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Dictionnaire de théologie catholique/THÉOLOGIE III. LA NOTION I. Données et indications du magistère.

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 15.1 : TABARAUD - TRINCARELLAp. 231-258).

En cours Nettoyage des titres et espace Sicarov (d) 16 mai 2024 à 16:11 (UTC) III. LA NOTION DE THÉOLOGIE. PARTIE SPÉCULATIVE.


I. Données et indications du magistère.
II. Idée et définition de la théologie (col. 448).
III. Problèmes de structure et de méthode (col. 462).
IV. L’habitus de théologie et le point de vue du sujet (col. 483).
V. Les divisions et les parties de la théologie (col. 492).
VI. La théologie et les autres sciences (col. 496).

I. Données et indications du magistère.

Il y a, sur la théologie, ses bases, sa règle, sa loi ou sa méthode, un certain enseignement du magistère de l’Église. Nous nous en tiendrons, comme le font VEnchiridion symbolorum de Denzinger et VEnchiridion clericorum de 1938, aux actes des grands conciles et surtout à ceux du Siège apostolique. Leurs interventions se réfèrent à trois grandes crises de la pensée religieuse : l’introduction de la philosophie aristotélicienne au début du xiii c siècle, lettre Ab JEgyptiis de Grégoire IX, en 1228, Denz., n. 442 sq. ; le semirationalisme du xixe siècle, condamnation de Hermès, Gùnther et Froschammer ; lettre de Pie IX à l’archevêque de Munich ; concile du Vatican, Denz., n. 1618 sq., 1634 sq., 1655 sq., 1666 sq., 1679 sq. ; enfin la crise moderniste et les problèmes ou renouvellements qu’elle engageait, encycliques Pascendi et Communium rerum, Denz., n. 2086-2087 et 2120. À la suite de cette crise un effort a été fait pour la réforme et le progrès de l’enseignement ecclésiastique ; d’où un certain nombre de documents récents, qu’on trouvera dans VEnchiridion clericorum. Documenta Ecclesiac sacrorum alumnis instituendis, Rome, 1938 ; voir en particulier la constitution Deus scienliarum Dominus, qui, en 1931, a fixé le statut de l’enseignement des sciences sacrées dans les universités ecclésiastiques.

Voici, en bref, les dispositions relatives à la théologie contenues dans ces documents. La base ou la source de la théologie n’est pas l’évidence rationnelle, mais la foi surnaturelle aux mystères révélés par Dieu, Denz., n. 1619, 1642, 1656, 1669 sq. ; son âme, dit Léon XIII, est l’Écriture sainte. Enchir. cler., n. 515. L’encyclique Pascendi insiste sur l’erreur qui consisterait à subordonner la théologie à une philosophie religieuse, et sa partie positive à la pure critique historique. Denz., n. 2087, 2104. La règle de la pensée théologique est l’enseignement de l’Église et la tradition des Pères. Denz., n. 1657, 1666 sq., 1679. Aussi met-on avec insistance les théologiens en garde contre les dangers de l’innovation, non seulement dans la pensée, mais même dans les expressions. Denz., n. 320, 442 sq., 1657-1658, 1680, 1800 (où l’on voit que la tradition n’exclut pas le progrès). Enfin, on prend formellement la défense de la théologie scolastique médiévale, laquelle n’est ni périmée, ni inclinée vers le rationalisme. Denz., n. 1652, 1713 ; Enchir. cler., n. 414 sq., 423, 602, 1132, 1156. De plus, tout en affirmant la nécessité d’une méthode positive, on en marque les limites et on affirme très fortement la nécessité d’y joindre une méthode spéculative. Enchir. cler., n. 806 (Pascendi), 1107 et 1133 sq. (Benoît XV), 1156 (Pie XI). Au demeurant, après avoir signalé les dangers ou condamné les erreurs, on nous propose une formule positive de ce qu’on pourrait appeler le statut ou la charte de la théologie.

La raison, éclairée par la foi, lorsqu’elle se livre à la recherche avec zèle, piété et mesure, peut, par le secours de Dieu, arriver à une très fructueuseintelligence des mystères : tant en usant de l’analogie des réalités déjà connues par notre esprit, qu’en considérant les liens que les mystères eux-mêmes ont entre eux et avec la destinée humaine. Cependant, jamais notre raison n’arrivera à connaître ces choses de la manière dont elle connaît les vérités qui constituent son objet propre… Concile du Vatican, sess. iii, c. iv, Denz.-Bannw. v n. 1796.

Dans les Adnotationes des théologiens au texte du schéma préparatoire (c. v) qui correspond à ce texte définitif, nous lisons des précisions qui, pour ne pas émaner de l’autorité dogmatique de la hiérarchie, n’en sont pas moins spécialement autorisées :

Une connaissance ou science purement philosophique des mystères est exclue… Mais il est une autre science qui procède des principes révélés et crus par la foi et qui s’appuie sur ces principes. Loin de nous d’exclure une telle connaissance fintelligentia), qui constitue une grande part de la sacrée théologie. Dans celle-ci, la foi étant supposée, on recherche comment les vérités sont proposées dans la Révélation : et c’est la théologie positive (comme on dit) ; à partir de là, en assumant également des vérités et des principes rationnels, on aboutit (deducitur) à une certaine intelligence analogique des choses connues par la Révélation et de ce qu’elles sont en elles-mêmes : Fides quærens intelleclum, et c’est la théologie spéculative. Dans cette discipline, c’est le sens des dogmes tel qu’il se trouve dans la Révélation et que l’Église le déclare, qui est la norme de ce travail de purification et d’amenuisement (expoliendx) que doivent subir les notions philosophiques pour être appliquées à cette intelligence des mystères, comme l’ont toujours pratiqué les Pères et les théologiens catholiques ; ce n’est pas, à l’inverse, aux notions purement naturelles de la philosophie qu’on accommoderait un sens des dogmes différent de celui qui se trouve dans la Révélation telle que l’Église la comprend et la propose. C’est pourquoi il est dit que « dans les choses de la religion, la raison humaine et la philosophie ne doivent pas régner, mais servir ». C’est pourquoi encore on a écrit, afin d’éviter une fausse interprétation du décret… Mansi-Petit, Concil., t. L, col. 84-85 ; Th. Granderath, Constitutiones dogmat. S. œc. concilii Vaticani…, Fribourg-en-Br., 1892, p. 90.

Dans les documents récents on souligne la nécessité d’une préparation philosophique soignée, pour la théologie, et le rôle que sont appelés à jouer, dans la constitution de cette théologie elle-même, les disciplines philosophiques : cf., pour le premier point, Enchir. cler., n. 480 (Léon XIII), 805 et 810 (Pascendi), 1126 (Benoît XV), 1155, 1190 (Pie XI), 840 (Consistoriale) ; pour le second point, n. 404 (Léon XIII, JEterni Patris), 1130 (Benoît XV), 1156 (Pie XI).

II. Idée et définition de la théologie.

I. GENÈSE ET NÉCESSITÉ DE LA THEOLOGIE : PHILOSOPHIE, FOI ET THÉOLOGIE.

Il nous faut situer la théologie dans l’économie générale de la connaissance de Dieu : connaissance divine, connaissance humaine et connaissance théandrique. Dieu est connaissable de deux manières : selon son mode à lui et selon notre mode à

nous, chaque nature ayant son mode propre de connaissance, déterminé par son objet connaturel. Cf. saint Thomas, In I" m Sent., prol., a., 1 sol. et ad l nm ; a. 3, sol. 1 ; In J/ um, prol. ; In Boet. de Trin., prol., q. ii, a. 2 ; q. v, a. 4 ; Cont. Gent., t. I, c. m et vin ; t. II, c. iv ; t. IV, c. i ; Sum. theol., I », q.xii, a. 12.

Dieu, qui est l’Être même et l’Infini parfait, a pour objet propre et connaturel soi-même ; le mode de sa connaissance est de se connaître lui-même intuitivement et les autres choses à partir de lui et en lui, comme des participations de lui-même. La science divine suit ainsi, parce qu’elle le crée, l’ordre en soi des choses et de leur intelligibilité.

Notre objet connaturel, qui est au niveau de notre propre ontologie, est la quiddité des choses sensibles, la nature des choses physiques. Notre connaissance va de l’extérieur à l’intérieur, des choses moins premières et moins intelligibles en soi aux réalités plus premières et plus intelligibles. C’est ainsi qu’elle atteint Dieu, comme cause efficiente, exemplaire et finale des choses sensibles, dans une connaissance analogique, liée à son objet connaturel, la quiddité des choses sensibles. On a, depuis le xve siècle, semble-t-il, donné le nom de « théologie naturelle » à cette connaissance de Dieu par la raison à partir de la connaissance que nous avons des choses créées.

