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Dictionnaire de théologie catholique/DOCÉTISME

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 100-117).

au rétablissement de la vraie discipline. Désormais l’interdiction du divorce ne subit plus aucune défaillance, et les sévères leçons données par Alexandre II à l’empereur Henri IV, par Urbain II et Pascal II à Philippe-Auguste montrèrent que l’Église savait faire plier aux saintes lois du mariage les plus hauts potentats.

VI. Le divorce bans le cas de matrimonium ratum NON CONSUMMATUM. — Si l’on veut comprendre exactement la pratique actuelle de l’Église vis-à-vis de certaines formes du divorce en la comparant avec ses déclarations incessamment répétées en faveur de l’indissolubilité, il est nécessaire de connaître les théories qui en forment la base.

Une question que l’on pose toujours en étudiant le mariage est celle-ci : Quand le mariage est-il vraiment constitué ? Et l’on répond : il est constitué quand les deux sponsi ont échangé leur mutuel consentement de prœsenti. Le prêtre, témoin officiel requis par l’Église, pose successivement à chacun d’eux la question rituelle : Voulez-vous prendre un tel, ou une telle, pour votre légitime époux, ou épouse’.' etc. Chacun répond en donnant son assentiment. Le mariage est constitué. Si le prêtre ne peut être présent, le mariage est constitué par l’échange du consentement des deux parties fait devant les témoins. Autrefois, la réponse n’était pas aussi nette. La cause de l’hésitation ou de l’imprécision provenait des circonstances dans lesquelles le mariage était contracté. En droit romain, à l’époque où le christianisme faisait ses premières conquêtes, le mariage était un contrat familial qui n’était soumis ni préalablement ni dans l’acte même à aucune publicité’légale. L’Église, sans doute, conseillait très instamment dès l’origine à ses fidèles de ne pas se marier sans demander, pour inaugurer leur union, la bénédiction sacerdotale, voir Bans, t. il, col. 161 sq. ; mais comme elle n’en faisait pas une obligation stricte et juridique, que le consentement des époux n’était pas émis en sa présence, qu’elle n’était pas témoin nécessaire de ce consentement, il advint souvent que ces unions étaient consacrées sans qu’elle fut appelée à les bénir, sans qu’elle fût officiellement informée. D’autre part, ce qu’on pourrait nommer les alentours du mariage, les cérémonies qui en précédaient et accompagnaient la célébration se composaient d’éléments multiples : pourparlers avec le père de la jeune fille, remise de l’anneau, constitution de dot, deductio in domum accompagnée de solennités, etc. Quand parmi tous ces éléments était émis un consentement actuel, tout était clair. Mais on décomposait ces éléments, on en supprimait une partie plus ou moins notable. Le droit romain disait bien : nnptias consensus, non concubitus, facit ; mais ce consentement était présumé de la fille quand le père avait donné le sien, on ne le lui demandait pas toujours. Elle était présumée consentir quand elle n’avait pas refusé et qu’elle se soumettait à la deduclio in domuni. Or les cérémonies étaient parfois réduites à la seule cohabitation. Un homme prenait une femme libre, l’entraînait chez lui, vivait avec elle, sans faire précéder son acte d’aucune des cérémonies rituelles ; quoi donc distinguait cette cohabitation d’un simple concubinat ? Si après une cohabitation plus ou moins longue il se séparait de cette femme, comment prouver qu’il l’avait réellement épousée et qu’il était lié à elle indissolublement ? Sans doute, ils avaient dû échanger leur consentement. Peut-être s’étaient-ils auparavant promis, par devant témoins, de s’épouser ; mais cette promesse d’un fait futur les liait-elle au point de prouver que leur cohabitation postérieure était un mariage ? Qu’elle fût un indice précieux, sans doute, mais une preuve, pas complètement. Fallait-il donc restreindre toute cette question à la preuve, souvent impossible, qu’un consentement matrimonial avait été échangé entre eux, et rendre la liberté à tout conjoint qui pré tendait après coup n’avoir voulu faire qu’un concubinage ? traiter comme des enfants illégitimes ceux qui seraient nés de cette union ? Qu’en serait-il advenu dans ce cas de la moralité publique ? et quelles facilités données aux basses passions ! Ne pouvant faire parfois la preuve du consensus, on attacha d’autant plus d’importance à l’autre élément, le concubilus. D’autre part, le consensus n’empêchait pas que l’un des deux conjoints ne fût parfois inapte aux devoirs fondamentaux du mariage et la discipline reconnaissait que, dans ce cas, on pouvait considérer ce mariage comme n’existant pas. On ne creusait pas plus profondément cette théorie, mais on en déduisait que le consensus n’était pas, sans le concubitus, une preuve assez certaine du mariage. Avec le consensus seul le mariage, disait-on, pouvait exister : avec le concubitus en plus on ne pouvait douter de son existence. Le fait de la cohabitation conjugale complétait la preuve restée jusque-là indécise. De là, à faire de la consommation le requisitum essentiel du mariage, il n’y avait qu’un pas ; il fut bientôt franchi. Le mot latin nubere signifia à la fois contracter mariage et accomplir l’acte conjugal. — D’autre part, l’union conjugale n’était dite indissoluble dans l’Écriture que lorsque les époux étaient devenus una caro ; c’était après avoir appliqué à l’homme et à la femme Verunt duo in carne una de l’Écriture, que saint Paul, dans l’Épitre aux Éphésiens, résumait le parallèle entre l’union du Christ et de l’Église et celle des deux époux par cette affirmation solennelle : « Je le dis, ce mystère est grand dans le Christ et dans l’Église, « que la Vulgate a traduite : Sacramentum hoc magnum est, ego autem dico, in Chris to et in Ecclesia. C’était par l’union charnelle, disait-on, que les époux accomplissaient le symbole de l’union du Christ et de l’Église. Et Hincmar était l’écho d’une tradition déjà longue quand il écrivait : Sciât, ut traditione majorum docuitnus…, non esse conjugium, quibus defuil conjunctio sexuum. De nuptiis Stephani et /ilix Regim. com., P. L., t. cxxv, col. 652.

hans cet état de choses, une discipline fermement établie ne tenait pour complètement indissoluble que le mariage consommé. Même après que le conllit de théories dont les principaux antagonistes furent, d’une part, Gratien et l’école de Bologne, et, de l’autre, Pierre Lombard et l’école de Paris, se fut apaisé, après avoir fait la distinction très nette entre sponsalia de futuro et sponsalia de præsenti, les docteurs eussent convenu que l’union contractée par les sponsalia de præsenti était un vrai mariage, il resta de l’ancienne théorie un souvenir disciplinaire. Seul, le mariage non consommé était tout à fait indissoluble ; au mariage non consommé, celui que les uns nommaient initiatum ou simplement ratum, on ne reconnaissait qu’une indissolubilité de second ordre. Toutefois, puisque même non consommé le mariage était un sacrement, était indissoluble, on ne pouvait abandonner au gré des époux la constatation ou l’affirmation qu’il n’était pas consommé, on ne pouvait leur permettre de se séparer comme si aucun lien n’existait entre eux. L’Église que l’on avait déjà fait intervenir pour examiner et décider dans des cas analogues, concile d’Agde, can. 25 ; Capitula Theodori, can. 70, 149 ; Pœnitentiale pseudo-Theodori, c. iv, S 23, etc., interviendrait encore pour examiner et décider de la séparation et admettre le divorce. De là vient la procédure du divorce connu sous le nom de dispense de matrimonio rato non consummalo, dispense que seul le pape peut accorder. On voit dans quel sens cette dispense est la reconnaissance du divorce. De là vient aussi le droit reconnu aux époux d’entrer en religion et de faire les vœux solennels, vœux qui dirimeront le mariage, tant qu’il n’a pas été consommé, et qui permettront à l’autre époux de contracter un nouveau mariage, c. 2, De convers. conjug.Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

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VII. Le DIVORCE EN droit NATUREL.

1° Le divorce des non-baptisés. — Ce que l’on a dit jusqu’ici s’applique spécialement au mariage chrétien, c’est-à-dire au mariage-sacrement contracté par des chrétiens, et qui réalise en quelque manière le modèle qu’il a dans l’union du Christ et de l’Église. Ce mariage, consommé, est complètement indissoluble : aucune raison, aucun motif ne permet jamais de briser le lien matrimonial au point de laisser possible un nouveau mariage de l’un des conjoints du vivant de l’autre. Mais qu’en est-il du mariage qui ne parfait pas cet admirable et fé’cond symbole d’union ? qui n’est pas sanctilié par la grâce sacramentelle que représente l’union du Christ et de l’Église ? Est-il indissoluble ? — Qu’il ne soit pas indissoluble au même degré- que le mariage consommé des chréliens, c’est pour ainsi dire une vérité évidente. Si, comme on l’a vii, le mariage non consommé des chrétiens, bien qu’il réalise en quelque manière, d’une manière spirituelle, le symbole du Christ et de l’Église, n’a qu’une indissolubilité de second ordre, à plus forte raison le devrons-nous dire du mariage des non-chrétiens, fût-il consommé, parce que, n’ayant pas reçu le baptême, ilssontincapablesde représenter cette union, sinon grossièrement et d’une manière matérielle. Il n’y a donc dans le mariage des infidèles qu’une indissolubilité d’ordre inférieur, en soi, à l’indissolubilité secondaire du mariage chrétien non consommé. Cette fermeté d’ordre inférieur est-ce encorede l’indissolubilité ? Oui, certainement. Le mariage des infidèles est de même ordre que le mariage contracté par les patriarches et par les Juifs de l’ancienne loi. C’est celui que Dieu établit à l’origine du monde. Or de ce mariage Jésus-Christ a dit : « N’avez-vous pas lu que celui qui créa l’homme au commencement créa un homme et une femme et qu’il dit : Pour cela l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils seront les deux en une seule chair ? Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare donc pas. » Mat th., xix, 4-6. C’est de ce mariage que Jésus proclamait l’indissolubilité originelle et encore obligatoire devant les Juifs et les Pharisiens ; c’est ce mariage qu’il voulait ramènera son indissolubilité primitive. Moïse, leur affirme-t-il, Moïse ne vous a pas prescrit, imposé le divorce ; il vous l’a simplement permis. Mais à l’origine il n’en était pas ainsi. C’est la même doctrine que rappelle l’exposé doctrinal sur le mariage qui ouvre la session XXIV du concile de Trente, la Doctrina de sacramento matrimonii : Matrimonii perpetuum indissolubilemque ne.mm primus humani generis parens divini Spiritus instinctupronunliavit, cum dixit : Hoc nunc os, etc. L’indissolubilité est à la base de tout mariage. Jésus-Christ, en faisant du mariage un sacrement, n’a pas créé cette indissolubilité, il l’a confirmée : graliam vero, quæ… indissolubilitalem, unitatem confirmaret. C’est la doctrine unanime des théologiens catholiques, et en particulier de saint Thomas : l’indissolubilité appartient à tout mariage. Mais puisque ce caractère ne lui vient pas du symbole sacramentel, pourquoi Dieu a-t-il voulu que le mariage fut de soi indissoluble ? Est-ce uniquement parce qu’il plaisait à sa volonté qu’il en fût ainsi ? Au milieu d’une foule d’autres raisons saint Thomas relève celle-ci : c’est que les parents sont tenus de faire l’éducation de leurs enfants et de les préparer à remplir leur fonction en cette vie. In IV Sent., l. IV, dist. XXXIII, q. il, a. 2, q. I. C’est l’enseignement de lîenoit XIV, qui affirme que le mariage, au simple point de vue naturel, doit de toute convenance, soit pour l’éducation des enfants, soit pour conserver les autres biens, être perpétuel et indissoluble. Matrimonii fondus a Deo institulum, quod et quatenus naturaa officium est, pro educandæ prolis studio, aliisque matrimonii bonis servandis, perpetuum et indissolubile esse con venu. Const. Dei miseratione, §1. C’est l’enseignement de Pie VI : le mariage, qui avant Jésus-Christ était indissoluble, est devenu, après Jésus-Christ, l’un des sept sacrements. Dogma (idei est, ut malrimoniurn, quod ante adventum C/irisli nihil aliud erat nisi indissolubilis quidam contractus, illud post Christi adventum evaserit unum ex septem legis evangeliese sacranienlis. Epist. ad episc. Motulen., 16 septembre 1788. C’est celui de Pie IX qui insérait dans le Syllabus des propositions condamnées la proposition suivante : « De droit naturel le mariage n’est pas indissoluble, » n. 67. C’est celui que rappelait Léon XIII à toutes les pages de l’encyclique Arcanum. Et selon Benoit XIV, Quxst. canon., q. dxlvi, §33, l’indissolubilité appartient de droit naturel non seulement au mariage consommé, mais au mariage non consommé des non-baptisés. C’est l’enseignement de la raison et de l’expérience. L’indissolubilité seule protège dans le mariage les droits de la femme aussi bien que ceux du mari ; seule, elle nourrit l’amour mutuel des époux dont le bonheur, si nécessaire pour leur donner la force de remplir leur devoir quotidien, serait brisé par la perspective d’une séparation ; seule, elle resserre leur union en leur faisant consentirpour le bien de la paix les sacrifices sans lesquels il n’y a pas de grande œuvre ni de joie profonde ; seule, elle pourvoit au bonheur et à l’éducation des enfants en maintenant auprès d’eux des cœurs qui les aiment et une expérience affectueuse qui les éclaire ; seule, elle assure le bien de la société, en obligeant les passions basses à se contenir, en protégeant la pudeur dans les relations humaines, en formant comme un faisceau d’alliés et de parents qui s’entraident et se soutiennent les uns les autres, tandis que le divorce ferait des alliés de la veille d’implacables ennemis. Permettre la rupture du lien matrimonial, c’est, dit Léon XIII, donner l’inconstance comme règle dans les affections qui devraient durer toute la vie, changer le support mutuel en aigreur mutuelle, encourager les violations de la foi conjugale, rendre presque impossible l’éducation des enfants ; c’est la discorde semée à pleine main, la dignité et l’honneur de la femme foulés aux pieds, sa pudeur outragée, la moralité générale abaissée, tout frein enlevé aux passions honteuses, les nations affaiblies et bientôt épuisées, anéanties : tels sont les fruits naturels inséparables du divorce. Encyclique Arcanum, passim. Ces graves et sévères jugements reposent sur de longues et douloureuses expériences, non seulement celles de l’antiquité, mais celles plus récentes de la Révolution française et d’autres encore. Que ce soit en Allemagne, en Erance, en Amérique, partout les effets sont uniformes : la pratique étendue du divorce tuera les nations modernes comme elle a tué les civilisations antiques. Ces conséquences inéluctables ne prouveraient-elles pas à elles seules que le divorce est contraire au droit naturel ?

Les théologiens se sont demandé s’il est contraire au droit naturel primaire ou au droit naturel secondaire. Mj Rosset, dans son grand ouvrage, De sacrant, matrimon. , n. 5." » 4sq., établit clairement en deux propositions : Indissolubilitas matrimonii non est absolute de jure naturali primario ; Indissolubilitas matrimonii est de jure secundario naturse. On comprend donc que l’Église puisse admettre, en certains cas, le divorce du mariage des non baptisés comme elle admet, dans la mesure très restreinte que l’on sait, le divorce du mariage non consommé des chrétiens.

