que la famille impériale Tang commença à déchoir de l’état de splendeur où elle s’était vue jusqu’alors ; les princes suivants achèveront sa ruine. Il mourut âgé de trente ans, après avoir pris une médecine qu’on lui avait préparée. Son fils King tsong lui succéda l’année suivante, qui était la quarante-deuxième du cycle.


KING TSONG. Treizième empereur.
A régné deux ans.


Ce fut par le choix des eunuques, qui s’étaient rendus les maîtres, que Kin tsong monta sur le trône, et par la même autorité qu’ils avaient usurpée, ils le dépouillèrent peu après du gouvernement de l’empire, pour le remettre entre les mains de l’impératrice mère. La conduite enfantine de ce jeune prince, et le dérèglement de ses mœurs, furent les motifs qu’ils employèrent pour le déposséder et ne lui laisser que le vain titre d’empereur.

Ce prince revenant de la chasse la quarante-quatrième année du cycle, et s’étant retiré dans son appartement pour y changer d’habits, les lumières furent éteintes tout à coup, et il fut tué par les eunuques à l’âge de dix-huit ans. Ils mirent à sa place son frère nommé Ven tsong.


VEN TSONG. Quatorzième empereur.
A régné quatorze ans.


Ce prince affectionna fort les gens de lettres et les sages de l’empire. Il souffrait impatiemment le pouvoir des eunuques, et l’année neuvième de son règne, il prit secrètement des mesures pour s’en défaire ; mais les eunuques pressentirent les embûches qu’on leur préparait, et tout à coup ils se jetèrent avec tant de furie sur les ministres et sur les gardes du palais, qu’ils en massacrèrent plus de mille. Plusieurs familles furent entièrement éteintes.

Les malheurs présents, et de plus grands encore que prévoyait l’empereur, l’accablaient de chagrins, qu’il tâchait souvent de dissiper, et de noyer dans le vin. Mais il eut beau faire, la tristesse s’empara tellement de son cœur, qu’on le vit dépérir insensiblement, et qu’enfin il mourut de langueur l’année cinquante-septième du cycle.

Les eunuques, qui s’étaient mis en possession de nommer les empereurs, ne pensèrent point au fils du défunt ; mais ils élirent son frère nommé Vou tsong, qui était le cinquième fils du douzième empereur de cette dynastie.


VOU TSONG. Quinzième empereur.
A régné six ans.


Les grandes qualités de ce prince justifièrent la préférence qu’on lui avait donné sur le fils du dernier empereur. Il avait l’inclination guerrière, et il ne craignait ni les fatigues, ni le péril. Aussi vint-il à bout de chasser de la province de Chan si les Tartares qui s’y étaient cantonnés, et de purger diverses provinces de l’empire des brigands qui s’y attroupaient, et qui y faisaient de grands ravages. Il avait surtout un discernement exquis pour ne se point tromper dans le choix qu’il faisait de ses ministres.

Ce fut lui qui établit ou qui renouvela une loi, qui s’observe encore aujourd’hui, et qui retient dans le devoir tous les mandarins de la ville impériale, de qui dépendent les autres mandarins dispersés dans les provinces. Cette loi porte, que tous les cinq ou tous les sept ans, on examinera sévèrement la conduite, que ces premiers officiers de l’empire ont tenu dans l’administration de leurs charges. C’est même un usage qui se pratique constamment, que chacun de ces mandarins fasse par écrit un aveu sincère et détaillé de toutes les fautes dans lesquelles il est tombé, et en demande pardon à l’empereur.

S’il arrive que dans cette humble confession, qu’ils sont obligés de faire, ils excusent leurs fautes, ou s’ils s’efforcent de les déguiser et d’en diminuer la grièveté, ils n’ont nulle grâce à attendre, et ils sont privés irrémissiblement de leur emploi.


Cycle LIV. Année de J. C. 844.

Cet empereur ne vécut pas assez longtemps pour le bonheur de ses peuples. Il n’avait que trente-trois ans lorsqu’il mourut la troisième année de ce nouveau cycle. Les eunuques rejetèrent son fils, et élirent en sa place Suen tsong, petit-fils du onzième empereur de cette dynastie.