La connaissance que Dieu a de lui-même est, par grâce, communiquée aux hommes. Elle l’est d’une manière parfaite, pour autant du moins que cela est possible à des créatures et d’une façon qui comporte des degrés, dans la vision béatifique. Elle l’est d’une manière imparfaite dans la foi surnaturelle. La foi est une réalité des choses que l’on espère, une ferme assurance de celles qu’on ne voit pas ». Hebr., xi, 1. Elle est une puissance de perception des objets ou plutôt de l’objet connaturel à Dieu lui-même. Mais, si elle est une « ferme assurance », si elle est le germe de la vision et si elle a en soi, dès maintenant, l’efficacité d’atteindre le mystère de Dieu lui-même comme objet, la connaissance de la foi est conditionnée en nous par une communication extérieure d’objets, qui s’opère par la Révélation. Dieu se dévoile à nous et nous parle de lui ; il le fait en une manière proportionnée à notre condition d’hommes, c’est-à-dire, d’un côté, selon un mode collectif, social, d’un autre côté, en un langage d’hommes, en des images, des concepts et des jugements pris parmi les nôtres. Dieu choisit, dans le monde de notre connaissance naturelle, des choses, des concepts et des mois qu’il sait et qu’il nous garantit, par le fait, être des signes non menteurs de son propre mystère. Ainsi est ce à travers des images, des concepts et des jugements de même type et de même extraction que les nôtres, que notre foi passe pour adhérer au Dieu même qui est notre destinée totale. (.v n’est que dans les images, les concepts et les formules de la Révélation et du dogme que la foi peut percevoir son objet ; mais, a travers la précarité et l’insuffisance des voiles verbaux qui ne révèlent Dieu qu’imparfaitement, la foi tend a une perception moins imparfaite de Dieu ; cf. S. Thomas, Dr oeril., q. xiv, a. 8, ad 5 om ; ad ll° m ; Sum. theol., II » -II », q. i. a. 2. ad 2° » ; In III"" Sent., dist. XXV, q. i. a. 1. sol. |, ad l 1 " » ; II » - II », q. i, a. (> : Articulas est perceptio divitur verilatis, tendent m ipsam.

Cette tendance à une perception pi us complète de la Vérité divine s’opère dans une activité de l’homme il répondant a l’avance de Dieu. Dans cette activité le croyant achevé l’œu re de Dieu en Joignant vltalement son activité au don qu’il a reçu. Ainsi VOyons-nous naître une troisième connaissance de Dieu, qui n’est plus ni purement divine, ni purement humaine, mais divino humaine ou t h. andrique (.

plu la connai >i.one pur< ment philosophique de

DICT. DE THÉOL. OATIIOL.

Dieu, obtenue par notre seul effort et limitée à ce que les créatures nous disent de lui. Ce n’est plus la connaissance proprement divine communiquée dans la vision intuitive et, ici bas, d’une manière inchoative et imparfaite, dans la foi. C’est une connaissance qui, partant de la foi et en exploitant le donné, tend, par un effort où l’homme apporte à Dieu une réponse active, à mieux percevoir l’objet divin livré dans la grâce et les énoncés de la foi.

Mais cet effort de perception de l’objet révélé peut se faire par deux voies différentes qui sont, aussi bien, les deux voies du progrès dogmatique : il peut se faire par la voie de la contemplation surnaturelle, sur la base d’une union affective à Dieu ; ou bien par la voie de la contemplation théologique, sur la base d’une activité de connaissance de mode rationnel et discursif. Ces deux voies sont caractérisées par deux manières différentes de posséder le principe, qui est Dieu en son mystère surnaturel. Dans le premier cas, l’âme le possède et lui est unie par mode d’expérience ; elle pénètre davantage l’objet de la foi par la charité ; ce n’est pas tant elle qui travaille le mystère de Dieu que ce mystère qui la travaille intérieurement, se la rendant vitalement accordée, conforme et sympathique. Dans la théologie de saint Thomas, cette activité de perception par mode vital est attribuée plus spécialement aux dons du Saint-Esprit, surtout aux dons d’intelligence et de sagesse. Sum. theol., II » -II">, q. iv, a. 8, ad 3um ; q. viii, a. 5, ad 3um.

Dans la seconde voie, on possède Dieu en son mystère, non plus dans l’ordre de la connaturalité vitale, mais dans celui de la connaissance, qui est celui d’une conformité intentionnelle à l’objet. La pénétration de celui-ci se fait par un travail proprement rationnel, où nous sommes actifs et non plus passifs et où chacun peut profiter du travail d’autrui et communiquer ses propres acquisitions. L’amour, certes, intervient dans ce travail, mais c’est seulement comme en toute activité, à savoir comme moteur. Sum] ^heoL, , Ia-IIæ, q. xxviii, a. 2, corp. ; II a -II", q. ii, a. lO.corp. Formellement, la pénétration de l’objet se fait par l’activité, avec les ressources, selon les lois et les méthodes de l’intelligence ou, plus précisément, de la raison. C’est à cet ordre qu’appartient la théologie, qui est contemplation proprement intellectuelle et de mode rationnel des enseignements de la foi. Cf. Sum. theol., I », q. i, a. 6, ad 3um ; II » - II », q. xlv, a. 1, ad 2° m. Dans la contemplation théologique, la foi se développe et rayonne dans l’homme selon le mode de celui-ci, qui est rationnel et discursif ; elle se développe et rayonne dans sa raison, y prenant la forme et obéissant aux exigences d’un savoir humain. Parmi ces exigences, il en est deux surtout qui donneront à la théologie son allure propre : une exigence d’ordre et une exigence d’unité dans les objets de connaissance.

Exigence d’ordre et de hiérarchie.

D’un côté.

Dieu a fait toutes choses avec ordre et mesure. Cet ordre procède de la science créatrice de Dieu. De la science de Dieu, cet ordre passe non seulement dans ses œuvres, mais dans sa Parole, qui nous communique quelque chose de cette science : ainsi, tandis que nous déchiffrons quelque chose de l’ordre de la création et de la science de Dieu dans le livre « le la nature ». nous en recevons une autre connaissance dans la Révélation à laquelle nous adhérons par la foi. Or, cette foi est celle d’un homme dont la raison porte dans les objets qui lui sont proposés de légitimes exigences d’intelligibilité et d’ordre, l.a foi n’est pai de la compétence « le la pure raison, mais, de quelque manière qu’il la

reçoive, lorsque l’homme s’y est ouvert, elle réclame

de lui la soumission de tout lui même et occupe jusqu’à ion. (.elle ci ne peut donc refuser de l’accepter

et. puisqu’elle ne peut davantage abdiquer les exigen T. — XV. — 15.

451

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. ACTIVITÉ DE LA RAISON

452

ces de lumière et d’ordre qu’elle a reçues de Dieu comme sa loi constitutive, elle est bien obligée d’apporter, dans la considération des objets de connaissance nouveaux que la foi fait habiter en nous, ses exigences natives d’intelligibilité et d’ordre : exigences auxquelles l’œuvre de Dieu, la Parole de Dieu, la Révélation et la foi ont de quoi satisfaire. Ce qui est donné simplement à l’homme pour son salut, sa raison devenue croyante le considérera à sa manière à elle, l’explicitera, le traduira en concepts et en définitions conformes à ses besoins, le construira surtout en un corps ordonné de vérités et d’énoncés où ce qui est premier en intelligibilité sera donné comme fondement à ce qui est second, la hiérarchie des choses se reconstruisant ainsi en un ordre qui s’efforce de reproduire, en en cherchant les indices dans les choses et dans la Révélation, l’ordre de la science créatrice de Dieu. Nous verrons bientôt à quoi ce programme engage.

Exigenre d’unité.

La seconde exigence est encore

commune à la foi et à la raison : c’est celle de l’unité dans les objets de connaissance. D’une part, en effet, la raison ne peut admettre la théorie de la double vérité ; elle ne se résoudra jamais à penser que ce qui est certain et démontré pour elle dans l’ordre de la vérité spéculative, puisse être nié ou contredit par la foi. Aussi cherchera-t-elle toujours à constituer une certaine unité avec les connaissances qu’elle tient de ses évidences ou de ses démonstrations et l’apport nouveau d’objets et d’énoncés dont la foi est en elle la source. S’il lui est révélé que Dieu s’est fait homme, elle cherchera à penser ce mystère avec ce qu’elle sait de l’homme ; et de même appliquera-t-elle aux sacrements, à la morale évangélique, à la théorie de la justification, etc., les différentes notions qui lui semblent intéressées par les réalités que la foi lui fait tenir. Or, cette foi, de son côté, n’est pas moins exigeante d’unité dans la connaissance. Elle est, en effet, dans le croyant, non pas un domaine à part et comme une nouvelle spécialité qui viendrait s’ajouter aux autres et leur demeurerait étrangère ; elle est une nouveauté, mais elle est aussi totale et, modifiant l’homme tout entier, elle tend à se subordonner et à s’annexer en lui tout ce qu’il y a de connaissances certaines comme tout ce qu’il y a d’activité morale. Et par exemple, Dieu ne peut pas, en elle, se révéler comme devenu homme sans que les certitudes authentiques de l’esprit au sujet de ce qu’est essentiellement un homme, ne se subordonnent à cette révélation et ne demandent à entrer, avec le mystère révélé, dans un ordre de connaissance qui soit un.