L’autorité civile, le Prince, comme on disait autrefois, a-t-elle le droit d’admettre pour les non baptisés la faculté de divorcer ? qu’elle ne l’ait pas quand il s’agit du mariage chrétien consommé ou non consommé, c’est un point absolument hors de doute : ce mariage est un sacrement dont la discipline est entièrement réservée à l’Église. Quand il s’agit du mariage des non

chrétiens, la question n’est pas aussi claire. Sanchez, De sancto matrim. sacram., 1. VII, disp. III, n. 9, se demande devant quel juge les infidèles qui demandent le divorce doivent comparaître, et il répond que c’est devant le juge séculier qui est pour eux seul compétent. Faut-il en déduire qu’il reconnaît à ce juge le droit de porter une sentence de divorce ? Peut-être, quoiqu’il ne le dise pas ; ne fausserait-on pas sa pensée en l’admettant. Plus près de nous, Carrière, De matrimonio, part. II, sect. iii, c. i, a. 1, n.’227, après avoir refusé nettement aux parties le droit de divorcer de par leur seule volonté, n’ose pas refuser aussi nettement au pouvoir civil le droit de porter une sentence de divorce : il y a là, dit-il, plus de difficulté’à se prononcer, parce que l’on peut concevoir que l’intervention et la limitation des cas par l’autorité civile supprime ou diminue quelques-uns des inconvénients du divorce. Major adest difficultas, quia concipitur per pitblicam auctoritatem ita posse restringl et ordinari divortii facultalem, ut tolLantur aut minuantur quædam ex allatis incommodis : unde non ita aperte auderemus pronunlïare. De cette concession, Rosset, op. cit., n. 55(5, le gourmande sévèrement ; il lui objecte la proposition 67 du St/llabus, qui, toutefois, n’est peut-être pas très pertinente ad rem, car, d’une part, admettre que l’autorité civile puisse en certains cas permettre le divorce ne prouve pas qu’elle nie l’indissolubilité du mariage, pas plus que l’Église, en admettant le divorce d’un mariage non consommé entre chrétiens dans les deux cas que nous avons mentionnés, ne nie l’indissolubilité générale de ce mariage, et, d’autre part, l’allocution Acerbissimum du 27 septembre 1852, à laquelle on renvoie aussi comme à l’un des documents auxquels est empruntée cette proposition 67, paraît bien parler surtout du mariage chrétien. Il paraît donc malaisé d’englober cette théorie de Carrière parmi celles qui ont été condamnées dans la proposition 67 du Syllabus. Il n’en est pas moins vrai que l’opinion courante refuse ce droit à l’autorité civile. Cavagnis n’en parle pas quand il examine la question de savoir si l’autorité civile peut établir des empêchements dirimants de mariage pour les infidèles, question à laquelle il donne une réponse affirmative, Institut, juris publ. eccles., part. II, 1. II, c. [I, § i ; mais Gasparri dit très nettement que l’autorité civile ne peut le permettre même pour les infidèles : Principem civilem, eliam in casibus in quibits divortium proprie dictum non csset contra naturse legem, non posse illud sandre nec pro subditis infidelibus. Tract, canon, de matrim., 190’f, n.1320. Cf. Lehmkuhl, Theol. mor., Paris, 1902, n. 701. 2° Le privilegium paulinum.

On a vu que l’Église autorise légitimement, en deux cas déterminés, le divorce du mariage chrétien non consommé. Puisque le mariage des non baptisés n’a qu’une indissolubilité inférieure à celle du mariage chrétien, il s’ensuivra logiquement que l’Église pourra dans une mesure plus large en autoriser et sanctionner la dissolution..Mais là encore une longue discipline a déterminé dans quel sens ou pour quel motif cette dissolution pourra être permise. C’est uniquement in fidei favorem, pour la conservation et l’extension de ce bien supérieur qu’est la pratique de la vraie religion. Le premier énoncé de ce droit et de cette discipline se lit dans la première Épître de saint Paul aux Corinthiens. « Si un frère, écrit l’apôtre, a une femme non chrétienne et qu’elle consente à habiter avec lui, qu’il ne la renvoie pas. Et si une femme chrétienne a un mari non chrétien et qui consent à habiter avec elle, qu’elle ne le renvoie pas ; car le mari non chrétien est sanctifié dans la femme, et la femme non chrétienne est sanctifiée dans notre frère… Mais si le conjoint non chrétien se sépare, qu’il se sépare : le frère ni la sœur ne sont enchaînés dans ces cas. C’est dans la paix que Dieu nous a appelés. »

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

I Cor., iiv 12-15. Le texte est assez clair par lui-même. Si donc après la conversion de l’un des époux l’autre refuse de cohabiter avec lui et se sépare, l’époux converti n’est pas tenu de le suivre ni de le rechercher. A ce cas on a joint celui où l’époux demeuré infidèle veut bien cohabiter avec le conjoint converti, mais veut lui imposer en cette cohabitation des actes contraires à la religion chrétienne ou aux devoirs essentiels du mariage ; et avec raison, car cette cohabitation matérielle est pire que la répudiation. La discipline qui s’ensuivit et qui est attestée dès les origines, cf. le commentaire de l’Anibrosiaster, In I Cor., vu ; l’homélie xix de saint Jean Chrysoslome, In 1 Cor., iiv mentionnée par les pénitentiels, cf. Pœnitent. Theod., ii 12, S 17, 18 ; pseudo-Fgbert, etc., reconnue parGratien et ses successeurs, fut enfin canonisée par Innocent III, c. Quanto, De divortiis, où il énonça définitivement jusqu’où s’étendait le privilège exprimé patsaint Paul. Depuis lors les détails pratiques ont été précisés, soit en ce qui concerne l’interpellation à adresser à l’autre conjoint, soit en ce qui concerne la dispense de cette interpellation : ce sont là questions dans lesquelles il n’y a pas lieu d’entrer pour notre sujet. On voulait simplement marquer dans quelle mesure l’Église, interprète du droit divin et du droit naturel, admet le divorce du mariage des non baptisés.

Cette décrétale d’Innocent III affirmait et restreignait à la fois une pratique un moment plus étendue. La question s’était en effet posée, si le privilège de l’apôtre ne visait que le mariage contracté dans l’infidélité de deux époux dont l’un s’était plus tard converti, ou s’il n’était pas applicable également au cas où de deux époux chrétiens, mariés dans l’Église, l’un d’eux apostasiait ou tombait dans l’hérésie ; si l’époux perverli refusait de cohabiter, ou s’efforçait d’entraîner l’autre dans ses erreurs, celui-ci ne pouvait-il être délié du lien matrimonial et, s’il le désirait, contracter un autre mariage ? Deuxdécrétales, l’une d’Urbain III (1185-1187) can. 6, De divort., et l’autre de Célestin III, can. 1, De convers. infidel. (le texte se trouve dans les partes decisx, Friedberg. In loc.) l’avaient admis, celui-ci dans le cas d’apostasie, celui-là dans le cas d’hérésie, à condition que le divorce eût été prononcé, cum assensu archidiaconi, ou bien judicio Ecclesiæ. Mais, dans son édition des Décrétâtes, saint Raymond de Pennafort laissa tomber le passage de Célestin III, et, à l’occasion de celui d’Urbain III, la Glose remarquait : sed hoc, quod in fine dicitur, corrigitur per cap. sequens, c’est-à-dire le c. Quanto.

Enfin on ne s’étonnera pas que le mariage contracté entre deux infidèles puisse, après la conversion de l’un d’eux, être dissous par la profession religieuse solennelle du converti.

VIII. Le divorce civil spécialement en France. — Le divorce, qui avait disparu de la législation chrétienne sous les efforts incessants de l’Église, —y reparut à l’éclosion du protestantisme. Toutes les écoles protestantes en admettaient la légitimité dans certaines limites. Les motifs pouvaient être, en premier lieu l’adultère du conjoint, les sévices et mauvais traitements, une absence longue et affectée, l’incompatibilité d’humeur. Le concile de Trente condamna leur doctrine spécialement dans les c. v et iiv De sacram. matrim., sess. XXIV. Non pas que l’on remit au gré de chacun l’appréciation des motifs et la liberté absolue ; mais la brèche était ouverte, on ne tardera pas à l’élargir.

D’autres théories empruntées plutôt à des arguments philosophiques firent introduire le divorce dans la législation française à l’époque de la Révolution. C’était au moment où, entraînée par sa lutte contre la religion catholique, l’Assemblée législative prétendait asseoir un ordre nouveau sur de nouvelles bases, en faisant

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abstraction de tous les principes chrétiens. En vertu du principe que la liberté est un droit naturel inaliénable, on décida que le mariage était un contrat ordinaire, dissoluble donc par le seul consentement des deux époux, puis, même par la volonté d’un seul plaidant l’incompatibilité d’humeur. Loi du 20 septembre 17(1-2. Les conséquences furent telles qu’on dut, le 15 thermidor an III, suspendre l’exécution de loi du 4 lloréal an II. Ce droit au divorce, qui n’avait été réclamé par aucun des cahiers de 1789, n’était pas populaire ; les rédacteurs du Code civil, sans toutefois le supprimer, purent le restreindre notablement. Ils ne retinrent comme causes que l’adultère, les excès, injures, sévices graves, la condamnation à une peine infamante, et le consentement mutuel subordonné à une foule de prescriptions sévères, art. 229-233. La loi du 8 mai 1816 le supprima, et les tentatives faites en 1830 et 1848 pour le rétablir n’aboutirent pas. En 1871, pendant la Commune, une proposition fut présentée dans le même sens.

Le 16 juin 1876, M. Naquet présentait à la Chambre des députés un projet de loi qui eut malheureusement plus de succès. Après de longues discussions, le projet notablement amendé et adouci aboutit à la loi du 27 juillet 1884 ; une nouvelle loi du 18 avril 1886 ne lui lit subir que des retouches concernant la procédure. Elle n’admet le divorce que pour « cause déterminée », les causes admises par le Code civil de 1804, moins celle du consentement mutuel. Récemment, de nouvelles facilités ont été accordées, qui en rendent la pratique plus dangereuse et plus déplorable. Nous n’avons pas à entrer dans le détail de ces dispositions ; ce que nous venons d’exposer suffit au but qui nous est fixé.

Par suite de cette loi se posèrent un peu partout des cas de conscience douloureux. Il demeurait bien certain que le divorce ne pouvait être accepté par l’Église, que la loi était inopérante pour la conscience ; qu’un chrétien ne pouvait y recourir pour briser le lien conjugal, c’est-à-dire pour se libérer absolument de son conjoint et contracter un nouveau mariage. Mais pouvait-on recourir au divorce considéré uniquement comme une rupture du lien civil, des sanctions civiles que le mariage contracté devant l’autorité civile annexe au lien matrimonial ? Et si l’Église interdit d’y recourir, est-ce parce que le divorce est intrinsèquement mauvais ? est-ce parce que, sans être intrinsèquement mauvais, il entraîne de telles conséquences qu’on ne le peut tolérer que dans des circonstances exceptionnelles, circonstances qu’on ne peut viser dans une loi générale ou une jurisprudence courante ? Il s’agit, bien entendu, ici, de la dissolution civile d’un mariage chrétien, valide, et qui ne peut bénéficier d’une dispense pontificale dans les conditions indiquées plus haut.

Les théologiens ne sont pas complètement d’accord sur ce point. Ils sont unanimes à considérer le divorce civil, considéré en simple rupture du lien civil, comme un mal ; ils sont unanimes à dire qu’il le faut éviter, mais ils se divisent sur la question de fond : les uns affirmant qu’il est intrinsèquement mauvais, les autres admettant qu’il se peut rencontrer des cas assez graves pour qu’on ait le droit de le demander. Aucune déclaration autorisée n’ayant tranché le différend, il ne reste qu’à demander à l’Eglise ce qu’elle tolère en pratique pour diverses personnes qui peuvent être intéressées dans une action en divorce : les époux, les juges, les avocats et avoues.

Les époux.

Il est certain qu’ils ne peuvent demander le divorce en vue d’un intérêt pécuniaire. Le cas fut posé à la Pénitencerie : une femme séparée de corps d’avec son mari demandait la jouissance d’un bureau de tabac, mais ne pouvait l’obtenir si elle n’obtenait préalablement le divorce. D’ailleurs, dans son

intention le divorce n’eut été que la rupture du lien civil. La Pénitenceric interrogée répondit le 5 janvier 1887 : Mulicri pxnitenti in casu nihil aliud esse consulendum, nisi ut a petendo divorlio sub gravi se abstineat.

Le peuvent-ils pour un intérêt d’ordre supérieur ? Par exemple, une femme, épouse d’un mari indigne, pourrait-elle demander le divorce afin de se faire adjuger à elle seule la garde et l’éducation des enfants qui serait gravement compromise entre les mains du père ? Il n’y a pas, sur ce point, de décision officielle : celle que l’on cite, du 3 juin 1891, n’est pas ad rem et considère une hypothèse un peu différente.

Le peuvent-ils pour sauvegarder l’honneur d’une famille, désavouer la paternité d’enfants adultérins, préserver les intérêts d’enfants légitimes compromis par exemple par les débordements odieux d’une mère ? Sur ce point les deux thèses en présence se prévalent chacune d’une réponse. Dans les deux cas posés à la Pénitencerie les apparences étaient, semble-t-il, les mêmes. Pourtant la réponse fut différente. Le 7 janvier 1892, la Pénitencerie répondait : Non licere ; le 30 juin de la même année, elle disait : Urator consulat probatos auctores. Voici d’ailleurs la question à laquelle s’adressait la réponse : Eduardus ob adullerium mulieris nolorium et scandalosum, ex quo eliam proies spuria exorla est, a judice ecclesiastico obtinuit sententiani pro separatione thori. — Ut vero talis sententia judicis ecclesiastici effectus civiles sorliri queat, prxsertim quoad repudialionem paternitatis circa filios adulterinos, horumque exclu sionem a parle et bonis prolis légitima ; , lex civilis non aliud suppedilat médium ef/icaxquam divortium civile. — Unde Eduardus familisesuai decori et bono providere volens, ad aclionem proconsequendo divortio civili recurrere cogitât. Nullo modo tamen vinculum sacramentale infrangere aul novarum nuptiarum libertatemproseaut pro indigna muliere prætenderc putat, paratus cœteroquin talem inlentionem autkenlice coram parocho vel episcopo confirmare et declarare. Le reste de l’exposé n’est qu’une répétition plus détaillée de cette déclaration. A cette consultation la Pénitencerie n’a pas répondu : Non licere, mais : Urator consulat probatos auctores.

Enfin, un époux contre lequel est intentée une action en divorce, peut-il agir reconventionnellement contre le demandeur, par exemple afin d’obtenir la garde des enfants qu’il n’obtiendrait pas en restant simplement défendeur ? Sur ce point encore, aucune décision officielle publiée jusqu’ici.

Le juge.

Laissons de côté, comme n’appartenant pas spécialement à notre sujet, le fait qu’en instruisant une action en divorce, le juge s’immisce dans une matière ecclésiastique. Abstraction faite de ce point, le juge peut-il prononcer un divorce civil ? Nous avons ici plusieurs réponses officielles. Le 25 juin 1885, à une question conçue en ces termes : Utrum fas esset judicibus laicis in causis de separatione conjugum $ive circa vinculum, sive circa habitalionem tantum, jus dicere ? (ces mots jus dicere visent la loi de 1884 d’après laquelle le juge ne prononçait pas le divorce, mais se bornait à déclarer : Il y a lieu de prononcer le divorce ; la loi du "18 avril 1886 a modifié ce point : c’est le juge maintenant qui prononce le divorce), à cette question, le Saint-Office répondait que, vu les circonstances, tolerari posse… dummodo calliolicam doctrinam de malrimonio deque causis matrimonialibus ad solos judices ecclesiasticos perlinentibus palam pro/itea>ttur, et dummodo ila animo comparait sinl… ut uunquam proférant sententiam… divino aut ecclesiastico jurs repugnantem, et in casibus dubiis vel dif/icilioribus suum quisque ordinarium adeal, ejusque judicio se dirigat… Ce n’était donc pas un refus absolu. Celle réponse suscita de nouvelles questions auxquelles il fut

répondu le 27 mai 1886 que n'était pas légitime inlerpretalioperGallias diffusa acetiam ty pis data, j uxtaquam satisfacit conditioni prsecitatse (celle qu’on a citée cidessus) index qui, licet matrimonium aliquod validum sit coram Ecclesia, ab Mo matrimoniovero et conslanti animo abslrahit, et applicans legem civilem pronuntiat locum esse divortio, modo solos effeclns civiles solumque contractum civilem abrumpere mente intendat, eaque sola respiciant termini prolatæ sententiæ. Cette réponse, adressée à des évêques de France, ayant excité une certaine émotion en Belgique où le juge peut être appelé lui aussi à prononcer des sentences de divorce, le nonce en Belgique fut autorisé par le SaintSiège à déclarer « que le décret du 27 mai ne concerne pas la Belgique, et que par conséquent, rien n’est modifié en ce pays en ce qui touche la matière du divorce. » Enfin l'évêque de Lueon ayant demandé si, dans un cas particulier, où les juges avaient déclaré : Il y a lieu à prononcer le divorce, bien que le mariage fût valide devant l'Église, le maire pouvait prononcer le divorce avant de procéder au mariage civil du divorcé, ce maire étant disposé à confesser publiquement la doctrine de l'Église sur le mariage et sur le divorce la Pénitencerie répondit, le 23 septembre 1887 : Episcop. Lucion. in hoc casu particulari, si inspectis omnibus ejus adjunctis ita in Domino expedire judicaverit, tolsrave posse ut syndicus orator ad aclum, dequo inprecibus, procédât cum declaralionibus ab ipso proposilis, ita ut… ponat : solumque civilem contractum spectare posse. Puis elle déclara, le 4 juin 1890, qu’il n'était pas licite de déduire de cette réponse à un cas particulier une solution générale. En pratique, c’est l’opinion moins sévère qui l’a emporté. Gasparri le reconnaît : In locis ubi lex divorlii a mullo tempore ssevit, judices catholici bona fide sententiam prof’erunt, tacentibus ordinariis et s. sede ; e.g. in Belgio… Etiam in Galliis, jam hœc bona fides, ob data ab ordinariis responsa, inpluribus introducta est. Op. cit., n. 1557. Et il ajoutait : Ilinc in prsesentibus circumstantiis minus probamus illos, qui liane actus illiceitatem alte et in publicis ephemerïdibus pnedicant.