SUEN TSONG. Seizième empereur.

A régné treize ans.


Il est vraisemblable que le peu d’esprit que ce prince fit paraître dans son enfance, porta les eunuques à le préférer à tout autre, jugeant bien que moins l’empereur serait capable de gouverner par lui même, plus ils seraient les maîtres : mais ils se trompèrent : Suen tsong ne fut pas plus tôt sur le trône, qu’il parut un autre homme.

On vit briller en lui toutes les qualités qui font un grand prince. Sa sagesse, son discernement, sa modération, son équité, son application à toutes les affaires, et son amour pour le bien des peuples, le firent regarder comme le parfait imitateur de Tai tsong, ce second empereur de la dynastie, dont la mémoire était encore en vénération dans tout l’empire.

Quelque mérite qu’eût ce prince, il ne put parvenir à abattre la puissance des eunuques. Son premier ministre nommé Hou tao lui présenta un mémorial, par lequel il lui conseillait d’être inexorable à l’égard des eunuques qui feraient quelque faute, et de ne point remplacer ceux qui viendraient à mourir, afin que leur nombre diminuant peu à peu, il fut plus aisé de les détruire. Ce projet, qui fut éventé par les eunuques, produisit des inimitiés mortelles entr’eux et le ministre, et les troubles furent plus grands que jamais.

Les écrivains chinois blâment ce prince, d’avoir fait venir à sa cour des sectaires de Tao, afin de se procurer par leur moyen le prétendu breuvage qui rend immortel. Sur quoi un de ses ministres lui représenta, que le meilleur moyen de se procurer une longue et heureuse vie, était de se rendre le maître de son cœur, de réprimer ses passions, et de pratiquer la vertu. « La plupart des empereurs qui vous ont précédé, lui ajouta-t-il, seraient parvenus à une extrême vieillesse, s’ils avaient suivi le conseil que je vous donne. »

A peine eut-il pris le breuvage que lui donnèrent les sectaires, qu’il se vit dévorer par les vers qui fourmillaient dans son corps, et peu de jours après il mourut âgé de cinquante ans. Il eut pour successeur son fils Y tsong, qui fut élu par les eunuques.


Y TSONG. Dix-septième empereur.
A régné quatorze ans.


Le faste et l’orgueil de ce prince, sa prodigalité, son luxe, ses débauches outrées le mirent dans un décri général. L’année quatorzième de son règne il fit porter avec pompe dans son palais un os de l’idole Fo, et trois mois après il mourut âgé de trente-un ans.

Les écrivains chinois attribuent à son fol attachement pour cette idole, et sa mort, et les troubles qui la suivirent. Les eunuques mirent en sa place son fils nommé Hi tsong.


HI TSONG. Dix-huitième empereur.
A régné quinze ans.


Les eunuques, qui étaient les maîtres absolus, avaient mis sur le trône ce prince qui n’avait que douze ans, et qui ne s’occupait qu’au jeu et à la musique, à monter à cheval, et à tirer de l’arc, tandis que de tous côtés, et surtout dans les provinces septentrionales, on ne voyait qu’attroupements et que révoltes.

Les impôts, dont le peuple était surchargé, la famine causée par l’inondation des rivières, et par les sauterelles qui ravageaient les moissons, augmentèrent le nombre des révoltés : Hoan tsiao, qui était de la province de Chan tong, s’étant mis à leur tête, vint assiéger la ville impériale, et après en avoir chassé son souverain, il se fit proclamer empereur, et donna à sa famille le nom de Tsi.

Un jeune homme âgé de vingt-huit ans, nommé Li ke yong, à qui on avait donné le nom de To yen long, parce qu’il n’avait qu’un œil, conduisit les troupes impériales, et attaqua ce chef des rebelles. Il fut repoussé d’abord mais ayant rallié ses soldats, il revint à la charge avec tant de furie, qu’il remporta une victoire complète, et ramena en triomphe l’empereur dans son palais. Ses services furent récompensés de la principauté de Tsin. Son fils deviendra le fondateur de la quinzième dynastie.