Par ailleurs la confrontation entre les choses révélées et les acquisitions rationnelles, entraîne fatalement des heurts, au moins apparents. Nouvelle nécessité, pour le croyant, de mettre sa raison en rapports avec sa foi et de lui faire exercer, à l’égard de l’enseignement chrétien, une activité de défense qui est une nouvelle forme d’application de la raison aux choses de la foi. À ces différents titres, l’enseignement révélé se développe et rayonne dans la raison humaine comme telle et tend à prendre une forme proprement rationnelle, discursive et scientifique, qui est la théologie.

II. LA LUMIÈRE DE LA THÉOLOGIE ET LES DIFFÉ-RENTES FORMES DE L’ACTIVITÉ DE LA RAISON DANS

LA foi. — Nous pouvons, ayant vu sa genèse et par là même sa nécessité, définir quelle est la lumière propre de la théologie, son lumen sub quo. C’est la Révélation surnaturelle reçue dans la foi, en tant que s’exprimant et se développant dans une vie intellectuelle humaine de forme rationnelle et scientifique : Revelalio virtnalis, disent les commentateurs de saint Thomas depuis Banez. Ce n’est donc proprement ni la lumière de la raison, car la théologie ne vit que de la foi, ni la lumière de la foi, car la théologie se constitue par une

activité rationnelle s’appliquant au donné de la foi, mais c’est une lumière qui se forme par l’union vitale et organique des deux : la lumière de la foi en tant qu’elle se conjoint celle de la raison, l’informe, la dirige et se sert d’elle pour constituer son objet en un corps de doctrines de forme rationnelle et scientifique. Cet usage de la raison dans la foi, qui e^t l’œuvre théologique, se fait de différentes manières, qu’il nous faut exposer rapidement.

1° Établissement des « præambula ftdei ». — Une première manière est de fournir des démonstrations rationnelles rigoureuses des préambules de la foi : existence de Dieu, unité de Dieu, création ex nihilo, immortalité de l’âme, etc. S. Thomas, In Boet. de Trin., q. ii, a. 3 ; In III um Sent., dist. XXIV, a. 1, sol. 1.

Défense des vérités chrétiennes.

Une seconde

manière concerne la défense des vérités chrétiennes, et elle comporte deux activités différentes : une activité s’appliquant à démontrer la crédibilité rationnelle du dogme et du magistère catholiques pris dans leur ensemble, cf. ici, art. Crédibilité, t. iii, col. 2201 sq., une activité s’appliquant à défendre chacun des dogmes pris en particulier. La première activité fait l’objet d’une partie spéciale de la théologie, l’apologétique, ou théologie fondamentale. La seconde se répartit tout au long de la théologie ; il revient, en effet, à celle-ci, après les avoir contemplés et construits rationnellement, de défendre chacun des dogmes en particulier contre les objections de la raison ou des sciences humaines. Dans cette activité de défense particulière de chaque dogme, la théologie ne peut apporter de preuves rigoureuses, positives et directes de la vérité des mystères ; elle peut seulement suggérer la convenance rationnelle de ces mystères, et montrer, en résolvant les objections proposées, qu’il n’est pas absurde de tenir, par la foi, la vérité de ces choses. S. Thomas, In Boet. de Trin., q. ii, a. 1, ad 5um ; a. 2, ad 4um ; a. 3 ; Sum. theol., I a, q. i, a. 8 ; Conl. Cent., I. I, c. vin et ix. C’est aussi ce que suggèrent les interventions du magistère condamnant Rosmini pour avoir voulu démontrer indirectement la possibilité de la Trinité. Denz., n. 1915.

Construction du révélé.

Mais la manière de beaucoup

la plus importante dont le travail rationnel s’applique à l’enseignement chrétien se réfère à la construction intellectuelle des mystères en un corps de doctrine. Car les mystères sont cohérents entre eux et cohérents aussi avec les réalités naturelles et les énoncés certains de la raison. C’est de cette connexion des mystères entre eux et de cette sorte de proportion qu’ils ont avec les choses que nous connaissons, que vit la théologie ; ce sont elles qui, sous le nom d’analogie de la foi, inspirent la charte donnée par le concile du Vatican au travail théologique. Cf. encore encycl. Providenlissimus, Denz., n. 1943 ; serment antimoderniste, Denz., n. 2146.

1. Rôle de l’analogie.

Aliquam mysteriorum intelligenliam ex eorum quæ naturaliter (ratio) cognoscil analogia. Il ne s’agit pas ici de démontrer les mystères, mais, ceux-ci étant connus par la foi, de s’en procurer quelque intelligence en recourant aux choses, aux lois, aux rapports qui nous sont connus rationnellement et avec lesquels les mystères ont une certaine similitude ou proportion. Cette justification repose tout entière sur la validité de la connaissance analogique et donc, d’une part, sur l’unité relative ou proportionnelle du monde naturel et du monde surnaturel et, d’autre part, sur la portée transcendante de la connaissance humaine. Ce second point est une question de philosophie. Le premier aussi pour une part, car il est lié à notre idée d’être, aux exigences et à la justification de cette idée ; mais il est aussi une vérité théologique, découlant de la Révélation

d’abord du fait même d’une Révélation formulée en notions et en mots empruntés à notre inonde de connaissance ; ensuite de certaines affirmations significatives de l’Écriture selon lesquelles le Dieu révélateur et sauveur, le Dieu de la foi et de la vie nouvelle est aussi et identiquement celui qui a créé le monde de notre connaissance et de notre vie naturelles ; cf. Hebr., I, 1 sq. et Joa., i, 1 sq. Encore que le monde surnaturel soit constitué par une participation toute nouvelle à la vie intime de Dieu, les deux créations ne laissent pas d’être l’une et l’autre de l’être, l’une et l’autre des participations de Dieu, et donc non seulement ne peinent se contredire foncièrement, mais sont reliées par un certain ordre.

Voilà pourquoi la raison de l’homme peut véritablement s’unir à la foi surnaturelle et devenir une puissance de connaissance originale et nouvelle qui n’est plus ni la simple foi, car elle raisonne, ni la simple raison, car elle app.lque son activité à un objet tenu par la foi surnaturelle, mais qui est la raison théologique.

Sur l’analogie elle-même, cf. ici, art. Analogie, t. I, col. 1142-1154 ; T.-L. Fenido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Paris, 1931 ; K.-.M. Bruckberger, L’être Valeur révélatrice de Dieu, dans lievue thomiste, 1937, p. 201226. — Sur l’analogie comme fondement de la théologie, cf. A. Gardeil, Le donné révèle, c. i ; K. Przywara, lieligionspMlosophie kalholischer Théologie, 1926 ; Analogia entis, 1. 1, 1932 ; C. I h kes, Die Analogie in unserem Gotteserkennen, ilire metaphgsische und religiôse liedeulung, dans le recueil Problème der Gotteserkenntnis, .Munster, l’J28, p. 132-184 ; H. Cirosche, La notion d’analogie et le problème théologique d’auiounl’luti, dans liante de philos., 1935, p. 302-312 ; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 84 sq. ; 1*. Wy « er, Théologie als Wissenschaft, p. 99 sq.

2. Connexion des mystères. Tume mysteriorum ipsorum nexii inter se et cum fine hominis ultimo. L’Église attache une grande importance, pour l’intelligence que la raison croyante, avec l’aide de Dieu, peut obtenir des mystères, à la contemplation des rapports que ces mystères ont entre eux et avec la fin dernière de l’homme.

De fait, quand on cherche ce qui donne aux écrits dogmatiques ou moraux des Pères leur plénitude, ofi trouve que c’e-, t principalement leur sens de la connexion et de l’harmonie vivante des dogmes. Ils ont sens, parce qu’ils ont vécu et pensé dans l’Église, qu’ils ont écrit pour répondre aux besoins de sa vie et qu’ils reflètent ainsi dans leurs œuvres la conscience que l’Église a de sa foi. Quand les Pères exposent un point de la Sainte Écriture OU de la doctrine catholique, on a le sentiment que tout le reste, qu’ils n’exposent pas. est présent dans le point particulier dont ils traitent. Cf. M..1. Cnngar, L’esprit des Pères d’après Môller. dans la Vit spir.. avril 1938, Suppl., p i’-'">. l Wlnterswyl, Athanasius der Grosse, der gr der ErlOsung, dans Die Srhililc/rnossrn, t. xvi, 71.