Les avocats.

Un avocat peut-il être pour son client demandeur en divorce ? Évidemment l’avocat peut être demandeur dans les cas où son client peut demander en conscience le divorce. — Le peut-il dans le cas où le client n’a pas le droit en conscience d’intenter l’action en divorce ? Pas plus que son et ient il ne peut agir en vue d’un avantage temporel ou pécuniaire. Bref, il faut lui appliquer les solutions données pour les époux ; et ce que le décret du Saint-Office du 25 juin 1885 décidaitpourles juges s’appliquait aussi aux avocats ; la question parlait des uns et des autres, la réponse les visait également. — L’avocat pourrait-il agir s’il était désigné d’office pour assister le demandeur ? (Notons que la nouvelle jurisprudence rend de plus en plus fréquentes ces désignations d’office.) Le motif qu’invoquent les tenants de la réponse affirmative, c’est qu’en refusant son ministère l’avocat chrétien s’expose à ne pouvoir plus exercer sa profession, au grand dommage de l’ordre social tout entier. Mais nous ne connaissons pas de réponse autorisée du Saint-Siège sur ce sujet. — Par contre, nous savons, par une réponse du Saint-Office à l'évêque de Southwark communiquée par le Saint-Office lui-même à l'évêque de Saint-Gall, le 3 avril 1877, qu’on peut tolérer que l’avocat assiste un défendeur en procès de divorce, dummodo episcopo constet de probilate advocati, et dummodo advocatus nihil agat, quod a principiis juris naturalis et ecclesiaslici deflectat.

Il ne semble pas qu’il y ait lieu de se montrer sévère en ce qui concerne le ministère de l’avoué, qui est plutôt subalterne et surtout matériel ; moins encore pour le ministère de l’huissier et du greffier.

Nous résumerons tout cet exposé pratique par la déclaration suivante du card. Gasparri, touchant l’opinion moins rigide : eam sive in theoria sive in praxi relinent, saltem ut probabilem, non pauci antistites, docti, pii, prudentes et sedi aposlolicsc addictissimi in Germania, Anglia, America, Gallia… Ex divortio sequitur effeclus contrarius juri divino, nempe quod matrimonium religinsum privetur suis effeclibus civilibus, sed hic effectus sequitur indirecte. Op. cit., n. 1540.

La première partie de cette déclaration rappelle qu’en effet le divorce civil existe non seulement en France, mais en Allemagne, en Angleterre et en Amérique. Voici une brève indication des pays où règne cette plaie malheureuse des législations antichrétiennes.

En Europe : Allemagne, d’après le nouveau code civil entré en vigueur le 1 er janvier 1900, S 1564-1587 ; Angleterre, surtout depuis la loi du 28 août 1857, complétée par des lois postérieures de 1868, 1898, etc. ; Autriche, sauf pour les catholiques, lois de 1820, 1870, 1874 ; Belgique, code civil de 1832 ; Hongrie, depuis la loi de 1894 ; Ecosse ; Irlande, où il faut, afin d’obtenir le divorce, une loi pour chaque cas ; Luxembourg, comme dans le code civil français de 1804 ; Hollande ; Suisse, spécialement depuis la loi fédérale du 21 décembre 1874 ; Danemark, Norvège, Suède ; Bussie, Grèce, Monténégro, Boumanie, suivantles lois de l'Église grecque-orthodoxe ; en Pologne, pour les dissidents seulement, non pour les catholiques. L’n Amérique : celle du sud : Costa-Bica, Saint-Domingue, Equateur, Guatemala, Haïti. San-Salvador ; Amérique du nord : États-Unis, où le divorce est une vraie plaie sociale malheureusement très étendue ; dans le Bas-Canada, il faut comme en Irlande une loi pour chaque cas.

La bibliographie de cette matière est extrêmement nombreuse On en donnera seulement un exposé restreint. En plus des ouvrages indiqués dans les pages qui précèdent, on pourra consulter, en premier lieu, les moralistes et canonistes : Feije, BalleriniPaimTi, 0pu8 theologicum morale, les décrétalistes, sur les titres

! >< divortiis, et De conversione infidelium ; puis les suivants, 

donnés un peu au hasard : Westermarck, Origine du mariage dans l’espèce humaine, trad. H. de Varigny, Paris, 189."> : de Bonald, Du divorce, Paris, 1847 ; E. Glasson, Le mariage civil et le divorce dans l’antiquité et dans les principales législations modernes de l’Europe, Paris, 1880 ; Luckock, The history of marriage, Londres, 1894 ; Brenner, De divortiis apud llomanos, Berlin, 1862 ; Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861 ; Palmieri, Tractât us de matrimonio christiano, Rome, 1880 ; Scaduto, /( divorzioe il Cristianesimo in Occidente, Florence, 1883 ; J. Freisen, Gescltichte des canunischen Eherechts, 2e édit., Paderborn, 1 « 93 ; Zliishmann, Das Eherecht der Orientalischen Kirche, Vienne, 1864 ; Launoy, Regia in matrimonium potestas, Paris, 1674, et lu Ubrum magistri Launoii theol. Parisien., qui inscribitur Ilegia in matrim. potestas, observationes, par Jacques l’Huillier, 1678 ; A. Esmein, Le mariage en droit canonique, Paris, 1891 ; Roskovany, Matrimonium in Ecclesia catholica potestati eeclesiast. subjectum, Pestini, 1870 ; P. Damas, Les origines du divorce en France, Bordeaux, 1897 ; Baudier, La loi du divorce et la conscience chrétienne, Paris, 1885 ; E. Lehr, Le mariage, le divorce et la séparation de corps dans les principaux pays civilisés, Paris, 1899 ; Basdevant, Des rapports de l'Église et de l'État dans la législation du mariage, du concile de Trente au code civil, Paris, 1900 ; Quinquet de Monjour, Histoire de i indissolubilité du mariage en France depuis le v siècle jusqu’au concile de Trente, Paris, 1901 ; R. Lemaire, Le mariage civil, Paris, 1905 ; A. Giobbio, Lezioni didiplomazia ecclesiastica, Rome, 1904, t. l ; enfin l’excellent livre de M. I. Fahrner, qui peut tenir lieu de beaucoup d’autres, Gescltichte der Ehescheidung im kanonischen Recht, Fiïbourg-en-Brisgau, 1903, t. I (le seul paru jusqu’ici). Pour les décisions des Congrégations romaines, voir les revues spéciales, comme Le canoniste contemporain del885à 1892, ou bien Craisson, Manuale totius juris canonici, 8e édit., Paris, 1894, ou Lavialle, Décisions romaines sur le divorce civil, Péiigueux, 1898.

A. ViLLIEN.

1479

DMITRIEVSKY

DOCETES

1480

    1. DMITRIEVSKY Ivan ivanovitch##


DMITRIEVSKY Ivan ivanovitch, écrivain ecclésiastique russe du xvine siècle, né dans le gouvernement de Riazan en 1754. On a de lui un livre très apprécié dans l’Église russe, un commentaire historique et théologique de la liturgie : Istoritcheskoe, dogmatitcheskoe i tainstvennoe iziasnenie liturghii, Moscou, 1804. La dernière édition est celle de Saint-Pétershourg, 1897. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages historiques et liturgiques, mentionnés par Philarète.

Philarète, Obzor russkoi dukhovnoi literatury, Saint-Pétersbourg, 1884, p. 411-4-12 ; Pravoslavnaia bogoslovskaia Entziklopediia, t. iv, col. 1103-1104.

A. Palmieri.

    1. DOBMAYER marianus##


DOBMAYER marianus, théologien de l’ordre de saint Benoit, né à Schwandorf le 24 octobre 1753, mort le 21 décembre 1803. Il avait obtenu son admission dans la Compagnie de Jésus ; mais celle-ci ayant été supprimée, il entra chez les bénédictins où il fit profession en 1775 à l’abbaye de Weissenohe. De 1781 à 1787, il enseigna la philosophie à Neubourg-sur-le-Danube ; de 1787 à 1794, la théologie dogmatique et l’histoire à Amberg ; et de 1794 à 1799, à Ingolstadt. Lorsque l’université de cette ville fut réorganisée, Dobmayer fut nommé professeur de théologie à Munich. Il refusa cette chaire et rentra dans son abbaye. Quelques années plus tard, en 1803, les monastères ayant étésupprimés en Bavière, le gouvernement de ce pays lui fit offrir une chaire de professeur ; mais il ne voulut rien accepter désirant surtout reprendre son enseignement à Amberg. Dobmayer a publié : Conspectus theologise dogmaticse, in-8°, Amberg, 1781. Après sa mort parut son ouvrage : Systema theologise dogmalicæ, opus posthumum cuva et studio Th. Pant. Senestrey, 81n-S", Soultzbach, 1805-1819. Senestrey publia en outre de ce même auteur : Régula fidei ac théologies catholicæ, in-8", Soultzbach, 1821. Le bénédictin Em. Salomon fit paraître un abrégé du Systema theologise, sous le titre : P. M. Dobmayer inslitutiones theologicse incompendium redactse, 2 in-8°, Soultzbach, 1893.

Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1893, t. iii, col. 562 ; C. Sommervogel, Bibliothèque de la C de Jésus, 1892, t. iii, col. 1117 : Kirchenlexikon, 1884, t. III, col. 1865 ; M. J. Scheeben, La dogmatique, trad. de l’abbé Belet, in-8° Paris, 1877-1882, t. I, p. 717.

B. IIeurtebize.

    1. DOBROSIELSKI Chrysostome##


DOBROSIELSKI Chrysostome, théologien polonais de l’ordre de saint François, né en 1628, mort en 1676. On a de lui : 1° Summarium ascelicse et myslicse theologise ad menleni D. Bonavenlurse, Cracovie, 1655, 1703 ; 2° Theolngia ascetica ad mentem S. Bonavenlune, Cracovie, 1703, 1731.

Encyldopedja koscielna, Varsovie, 1874, t. IV, p. 247 ; Estreiclier, IJiblioyrafia polska. Cracovie, 1897, t. xv, p. 263.

A. Palmieri.

    1. DOBROTVORSKY ivan Mikhaïlovitch##


DOBROTVORSKY ivan Mikhaïlovitch, un des plus savants polémistes russes contre le raskol. Né en 1832 dans l’éparchie de Nijny-Novgorod, il fréquenta les cours de l’Académie ecclésiastique de Kazan et plus tard, en 1867, y professa l’histoire et la réfutation du raskol russe. Il mourut au mois de septembre 1883. Il a publié un grand nombre de monographies théologiques et historiques sur les sectes russes. Le plus important de ses ouvrages est intitulé : Liudi bojii, russkaia sekta tak nazyvæmykh dukhovnykh khristian, Kazan, 1869. Il y expose les doctrines et la vie de la secte russe des Chrétiens spirituels ou des hommes île Dieu, qui rejettent le sacerdoce, le culte, et l’autorité du pouvoir civil, et croient que le Christ est descendu sur la terre 50 jours après sa résurrection, et y a fait le jugement dernier. Plusieurs de ses monographies touchent aux relations doctrinales entre le catholicisme et le raskol, par exemple, sa réponse au Père Gagarine sur la manière dont les raskolniks

russes envisagent les croyances de l’Eglise romaine, l’ravoslavny Sobesiednik, Kazan, 1860, t. I, p. 297-322 ; et son étude sur les relations du raskol avec l’Église et le gouvernement russe, Pravoslavnoe Obozrienie, Moscou, 1862, t. vii, p. 364-392. Il a fait aussi un résumé historique des luttes théologiques et de la séparation des Églises au XIe siècle : Borba i razdielenie Izerkvei v polovinie xi vieka, Klirislianskoe Tchlenie, Saint-Pétersbourg, 1868, t. ii, p. 698-732, 871-899. La longue liste de ses écrits a été dressée par Znamensky, p. 399-401.

Izviestiia kazanskago Univcrsiteta, 1882, t. XVIII, p. 2392’il ; Zepbirov, Ivan Mihhaïlovitch Dobrotvorsky, ordinarnyi prufessor Imp. Kazanskago univcrsiteta po Kathedrie tzerkovnoi istorii, Pravoslavny Sobesiednik, 1k83, t. iii, p. 355396 ; Znamensky, Istoriia kazanskoi dukliovnoi Akademii, Kazan, 1892, t. ii, p. 391-401.

A. Palmieri.

DOC Jean, théologien et évêque de Laon, mort le 1 er juillet 1560. Religieux bénédictin de l’abbaye de Saint-Denis, docteur en théologie et en droit canon, il s’acquit une grande réputation comme prédicateur. Il fut grand-prieur de son monastère et prieur de Saint-Denis de l’Estrée et de Saint-Denis-en-Vaux. Le cardinal de Bourbon, abbécommendataire, le choisit comme son vicaire général et, en 1552, le fit nommer évêque de Laon. On a de ce prélat : Yita, passio, sepulluru, marlyris Areopagitw Dionysii sociorumque ejus, corporum eorumdem invenlio ac translatif per pium rrgem Dagobertum, in-8°, [Paris, 1549] ; Enarratio Dominicpe passionis, in-8°, Paris. 1552 ; De seterna generatione Filii Dei et temporali nativilate, in-8°, Paris, 1554 ; De Domini resurreclione, in-8°, Paris, 1560 ; Homilise quadragesimales, in-4° ; Homiliae in dominicas et festa anni, Paris, 1560 ; Homilise ad populum, Anvers, 1567.

Dom M. Félibien, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denis, in-fol., Paris, 1706, p. 394 ; Ziegclbauer, Historia rei literariæ ord. S. Benedicti, t. IV, p. 159, 108 ; [dom François, } Bibliothèque générale des écrivains de l’ordre de Saint-Benoît, 4 in-4°, Bouillon, 1777-1778, t. i, p. 256 ; Hurter, Nomenclator, 1899, t. iv, col. 1176 ; Gallia christiana, in-fol., Paris, 1751, t. ix, col. 555.

B. Heirtibize.

    1. DOCÈTES##


DOCÈTES. — I. Sources. II. Exposé du système. III. Critique.

I. Sources.

Ce qui a fait le fond du docétisme, voir Docétisme, et ce qui le caractérise surtout, ce fut de soutenir que le Sauveur n’eut pas un corps fait de chair et de sang comme celui de l’homme, mais une simple apparence de corps ou un corps fantôme, et de supprimer ainsi deux des dogmes fondamentaux de la foi chrétienne, ceux de l’incarnation et de 13 rédemption. Mais cette erreur, avec des variantes de détail, fut commune, dès l’origine et pendant les premiers siècles de l’Église, à plusieurs sectes. Il y eut beaucoup d’hérétiques entachés de docétisme ; mais y eut-il une secte spéciale dont les partisans portaient le titre distinct de docètes ? L’allusion de Théodore ! porte à le croire quand il parle de ceux qui, de son temps renouvelaient l’hérésie de Marcion, de Yalentin, de Manès et des autres docètes, ôonvriai. Epist., lxxxii, P. G., t. lxxxiii, col. 1264. Et pourtant des hérésiologues, tels que saint Epiphane et saint Philastrius, très portés à multiplier le nombre des sectes, ne disent pas un mot de celle-ci ; ni saint Augustin, ni, avant lui. Tertullien ou saint Irénée ne signalent une secte à part de ce nom. L’auteur des Philosophoitmena est seul à le faire et lui consacre un article. Il parle, en effet, d’hérétiques qui se donnaient à eux-mêmes le nom de docètes, Soxy|T « (. D’autre part, d’après Clément d’Alexandrie, .Iules Cassius, voir t. 11, col. 1829, fut en Egypte le chef du docétisme, ô tt, ; Sox^arewç £ : ip-/tov, Strom., iii, 13, P. (t., t. viii, col. 1192, en faisant de

la Sôxïjin ; le thème principal de son enseignement, et en prenant le nom de docètes pour distinguer ses partisans. Quand il veut expliquer les noms des diverses sectes, Clément d’Alexandrie range les docètes parmi celles qui ont tiré leur nom particulier, non de celui de leur chef ou du lieu qui les vit naître, mais de la matière de leur enseignement. Strom., vii, 11, P. G., t.xi, col. 553. Un autre personnage, nousdit Sérapion, évêqued’Antioche, vers 190 et peu de temps avant Clément, appartient à la secte i< de ceux que nous appelons docètes, » Marcion, Moepxiavdç. Eusèhe, H. E., vi, 12, P. G., t. xx, col. 545. Celui-ci se servait de l’Evangile de Pierre, qui était très favorable au docétisme, tandis que Cassius usait de l’Évangile selon les Égyptiens. Strotn., iii, 13, P. G., t. viii, col. 1193. Mais ici une difficulté se présente, celle de savoir si le chef anonyme de la secte, dont parlent les Philosophoumena, est le même que Cassius. Dans l’état actuel des documents, l’identification parait peu probable, elle est même impossible, car il n’est rien dit de ce chef qui rappelle le moins du monde ce que nous savons de Cassius. De plus, bien qu’il s’agisse de la même époque, c’est-à-dire de la fin du IIe siècle, l’explication du nom qu’on donne à ces hérétiques ou qu’ils prennent eux-mêmes, ne porte pas exactement sur le même point. Pourquoi ce nom, en effet ? En Orient, il rappelle bien l’erreur du docétisme ; mais, sous la plume de l’auteur des Philosophoumena, il signifie encore autre chose : il viendrait, non pas de ôoLr, T’. ; , apparence, par allusion directe à la théorie du docétisme, mais de SoLô. ; , poutre, par allusion à la poutre dont il est parlé dans l’Évangile, poutre que ces sectaires avaient dans les yeux, ce qui les empêchait de voir la vérité et faisait faire à quelques-uns des folies, non en apparence, mais en réalité. r Ûv o’j tù> Soxetv Eivat Tivà ; LaTavoo0tj.£7 ij.XTX’.^ovTa ; . àLLà xr, v èv. toaxitrit uXïjî Soxôv èv oçOaX(jLû ?spo|j.svY]vS ! £Àé-y^o(xev. Philosoph., VIII, i, 11, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 408. C’est donc aux Philosophoumena, comme à l’unique source, que nous devons demander les renseignements indispensables pour connaître cette secte ; malgré leur brièveté et leur obscurité, on s’apercevra facilement que ces docètes furent des gnostiques sans grande originalité.

