Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Démocratie

La bibliothèque libre.
Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 466-467).

DÉMOCRATIE. — Ce mot est de nos jours tiré en divers sens, et couvre des idées disparates, dont l’examen détaillé ferait en partie double emploi avec des articles ultérieurs. Renvoyant notamment aux mots État, Pouvoir (Origine du), Révolution, les développements d’ordre technique, nous nous bornerons à reproduire ici, à titre de première orientation, les considérations suivantes, mises gracieusement à notre disposition par un illustre homme d’État, catholique. Elles sont détachées d’un volume paru sous ce titre : La conquête du peuple (Paris, Lethielleux, 1908). (N. D. L. D.)

Qu’est-ce que la démocratie ? Je ne sais pas de mot plus équivoque et qui cache des conceptions plus diverses.

Est-ce seulement une société où, l’hérédité ne conférant aucun droit public, les obligations de la loi civile sont les mêmes pour tous ? Aucune contestation, d’ordre pratique, ne s’élève contre ces conditions actuelles de la vie nationale.

Est-ce une organisation sociale où les droits et les intérêts du peuple sont représentés et protégés par des institutions qu’il administre et gouverne librement, où les faibles sont, par la puissance des associations autonomes, garantis, autant que possible, contre la tyrannie du pouvoir souverain, les abus de la force et les excès des détenteurs de la richesse ? Un tel régime serait assurément conforme à tous les principes catholiques.

Le Moyen Age offrit, en effet, dans la constitution corporative et communale, plus d’un exemple d’une semblable démocratie : elle était fondée sur le droit chrétien inspiré par la philosophie de l’Évangile, et l’action de l’Église pénétrait de sa constante influence, ses mœurs et ses lois.

Après huit siècles écoulés, nous voyons encore, sous nos yeux, s’agiter impétueusement, comme les tronçons épars d’un organisme rompu, les restes de cette vie puissante, conservés par d’impérissables traditions. Le mouvement syndical, la renaissance provinciale, qui infligent aux conceptions individualistes du XIXe siècle un si éclatant désaveu, se rattachent à ces sources profondes.

Est-il possible de ranimer cette vie prête à s’éteindre, de rapprocher ces tronçons dispersés, et de 917

DEMONS

918

réveiller ces traditions confuses ? Aucune œuvre n’est plus digne de tenter le génie des hommes d’Etat. A ce prix la démocratie pourra devenir une forme sociale féconde et durable. Notre société qui n’est, dans sa centralisation jacobine, qu’une dictatui-e plébéienne, n’en a jusqu’ici que la trompeuse étiquette.

Gai’, si la préoccupation croissante des besoins populaires est une des marques distinctives de notre temps, et, parmi tant de défaillances, son honneur et sa vertu, elle ne suffit point, non plus que les formes électives ou parlementaires du régime politique, à caractériser la démocratie.

Le Royaume de Belgique, la Monarchie britannique, et même l’Empire allemand, sont. à cet égard, en beaucoup de points, plus avancés que la République française.

D’ailleurs, ce mouvement universel des mœurs et de la législation, bien loin d’effrayer les catholiques, répond à leurs obligations les plus certaines. Ils doivent en prendre résolument la tête, quelles que soient les formes de la société civile, parce qu’ils sont, par l’effet même de leur foi religieuse, les défenseurs nés des faibles et des déshérités, les promoteurs naturels de la justice sociale.

Mais, pour la langue politique moderne, la démocratie est tout autre chose. Ce qu’elle entend par ce mot retentissant, dont elle jette au peuple les promesses, confuses comme les aspirations qu’il abrite, c’est le règne absolu du nombre, l’aveugle domination d’une masse inorganique, formée d’indiA’idus confondus dans une apparente égalité.

En ce sens, elle n’est que la formule sonore de la grande illusion sociale créée par la Révolution, l’expression ambiguë d’un de ces « faux dogmes » dénoncés par Le Play, et sur lesquels repose toute la société moderne, ou plutôt de celui qui contient tous les autres et dont ils découlent naturellement.

Comte A. de Mun.