La forme plus scientifique que la théologie a prise’es grand : rolastiques est nécessairement plus analytique que n’étaient les écrits des Pères ; moins la vie immédiate de l’Église, elle est plus purement < Icntiflque ou didactique. Ainsi, d’une part, une élaboration plus poussée d< doctrines et, d’autre

pari, une, | Intuition plus fi <|e ces mêmes

doctrine rcnd< il moins aisée, dans la théologii forme cientilique, cette contemplation des mysti

ins manuels issus d’une scola. tique souvent

les doctrines ont été souvent divisées en

thèses ti pj, l’étal morcelé, inorganique.

h et. nntn retél il de cho <. J.-B. Aubry, I sur la méthode <ir, i, i, ies ecclésiastique », Lille, 1890° q. ; I i enoir, La théologie du xt.xe siècle, Paris, 1893,

théologiens de la valeur de S’Ils une grande importance à la pi

tation organique des doctrines. Dogmatique, n. 887 sq. Cette exigence était satisfaite chez les grands scolastiques. Elle trouvait satisfaction dans leur souci d’un plan d’ensemble et dans leur détermination île l’unité de matière ou de « sujet » de la théologie. Ii serait trop long de montrer ici comment l’admirable plan de la Somme de saint Thomas répond à ces exigences. Mais il est certain que le plan des Sentences d’abord, basé à la fois sur les catégories augustiniennes de res el signa et de frui et uti, puis le plan des autres traités systématiques. Compendia ou Summæ, ont été el demeurent des éléments de Vintelleclus fidei, des instruments de doctrines, par l’harmonie qu’ils décèlent et expriment entre les mystères révélés. Que le mystère de l’incarnation, par exemple, soit compris comme l’achèvement et le moyen de notre retour au sein du Père et qu’il soit ainsi mis en rapports avec les mystères de la Trinité, des « missions di mes », de la grâce, de l’homme-image de Dieu et de tout son équipement de vertus théologales ou morales et de dons ou de charismes, enfin des sacrements, de la prédestination, de la filiation adoptive, du jugement…, cela, évidemment, importe grandement à l’intelligence que le croyant peut prendre de ce mystère et de tous les autres. Cette mise en rapports des mystères les uns avec les autres donne à la théolpgie un de ses procédés les plus féconds de développement et d’élaboration des doctrines.

On comprend enfin que le concile ait fait une men tion spéciale du rapport des mystères à la fin dernière de l’homme. Car ce rapport, intéresse immédiatement la place de telle doctrine particulière dans l’économie de la Révélation. Il y a des choses, dit saint Thomas, qui sont matière à révélation, et donc objet quod de la foi et principes de la théologie, principatiter, secundum se, proprie et per se, directe, en raison même de leur contenu, et d’autres qui ne le sont que in online ad alia, par le rapport d’application ou d’illustration qu’elles ont aux précédentes. Or, les choses qui tombent sou. la Révélation divine et intéressent la fol directement se résument, d’après saint Thomas, en id per quod homo bealus efpcitur, à savoir le double mystère ou la double « économie » : le mystère néces saire de la Un, quorum visione perfruemur in vita eeterna, et le mystère libre des moyens, per quee ducimur in vitcan teternam. Sum. theol., II » - II", q. i. a. (i, ad l ura ; a. 8, corj). ; q. ii, a.. r >. coi p. : a. 7, corp. Doctrine profonde, qui fait de notre béatitude, de la vérité sui notre destinée totale, l’objet direct de la Révélation et donc de la foi, du dogme et île la théologie et. pourrions nous ajouter, de la compétence du ministère ecclésiastique. Traduction technique, mais si Adèle, de la défini tion paulinienne rie. la foi comme Subslantia rcrum spe randarum.

Nous pressentons ici déjà combien peu la théologie consiste en une pure application de la philosophie à un donné nouveau ; elle est vraiment une science religieuse », avant un objet rpii, techniquement et dans sa condition épisléniologiqnc même, m-réfère à notre destinée. D’où ce titre spécial d’intelligibilité qui re vient à cette science, au témoignage du concile du Vatican, d’une considération de chaque doctrine dans son rapport à la fin dernière de l’homme.

Dans cette pénétration et cette construction Intel lectuellei des mystères, tant à partir de ce que le monde de notre connaissance naturelle peut nous fournir d’analogies, que par uni’mise en valeur ries

rapports que ces mystères ont entre eux et avec la

fin dernière de l’homme, les interventions de la raison peuvent prendre différentes formes, qu’on peut, sem

blc-t-il, ramener a trois : la simple explication du révélé, la raison de Convenance, la déduction de « un closions nouvr i i

455

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. SON OBJET

456

a) La simple explication du révélé. — C’est une fonction très fréquente de la raison en théologie. Cette explication peut être cherchée intrinsèquement ou extrinsèquement au révélé lui-même.

a. Explication intrinsèque. — Elle consiste surtout à donner, des réalités révélées, une notion plus précise, parfois même une définition répondant aux exigences d’une logique rigoureuse. Exemples : le dogme énonce que le Christ est assis à la droite du Père ; il revient à la théologie d’expliquer, en raisonnant le cas, ce que signifie cette « session à la droite », voir par exemple, Sum. theol., III », q. lviii. Dans des cas de ce genre, le travail théologique est assez proche de la théologie biblique et de la catéchèse ; il est bien cependant dans son rôle de sacra doctrina et nombre de questions, dans la Somme de saint Thomas, répondent à cette fonction. Autre exemple, où l’élaboration scientifique est plus nette : la théologie de la primauté et de l’infaillibilité pontificales, en tant qu’explication des textes bibliques qui les énoncent, Matth., xvi, 15-20 ; Luc, xxii, 31-32 ; Joa., xxi, 15-17, ou des formules du magistère. Dans les cas majeurs, l’explication ira jusqu’à donner de la réalité révélée une définition techniquement rigoureuse.

b. Explications extrinsèques. — Il revient aussi à la théologie, se tenant en cela très près de la catéchèse, de fournir, dans des analogies prises de notre monde, des explications qui sont moins une formule élaborée du révélé qu’une manuductio, un adjuvant pédagogique suggérant au fidèle l’intelligence du dogme. Cet usage pédagogique des analogies naturelles est à distinguer de l’usage précédent et des usages qu’on va dire : dans le premier, en effet, les analogies seront utilisées pour leur contenu intrinsèque de vérité, même si cette vérité n’est pas entièrement adéquate ; les analogies pédagogiques, elles, sont des auxiliaires du dehors et leur rôle est relativement indépendant de leur valeur intrinsèque. C’est pourquoi, d’une part, nous continuons, en théologie, à employer de vieilles manuductiones comme celles qui sont empruntées à la cosmologie ancienne, par exemple à l’idée de lumière comme milieu physique, tandis que, d’autre part, nous pouvons en emprunter de toutes nouvelles qui, n’ayant pas encore fait suffisamment leurs preuves de vérité, ne sauraient être introduites comme élément d’explication dans la science théologique elle-même.

b) Arguments de convenance. — Ils forment, et de beaucoup, la part la plus importante des arguments de la théologie et comme le domaine approprié de cette science. Ils consistent, en effet, à exploiter l’accord qu’un fait chrétien surnaturel connu par révélation, possède avec la marche générale, les lois et les structures de notre monde à nous. Cet accord est susceptible de degrés fort divers, l’élément qui nous est naturellement accessible ne représentant parfois qu’un écho lointain de la réalité ou du fait révélés, mais pouvant représenter aussi une donnée si homogène aux choses chrétiennes qu’on tient presque, dans la loi ou l’essence naturellement connues, une explication véritable de la donnée révélée. De toute façon, la raison ou l’analogie apportées ne sont pas une preuve directe du fait surnaturel ; elles donnent seulement des motifs de penser que ce fait est vrai et, à ce titre, doivent être rangées dans la catégorie du « probable » ; cf. S. Thomas, Conl. Gent., t. I, c. ix ; Sum. theol., II » -II æ, q. i, a. 5, ad 2um ; elles offrent, comme il est dit encore, ibid., et Cont. Gent., 1.1, c. iii, verassimilitudines, raliones verisimiles, qui nous permettent, le fait surnaturel nous étant donné, de le concevoir de quelque façon. On peut noter à ce sujet que le vocabulaire des Pères et des grands scolastiques ne doit pas nous tromper et que souvent ce pour quoi ils parlent de necessarium, necesse est, patet, etc., n’engage que la

convenance. Quand saint Thomas, pour rendre théologiquement compte du fait de l’incarnation rédemptrice, fait appel à la métaphysique du bonum di/Jusivum sui, Sum. theol., III », q. i, a. 1, il n’entend pas prouver le fait de l’incarnation et sait très bien que l’application de ce principe dans le monde surnaturel est soumise à la libre initiative de Dieu, In I II um Sent., dist. XXIV, q. i, a. 3, ad 2um ; mais, dans la mesure où un principe si élevé s’applique à la vie même de Dieu, on peut légitimement lui demander de nous manifester ce que le mystère recèle d’intelligibilité : l’analyse ne rend pas raison du fait ; garantie par la sagesse de Dieu qui accorde toutes choses dans un monde fait par elle à deux étages, elle tend à rendre raison de ce qu’il y a d’intelligible dans le fait.