II. Exposé » v système. — Comme tous les gnostiques, ces docètes de la tin du IIe siècle ont une théogonie, une cosmologie, une christologie et une sotériologie à part : cadre semblable, explications un peu dillérentes. Nous allons en faire l’exposé aussi littéral que possible.

Théogonie.

Dieu est le principe de tout ; mais il est semblable à la graine du figuier, qui est très petite quant au volume et très grande par sa puissance de développement. Le figuier rappelle l’arbre qui servit de refuge, d’abri et de voile de pudeur (à Adam et à Eve), et auquel par trois fois le Seigneur demanda vainement du fruit et qu’il finit par maudire. Or, le figuier pousse une tige, déploie des feuilles et porte des fruits aux germes sans nombre. De même de ce Dieu si petit et si réduit sortent trois éons, qui sont, à leur tour, principe de tout le reste. C’est ce qu’a fait entendre Moïse quand il a dit que les paroles de Dieu sont au nombre de trois : o-xôto : , yvoço : , f JJî),).x. Deut., v, 22. Ils se développent, en effet, et atteignent leur perfection, qui est dans le nombre dix, et deviennent trente ; ils ne diffèrent entre eux que par la distance qui les sépare du premier germe, et leur puissance prolifique est en raison directe de ce voisinage avec Dieu. Ainsi le plus voisin, xsj.iTpr.To : , l’incommensurable, se décuple et devient cent ; le second, àxaTdtXr, tcto ; , l’incompréhensible, étant un peu plus loin, se ^sextuple et devient soixante ; quant au dernier, qui n’est pas désigné, étant le plus éloigné des trois, il se triple et devient trente. Ce développement rappelle celui

de la parabole du Sauveur. « Des grains tombèrent dans la bonne terre, et ils produisirent des fruits, l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ! » Matth., xii, 8. Tous ces éons, les trois et ceux qui procèdent d’eux en nombre infini sont en même temps mâles et femelles. Sortis tous de ce premier germe de concorde et d’unité et s’étant tous concentrés à la fois dans un seul éon, ils ont engendré un fruit commun, le Sauveur de tous ceux qui sont au milieu, égal en puissance au germe du figuier, sauf qu’il a été engendré, tandis que le premier germe est incréé.

Cosmologie.

Grâce à ces trois éons et à ce fils monogène, toute la nature spirituelle a été ordonnée. Et toutes les choses spirituelles et éternelles sont de la lumière, mais une lumière qui n’est ni amorphe, ni rude ; n’ayant besoin d’aucun informateur, et possédant, à l’exemple du figuier, les idées sans nombre de tout ce qui vit ici-bas, et illuminant d’en haut le chaos sous-jacent. Celui-ci, illuminé et formé tout à la fois par ces idées supérieures, s’est solidifié et a reçu du troisième éon les idées supérieures. Mais ce troisième éon, voyant que tous ses types lumineux étaient enfermés dans la nuée ténébreuse sous-jacente et n’ignorant pas le pouvoir du (jxôtoç en même temps que la simplicité et la richesse de la lumière, n’a pas toléré qu’ils y fussent longtemps retenus et les a soumis aux éons. Ayant donc affermi le firmament, il a séparé la lumière des ténèbres et a appelé jour la lumière d’en haut et nuit les ténèbres d’en bas. Or, de toutes ces idées infinies du troisième éon, enfermées dans les ténèbres, est sorti un feu vivant, d’où est né le grand Archon (le démiurge), dont Moïse a dit : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » Gen., i, 1. C’est ce Dieu igné que Moïse dit avoir parlé du sein du buisson, c’est à-dire du sein de l’air ténébreux. El c’est ce Dieu de feu, né de la lumière, qui a fait le monde, comme le raconte Moïse : Hieu non subsistant, mais ayant le tL6t’j ; pour substance et insultant les types éternels et supérieurs de la lumière qui étaient retenus dans les ténèbres. Et c’est jusqu’à la manifestation du Sauveur que ce Dieu, né de la lumière, ou ce démiurge igné a été cause que les âmes n’ont cessé d’errer ; car on appelle ainsi,’bu/ai, les idées parce qu’elles ont été refroidies dans les ténèbres ; ces âmes passant d’un corps dans d’autres corps, tous gardés par le démiurge. Qu’il en soit ainsi, c’est ce qui se voit d’après ces paroles de Job : « Et moi, errante, je passe d’un lieu dans un autre, d’une maison dans une autre maison ; » et d’après ces autres du Sauveur : « Si vous voulez le comprendre, lui-même est Élie, qui doit venir. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ! » Matth., xi, 14-15.

Christologie.

Le Sauveur a mis fin à la migration des âmes et il a prêché la foi en la rémission des péchés. En effet, voyant les idées supérieures des éons passer à travers des corps ténébreux, ce fils monogène voulut descendre et les racheter. Mais, sachant que les éons ne peuvent soutenir la vue du plérorne et sont exposés à éprouver quelque dommage à cause de la grandeur et de la gloire de sa puissance, il se contracta à la manière d’un éclair dans un corps tout petit, ou plutôt à la manière de la lumière de l’œil qui se cache sous la paupière, et il va jusqu’au ciel et aux astres brillants, où il se contracte encore davantage. Et, ce faisant, ce fils monogène et éternel emprunta une idée à chacun des éons des trois éons ; quand il se trouva dans la trentaine (celle du troisième éon), il alla dans le monde, tout petit, invisible, inconnu, sans gloire et sans être cru. Mais, pour revêtir les ténèbres extérieures, c’est-à-dire la chair, un ange qui l’accompagnait d’en haut l’annonça à Marie, comme c’est écrit, et cela naquit de Marie. Il revêtit donc ce qui était né et fit tout commeErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

c’est raconté dans l’Évangile. Mais, pendant son baptême au Jourdain, il prit dans l’eau l’image et le signe du corps né de la Vierge atin que, lorsque l’Archon condamnerait à la mort de la croix son propre ouvrage, l’âme nourrie dans ce corps ne se trouvât pas nue, mais revêtît l’image qu’il avait prise à sa place lors du baptême. Et c’est ce que dit le Sauveur : « Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit, ne peut enlrer dans le royaume de Dieu. Car ce qui est né de la chair est chair. ».loa., iii, 5-6.

Sotcriologie.

Ce monogène avait donc emprunté une idée à chacun des trente éons (du troisième éon), et c’est pourquoi il vécut trente ans, un an pour chaque éon. Or, les âmes sont, toutes, les idées provenant de chacun des trente éons ; et chacune d’elles a une naturecapable de comprendre le Jésus qui lui est conforme ; et c’est ce Jésus que le fils monogène avait revêtu dans les lieux éternels, qui sont divers. De là tant d’hérésies se combattant entre elles à la recherche de Jésus ; chacune a son propre Jésus, différemment aperçu d’après la différence du lieu vers lequel elle est portée ; elle l’aime et croit que le Jésus qui lui ressemble et lui appartient est le seul, celui qu’elle reconnaît à première vue comme son propre frère, repoussant tous les autres comme des bâtards. Ceux-là donc qui ont une nature tirée des lieux inférieurs ne peuvent pas voir les idées supérieures du Sauveur. Mais, dit le chef des docètes, ceux qui sont d’en haut, à savoir de la Décade moyenne et de l’excellente Ogdoade, à laquelle nous appartenons, connaissent le Sauveur Jésus, non partiellement, mais totalement, et sont en haut les seuls parfaits, tous les autres n’étant parfaits qu’en partie.

III. Critique.

Réduit à ces termes, ce résumé, que l’auteur des Philosophoumena qualifie non sans raison d’embrouillé, sufiità montrer que les docètes ont prisle cadre des gnostiques et ont procédé à leur manière sans la moindre originalité, sauf sur un point que nous signalerons. Même exposition quelque peu ésotérique, uniquement accessible aux initiés ; car le lien logique qui devait sans doute relier entre eux les divers éléments du système pour le rendre cohérent, comme aussi les motifs qui devaient justifier l’apparition du monde lumineux des idées et leur emprisonnement dans les ténèbres, l’action du démiurge ou du grand Archon sur l’organisation île la matière et sur les âmes prisonnières, et le fait, pour le Sauveur, d’emprunter un élément à chacun des éons, tout cela est passé sous silence ; mais nous sommes renseignés par d’autres systèmes gnostiques. Mêmes citations empruntées à l’Écriture d’une façon déconcertante et qui n’offrent avec le passage où elles paraissent que des rapports assez vagues, tout au plus de simples rapprochements d’images ou de termes. Même appel à des sources apocryphes, car la citation attribuée à Job, Philosoph., VIII, i, 10, p. 40’t, n’est qu’un emprunt fait à un apocryphe, qui la place sur les lèvres de la femme de Job et qu’on a indûment ajouté au texte scripturaire. Job, il, 9.

Dans l’ensemble du système, même point de départ : un germe imperceptible, qui n’est presque rien et qui devient tout par une incessante évolution ; un premier principe presque réduit au néant, mais d’une puissance d’expansion extraordinaire : il se développe à la manière du figuier ; ce figuier rappelle l’arbre immense dont il est question dans le système de Simonie Magicien. l’/tilosopli. , VI, i, 9, p. 247-248. Même multiplication fantaisiste d’intermédiaires entre ce premier germe et le inonde matériel, dont l’existence, aux yeux des gnostiques, ne saurait s’expliquer par une action directe et immédiate de Dieu, mais par un démiurge, qui est ici, comme dans Basilide, le grand Archon. Pourquoi trois éons seulement au premier stade du développement germinatif ? Est-ce un chiffre nouveau ? Mais il se trouve dans l’élément ternaire des Naasséniens, des Pérates el

des Séthiens, ainsi que dans la triple filiation de Basilide. Le premier, dit-on, s’appelle ù[i.i-pr l T’j$ et le second àxâra).ïj7TTo ; . Et le troisième’.' C’est sans doute l’àv£wér r toç, l’ignorant, de la terminologie valentinienne, qui joint ce dernier qualificatif aux deux autres. S. Irénée, Cont. hær., i, xi, 5, P. G., t. vii, col.568. Pourquoi, au. second stade de l’évolution, un premier développement de perfection, qui donne 30 éons, et un second de production, qui en donne 190 ? Celui de 30 s’explique par un emprunta Valentinjcar il est question de l’ogdoade et de la décade intermédiaire, ce qui évoque le souvenir de la dodécade du système valentinien. Quant à celui de 190, sauf l’allusion à la parabole de la semence, il est encore loin des 365 cieux de Basilide. En revanche, et c’est ici le point spécial du système, les éons ne procèdent pas ici par couples de mâle et de femelle ou par syzygies, ils possèdent chacun le double sexe masculin et féminin. Cette conception rappelle les mythes orientaux des dieux androgynes ou hermaphrodites.

D’autre part, on voit bien que le Sauveur, comme dans le système valentinien, S. Irénée, Cont. hær., i, il, 6 ; xii, 4, P. G., t. vii, col. 465, 576, est le produit du plérome tout entier, mais il n’est pas dit que ce soit par mode de réconciliation après un grand désordre dans le monde des éons. On voit aussi qu’il emprunte, avant de descendre sur terre, une idée ou un élément à chacun des éons, mais il n’est pas question qu’il les restitue après son œuvre rédemptrice. Il revêt le corps né de la Vierge, dû à l’intervention du grand Archon à la suite de l’annonce de l’ange, mais ce n’est pas là un corps apparent, c’est un corps réel, qui sera crucifié ; corps d’emprunt du reste, auquel il substitue son image ou son apparence au baptême pour la reprendre au moment de la crucifixion. On voit enfin qu’il l’ait acte de rédempteur, mais il ne rachète que l’élément spirituel, celui des éons, qui se trouve emprisonné dans les ténèbres sans qu’on ait dit pourquoi. Que devient alors la rédemption de l’homme ? Ceux de la décade intermédiaireet del’excellente ogdoade, àlaquelle appartiennent naturellement les docètes, profitent sans doute de la rédemption, quant à leur tyv/r„ cela va sans dire, mais que devient le corps ? Et que deviennent ceux de la dodécade, quant à l’âme ou à l’élément spirituel ? Mystère, ou plutôt, selon la solution des autres systèmes gnostiques, ces derniers sont condamnés touteomme les corps.

En résumé, cette secte des docètes, telle que nous la fait connaître l’auteur des P/iilosopItoiimena, est une secte gnostique, où le docétisme ne joue pas à proprement parler un rôle prépondérant et exclusif. Elle n’a rien de vraiment original et de caractéristique ; son système est plutôt une œuvre éclectique, faite d’emprunts aux systèmes gnostiques en vogue, qui est loin d’avoir eu la valeur et l’inlluence du gnosticisme de Basilide, de Valentin et de Marcion.

Cruice, *ao<ro ? où| « va, Paris, 1860, p. 397-408, 496-498 ; Smith et Wace, Diclionary of Christian biography, v° Docetx.

G. Bareuxb.

    1. DOCÉTISME##


DOCÉTISME. — I. Observations générales. II. Le docétisme au temps des apôtres. III. Le docétisme au temps de saint Ignace. IV. Le docétisme chez les gnostiques. V. Réfutations dont il est l’objet. VI. Accusation de docétisme portée contre certains Pères.

I. Observations GÉNÉRALES.

1° Nature du docétisme. — Docétisme, du mot grec So/iw, paraître, lôLr^i. ; , apparence, sert à désigner l’erreur de ceux qui refusaient d’admettre que Jésus Christ ait été un homme véritable, possédant un corps de chair comme le nôtre, et traitaient en conséquence de pure illusion ou d’apparence trompeuse ce que les Évangiles racontent et ce que l’Église enseigne soit sur la conception humaine du Christ, sa naissance et sa vie, suit sur ses souffrances, sa mort et sa résurrection.

2 » Son origine. — Cette erreur ne constituait pas, Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

à vrai dire, la note distincte, unique et exclusive d’une secte à part, mais plutôt l’un des éléments erronés de la plupart des systèmes gnostiques qui, pendant les deux premiers siècles de l’ère chrétienne, essayèrent de supplanter le christianisme tout en lui empruntant quelques-unes de ses données.