L’empereur ne jouit que trois mois du fruit de cette victoire. Il mourut la quarante-cinquième année du cycle, âgé de vingt-sept ans. Les eunuques mirent la couronne impériale sur la tête de Tchao tsong qui était le sixième fils du dernier empereur.


TCHAO TSONG. Dix-neuvième empereur.
A régné seize ans.


Ce prince, qui ne manquait ni d’esprit, ni de courage, donnait de grandes marques de considération aux gens de lettres, et à ses principaux ministres. Il comptait qu’avec leur secours il pourrait rétablir peu à peu les affaires de l’empire, qui étaient dans un très mauvais état, et par la grande autorité que les eunuques avaient usurpée, et par la multitude des peuples, qui de tous côtés étaient disposés à la révolte. Il crut devoir commencer par la destruction des eunuques.

Comme il pensait aux moyens les plus propres à y réussir, les eunuques, qui s’en doutèrent, entrèrent tout à coup chez l’empereur avec un nombre de soldats bien armés, se saisirent de sa personne, et l’enfermèrent dans un appartement écarté, avec sûre garde, n’ayant laissé qu’un trou à la muraille pour y passer les aliments nécessaires à sa subsistance. Le colao Tsou yu ayant découvert le lieu ou l’on retenait l’empereur, y envoya des gens de confiance bien armés, qui massacrèrent les gardes, qui délivrèrent l’empereur, et le conduisirent dans son palais.

Tchou uen, chef des brigands, fut invité par le colao de venir au secours de l’empereur contre les eunuques. Il arriva en même temps que ce prince porta un édit, par lequel il ordonnait d’exterminer les eunuques, et d’en réserver seulement trente des plus jeunes pour les plus vils ministères de son palais, Il exécuta cette commission avec zèle et plusieurs centaines d’eunuques furent égorgés.

Tchou uen avait paru jusque-là fidèle ; mais l’ambition qui s’empara de son cœur, le rendit bientôt perfide. Il fit tuer le colao qui avait été si fort attaché à son prince, et obligea l’empereur de transporter sa cour de la province de Chen si dans la province de Ho nan.


Cycle LV. Année de J. C. 904.

A peine l’empereur y eut-il établi sa nouvelle cour que le traître Tchou uen le fit mourir. C’était la première année du cycle, et ce prince avait trente-huit ans. Le rebelle mit aussitôt la couronne impériale sur la tête de Tchao suen tsong, fils du défunt empereur, jusqu’à ce qu’il pût s’en emparer sans aucun risque.


TCHAO SUEN TSONG. Vingtième empereur.
A régné deux ans.


Ce jeune prince fut à peine deux ans sur le trône, il vit bien qu’il serait sacrifié comme son père à l’ambition du perfide Tchou uen, c’est pourquoi il prit le parti de lui remettre la couronne, pour lui épargner un nouveau crime, et se conserver la vie. L’usurpateur, qui prit le nom de Tai tsou, lui donna une principauté : mais il n’y régna que trois ans, car il fut tué à l’âge de dix-sept ans, et avec lui périt la famille de Tang.

Les cinq dynasties qui suivent, sont regardées des Chinois comme de petites dynasties, de même que les cinq qui ont précédé la dynastie de Tang. On appelle celles-ci Heou ou tai, c’est-à-dire, les cinq dynasties postérieures. Elles ressemblent aux premières par les guerres, par les révoltes, et par les parricides qui ont tant de fois ensanglanté le trône. Mais elles diffèrent entr’elles par le nombre des princes, et par le temps qu’elles ont duré. Les cinq premières comptent vingt-quatre empereurs dans l’espace de cent quatre-vingt-dix-huit ans, au lieu que ces dernières n’ont pas duré un cycle, et ne comptent que treize empereurs.

Une nation belliqueuse nommée Sie tan, qui occupait le pays qu’on nomme aujourd’hui Leao tong, s’étant extraordinairement augmentée par plusieurs colonies venues de Corée, donnera bien de l’inquiétude aux empereurs suivants.