Le procédé rendra pleinement dans les cas où l’accord entre le fait chrétien et la loi naturellement connue viendra en réalité d’une communauté essentielle de structure et donc d’une réelle unité de loi. Le cas se présente quand on atteint par la raison naturelle à la connaissance d’une forme et de ses lois essentielles, qui resteront telles sous les divers modes où cette forme pourra être réalisée. C’est le cas de notre connaissance de la nature humaine, en sorte qu’il faut nous attendre à trouver de telles explications de structure dans les différentes questions que pose, même en régime chrétien, cette nature : anthropologie, morale, christologie, voire expérience mystique.

c) Raisonnement théologique déductif. — L’explication du révélé prend souvent la forme d’un raisonnement par lequel l’esprit dégage le contenu plus ou moins enveloppé de l’enseignement chrétien : elle devient une exploitation. Il arrive qu’on explicite ainsi des vérités qui étaient réellement, bien que non manifestement, révélées. Il arrive encore, et c’est le cas le plus fréquent, que l’on se donne, par un détour rationnel, une vérité qui était révélée par ailleurs, mais sans que cette révélation fît connaître ses connexions logiques ou sa raison métaphysique. Ainsi dans le syllogisme suivant :

Ce qui est spirituel n’est pas dans un lieu.

Or Dieu est spirituel.

Donc Dieu n’est pas dans un lieu.

Il arrive aussi, surtout quand on introduit dans le raisonnement une prémisse de raison naturelle, qu’on obtienne une vérité nouvelle qu’on ne saurait prétendre révélée. Soit ce raisonnement, inspiré de saint Thomas, Sum. theol., III », q. xvii, a. 2 :

L’être est attribué à la personne.

Or, dans le Christ, il y a unité de personne.

Donc, dans le Christ, il y a unité d’être.

La conclusion est une acquisition nouvelle, qui fait si peu partie du donné de la foi que les théologiens ne s’entendent pas à son sujet. Elle est obtenue non seulement grâce à un raisonnement formel, mais grâce à l’intervention, dans la constitution même de l’objet finalement connu, d’une quantité rationnelle, d’une certaine philosophie de l’esse et de la personne, laquelle est bien assumée pour son contenu et selon son contenu intrinsèque de vérité. Cette fonction déductive de la théologie avec assomption de vérités naturelles entrant dans la constitution d’un scibile propre, pose des questions particulières ; aussi en ferons-nous plus loin un examen spécial.

/II. OBJET « QVOD » ET SUJET DE LA THÉOLOGIE.

— Le sujet d’une science, c’est la réalité dont on traite dans cette discipline, plus exactement encore, d’après Aristote, // Anal., t. I, c. vii, 75 b 1 et c. x, 76 b 15, la réalité dont on démontre des passions ou des propriétés. Si l’on considère le sujet d’une science formellement, c’est-à-dire sous l’aspect selon lequel la réalité est considérée dans cette science, l’unité de

sujet est aussi essentielle à l’unité de la science que l’unité de lumière ou d’objet formel quo. Aussi Aristote et saint Thomas disent-ils que les deux choses se répondent et que l’unité d’une science exige l’unité de son genus subjectum comme celle de son genus scibile. In II Anal., t. I, lect. 15 et 41. D’où le souci de saint Thomas, Sum. theoi, I », q. i, a. 3, ad l um et a. 7, de montrer l’unité du sujet de la sacra doclrina, l’unité de la réalité dont on y traite.

Cette réalité, en théologie, est Dieu lui-même. C’est de lui et finalement de lui seul qu’on traite dans cette science qui est un « discours sur Dieu », sur Dieu considéré non pas dans sa causalité, où on ne le connaît que d’une manière relative, non tanquam subjectum scienliir, sed tanquam principium subjecti, In Boet. de Trin., q. v, a. 4 ; Conl. Genl., t. II, c. iv, mais sur Dieu considéré en lui-même, dans son absolu, tel qu’il apparaît à son propre regard et tel qu’il ne peut être connu à d’autres que par révélation surnaturelle. La théologie a pour sujet la même réalité qui est le principe de notre béatitude, ce que la parole de Dieu nous révèle et à quoi adhère notre foi, illa quorum visione perjruemur in vila œlerna.

Cependant, objectera-t-on, elle traite également des anges, de la sainte Vierge, des hommes et de leur vie morale, de l’Église, des sacrements, etc. C’est vrai, et ces différentes réalités font, dans l’enseignement théologique, l’objet d’autant de « traités particuliers. Mais, comme le remarque saint Thomas, elle ne traite de ces réalités que sub ralione Dei, quia habent ordinem ad Deum ut ad principium et finem. Sum. theol., I », q. i, a. 7. La théologie n’est nullement faite d’une anthropologie, d’une angélologie, d’une étude des réalités sacramentaires poursuivies pour elles-mêmes. Elle est et elle est uniquement une étude de Dieu en tant que Dieu, sub ralione Dei. Mais, comme le monde entier a ordre à Dieu, ordre de procession comme à sa eause efficiente et exemplaire, ordre de retour comme à sa cause finale, la théologie considère aussi toutes choses en tant qu’elles vérifient à quelque degré la ratio Dei, en tant que Dieu est impliqué et comme investi en elles.

C’est le programme qu’a rempli saint Thomas, laissant cette idée toute simple organiser sa synthèse en ce plan de la Somme que le prologue de la I » pars, q. ii, énonce en termes si sobres. De même que par la charité nous aimons dans les créatures raisonnables le bien divin qu’elles possèdent ou dont elles sont capables, ainsi par la Révélation et dans la foi d’abord, puis d’une manière rationnelle dans la théologie, nous conons Dieu en lui-même et toutes choses en tant qu’elles ont rapport au mystère de Dieu et que, pour la béatitude des élus, elles sont associées à ce mystère. Ainsi, en traitant des anges, des sacrements, etc., la théologie garde-t-elle son caractère objectivement théologal.

C’est à cette constitution théologale de la théologie, tdence des objets de la foi, que se rattache la vue très profonde de saint Thomas, récemment remise en lumière, sur l’unité et l’ordre des dogmes ou articuli ftdei ; cf. I.. Charlier, Lssai sur le problème théologique, p. 123 136. La tradition théologique donnait une grande attention au texte de l’épître aux Hébreux sur la nécessite" de croire que Dieu existe et qu’il est rémunérateur de ceux qui le cherchent ». Hcbr., xi, G. Siiint rhomas donne de cette définition de saint Paul l’équivalent déjà noté : quorum visione prrjruemur m vila mterna < ! >cr qum ducimur ad uitam « ter nom. lour lui. toute la Révélation, toute la foi, et « loue toute la théologie se réfèrent à ce double objet : Dieu béatifiant, l’économie divine des moyens de la béatitude, e t-à-dirc encore au double mystère de l’un ; le mystère nécessaire de sa vie trinitaire et la

mystère libre de notre salut par l’incarnation rédemptrice. Tous les autres dogmes se ramènent à ces deux credenda essentiels. Les autres articles de foi ne sont, pour saint Thomas, que des applications ou des explications de ces deux articles essentiels. De veril., q. xiv, a. 11. C’est ainsi qu’il y a, dans la Révélation et donc dans la théologie, une hiérarchie, un ordre, où se manifeste l’unité du sujet dont on y traite. Nous verrons bientôt l’intérêt de cette vue pour la notion de la théologie comme science.