On admettait difficilement que le Sauveur fût le Fils de Dieu fait homme ; les deux dogmes de l’incarnation et de la rédemption étaient une vraie pierre d’achoppement pour les partisans de la gnose. Quelques-uns seulement soutinrent qu’il ne fut qu’un homme. Tel Justin, aux yeux duquel Jésus, fils de Joseph et de Marie, simple pâtre jusqu’à l’âge de douze ans, reçut par l’intermédiaire de Baruch, au nom et sur l’ordre d’Élohim, la mission de prêcher. P/iilosophoumena, V, iv, 20, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 236 sq.Tel Carpocrate, voir t. ii col. 1800, qui ne vit dans le fils de Joseph, quoique élevé dans le judaïsme, que l’adversaire de l’Ancien Testament, le prédicateur du salut par le mépris libérateur du mosaïsme. Tertullien, De præscript., xlviii, P. L., t. ii, col. 66-67 ; Philosoph., VII, v, 32, p. 385. Tel enfin Cérinthe, voir t. ii, col. 2153, qui, distinguant deux personnages dans le Sauveur, soutenait que Jésus était né comme tous les hommes sans aucune intervention miraculeuse et qu’il n’avait servi que de réceptacle passager au Christ depuis son baptême au Jourdain jusqu’avant sa passion : distinction arbitraire et en contradiction manifeste avec saint Matthieu, car cet évangéliste, après avoir dressé la généalogie humaine du Sauveur, ne dit pas Jesn, mais Christi auteni generatio sic erat. Matth., i, 18 ; S. Irénée, Conl. hær., III, xvi, P. G., t. vii, col. 920. Quant aux autres chefs de la gnose, Simon le Magicien, Saturnin, Basilide, Valentin, Marcion, et, après eux, Manès, ils nièrent l’humanité du Sauveur et ne voulurent voir dans les faits de sa conception, de sa naissance, de sa mort et de sa résurrection que des phénomènes apparents sans la moindre réalité objective.

Déjà du temps des apôtres, sous l’influence d’un judaïsme exagéré et d’idées philosophiques étrangères, quelques « naufragés dans la foi » avaient essayé d’introduire le docétisme dans leur enseignement hérétique. Bien que combattue par saint Paul et par saint Jean, cette erreur subtile n’en fut pas moins accueillie par les preneurs de la gnose. Ceux-ci, en effet, se plaisaient à spéculer à perte de vue sur les matières philosophiques et religieuses. Ils prétendaient expliquer tout beaucoup mieux que ne le faisait le christianisme. Ils n’hésitaient même pas à se servir de l’enseignement chrétien, sauf bien entendu à le démarquer et à l’amalgamer avec d’autres idées complètement hétérogènes pour en composer ce mode supérieur de comprendre et d’expliquer les choses qu’ils appelaient emphatiquement la gnose. Or, l’une des difficultés était d’expliquer l’origine et l’existence du mal dans ce monde. Bs partaient de ce faux postulat que la matière est d’essence mauvaise, cause du péché. Impossible dès lors de concevoir que Dieu, la sainteté même, ait pu entrer en contact immédiat avec elle, soit pour la créer, soit pour racheter l’humanité. L’union réelle de la nature divine avec la nature humaine dans la personne du Chri>t, telle que l’enseignait le christianisme, était donc à repousser. Ni l’incarnation, ni la rédemption, au sens de la religion nouvelle, n’étaient admissibles ; on regardait comme une chose inconcevable que le Sauveur, de qualité supérieure et même diwne, ait pu naitre comme un homme, manger et boire comme un homme, soull’rir et mourir comme un homme. A tout prix il fallait écarter une pareille doctrine ; mais comme, d’autre part, on tenait à concurrencer le christianisme même sur son terrain et avec ses armes, on dut chercher une interprétation plus acceptable, et on crut la trouver dans le docétisme.

Ses différentes formes.

Chaque chef gnoslique eut sa manière à lui de concevoir le docétisme. Saint Irénée, en particulier, est un bon témoin pour la fin du iie siècle et nous renseigne sur les diverses formes du docétisme à son époque ; il en compte quatre principales : 1. L’homme Jésus ne fut qu’un réceptacle passager, dans lequel entra le Christ au moment du baptême et d’où il sortit avant le crucifiement ; 2. la naissance, la vie et la mort du Christ ne furent qu’une apparence sans réalité ; 3. le Christ a eu un corps visible, capable de souffrir, mais ni matériel ni emprunté à la substance physique de la Vierge, il n’a fait que passer à travers Marie ; 4. sur la croix un homme est mort réellement, mais ce n’est pas Jésus, ce fut Simon de Cyrène dont Jésus avait pris les traits et auquel il avait donné les siens. Cont. hær., i, xxiv, 4 ; III, xvi, 1, P. G., t. vii, col. 677, 920 sq.

La première de ces formes de docétisme est celle de Cérinthe. Nous ne la signalons que pour mémoire ; car il n’y a, dans le système de Cérinthe, aucune trace de docétisme relativement à Jésus, puisque Jésus est né et a vécu comme tous les autres hommes et est mort réellement sur la croix, tandis que le Christ qui n’a fait qu’habiter transitoirement en Jésus ne comporte ni naissance, ni mort fictives. Quant aux trois autres, nous dirons plus bas dans quelle mesure et avec quelles nuances elles furent celles des autres chefs gnostiques. Clément d’Alexandrie en Egypte, Tertullien àCarthage, saint Hippolyte ou l’auteur des Philosopkoumena à Borne, de même que l’auteur des cinq dialogues contre les gnostiques, faussement attribués à Origène, aident à préciser les détails. Quant au docétisme de Manès et des manichéens, saint Augustin nous le fait surtout connaître dans sa réfutation de Fauste.

D’autres erreurs encore semblent impliquer le docétisme, parce qu’elles méconnaissent les éléments constitutifs de la nature humaine dans le Christ. Au ive siècle, par exemple, Arius, voir t. I, col. 1787, et Kunomius ne reconnaissent dans le Christ qu’un corps sans âme humaine, un fy-jy/n 0-ûu.a ou une tyj/j ïXo-pç ; Apollinaire, voir t. I, col. 1506, mutile sa nature humaine, en ne lui accordant qu’un corps anime, mais sans âme raisonnable, le voû ; étant inutile là où le Verbe joue son rôle. Plus tard enfin, au commencement du VIe siècle, fut débattue en Egypte, entre eutychiens, la question de savoir si le corps de Jésus pendant sa vie et avant sa résurrection avait été corruptible ou incorruptible, d’où le nom d’aphthartodocètes donné à ceux qui soutenaient qu’il avait été incorruptible. Nous laisserons de côté ces dernières erreurs pour ne nous en tenir qu’aux premières, les seules où le docétisme a été véritablement enseigné non sans quelques dangers pour la foi.

Ses dangers.

La foi, en effet, se trouvait menacée par la gnose en général, par le docétisme en particulier ; car celui-ci, par sa manière de concevoir et d’enseigner le rôle du Sauveur dans le monde et la nature du salut, défigurait complètement ou plutôt ruinait par la base deux des dogmes fondamentaux de la foi chrétienne, l’incarnation et la rédemption. L’Église faisait profession de croire que le Fils de Dieu s’est fait homme pour sauver les hommes et qu’il les a sauvés par la mort sanglante sur la croix. Le docétisme, au contraire, en ne voyant dans ce double mystère qu’une apparence sans réalité le supprimait radicalement ; car si le Verbe ne s’est pas fait chair, que devient le rôle attribué par les Évangiles à la Vierge Marie ? Et s’il n’est pas mort pour le rachat de l’humanité, que devient le salut’.' Et du même coup que devient le christianisme, que devient l’Église’? C’était donc une question de vie ou de mort qui était posée. Bien de plus urgent dès lors que d’opposer à l’erreur insinuante et dangereuse sous son appareil scient » -Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

tique les affirmations positives de l’orthodoxie et de sauver la foi en condamnant l’hérésie. Et tel est hien le rôle que prirent en mains les chefs avisés de l’Église. Mais ils ne se contentèrent pas de dénoncer l’erreur et de la flétrir, ils la réfutèrent ; ils ne se contentèrent pas de proclamer la vérité de la foi chrétienne, ils la prouvèrent au nom de l’Écriture, de la tradition et de la raison. Et c’est ainsi que le danger créé par le docétisme devint l’occasion, pour l’Église, d’une lutte et finalement d’un triomphe, grâce aux travaux qu’il provoqua parmi les catholiques.

II. Le docétisme du temps des apôtres.

1° Sa première apparition. — Il est certain que, du temps même des apôtres, il y eut des gnostiques docètes : tel, par exemple, Simon de Gitton, qui proposa vaine" ment à saint Pierre le honteux marché que l’on sait et qui voulut se faire passer pour le Sauveur. Il tint école à Antioche ; Ménandre, son disciple, devint le maître de Saturnin et de Basilide. Avait-il déjà composé des ouvrages et formulé sa pensée dans un corps de doctrine systématiquement lié ? C’est à croire. Mais ni son nom ni celui d’aucun autre contemporain ne se trouvent sous la plume de saint Paul ou de saint Jean. Et pourtant il n’est pas douteux que ces deux apôtres n’aient visé certaines erreurs particulièrement entachées de docétisme. Car, soit à Antioche, en Syrie, soit à Éphèse et dans les villes environnantes de la province d’Asie, il y eut aux temps apostoliques une telle fermentation d’idées philosophiques et religieuses que l’orthodoxie de la foi s’en trouvait menacée. D’habiles exploiteurs, se donnant à la fois pour des docteurs de la loi et des maîtres de la gnose, commençaient à battre en brèche, par un docétisme subtil, les deux dogmes fondamentaux de l’incarnation et de la rédemption. La preuve en est dans certains détails caractéristiques que signalent les apôtres et dans la manière dont ils dénoncent le danger contre lequel ils mettent en garde leurs correspondants.

Saint Paul le combat.

Averti par Épaphras des dangers que courait la foi des chrétiens à Colosses sous l’action d’un faux enseignement, saint Paul écrit aux Colossiens pour les prémunir. Il signale, entre autres choses, un mélange d’ascétisme et de culte idolâtrique des anges, une rigide observance de fêtes et de sabbats, une doctrine qui se donnait à elle-même le titre de gnose. S’agissait-il de plusieurs systèmes d’erreur ou d’un seul ? L’apôtre ne distingue pas, et tout porte à croire qu’il vise simplement un premier essai de syncrétisme gnostique et judaisant, de gnose judaïsante. Toujours est-il qu’il met en garde les chrétiens de Colosses contre « la philosophie et des enseignements trompeurs, qui sont selon les traditions purement humaines et les rudiments du monde, et non selon le Christ, » Col., il, 8, dont le but était de rabaisser l’idée du Christ et de dénaturer son rôle. Comment cela ? Non pas seulement en mettant en doute sa divinité, mais aussi en niant dans une certaine mesure la réalité de sa nature humaine et de sa mort sanglante ; et c’est ici que paraît le docétisme, qu’il combat en même temps que d’autres erreurs. Car, d’une part, il insiste jusqu’à trois fois, à quelques lignes de distance, pour affirmer que le Christ possède la plénitude de Dieu, tous les trésors de la sagesse et de a science et que la plénitude de la divinité habite en lui corporellement. Cette formule : iv sùtû xocrowet --// -.’i itA7Jpco|j.a : ?, ; 8s6tï]to ; <7<.> ;  ; .-/ti/(’.>ç, Col., ii, 9, est particulièrement suggestive, par l’emploi du mot itXr, pu >|xa si en vogue parmi les gnostiques, et surtout par l’adverbe si énergique cr(op.aTixà) ; .

D’autre part, il tient à rappeler la réconciliation des hommes avec Dieu par le sang de la croix, 8tà toû ahi.’x-r, ; toû eraupo’j aûroû, par la mort du Christ en son corps charnel, êv & ffcàjiaTt t/, ; aapy.ô< ; avroû Stà

toQ Oavxrov.CoL, 1, 20, 22. Des traits si caractéristiques ne s’expliquent que dans l’hypothèse où saint Paul tenait à fermer la bouche à ceux qui niaient plus ou moins ouvertement la réalité de l’incarnation et de la rédemption.

Le type de ces judéo-gnostiques à tendances docètes est plus accusé encore dans les Pastorales. Saint Paul prie notamment Timotbée « d’éviter tout ce qu’oppose une science qui n’en mérite pas le nom », et qu’il qualilie de menteuse : « vrtOéffst ; tr, ; ({/euScov-jiio’j yvciastix ; . I Tirn., VI, 20. Il affirme solennellement qu’il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus fait homme : neo-frT|ç 0soO -/où àvÔpeoTrtov av6pci>itoç Xpc7TÔ ;’Ir.rroû ; . I Tim., il, 5. On imaginerait difficilement des formules plus obvies pour combattre l’erreur docète ; c’est bien ainsi, du reste, que l’ont compris Basilide et Marcion ; car se trouvant dépeints et réfutés d’avance dans les Pastorales, ils ont eu soin de les rejeter du canon du Nouveau Testament.

3° Saint Jean le combat à sr.n tour. — Dans l’Évangile qu’il composa, dit-on, pour combattre Cérinlhe, qui niait la divinité de Jésus, saint Jean a inséré quelques traits qui viseraient plutôt une erreur entachée de docétisme : celui-ci, par exemple, si fortement accentué : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, » Joa., i, 14 ; et ce détail de la passion, qu’il est seul à relever : « Un des soldats lui transperça le côté d’un coup de lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. » Joa., xix, 34. En tout cas, dans ses Epitres, c’est bien le docétisme qu’il combat. « Tout esprit, dit-il, qui confesse Jésus-Christ venu en chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas ce Jésus n’est pas de Dieu : c’est celui de l’Antéchrist. »

I Joa., iv, 3. « Plusieurs séducteurs ont paru dans le monde ; ils ne confessent point Jésus comme Christ venu en chair : c’est là le séducteur et l’Antéchrist. »

II Joa., 7. Ces allusions étaient claires pour les destinataires de ces lettres et désignaient suffisamment, sans qu’ils pussent s’y tromper, les maîtres d’erreur qui professaient de telles doctrines. Elles expliquent ce début qui serait si étrange sans cela : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché du Verbe de vie… » i, Ioa., i, l. D’autres traits encore, et non moins significatifs, font penser à des docètes qui se refusent à croire que Jésus soit le Fils de Dieu et le Christ et que ce Jésus vraiment Christ ait versé son sang. « Celui qui confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui. » I Joa., iv, 15. « Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu. » I Joa., v, 1. « C’est ce même Jésus-Christ qui est venu par l’eau et par le sang, non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et avec le sang. » I Joa., v, 6. Quels étaient ces docètes ? Sans doute ceux qui, comme Cérinthe, distinguaient le Christ de Jésus, mais aussi d’autres encore, car l’accent de l’apôtre porte avec énergie sur la chair réelle de Jésus-Christ ; mais rien ne dit, quoique cela paraisse fort vraisemblable, que ce furent des judéognostiques comme ceux qu’avait combattus saint Paul. Cf. A. Wurm, Die lrrlehrer im ersten Johaunesbricf, Fribourg-en-Brisgau, 1903, p. 1-81.

III. Le docétisme combattu par saint Ignace.

Au commencement du IIe siècle, vers 107, saint Ignace d’Antioche, conduit à Borne pour y être martyrisé, passe par Ephèse, où il reçoit des délégations des Églises voisines. Arrivé à Troas, il tient, avant de quitter la terre d’Asie, à remercier par lettre ses visiteurs et son hôte, saint Polycarpe. Or, dans quatre de ces épilres, il mêle à l’expression de ses sentiments de gratilude quelques conseils appropriés aux besoins de ses destinataires. Ceux-ci, en effet, dans cette provinceErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

d’Asie, se trouvaient aux prises avec des hérétiques fort remuants et dangereux, qui cherchaient à implanter leur doctrine au détriment de la foi. Il y a là sans nul doute de faux docteurs à tendances judaïsantes, puisque saint Ignace met ses lecteurs en garde contre « le vieux levain » et déclare que croire en Jésus-Christ et vivre comme des Juifs, c’est perdre tout droit à la grâce ; car ceux-là même qui ont été élevés dans le judaïsme — allusion aux apôtres et aux disciples — ont mis de côté le sabbat juif pour adopter la liberté, la spiritualité, le dimanche. Mais il en est aussi à tendances gnostiques ; et tout porte à croire que ce sont les mêmes, c’est-à-dire des judéo-gnostiques, et qu’il s’agit d’une seule et même erreur, comme dans saint Paul, le gnosticisme judaïsant ou le judaïsme gnostique. Car, bien que, dans ses lettres aux Tralliens et aux Smyrniotes, il vise surtout les gnostiques, et dans celles aux Magnésiens et aux Philadelphiens les judaïsants, il emploie toutefois, à propos des un6 et des autres, les mêmes termes généraux ; de plus, dans les deux dernières, il ajoute quelques traits caractéristiques qui permettent de conclure sans invraisemblance à une seule et même erreur judéo-gnostique.

Quoi qu’il en soit de cette double tendance, il y a là un cachet de docétisme nettement accusé, et c’est particulièrement le docétisme auquel s’en prend saint Ignace. On substituait, en effet, au Christ un pur fantôme ; tous les détails de sa vie, sa naissance, son baptême, sa tentation, son jugement, sa passion, son crucifiement, sa résurrection passaient pour autant de choses irréelles et simplement apparentes. Le danger était grand et devait rappeler à l’évêque martyr celui que la gnose faisait courir à sa ville d’Antioche. Il relève en conséquence la plupart des circonstances de la vie de Jésus et chaque fois il les accompagne de l’adverbe àXrjOcû ; , appliqué à la naissance, à la nourriture, à la chair et au sang, à la mort du Sauveur. Il insiste plus particulièrement sur ce fait qu’après sa résurrection, le Christ invita ses disciples à bien se convaincre, en le touchant, qu’il n’était pas un esprit sans os ni chair. Ad Smy>, ni, Funk, Oper. Pair, apost., Tubingue, 1881, p. 236. Ce passage fait allusion à celui-ci de saint Luc, qui était bien de circonstance, et qui reparaîtra dans les réfutations du docétisme : « Voyez mes mains et mes pieds ; c’est bien moi. Touchez-moi, et considérez qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. » Luc, xxiv, 39. « Fermez l’oreille, dit saint Ignace aux Tralliens, si l’on vous parle sans Jésus-Christ, qui, de la race de David, de Marie, est vraiment né, a mangé et bu, a vraiment soulfert persécution sous Ponce Pilate, a vraiment été crucifié et est mort. » Ad Trall., ix, 1, p. 208. Il entend que les Magnésiens soient pleinement assurés « de la naissance, de la passion, et de la résurrection, survenues sous Ponce Pilate et vraiment accomplies par le Christ. » Ad Magn., xi, p. 200. « Jésus-Christ est vraiment né de la race de David selon la chair, … vraiment fait d’une Vierge, … vraiment crucifié pour nous dans sa chair. » Ad Smyr., i, p. 234.

A ces affirmations réitérées et si claires, saint Ignace ajoute un argument, qui sera repris dans la suite. « Si le Christ a soulfert en apparence, dit-il, les hérétiques eux-mêmes ne sont qu’une apparence ; pourquoi donc suis-je chargé de chaînes et désiré-je lutter contre les bêtes ? » Ad Trall., x, p. 208. Le Christ « a vraiment soulfert, et non en apparence, comme le prétendent ces infidèles, pure apparence eux-mêmes. » Ad Smyr., ii, p. 236. « Si tout n’a été fait par le Christ Jésus qu’en apparence, et moi aussi alors je ne suis enchaîné qu’en apparence. Pourquoi donc me suis-je livré à la mort, au feu, au glaive, aux bêtes ? » Ad Smyr., iv, 2, p. 238. Cf. Lightfoot, The apostolic Falhers,

Londres, 1881, part. II, t. il, p. 359-368. Les soldats qui entraînaient l’héroïque évêque, les fers dont il était chargé, la mort sanglante qu’il désirait et qu’il allait subir à Rome, étaient des réalités ; l’incarnation, la naissance humaine, la vie, la mort et la résurrection du Christ l’étaient également.

IV. Le docétisme chez les principaux gnostiques.

— Il reste à voir comment les principaux chefs de la gnose ont compris le docétisme. Nous sortons ici des généralités pour faire état des détails précis, dont nous devons la connaissance aux Pères de l’Eglise ou aux écrivains catholiques qui ont combattu l’erreur docèle. 1° Simon le Magicien.

Le premier en date est le samaritain Simon de Gitton. D’après lui, la rédemption consistait à délivrer l’élément spirituel, l’éon divin, ÈTtivota, de l’esclavage dans lequel le retenaient les anges créateurs, et à soustraire les hommes à ce même esclavage. Dans ce but est venu le Sauveur, qui n’est autre que Simon lui-même. S. Irénée, Cont. hær., i, xxiii, 3, P. G., t vil, col. 672. Or, Simon s’est manifesté comme Père aux samaritains, comme Fils aux juifs et comme Saint-Esprit aux gentils. Pour accomplir l’œuvre rédemptrice, il est donc descendu, selon que l’avaient prédit les prophètes, et était apparu aux hommes comme l’un d’entre eux, bien qu’en réalité il ne fût pas un homme, il avait paru souffrir en Judée, bien qu’il n’eût pas soulfert. Philosophoumena, VI, i, 19, p. 264-265. Ce n’est là qu’une partie minimedu système de Simon, dont le cadre embrassait toutes les questions sur Dieu, l’origine du monde, le salut, etc., dans un amalgame disparate d’idées empruntées à la philosophie et de citations scripturaires, où l’allégorisme et la fantaisie jouaient le principal rôle. Mais, d’une part, c’en (’tait assez pour offrir aux amateurs de libre spéculation une voie largement ouverte ; et d’autre part, les conclusions pratiques qui s’en dégageaient suflisaient pour séduire les esprits dévoyés et les natures basses, car le système aboutissait à la libération des instincts, à la légitimation de tout rapport sexuel, et garantissait par surcroît le salut à quiconque ajoutait foi en Simon et en sa compagne, Hélène, une femme de mauvaise vie. Quelles que soient l’extravagance et la grossièreté d’un tel système, il n’en a pas inoins fourni un cadre et une méthode pour les gnostiques suivants ; le docétisme qui en faisait partie n’a pas été laissé de côté, mais chacun l’a entendu à sa manière.

Saturnin.

Saturnin était d’Antioche, il fut le disciple de Ménandre, qui avait eu Simon pour maître. Sans se prétendre l’envoyé de Dieu et Dieu lui-même, à l’exemple du magicien de Samarie, Saturnin enseigne que le Sauveur n’était pas né comme le rapportent les Évangiles, qu’il était sans corps, sans forme et sans ligure, qu’il n’avait de l’homme que l’apparence. S. Irénée, Cont. hær., i, xxiv, 1, 2, P. G., t. vii, col. 674 ; Philosoph., VII, iii, 28, p. 368.

Basilide.

Un autre disciple de Ménandre, Iiasilide, trouva le moyen, tout en admettant l’incarnation, de réduire la rédemplion à un tour de passe-passe. C’est ainsi du moins que saint Irénée nous présente son système. Le Fils s’est montré comme un homme —, il est descendu sur la terre et y a opéré des miracles, mais il n’a nullement souffert ; car il était le voO ; du Père sans naissance, une puissance incorporelle, capable de se transformer au gré de ses désirs. Aussi, au moment de la passion, se substitua-t-il Simon de Cyrène, dont il emprunta les traits et auquel il prêta les siens. Ce fut donc ce Simon qui porta la croix et qui fut crucifié par les Juifs, qui croyaient crucifier Jésus. Jésus, au contraire, sous la figure de Simon, assista au crucifiement, debout devant la croix et se moquant des bourreaux ; insaisissable et invisible à tous les yeux, il échappa au supplice et remonta vers celui qui l’avait envoyé. Cont. hær., i, xxiv, 4, P. G., t. vii, col. 676.Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

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D0CET18ME

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Lien différente est la version des Philosophoumena. Jésus était vraiment le fils de Marie ; en lui descendit la lumière qui avait lui sur le fils de l’hebdomade, et cette lumière l’illumina et le remplit de ses feux, Philosoph., VII, I, 26, p. 362. Il vécut et mourut comme le racontent les Évangiles, ibid., 27, p. 365 ; il souffrit dans la partie corporelle de son être. Ibid., p. 366. C’est donc.((’sus seul, un homme comme les autres, qui supporta les douleurs de la passion, et non la lumière ou l’élément divin qui (’-lait descendu en lui. Malgré la différence dis explications, le résultat est le même : il y a bien une victime, celle de Simon, d’après saint Irénée, mais Simon n’a que l’apparence deJésus ; celle de Jésus, d’après les l’hilosophoumena, mais Jésus uniquement en tant qu’homme, et nullement l’être divin qui était en lui.

Valenlin.

Après avoir enseigné en Egypte, Valentin se transporta à Rome où il se trouva en même temps que Marcion vers le milieu du second siècle. Son docétisme, autant qu’on peut juger par celui de ses disciples, paraît avoir été plus artificiel que les précédents. Le rédempteur, c’est bien Jésus, mai s Jésus ne doit rien directement au plérome. Il est formé en partie par l’î'xTpuivoi, l’avorton ou sophia extérieure, qui lui communiqua quelque chose du monde de l’ogdoade, et en partie par le démiurge, le dieu sot de l’hebdomade, le créateur des essences psychiques, selon ces paroles : « L’Esprit-Saint viendra en toi et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre ; » car l’Esprit-Saint, c’est la sophia extérieure, et le Très-Haut, c’est le démiurge. Son corps ne doit rien à Marie, car il est né, non de Marie, mais par Marie, la Vierge ne lui ayant rien communiqué de sa substance et n’ayant été pour lui qu’un lieu de passage. Atà Mxpîa ; Y.ixf)y.-KeçPjSwp Six ffcoXfjvoç. S. Irénée, Cont. Iiht., I, vii, 2, P. G., t. vu. col. 513. De là cette formule très claire de Marin, dans le dialogue De recta fide, iv, P. G., t. xi, col. 1844 : 81à Mxpi’a ; à).).VJx èx Mapia : . Ainsi né par Marie, ce Jésus est venu pour amender les choses du monde terrestre et corriger les fautes de l’Ame. Philosoph., VI, ii, 36, p. 298. Mais de quelle manière ? Aucun renseignement ne nous est fourni sur le mode de la rédemption ; tout au plus, par analogie, peut-on supposer que ce mode a ressemblé à celui qui est décrit pour le salut du plérome et pour le salut du monde intermédiaire, c’est-à-dire que le salut s’est opéré ici-bas par l’illumination de la science ou la communication de la gnose. Rien donc qui rappelle la rédemption par la mort sanglante de la croix. Quels hommes sont sauvés ? Cela dépend de la catégorie à laquelle ils appartiennent ; car, d’après les valentiniens, il y a les hyliques, ceux en qui domine l’élément matériel, œuvre du diable, les psychiques, ceux en qui domine une Ame animale, œuvre du démiurge, et les pneumatiques, ceux en qui domine l’élément spirituel. Or, les h y tiques sont fatalement condamnés, quelque bien qu’ils fassent, A cause de leur nature mauvaise ; les pneumatiques sont fatalement sauvés, quelque faute qu’ils commeltenl, à raison de leur n.’ture spirituelle ; quant aux psychiques, ils peuvent se perdre ou se sauver dans la mesure où ils refusent ou acceptent de se laisser éclairer et guider par la gnose ; c’est sans doute auprès de ces derniers que le sauveur Jésus peut être de quelque ulilité, non par sa mort, mais par la gnose. S. Irénée, Cont. hxr., i, vi, 2, P. G., t. vii, col. 505.

Valenlin professait-il donc le docétisme ? Admettait-il l’historicité des récits évangéliques sur la passion et sur la mort ? Rien ne nous l’apprend. Cependant, ce qu’il écrivait à Agathopos, Clément d’Alexandrie, Sirom., ni, 7, P. G., t. viii, col. 1161, peut permettre de croire qu’il était docète dans une certaine mesure tout comme la plupart des autres chefs gnosliques ; car, dit-il, o Jésus, étanl continent, s’acquit la divinité ; il

mangeait et buvait d’une manière spéciale sans rendre les aliments. » En tout cas ses partisans de l’école italienne professaient le docétisme. Ceux de l’école orientale, parmi lesquels on comptait Axionicus, Bardesane, et Théodote, prétendaient que Jésus avait eu un corps pneumatique ou spirituel, tandis que ceux de l’école ilalienne, Héracléon et Ptolémée entre autres, soutenaient qu’il n’avait eu qu’un corps psychique ; c’estsur ce point qu’ils différaient. Philosoph., VI, il, 35, p. 296. D’après ces derniers, Jésus tenait d’Achamoth son essence pneumatique, du démiurge son essence psychique, et de l’économie divine l’art inénarrable avec lequel tout avait été préparé pour qu’il devint visible, palpable et sensible. Cont. hxr., i, VI, I, P. G., t. iiv col. 505. Au jour du baptême, il reçut en lui le Christ, sauveur du monde supérieur, et ce Christ, par sa nature, était impassible. Aussi, lorsque Jésus fut conduit devant Pilate, l’abandonna-t-il, et Jésus fut seul à pâtir. Cont. hxr., i, vii, 2, col. 516. Dans ces conditions, remarque saint Irénée, la rédemption était purement illusoire ; car si notre Sauveur n’a pas pris son corps de chair dans le sein de la Vierge, il n’a pas été l’homme réel et vrai dont les Évangiles racontent qu’il a souffert la faim et la soif, qu’il a pleuré au tombeau de Lazare, qu’il a sué une sueur de sang et qu’il a laissé couler de son côté ouvert du sang et de l’eau. Cont. hxr., III, xxii, 1, 2 ; V, i, 2, P. G., t. vil, col. 956, 1122.

Marcion.

Ce « loup », comme l’appelle Tertullien, était né à Sinope, dans le Pont, et avait été chrétien. Accouru à Rome, où il rencontra Cerdon et Valentin, il se laissa séduire par leur système et les dépassa tous deux. Grâce A de rigoureuses pratiques d’ascétisme, il exerça une influence prépondérante et compta des partisans jusqu’au Ve siècle, car Théodoret déclare avoir trouvé dix mille marcionites dans le diocèse de Cyr. Par réaction contre les Juifs et le judaïsme, il posa en thèse que l’Évangile et le Nouveau Testament, seuls instruments de salut, sont sans analogie et sans lien, ou plutôt en contradiction complète avec la Loi et l’Ancien Testament. Pour lui, Jésus est la manifestation, non du Dieu des Juifs, être inférieur plutôt juste que bon, mais du Dieu suprême et bon par essence, sans relation possible avec la matière, qui est l’œuvre de démiurge, et seul Sauveur de tout ce que le Dieu des Juifs détenait ou tracassait mal A propos. Or, le (Ihrist Jésus, en qui le Dieu suprême et bon s’est manifesté pour la première fois, est également étranger à ce monde matériel et sensible ; il n’a pas d’ascendance ou de généalogie humaine ; il paraît tout à coup dans la quinzième année du règne de Tibère, sans que son avènement eût été prépare’1 ou annoncé d’aucune façon, Philosoph., VII, ni, 31, p. 383 ; Adv. Marcion., IV, 7, P. L., t. ii, col. 369 ; il n’a pas un corps de chair ut de sang et n’a donc pas pu naître d’une Vierge ni converser avec les hommes comme l’un d’entre eux. Sa vie et sa mort n’ont été que de pures apparences. Il est descendu aux enfers pour y appeler les justes ; mais Abraham, Jacob, David et les autres, croyant reconnaître en lui le Jéhovah qui les avait Irompés, s’abstinrent de répondre à son appel ; en revanche, tous les maudits de l’Ancien Testament se rangèrent à sa suite et l’accompagnèrent dans le ciel.

Le docétisme de Marcion diffère, comme on le voit, de celui des précédents gnostiques. Ceux-ci s’en prenaient surtout à la passion et à la mort, auxquelles ils déniaient toute réalité objective, et admettaient une vraie naissance humaine, comme ISasilide, ou un semblant de naissance, comme Valenlin. Marcion, au contraire, supprime toute naissance humaine pour le Sauveur tel qu’il l’entend, car il ne veut pas qu’il ait dépendu en quoi que ce soil du démiurge ou Dieu des Juifs. En conséquence il élague du seul Evangile qu’ilErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

ait retenu, celui de saint Luc, la généalogie et tout ce qui a trait à la naissance et à l’enfance de Jésus. Pour lui, Jésus n’a pas eu de mère selon la chair, attendu que lorsqu’on lui dit : « Votre mère et vos frères sont là qui demandent à vous voir, » il répondit : « Quelle est ma mère ? et quels sont mes frères ? Pas d’autres que ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique ; » attendu aussi que lorsqu’une femme s’écria : « Heureux le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont allaité, » il répliqua : « Bien plus heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et l’observent ; » attendu enfin qu’après sa résurrection ce qu’il dit à ses disciples manifeste qu’il n’était qu’un esprit : « Un esprit n’a ni chair ni os, et vous voyez que j’en ai comme en ont les esprits. » ïertullien nous dira ce qu’il faut penser de ces procédés d’exégèse et de ces prétentions injustifiables.

Manès et les manichéens.

Longtemps après les gnostiques dont il vient d’être question, dans la seconde moitié du troisième siècle, parut en Orient le manichéisme. Manès et ses disciples cherchèrent à concilier le christianisme avec leur dogme fondamental de l’existence de deux principes en lutte l’un contre l’autre, le principe du bien ou la lumière et le principe du mal ou les ténèbres. Ils crurent trouver dans l’Écriture la justification de leur tentative et ne réussirent qu’à faire de nombreuses dupes. D’après eux, le Christ, envoyé par le Père, n’a nullement été ce que disent les Evangiles, à savoir un homme né de la Vierge, passible et mortel, réellement crucifié, car il aurait été ainsi sous la dépendance du principe mauvais, qu’il était venu combattre. Tout donc dans sa vie et dans sa mort n’a été qu’une pure apparence. Parmi tant d’autres erreurs, et des plus graves, professées par les manichéens, le docétisme dut être l’objet d’une réfutation spéciale ; car, sous prétexte d’amender le christianisme en le pliant à leur système, les manichéens le défiguraient et l’anéantissaient ; ils prêtaient au Sauveur une nature et un rôle en contradiction absolue avec le texte formel des Évangiles. Et c’est pourquoi les défenseurs de la foi insistèrent contre eux avec tant de raison sur la réalité de l’incarnation, de la naissance et de la mort sanglante du Christ, en relevant tous les détails rapportés par les évangélistes, qui ne peuvent s’expliquer qu’à la seule condition que Jésus ait vraiment pris et possédé la nature humaine sans cesser d’être Dieu.