Au début du xixe siècle, plusieurs théologiens, héritant de la tendance à construire le donné dogmatique en « système », mais animant cette tendance par l’inspiration romantique du vital ou de l’organique, et par le point de vue philosophique d’une « idée » qui se développe dynamiquement, ont donné pour principe organisateur à la dogmatique, non pas le mystère de Dieu, mais la notion de Royaume de Dieu : ainsi J.-S. Drey, J. Hirscher, B. Galura, le cardinal Katschthalter, etc. Cf. J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzeit, t. i, n. 152 sq. ; t. v, n. 297 sq. ; K. Wcrner, Geschichte der kathol. Theol. seit dem Trienter Concil, 1866, p. 258 sq. ; J. Diebolt, La théologie morale cathol. en Allemagne, p. 181 sq. ; J. Ranft, Die Stellung der Lehre von der Kirche im dogmatischen System, Aschaffenbourg, 1927, p. 3 et 113 ; F. Lakner, dans Zeilsch. f. kathol. Theol., 1933, p. 172 et 179 ; enfin, pour une critique, cf. H. Klee, Katholische Dogmalik, 3e éd., Mayence, 1844, t. i, p. 384. L’idée a été reprise de nos jours par L. Bopp, Théologie als Lebens-und Volksdiensl, 1935. Ces idées procèdent plus d’un point de vue descriptif et d’une organisation empirique des éléments de la dogmatique, que d’un point de vue véritablement formel : Altendenles ea quæ traclantur in ista scienlia, et non ad ralionem secundum quam considerantur. Sum. theol., I », q. i, a. 7.

Tout en se défendant de toucher à la question du subjectum de la théologie, le P. E. Mersch, S. J., a récemment repris une position très voisine de celle qui assignait pour objet à la théologie le Christus lotus. Voir Le Christ mystique centre de la théologie comme science, dans Nouv. revue théol., t. lxi, 1934, p. 449475 ; L’objet de la théologie et le « Christus totus », dans Recherches de science relig., t. xxvi, 1936, p. 129-157 ; cf. J.-A. Jungmann, S. J., Die Frohbotschaft und unsere Glaubensverkùndigung, Ratisbonne, 1936, p. 20-27. Le P. Mersch convient que Dieu en sa déité est le sujet de la théologie et le principe d’intelligibilité en soi de tout le révélé ; mais il pose la question de savoir quel est le mystère qui est pour nous le moyen d’accès et le principe d’intelligibilité de tous les autres, quelle est la doctrine qui, pour nous, fait l’unité de toute la dogmatique et représente le « premier intelligible » par rapport auquel tout le reste nous est accessible et systématisable : et il répond que c’est la doctrine du Christ mystique, Christus lotus. Il n’a pas de peine à montrer que les autres mystères ont tous rapport au mystère du Christ mystique, qui est bien le mystère central.

Il est vrai qu’au point de vue d’une union effective et d’une assimilation vitale à ces mystères, la Trinité et la grâce ne nous sont accessibles que par le Christ et dans le Christ. Dans cet ordre de l’union « le charité et de vie, dans l’ordre de la perception des mystères par la oie mystique, il est bien vrai que la réduction au Christ » est moyen et mesure ; mais c’est là un autre point de vue que celui de la science théologique, laquelle regarde les mystères et le Christ lui-même par mode intellectuel, notionnel. spéculatif, et mm par mode allcctif < vltaL II ne serait pas difficile de montrer que, dans la thèse du I’. Mersch. il ; i un bll parfaitement conscient, semble-t-il, des deux points de vue : cf. se p. 154 et 471-475. Si donc l’on ne veut

signifier ainsi qu’une différence dans ! e mode d’enseignement et la distribution pédagogique des doctrines, nous serons parfaitement d’accord avec l’auteur. Mais, si l’on entendait par là qu’il y aurait vraiment, dans l’ordre même des objets et de leur économie intelligible, deux théologies, alors nous refuserions notre suffrage et penserions que la tradition ne va pas dans ce sens ; cf. pour saint Augustin, Rech. de théol. ancienne et médiévale, t. ii, 1930, p. 410-419, et pour saint Thomas, Bull, thomiste, Notes et communie, janvier 1931, p. 5*-7*. C’est vraiment Dieu, et les autres mystères sub rutione Dei, qui est le sujet de la sacra doctrina en ses différents états d’enseignement révélé, de catéchèse ou de prédication et de science théologique.

IV. LA THÉOLOGIE SCIENCE.

La théologie est la forme rationnelle et scientifique de l’enseignement chrétien. Yérifie-t-elle la qualité de science et comment, elle qui dépend entièrement de la foi surnaturelle pour la possession de son objet ? La réponse à cette question dépend de la notion qu’on se fait de la science. Aussi faut-il l’envisager d’abord au point de vue de la notion de science empruntée à Aristote, qui fut celle de saint Thomas, puis du point de vue d’une notion de la science que l’on puisse considérer comme assez communément admise de nos jours.

La théologie science au point de vue scolastique.


Il y a science, selon Aristote et les scolastiques, quand on connaît une réalité dans une autre qui est sa raison, et donc quand on connaît une chose par la cause pour laquelle elle est et ne saurait être autrement qu’elle n’est. S. Thomas, II Anal., t. I, lect. 4. La science est connaissance dans la cause, dans le principe, m principio. Chez nous, cette connaissance n’est pas intuitive, mais discursive ; nous ne voyons pas les conséquences dans leur principe, les propriétés dans leur sujet essentiel, mais nous avons à les en déduire ou à les y rattacher par un raisonnement proprement dit cpii est le raisonnement démonstratif : la science, pour nous, n’est pas seulement connaissance in principiis, mais ex principiis. Sum. theol., I", q. lxxxv, a. 5. La démarche idéale de la science se construisant par raisonnement démonstratif part de la définition du sujet, c’est-à-dire de la réalité dont on traite, et se sert de cette définition pour démontrer l’appartenance à ce sujet de telle ou telle propriété. S. Thomas, // Anal., t. I, lect. 2. Ainsi la lumière de la définition initiale se communique aux conclusions et, selon que les définitions, postulats ou principes initiaux sont connus dans telle lumière, elle-même déterminée ou caractérisée par tel degré d’abstraction, on obtient des conclusions d’une certaine qualité scientifique. Ainsi l’idée ancienne de science est-elle de reconstruire par l’esprit, au moyen du raisonnement, les enchaînements ontologiques selon lesquels ce qui est dérivé ou subséquent, dans les choses, se fonde et trouve sa raison explicative en ce qui est premier et principal. S. Thomas, ibid., lect. 41.

Quand saint Thomas, se demandant si l’enseignement chrétien, sacra doclrina, vérifie la qualité de science, répond affirmativement, il est à présumer qu’il entend la science à la manière d’Aristote, pour autant du moins que cette manière peut s’appliquer à la théologie. Il ne s’agit pas, pour saint Thomas, d’identifier purement et simplement la théologie avec une science, avec une science répondant de tous points au schéma aristotélicien ; et peut-être ses commentateurs ont-ils trop exclusivement affirmé cette identification. La manière dont saint Thomas introduit la question qui nous occupe, In Boet. de Trin., q. ii, a. 2 et Sum. theol., I », q. i, a. 2, signifie ceci : est-ce que, dans son éminence, l’enseignement chrétien vérifie, parmi d’autres, la fonction et la qualité de science ? Or, la théologie, se fondant sur la Révélation, répond

aux deux exigences de la science. D’abord, l’enseignement chrétien nous présente des vérités qui sont effectivement le fondement d’autres vérités. Certes, la foi, qui a pour motif formel unique et direct ! e témoignage de Dieu proposé par l’Église, adhère aussi immédiatement aux unes qu’aux autres ; mai-, quand nous essayons de retrouver les valeurs et les rapports intelligibles réels entre les vérités de l’enseignement chrétien, alors ces vérités se construisent selon un ordre d’intelligibilité où celles qui expriment des réalités secondes et dérivées sont rattachées, comme des conclusions à leur principe, des effets à leur cause, des propriétés à leur essence, à celles qui expriment des réalités premières et principales. C’est ainsi, par exemple, que l’enseignement chrétien me livre et l’idée de l’omniprésence divine, et celle de l’omnicansalité divine ; mais il ne me dit pas, par lui-même, que l’omniprésence soit fondée dans l’omni causalité : il me le dit si peu que certains théologiens, comme Suarez, fondent l’omniprésence de Dieu dans son immensité, elle aussi enseignée par la foi. On voit comment les éléments mêmes de l’enseignement chrétien sur le mystère de Dieu peuvent faire l’objet d’une considération scientifique dans laquelle on s’efforce de « retrouver en quelque aspect de l’essence de Dieu la raison d’être d’autres aspects qui leur sont intelligiblement postérieurs, et la raison d’être de tout ce qu’il fait ». R. Gagnebet, dans Revue thomiste, 1938, p. 219.