Y. Réfutations dont le docétisme a étk l’objet.

— Le docétisme n’ayant pas formé une erreur à part, mais se trouvant mêlé à d’autres erreurs dans les divers systèmes où il a trouvé place, n’a pas été l’objet d’une réfutation spéciale de la part des hérésiologues ou des Pères de l’Église. Ce n’est qu’à l’occasion des systèmes eux-mêmes qu’il fut signalé, réfuté et condamné. Comme il serait trop long de relever tous les passages où il est question de lui, nous nous bornerons à rappeler la manière dont il a été combattu par saint Irénée, Tertullien et saint Augustin ; par saint Irénée contre les gnostiques en général, par Tertullien contre les marcionites et par saint Augustin contre les manichéens.

1° Saint Irénée réfute le docétisme des gnostiques.

— Dans le 1. IIIe de son grand ouvrage contre les hérésies, il coupe court à la subtile distinction qui voulait voir deux personnages dans le Sauveur, Jésus et le Christ mon, Jésus et le Christ ne font et ne sont qu’un seul et même personnage, le Fils de Dieu incarné, Cont. hær., III, xvi, xviii, P. G., t. vii, col. 919 sq., 932 sq. ; ce n’est pas le Christ qui est descendu en Jésus au baptême, mais le Saint-Esprit, III, iixv col. 929 sq. Or, ajoute-t-il, Jésus-Christ est bien de la race de David en tant qu’homme ; il n’est pas né de Joseph, III, xix, col. 938 sq., mais de la Vierge Marie,

selon la prophétie d’Isaïe : « Voici qu’une Vierge enfantera. » Is., vii, 14. Théodolion, Aquila, les ébionites et les Juifs traduisent d’une façon fantaisiste : « Voici qu’une jeune femme concevra et enfantera. » Où serait alors le signe extraordinaire donné au prophète, car il est tout naturel qu’une femme conçoive et enfante. Les Septante, qu’on ne pouvait soupçonner d’avoir voulu favoriser les chrétiens, puisque leur traduction est de beaucoup antérieure à l’ère chrétienne, ont mis une vierge et non une femme, III, xxi, xxii, col. 945 sq., 955. Jésus est vraiment homme et a une chair tirée d’Adam comme la nôtre, III, xxii, col. 955. Il a vraiment souffert, et il nous a sauvés en versant son sang et en mourant pour nous, III, xviii, col. 932 sq. Il n’y a donc rien, ni dans sa naissance et sa vie humaine, ni dans sa mort, qui ait l’air d’une apparence. Comment alors les gnostiques peuvent-ils discuter, quando magister eorum putativus fuit ? Aul quemadmodum l’irmum quid habere possuni ab en, si putativus et non veritas erat" ? Quomodo autem ipsi salulem vere parlicipare pos surit, si ille, inquem credere sedicunt, semetipsum putativum oslendebal ? Et saint Irénée de conclure : Putativum est igitur, et non veritas, ont ne apud eos. Cont. hær., IV, xxxiii, 5, col. 1075.

Mais comme certains gnostiques, tout en professant le docétisme, croyaient à la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie et célébraient la cène à la manière des chrétiens, l’évêque de Lyon en profite pour un argument ad hominem : « Comment pourront-ils être assurés que le pain de l’action de grâces est le corps de Notre-Seigneur, et que le calice est son sang, s’ils ne le connaissent pas pour le Fils du créateur ? Et comment disent-ils que la chair qui est nourrie du corps et du sang du Seigneur, est sujette à la corruption et ne reçoit point la vie ? Qu’ils changent d’opinion ou qu’ils cessent d’offrir. » Cont. hær., IV, XVIII, 4, col. 1027. Il ajoute plus loin : Qvomodo autem juste Dominus, sialterius Patris exstitit, hujus conditionis, quæ est secundum nos, accipienspanem, suum corpus esse confitebatur, et temperamentum calicis sinon sanguinem confirmavit ? El quarese Filium hominis con/itebatur, si non eam, quee ex homine est, generationem sustinuisset ? Cont. hær., IV, xxxiii, 2, col. 1073. Il y revient encore au dernier livre : Jésus-Christ nous a véritablement rachetés par son sang, c’est pour cela qu’il a pris une chair de même nature que la nôtre dans le sein de la Vierge. Car s’il ne nous a pas rachetés par son sang, il s’ensuit que le calice de l’action de grâces n’est pas la participation de son corps ; car le sang n’est point sans les veines ni sans la chair et sans les autres parties qui constituent la substance de l’homme. Si donc le Christ n’a pris cette substance qu’en apparence, et si la chair et le sang donnés pour le prix de notre rédemption n’ont été qu’une pure apparence, comment peut-il nous donner cette même chair et ce même sang dans l’eucharistie ? Cont. hær., V, ii, 2, 3, col. 1124-1127.

Tertullien réfute le docétisme de Marcion.

Au sujet des valentiniens, contre lesquels il composa un traité spécial, Tertullien ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà. Comme saint Irénée, c’est à ceux de l’école italienne qu’il s’en prend ; il résume leurs opinions : per virginem, non EX virgine, quia delatus in virginem Iransmeatorio polius quam generatorio modo processeril ; per ipsam, non ex ipsa ; non maire. m eam, sed V1AM passus, disent-ils de Jésus ; et ils ajoutent que le Christ est descendu en lui au baptême sous forme de colombe et n’est resté avec lui que jusqu’avant la passion. Adv. valent., XXVII, P. L., t. ii, col. 581-582. Tertullien n’est nullement dupe de leur explication arbitraire de l’incarnation, en contradiction si manifeste avec les textes de l’Écriture, ni de leur distinction fantaisiste entre Jésus et le Christ.

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DOCÉTISME

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Pour lui comme pour saint Irénée, Jésus n’est pas à distinguer du Christ ; le Christ, c’est Jésus lui-même. Aussi donne-t-il à l’un de ses ouvrages, non le titre De carne Jesu, mais celui bien significatif de De carne Christi. A ses yeux, ces gnostiques ne sont que des chrétiens fictifs : Omnia in imagines urgent, plane et ipsi imaginarii christiani. Adv. valent., xxvii, P. L., 1. 11, col.*582.

Quant à Marcion, il le combat sur son propre terrain à l’aide de l’Evangile tel qu’il a plu à cet hérétique de le conserver ; car il suffit amplement à réfuter son docétisme, malgré les amputations qu’il lui a fait subir et les interprétations mensongères qu’il en a données. Il écarte d’abord l’objection qu’il tirait de l’apparition des anges sous forme humaine à Abraham. Ce n’était là, prétendait Marcion, que l’apparence d’un corps d’homme, sans réalité’comme sans naissance ; ou bien si les anges ont eu réellement un corps humain, ce corps a dû nécessairement naître de la chair. Nullement, réplique Tertullien, leur corps a été un vrai corps d’homme à cause de la véracité de Dieu, qui est étranger au mensonge et à la tromperie, à cause aussi des rapports qu’ils devaient avoir avec des hommes, mais ce fut un corps de chair sans naissance. Pourquoi ? parce que le Christ seul devait naître de la chair et devenir chair afin de réformer notre naissance par sa naissance et de détruire ainsi notre mort par sa mort, resurgendo incarne, in qua natits est ut et mort poxset. Ideoque et ipse cum angelis lune apud Abraham in veritatequidem carnis apparaît, sed nondum natje, QUI i NONDUM MORITURJS. Adv. Marcion., III, IX, P. L., t. il, col. 333-334.

Marcion, du reste, n’avait imaginé le docétisme que pour soustraire le Sauveur à l’action du créateur, qu’il distinguait arbitrairement du Dieu suprême. Mais Tertullien prouve longuement que le créateur et le Dieu suprême, loin d’être distincts, ne sont qu’un seul et même Dieu. Marcion alléguait les deux passages de saint Luc, signalés plus haut, Luc, vii, 21 ; xi, 27, pour prouver que Jésus n’avait pas eu de mère selon la chair. Interprétation erronée, réplique Tertullien, car la manière même dont parle Jésus implique qu’il avait une mère. Si ergo matrem et fralres fecit qui non erant, quomodo negavit eos qui erant ?… Ex hoc magis matrem et fralres con/ilebatur, quod illos nolebat agnoscere ; quod alios adoptabat, confirmabat quos ex offensa negavit, quibus non ut veriores subsliluit, sed ut digniores. Adv. Marcion., IV, xix, P. L., t. ii, col. 403-406 ; cf. De carne Christi, vii, col. 769. Et dans sa réponse à la femme qui s’était écriée : c Heureux le sein qui vous a porté, » Jésus ne nie pas plus qu’il ait eu une mère selon la chair qu’il ne l’avait nié dans le passage précédent : Rursus pruinde félicitaient ab utero et uberibus ntatris suse transtulil in discipidos : A QUA NON TRANSTUL188ET, SI EAU NON BABERET. Ibid.,

IV, xxvi, col. 427.

Au sujet du passage de l’Évangile où il est dit que Jésus désira d’un grand désir de manger la pàque avec ses disciples, Tertullien l’ait cet argumentai hominem : Acceplum panem, et distribulum discipulis, corpus illum suum fecit « hoc est corpus meum » dicendo, id est figura corporis sui. Figura autem non fuissel, MSI VERITAI’IS ESSBT CORPUS. Ibid., IV, XL, col. 460. Au point de vue dogmatique, une telle formule peut laisser à désirer, mais elle montre clairement la pensée du docteur africain qui est que le Christ n’aurait pas pu faire ce qu’il lit à la dernière cène, s’il n’avait eu un corps vraiment humain.

Abordant ensuite la question de la mort du Christ, Tertullien recueille tous les détails qui prouvent manifestement la réalité de cette mort. De là ce dilemme : S’il n’y a dans tout cela qu’une apparence ou un fantôme, c’est donc que le Christ y était ; ou si le Christ

n’y était pas, il avait enlevé le fantôme lui-même. Il n’y a donc plus pour l’impudente hérésie qu’à soutenir qu’il ne restait là que le fantôme d’un fantôme. Ibid., IV, xlii, col. 465.

Reste la résurrection, dont les circonstances, relevées par Tertullien, proclament la réalité. De corporis autem veritate, quid potest clarius ? dernande-t-il. Les disciples hésitent, croyant avoir affaire à un fantôme, et le Christ leur dit : « Voyez mes mains et mes pieds ; c’est bien moi. Touchez-moi, et considérez qu’un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. » Luc, xxiv, 39. Mais, selon son habitude, Marcion a torturé ce texte pour lui faire dire tout autre chose. Quse ratio torluositatis istius ? Pourquoi donc, s’il n’avait pas d’os, le Christ offre-t-il ses pieds et ses mains, membres qui comprennent des os ? Et pourquoi ajoute-t-il : « C’est bien moi, » c’est-à-dire celui qu’ils savaient avoir eu un corps réel ? Ou s’il n’avait jamais été qu’un fantôme, pourquoi les reprend-il de le regarder maintenant comme un fantôme ? Et pourquoi, sur leurs hésitations, leur demande-t-il des aliments ? Ibid., IV, xliii, col. 466-468. Tertullien a raison de conclure son enquête et sa réfutation minutieuse par ces mots : Marcion, frustra laborasti, Christus enim in Evangelio luo, meus est. Ibid., col. 468.

Dans son traité De carne Cliristi, Tertullien, à rencontre du docétisme des valentiniens et des inarcionites, traite de la réalité de la chair du Christ : an fuerit et unde, et cujusmodi. Mêmes arguments à propos du corps des anges, qui n’étant pas venus pour mourir, n’avaient pas à naître comme le Christ. De came Christi, vi, P. L., t. il, col. 764. Mêmes explications des passages scripturaires, dont on se prévalait. Ibid., vii, col. 769. Puis il passe en revue les différentes explications qu’on donnait du corps du Christ : les uns le disaient céleste : mais, alors, que signifient la faim, la soif, les larmes, le sang, dont il est question ? D’autres prétendaient que Jésus avait une chair de la nature de l’âme ; c’est une erreur, car il a pris une âme humaine, non en la faisant chair, mais en la revêtant de la chair. Ibid., xi, col. 774. D’autres encore croyaient que son corps était de la nature des anges ; erreur nouvelle, car le Christ n’a pas pris la nature angélique, mais la nature humaine, il s’est fait homme pour racheter l’homme, homo perierat, hominem restitui oporlueral. Ibid., xiv, col. 777. Valentin lui attribuait une chair spirituelle, mais le texte d’Isaïe ne se justifie nullement par la formule « tortueuse » qu’il propose : PER Mariam, mais parcelle-ci : EX Maria. Ibid., xx, col. 785.

3° Saint Augustin combat le docétisme des manichéens. — D’après la théorie que la matière appartient au principe du mal, les manichéens, tout comme la plupart des gnostiques, n’admettaient pas que le Christ ait pu être en relation d’aucune sorte avec la matière, même avec la chair humaine. Le Sauveur n’avait donc pu ni s’incarner, ni naître à la manière des hommes, ni souffrir et mourir réellement. Etant sans naissance humaine et n’ayant pas de corps, sa passion, sa mort et sa résurrection ne pouvaient être qu’une apparence illusoire. Nec fuisse in carne verse, sed simulatam speciem carnis ludificandis humanis sensibus præbuisse, uli non solum mortem verum ctiam resurrectionem similiter mentiretur. User., xlvi, P. L., t. xlii, col. 3738. Tel est le docétisme professé par les manichéens. Faust e, l’un de leurs docteurs, contemporain de saint Augustin, cherchait à l’appuyer sur l’Écriture et à montrer que les catholiques s’abusaient. L’évêque d’ilippone, suivant pas à pas le traité de Fauste, prouve qu’il pratique une exégèse de fantaisie et qu’il prête aux catholiques des sentiments qui ne sont pas les leurs.

Tout d’abord, remarque saint Augustin, prétendreErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

que le Christ est descendu du monde de la lumière pour combattre le monde des ténèbres, c’est une fable ; car le Christ est à la fois verus et verax Filins Dei, verus et verax filiushominis, de viro homme carnis originem duxil.Cont. Faust., II, iv, P. L., t.XLii, col. 211. Le Christ n’a pas pris chair, soutenait Fauste, car les généalogies sont une œuvre étrangère à l’Évangile, ibid., II, i, col. 209, et de plus se contredisent entre elles. Ibid., III, I, col. 213. Non, répond saint Augustin, les généalogies font au contraire partie intégrante de l’Évangile, et rien n’autorise à les supprimer. Quant aux contradictions qu’on prétend y voir, elles sont plus apparentes que réelles. Mais, dit Fauste, le Christ n’a jamais affirmé qu’il soit né, qu’il ait eu un père ou des ascendants terrestres, ibid., VII, I, col. 237 ; il a enseigné, au contraire, qu’il n’est pas de ce monde, qu’il est descendu du ciel, qu’il n’a pour mère et pour frères que ceux qui font la volonté de son Père céleste. Et c’est pour ce motif principal que Fauste repousse les généalogies.

Il y a là une équivoque, observe saint Augustin ; et il la dissipe par cette distinction capitale : oui, quant à la divinité, le Christ n’a pas d’ascendance humaine ; mais il en a une quant à son humanité. Il est tout à la fois le fils de Dieu et le fils de Marie, mais non sous le même rapport. Il est fils de Dieu de toute éternité ; il est fils de Marie dans le temps ; fils de Dieu en tant que Dieu, fils de Marie en tant qu’homme, car c’est dans le sein de la Vierge qu’il a pris la nature humaine. L’apôtre le fait entendre assez clairement, quand il dit : Misit Devs Filium suum, factum ex muliere, factum sub lege. Gal., iv, 4.