Selon saint Thomas, il y a science quand ex aliquitus notis alia ignolioru cognoscuntur, et l’enseignement chrétien prend une forme de science quand ex his quæ fide capimus prima ; veritati inhserendo, venimus in cognitionem aliorum secundum modurn noslrum, scilicel discurrendo de principiis ad conclusiones. In Boet. de Trin., q. ii, a. 2. Noire science à nous est discursive et procède par raisonnement ; mais, sur la base de ce que Dieu nous a communiqué de sa science de lui-même, à quoi nous adhérons par la foi, nous nous efforçons de rattacher les ignotiora aux notis et finalement toutes choses, hiérarchiquement, au mystère unique et à la lumière seule première de Dieu. In Boet. de Trin., q. ii, a. 2. La théologie est science, et eile tend même à imiter, modo humano, la science de Dieu : impressio divinse scientiiv. va jusqu’à dire saint Thomas, Sum. theol., I », q. î, a. 3, ad 2um ; cf. In Boet. de Trin., q. iii, a. 1, ad 4um. Ceci n’est pas une formule éloquente, mais une expression techniquement précise de ce qu’est la théologie pour saint’1 bornas. Ainsi la théologie nous apparaît-elle comme un effort, de la part de l’être rationnel croyant, pour repenser la réalité comme Dieu la pense, non plus au plan de la simple adhésion de la foi, mais au plan, avec les ressources et par les voies de la connaissance discursive et rationnelle. Elle est un « double » de la foi, de mode rationnel et scientifique.

La théologie science au point de vue moderne.


Les théologiens modernes ne s’intéressent plus guère à la notion aristotélicienne de science, sauf par tradition d’école et la question de savoir si la théologie est une science est pour eux assez peu urgente. Mais, même si l’on demeure étranger à la conception ancienne de la science, il demeure intéressant de se demander si, pour un moderne, la théologie peut justifier la qualité de science. Seulement, les modernes n’ont pas une notion de la science de même type et de même portée que celle d’Aristote. La notion moderne de science, pour autant qu’il en existe une, c’est-à-dire l’ensemble des conditions auxquelles tout savant dira qu’il y a science, est beaucoup plus extérieure et plus relative. Sera science toute discipline qui pourra justifier d’un objet et d’une méthode propres et aboutir à des certitudes d’un certain type qui soient communicables à d’autres esprits. À ce prix, 461

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. PROBLÈMES DE STRUCTURE

tt>2

l’histoire et la sociologie, par exemple, seront considérées comme des sciences.

Cette notion de science pourra s’appliquer à la théologie par voie de comparaison et le résultat sera favorable si la théologie peut se présenter comme étant semblable à d’autres disciplines que nul n’hésite à qualifier de sciences. Les esprits modernes jugeront donc de la théologie d’après l’objet du savoir et la méthode employée ; ce point de vue méthodologique les amènera généralement à considérer les différentes méthodes particulières dont on use en théologie comme justifiant l’existence d’autant de sciences spéciales : théologie biblique, théologie historique, etc., assimilées aux sciences historiques ou sociales profanes. Quelle sera, dans cette perspective, la situation de la théologie proprement dite, c’est-à-dire de la théologie spéculative ? Considérée comme système de pensée, système de représentations, cette théologie serait, à coup sfir et pour le moins, une matière pour la science historique ; mais, considérée comme traitement philosophique de certaines convictions qui relèvent de la foi. elle semble bien s’occuper, elle aussi, d’un objet propre et selon une méthode propre et pouvoir dès lors trouver une place dans le monde des sciences.

Dans son Introduction à l’étude de la théologie, Paris, 1926, G. Rabeau a tenté de justifier, même aux yeux des philosophes incroyants, l’existence de la théologie comme science et de déterminer sa place dans une classification des sciences qui répondît aux exigences de la logique moderne. La théologie, dit-il, a droit de cité parmi les sciences, car : 1. elle a un objet scientifiquement fondé, puisqu’il y a un problème spéculatif de la religion qui est posé par la science et qu’il y a un problème pratique de la religion qui est posé par la vie ; 2. elle a de fait une méthode qu’il suffit d’analyser et de situer parmi les autres méthodes scientifiques ; 3. elle utilise enfin, pour mettre en valeur son objet, toutes les sciences modernes en harmonie avec son but. Elle mérite donc d’être classée parmi les sciences. Comment ce classement pourra-t-il s’opérer et se justifier ? L’auteur propose de mettre en œuvre, en cette question, la théorie des « collocations » formulée par Stuart Mill. Il y a des sciences complexes, dont le statut n’est pas défini par l’existence de leurs éléments, mais par le fait de la coexistence de ceux-ci : par exemple, c’est la rencontre des fossiles et des terrains qui permet de synthétiser le donné st i aligraphique et le donné paléontologique dans la géologie. De même la théologie n’est-elle pas définie par ses éléments, histoire ou Kolastique, textes ou déductions, mais par le fait de leur coexistence, par un tait de synthèse, une collocatlon. Or.ce qui met l’histoire et les faits en rapport avec le dogme ou la pensée religieuse, c’est la foi ; dr même que la stratigraphie et la paléontologie sont uni liées pur le fait que tels fossiles gisent dans tels terrains, ainsi l’histoire et la spéculation théologlque trouvent leur unité dans la foi des croyants, celle <les Individus et surtout celle (le l’Église totale. Collocation humaine qui définit la I néologie comme science laie, et au delà de laquelle on peut d’ailleurs trous er, dans la science même de Dieu, une collocatlon suprême qui justifie souverainement la précédente ! Voir l’apprêt lation de cette idée par A. (iardeil, dans Revue de* sciences philos, et thdol., 1926, p. G01.

Sur la conception aristotélicienne de la science : O. l lamelin, Lt tgslrmt ! ’Vristole, pulil. pai L. Robin, Parts, 1020 ; itweiler, l/ir l’.njrif] >Ur Wissenscholt M ArUtoteltê, Bonn,

l’application de relie notion : i l ; i théologie dans la

iqur- : M. (iralimann, lier W imrnichnlUbegrl/l des M. Thomai von Aquln, dans l<- Vereintchrift <le la Gorrrs poui 1931, p. 7*-n* ; r. Simon, ErktnnlnttUuo Il i i*enxclwlt.br{jrifl in der Scholastik, 192Π; I i. Mai in-S "i.i. L’évolution hiiiiHiyêite du dogme catholique, t, i, p.66sq. ;

R. Gagnebet, La nature de la théologie spéculative, dans Reoue thomiste, 1938, p. 214-240 ; cf. aussi, 1939, p. 122 sq. ; L. Charlier, Essai sur le problème thfiologique, Thuillies, 1938, p. 26 sq. ; P. Wyser, Théologie als Wissenschajt, Salzbourg et Leipzig, 1938 (sur quoi, cl. L. Kfisters, Théologie als Wissenschaft, dans Scholastik, 1939, p. 23.1-240). Sur la notion de science qui semble assez commune pour les esprits modernes : P. Simon, Dur issenschaftsbegrifl seit Beginn der Neuzeit, dans le Jahresberichl de la Gorresgesellschaft pour 1932-1933, p. 45*-61* ; Qu’est-ce que la science ? (Cahiers de la Nouvelle Journée) ; Science et loi, V* semaine de Synthèse ; L’orientation actuelle des sciences, Paris.

III. Les problèmes de structuree i de méthode.

— Ces problèmes sont au nombre de trois, se référant respectivement, d’une part, aux deux composantes de la théologie, à savoir l’élément de donné positif et l’élément rationnel de concepts philosophiques et de raisonnement ; d’autre part, au produit du travail théologique qui, en sa forme la plus poussée, est la conclusion théologique. Ainsi avons-nous à examiner :

1. Le problème du donné et de la théologie positive ;

2. Le problème de l’apport rationnel et du raisonnement théologique ; 3. Le problème de la conclusion théologique et de l’homogénéité de la science théologique au dogme.

I. LE PROBLÈME DU DONNÉ ET DE LA THÉOLOGIE

positive. — On s’accorde, en somme, à envisager la théologie positive comme visant à établir l’appartenance d’une vérité à l’enseignement chrétien. Nous avons vu plus haut, col. 444, que cette preuve, conçue d’abord comme se faisant par l’appel aux textes de l’Écriture et aux monuments de la tradition, a été davantage conçue, depuis quelques générations, comme guidée par l’enseignement actuel de J’Église et ne pouvant se faire que dans sa lumière.