Saint Paul a bien dit, insiste Fauste, que le Christ est né selon la chair de la semence de David, mais il a reconnu son erreur et l’a corrigée en ces termes :

« Désormais nous ne connaissons plus personne selon

la chair, et si nous avons connu le Christ selon la chair, à présent nous ne le connaissons pas de cette manière. » II Cor., v, 16. Pure chicane, réplique saint Augustin, et contradiction inexistante. Car si l’Écriture présentait une contradiction, aut codex mendosus est, aut interpres erravit, aut lu non intelligis. Ibid., XI, v, col. 249. Or, dans le cas actuel, il n’y a erreur, ni dans le texte, ni dans l’interprète : les manuscrits sont là, et l’interprétation qu’on donne est connue. Des trois moyens de solution, reste uniquement le dernier : Fauste n’a pas compris. Car il est certain que saint Paul, à plusieurs reprises et de différentes manières, a parlé de la naissance humaine du Christ ; c’est là un point acquis et hors de contestation. Il semble dire le contraire dans son Fpître aux Corinthiens, mais il n’en est rien, parce qu’il parle de toute autre chose que de sa naissance humaine ; il parle du Christ ressuscité, de l’état de son corps à partir de ce moment ; et ce que l’apôtre veut dire, c’est que la résurrection a introduit dans la nature de son corps un changement caractéristique, à savoir qu’il n’est plus sujet comme auparavant à la corruption, à la passion et à la mort, mais qu’il est désormais incorruptible, impassible et immortel ; dès lors son langage s’explique et se justifie, loin de contredire en rien la réalité antérieure de la naissance du Christ selon la chair. Si le Christ n’est pas né, comment a-t-il pu souffrir ? A cette objection je réponds, disait Fauste, que cela se peut fort bien ; car il est avéré qu’Élie, qui n’a été qu’un homme, n’est pourtant pas mort. De même le Christ, quoique n’étant pas né, a pu souffrir. Ibid., XXVI, i, col. 479. Oui, réplique saint Augustin, le Christ, comme Adam, aurait pu avoir un corps directement formé par Dieu ; il aurait pu prendre aussi des éléments étrangers et lee convertir en son corps humain ; il aurait pu le créer ex nihilo ; mais là n’est pas la question. Il ne s’agit pas de savoir ce qu’il aurait pu

faire, mais ce qu’il a fait en réalité. Or, l’Évangile nous apprend qu’il est né d’une vierge : et vere natus, et vere mortuus quia veritas est Evangelii. Ibid., XXVI, vu, col. 483.

Fauste insiste : si nalus est ex femina Jésus, ergo et seminatus ex viro est ; si vero seminatus ex viro non est, ergo nec ualus ex femina est. Ibid., XXVII, I, col. 48’t. Pur enfantillage, réplique saint Augustin : nam Jésus et nasci potuit non satus, et pati nonparlus ; sed unum horum voluit, alterum noluil. Nasci enim non satus voluit, pati autem non partus noluit, quia partus est passus. Ibid., XXVII, il, col. 486.

A ce docétisme touchant la passion, la mort et la résurrection du Christ, qui consistait à garder les termes après les avoir vidés de leur sens obvie, saint Augustin se contente de répondre qu’il n’est qu’une inconséquence ; car il était aussi facile aux manichéens de soutenir le docétisme relativement à la naissance humaine de Jésus et de réduire celle-ci à une pure apparence ; mais non, ils prétendent qu’il n’y a pas eu de naissance humaine. Or, une telle prétention est du pur arbitraire.

On peut s’en rendre compte, d’après ces exemples de réfutation du docétisme empruntés à saint Irénée, à Tertullien et à saint Augustin, les Pères n’ont négligé aucun des aspects sous lesquels cette erreur se présentai t. aucun des arguments qu’on faisait valoir en sa faveur. Mais le faux point d’appui sur lequel elle s’étayait n’était que l’idée erronée qu’on se faisait de la matière pour expliquer l’origine du mal, sans tenir compte de la solution chrétienne. C’était là l’erreur fondamentale de tous les systèmes entachés de docétisme. Les Pères n’ont eu garde de la négliger ; et ce n’est qu’en réfutant les systèmes eux-mêmes qu’ils ont eu l’occasion de réfuter le docétisme qui s’y trouvait mêlé. Ils en ont dit suffisamment pour montrer le danger que pouvait faire courir à la foi chrétienne une doctrine aussi inconsistante, qui avait la prétention de s’autoriser de l’Écriture et qui s’abritait sous un appareil scientifique des plus séduisants.

VI. Accusations de docétisme portées contre certains Pères. — Certains Pères de l’Eglise, notamment Clément d’Alexandrie et Origène, ont été accusés de docétisme. A tort ou à raison ? C’est ce qu’il convient d’élucider en quelques mots.

1° Clément d’Alexandrie fut-il docètef — Oui, si l’on en croit Photius, Biblioth., cix, P. G., t. ciii, col. 381, qui l’accuse formellement d’avoir trempé dans le docétisme, sur certains passages des Hypoty poses. Cet ouvrage du docteur alexandrin étant perdu ou du moins n’étant pas actuellement connu, impossible de contrôler et de vérifier une telle accusation. Il est certain par ailleurs que Clément d’Alexandrie a attribué un corps réel au Sauveur. Mais sans préciser toujours de façon nette le fond de sa pensée, il a tenu parfois, dans les ouvrages qui restent de lui, un langage qui pourrait prêter à l’équivoque. C’est ainsi, par exemple, qu’il dit qu’il serait ridicule de croire que le Sauveur a eu besoin d’entretenir et de nourrir son corps pour le maintenir en vie. Il mangeait sans doute, non par besoin, mais à cause de ceux avec qui il vivait, pour qu’ils n’en vinssent pas à croire, comme on le fit dans la suite, qu’il n’avait qu’une apparence de corps, qu’il n’était qu’un pur fantôme. Strom., VI, 9, P. G., t. IX, col. 292. Ce passage comme le démontre Le Nourry, Dissert., II, c. vi, a. 7, P. G., t. ix, col. 1131-1132, s’entend facilement. Le Sauveur avait un corps réel ; il pouvait, étant Dieu, le soutenir par sa vertu toute-puissante, sans recourir à l’alimentation ordinaire ; il l’alimentait cependant pour éviter à ses disciples l’erreur de croire qu’il n’avait qu’un corps apparent.

Clément d’Alexandrie ne doute nullement de la réalité de la naissance, de la vie humaine et de la mortErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

du Christ, ainsi que cela ressort d’un passage subséquent du même ouvrage. Slrom., VI, 15, col. 352. Pour quiconque, dit-il, ne connaît pas la vérité, toute l’économie relative au Seigneur, prédite par les prophètes, parait une pure parabole. Que le Fils de Dieu, qui a tout fait, ait pris la chair et ait été conçu dans le sein de la Vierge, car sa chair sensible a été engendrée, et conséquemment qu’il ait souffert et soit ressuscité, l’un le dit, les autres l’entendent, c’est, selon le mot de l’apôtre, un scandale pour les Juifs, une folie pour les Grecs. Mais les Écritures, parlant à ceux qui’c ont des oreilles, » montrent la vérité et proclament que c’est vertu et sagesse de Dieu, de la part du Seigneur, d’avoir souffert dans la chair qu’il avait prise : 8 iréitov8ev ï| oipE, fjv àvsiXï)çev 6 Kûpio ;. Slrom., vi, !), P. G., t. ix, col. 352. Du reste, à plusieurs reprises, Clément affirme la vérité de l’incarnation : sa formule est : 8t’riixâç avOpuitoç èylveto. Pied., i, 5 ; il, 2, P. G., t. vur, col. 277, 428. Le Christ a pris la chair qui, de sa nature, est passible, tt|V <7txpy.a ty|V èp-na<)r t ç-Jtei YEvojj.évrjv àva-Xa 6cav. Par amour pour les hommes, il n’a pas dédaigne la faiblesse de la chair humaine, mais il s’en est revêtu pourlecommunsalutdeshommes, ’6c, ye, Sià-rr)-’ÛTcspêà).), 0’j<tïv cpi).xv0p(O7r13cv, rrapvcôî àvOpomfv ?) ; e-JtîxŒixv ojy ûneptSùv, « XX’âvSuaâjjLgvo ; - Slrom., vii,2, P. G., t. IX, col. 412. Il a bu, non avec excès, mais avec modération, il a pris du viii,lui aussi, car lui aussi était homme. ES yàp’(<7Tt [j-cTÉXaêev otvou /.ai a’Jtôç, y.ai yàp av8po>7ro ; xa a-Jrôç. Psed., ii,2, P. G., t. VIII, col. 428. D a sauvé le genre humain par son véritable sacrifice. Isaac l’a figuré ; il était fils d’Abraham comme le Christ est fils de Dieu ; il fut une hostie comme le Seigneur, mais il ne fut pas offert comme le Seigneur ; il porta le bois du sacrifice comme le Seigneur, mais il ne fut pas immolé, ne souffrit pas et ne fut pas tué, laissant au Verbe ce privilège de la passion ; il a souri mystiquement pour montrer que le Seigneur nous remplirait de joie, car c’est par le sang du Seigneur que nous avons été rachetés de la mort et de la corruption.’EyÉXa Se (jlucttixù) ;, êjvltXSffai rjjxS ; Ttpotp^teûtov /.apâc tov Kùpiov tou ; ai’[j.a-[ Ivjpîou ex ç90p5ç X&XvTpu>[ « voii ?… rà 7Tp(i)Teïrï toO TîàOou ? 7capa/r.)pwv -rji A6ya>. l’eed., i, 5, P. G., t. viii, col. 277. Dans un autre endroit, Clément d’Alexandrie dit que le Verbe est tout pour l’enfant, et père, et mère, et pédagogue, et nourricier ; car il a dit : « Mangez ma chair, buvez mon sang. » Et voilà, ajoute Clément, les aliments convenables que nous offre le Seigneur, à savoir sa chair et son sang. TaÛTa ; yj[HV oty.Eiaç Tpoçà ; 6 Iv-jpto ; yopr^v., y.a irâpy.a opéyei, /ai al(j.a èx/eï. Psed., i, 6, col. 301.

A moins de textes nouveaux, notamment de ceux des Hypolyposes que nous ne possédons plus, ces passages suffisent pour montrer que, dans le Pédagogue et les Stromates, Clément est étranger au docétisme.

2° Origène a-t-il professé le docélismef — - Oui, d’après les ennemis du célèbre docteur ; car, parmi les reproches adressés à sa doctrine, se trouve l’accusation de docétisme, que saint Pamphile signale en quatrième lieu, Apol., i, v, P. G., t. xvii,col. 579 ; mais non, d’après saint Pamphile lui-même qui montre le mal fondé d’une pareille imputation. Ibid., col. 585-588. Muet, qui a étudié la question de près, se prononce également pour la négative, et non sans raison. Origeniana, I. II, c. ii,q. ni, n. 11-13, ibid., col. 809-813.

Quand on se rappelle les accusations portées par Celse contre l’impossibilité de l’incarnation du Verbe et les sarcasmes qu’il se permit contre tous les détails de la naissance, de la vie et de la mort du Sauveur ; quand on sait la manière avec laquelle Origène réfuta cet imposteur, voir t. il, col. 2095-2096, il est difficile d’imaginer qu’Origène ait été le docète qu’on prétend. Car il se garda bien de nier la réalité de l’incarnation, de la naissance humaine et de la mort sanglante de

Jésus et de n’y voir qu’une vaine apparence. Il l’affirme au contraire, conformément aux récits évangéliques, et il montre la parfaite convenance de l’incarnation du Verbe, les raisons profondes de son état humilié, de ses souffrances et de sa mort. Hien ne paraît plus probant pour détruire la fausse accusation de docétisme portée contre Origène. Mais, en dehors de son traité contre Celse, ses autres ouvrages renferment trop de passages caractéristiques pour que puisse subsister le moindre doute. Nous n’en relèverons que quelques-uns.

Il est vrai que, dans son commentaire sur saint Matthieu, Origène rappelle une tradition d’après laquelle Jésus se montrait, tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, de telle sorte qu’il était parfois difficile de le reconnaître ; il ne la juge pas incroyable, mais il se contente de la rapporter sans en garantir la vérité. InMattli., comment, séries, 100, P. G., t. XIII, col. 1750. Et c’est vraisemblablement l’un des passages qui a donné lieu à l’accusation de docétisme, dont il fut l’objet de la part de ses ennemis ; mais l’accusation reste une calomnie.

« Qu’ils me répondent, dit-il, les hérétiques qui

éludent la naissance du Christ comme un fantôme : pourquoi est-il appelé le fils de l’homme ? » Il affirme, quant à lui, qu’il a été fils de l’homme. In Ezecli., homil. i, 4, P. G., t. xiii, col. 672. Et dans un autre endroit : Suscipiens naturam carnis liumanx, omnes proprielates implevit, ut non in phantasia /utbuisse rarnem existimaretur, sed in veritate. In Matt/i., comment, séries, 92, P. G, , t. xiii, col. 1743. Ailleurs encore, commentant ce passage de saint Paul, Rom., vi, 5-6 : « Si nous avons été greffés sur lui (le Christ), par la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi par celle de sa résurrection, sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût détruit, pour que nous ne soyons pas les esclaves du péché, » Origène rappelle que des hérétiques (les docètes), l’entendant mal, en ont conclu que le Christ n’est pas vraiment mort, mais seulement en apparence. Leur répondre, dit-il, me serait trop facile et j’estime inutile de recourir à d’autres textes de l’apôtre ou des Évangiles, où il est question simplement de sa mort et non d’un semblant de mort, alors que je puis leur dire : s’il n’y a eu qu’un semblant de mort et non une vraie résurrection, nous aussi nous ne ressusciferons qu’en apparence et non en réalité, nous aussi nous semblerons mourir au péché sans mourir réellement ; et donc tout ce qui a été fait ou se fait n’est qu’une pure apparence. Il n’y a plus dès lors qu’à conclure que nous avons été sauvés en apparence, et c’est autant d’absurdités. In Rom., V, ix, P. G., t. xiv, col. 1044 ; cf. Cont. Gels., il, 46, P. G., t. xi, col. 828.

Parlant du corps humain du Christ, c’est là, dit-il, le signe de contradiction, car les uns prétendent qu’il est descendu du ciel, d’autres qu’il a eu un corps semblable au nôtre. Et Origène de blâmer ces derniers. In Luc, homil. XVII, /’. G., t. xiii, col. 1844. Faut-il en conclure qu’il estimait que le corps du Christ fût différent du nôtre ? Loin de là, car il s’en est expliqué en tête du IUpt àpx’ôv, 4, P. G., t. xi, col. 117. Le Christ, dit-il, a pris un corps semblable au nôtre, mais avec cette différence que ce qui est né de la Vierge est du Saint-Esprit. Et parce que Jésus-Christ est né et a souffert en vérité, et parce qu’il n’a pas subi la mort en apparence, il est vraiment mort et vraiment ressuscité.

Inutile de poursuivre l’enquête ; les passages qu’on vient de lire, dont quelques-uns visent spécialement l’erreur docète, suffisent pour disculper Origène du reproche de docétisme. La vérité est qu’il a combattu les gnostiques, tout comme Clément d’Alexandrie, en

maintenant l’orthodoxie de la foi sur la réalité de l’incarnation et de la rédemption, qui comportent, poulie Fils de Dieu, la vérité d’une naissance et d’une vie humaines, d’une passion et d’une mort sanglantes.

I. Sources.

S. Irénée, Cont. hmr., P. G., t. vu ; Philosophoumena, (’dit. Cruice, Paris, 1860, 1. VI-VI1I, X, 4, 12-16, 19 sq. ; Tertullien, De prsescriptionibus, 30 ; Adv. Marcionem ; Adv. valentinianos ; De carne Ckristi ; pseudo-Tertullien, De prxscript., 46-53, P. L., t. ii, col. 41, 243, 538, 774 sq. ; pseudo-Origène, De recta in Dcum fide, iv, P. G., t. XI ; S. Augustin, De hæresibus ; Contra Faustiun, P. L-, t. xlii ; S. Épiphane, Hier., xxi-xxxiii, P. G., t. xli, col. 286-555 ; Théodoret, Hxret. fab., V, xi-xiv, P. G-, t. lxxxiii, col. 488 sq.

II. Travaux.

Massuet, Dissert, in S. Irenxum, P. G., t. vu ; Le Nourry, Dissert, in Clementem, P. G., t. ix ; Huet, Origeniana, P. G., t. xvii ; Tillemont, Mémoires pour servir o l’hist. eccl., Paris, 1701, t. ii, p. 40, 50, passim ; Ceillier, Histoire des auteurs sacrés et ecclésiastiques, passim ; tous les auteurs qui ont traité de la gnose et du gnosticisme, et dont la bibliographie plus détaillée sera donnée à chacun de ces articles ; articles spéciaux dans Dictionary of Christian biographij, Londres, 1877 ; Kirchenlexikon, Fribourg-en-Brisgau, 1880 ; Realencyclopudie fur protest. Théologie und Kirehe, Leipzig, 1897.

G. Bareille.