1° Raison d’être et notion de. la théologie positive. — La positive est la fonction par laquelle la théologie prend possession de son donné, ’foule science rationnelle met en œuvre la lumière naturelle de l’intelligence ; mais elle doit recevoir du dehors, et finalement par les sens, sa matière particulière. La théologie est science de la foi ; sa lumière existe donc en tout homme fidèle qui a, par la foi, un principe de connaissance des mystères surnaturels et, dans sa raison, la possibilité d’une élaboration et d’une construction scientifique de ces mystères. Encore faut-il que la foi, pure possibilité de connaissance, rencontre la détermination de ses objets. Ces objets étant surnaturels, leur déter initiation ne peut se faire que par une révélation divine. Certes, cette révélation pourrait être intérieure à chaque fidèle, comme elle le fut pour les prophètes et les apôtres. Mais le plan de Dieu n’a pas été tel. Dieu prend les hommes comme ils son !, en comme parties dans un tout en une unité spécifique el en des communautés sociales. Il traite l’humanité comme une seule espèce, comme un seul peuple, pomme une seule Église, et il lui adresse une révélation unique, sociale et collective. Aussi la détermination des objets de la fol, determinatio credendorum, s’opère t-elle non par une expérience Indépendante et personnelle, mais par une révélation et par un magistère sur naturels. S. Thomas, In Boet. de Trin., q. m. a. 1, ad 4um. C’est parce que la lumière surnaturelle donnée à chacun dans la loi est trop faible poui procurer à chacun, pour son propre compte, la connaissance et le discernement des objets de la foi. qu’il y a. dans l’ordre surnaturel, un magistère et que I Église pi un véritable pouvoir d’enseignement.

i oute l’explicitai ion de la roi i loi, liée a la

Révélation transmise, propo expli quée p.n la prédication apostoliqui vivant dans

lise. Cf. S. Thomas, Sum. theol., II « II », q. v, i oi p, et ad &—* ; q. vi, a. 1 ; In III iii, S< ;, L, « Iisl. X III.

463

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. LA THÉOLOGIE POSITIVE

464

q. iii, a. 2, ad l um, 2 am et 4um ; dist. XXV, q. i, a. 1, qu. 4, adl um ; InIV am, dist. IV, q.n, a. 2, sol. 3, ad l um, qui a cette formule si simple : Fides principaliler est ex infusione : et quantum ad hoc per baptismum datur ; sed quantum ad determinationem suam est ex auditu : et sic homo ad fidem per catechismum inslruitur. Cf. aussi Fr. Marin-Sola, Évolution homogène du dogme cathol., t. i, p. 202 sq.

Mais le catéchisme, qui suffit au fidèle pour l’explicitation de sa foi, suffira-t-il au théologien pour construire rationnellement sa foi ? Il est bien clair qu’en écoutant la simple prédication de l’Église, le théologien reçoit l’essentiel de ses principes. Et c’est pourquoi on a dit souvent que l’enqi ête positive n’était pour lui qu’une question de bene esse et que, s’il ne peut y avoir de théologie sans spéculation, il peut y en avoir une sans enquête spéciale sur le donné. Cette remarque, où il y a du juste, a poussé parfois certains théologiens à concevoir la théologie positive comme une sorte d’ornement ajouté du dehors à la théologie, mais ne faisant point partie de son activité essentielle et représentant plutôt une concession au goût du jour, ou une opération purement apologétique, ou encore une sorte d’alibi pour ceux qui, ayant perdu le sens de la contemplation théologique, se réfugieraient dans 1’» érudition ».

En réalité, la théologie positive se situe au cœur même de la théologie tout court. Elle est essentiellement un acte ou une fonction de la théologie et procède, à double titre, de la même nécessité que la théologie spéculative : 1. elle est nécessaire à la théologie spéculative, qui emprunte sa matière même à un donné positif. Il est exact que ce donné peut être tenu, dans ses grandes lignes, par le simple auditus fidei qui correspond, en tout fidèle, à la catéchèse chrétienne. Mais une théologie spéculative qui en resterait là n’obtiendrait jamais sa plénitude dans l’ordre même de la spéculation. À moins de devenir une sorte de philosophie des choses chrétiennes, elle devrait se limiter à des questions rudimentaires et ne serait pas nourrie de toute sa sève. Elle serait incapable de se constituer pleinement en son état de science. — 2. Non seulement la positive est nécessaire à la théologie spéculative, mais elle répond, à sa manière, au besoin qu’a la foi de se constituer à un état rationnel et scientifique par l’assomption des ressources propres à la raison et à la science. À la double face, à la double activité de la foi répond, dans la raison croyante qui devient, par là, théologienne, une double fonction ; l’une et l’autre ont besoin de se constituer en un état vraiment rationnel et scientifique, en assumant les exigences et les instruments de la raison ; ensemble, elles constituent le total développement de la foi dans la raison, sa pleine promotion en science.

A ce que la foi comporte de contemplation de son objet répond, comme sa promotion rationnelle et scientifique, la théologie spéculative ; à ce qu’elle comporte de soumission à la révélation de Dieu transmise par l’Église répond, comme sa promotion rationnelle et scientifique, la théologie positive. La première est l’état scientifique de V intelleclus fidei ; la seconde l’état scientifique de l’auditus fidei. Saint Augustin commentait la fameuse formule, Nrsi credideritis, non intelligelis, en disant que les deux éléments s’en distribuaient entre l’autorité et la raison : Quod intclligimus debemus rationi, quod credimus debemus auctoritati. De util, cred., c. xi, n. 25, P.L., t. xlii, col. 83. Mais il est clair que la foi est à la racine de Vintellectus et que la raison trouve une application dans la soumission même qui s’adresse à l’auctoritas pour donner à la référence du théologien, à ses sources et à ses autorités, un état, lui aussi, scientifique. Ainsi, d’une part, la jonction de la théologie à ses sources n’est pas pure ment scientifique ou rationnelle : c’est vraiment une œuvre de théologie, comme nous allons le marquer bientôt en distinguant théologie positive et histoire des doctrines chrétiennes ; et, d’autre part, cette jonction n’est pas une œuvre de pure foi, étrangère à toute rationalité ; mais, tout comme la raison s’applique à l’intérieur de la foi pour en chercher un intelleclus, elle s’applique également à l’intérieur de la foi, avec toutes ses ressources, pour s’en procurer un auditus aussi riche, aussi précis, aussi critique que possible.

Il reste a préciser cette notion de la théologie positive en déterminant successivement son objet formel quod, son objet tormel quo et sa méthode.

2° Objet formel « quod » de la théologie positive. — Tandis que l’objet formel de la théologie spéculative est l’intelligibilité rationnelle et scientifique du révélé ou de l’enseignement chrétien reçu dans la foi, la théologie positive concerne la réception même de ce révélé ou de cet enseignement chrétien. En tant que positive, elle regarde le révélé, pour le recevoir et le connaître, dans son état de chose transmise et offerte à l’adhésion et à la contemplation de la raison croyante, et elle use pour cela des ressources que la raison présente pour saisir un donné, plus précisément pour découvrir ce donné particulier qu’est la foi et l’enseignement ae l’Église. L’objet de la théologie positive est donc la connaissance de ce que l’Église enseigne et livre à notre foi : autant dire qu’elle a pour objet la tradition, dans le sens que des études récentes ont restitué à ce mot.

Quand le traité De divina tradilione s’est constitué comme un traité spécial, au xvie siècle, il..’est orienté, en fonction de la polémique protestante, dans le sens d’une distinction, dans les objets de la foi ou les dogmes, entre des dogmes contenus dans l’Écriture et des dogmes contenus dans « la tradition ». et dans le sens d’une justification de la tradition ainsi entendue. Ainsi était-on porté à concevoir celle-ci : t. comme désignant un certain ordre d’objets, 2. comme distincte de l’Écriture et 3. comme constituée par des textes et des documents anciens. C’est en somme cette idée de la théologie post-tridentine qui inspire encore, dans nos manuels de théologie, le fameux schème du Probatur ex Scriptura, ex tradilione…

Or, des monographies récentes ont montré que la conception ancienne et authentique de la tradition était un peu différente. Le sens premier du mot « tradition » est celui d’enseignement ou de prédication doctrinale, soit au sens objectif, ce qui est enseigné ou transmis, soit au sens actif d’action æ transmettre ou d’enseigner. Mais le sens le plus ancien, jusqu’à saint Irénée inclus, est le sens objectif : la tradition est l’enseignement, l’objet transmis par le Christ et les Apôtres, puis, d’âge en âge, par l’Église. Cf. B. Reynders, Paradosis. Le progrès de l’idée de tradition jusqu’à saint Irénée, dans Recherches de théol. ancienne et médiévale, t. v, 1933, p. 155-191 ; D. van den Eynde, Les normes de l’enseignement chrétien dans la littérature patrislique des trois premiers siècles, Paris, 1933. Cet enseignement comprend à la fois l’Écriture avec son contenu et les vérités non contenues dans l’Écriture et que l’on peut appeler « traditions » au sens étroit du mot. En un sens secondaire, on désignera par tradition les monuments ou témoignages que l’Église constitue et laisse de son enseignement au cours des âges et qui nous restent dans certains documents : écrits des papes, des Pères, des théologiens, textes des conciles, liturgie, inscriptions, etc. Cf. A. Deneffe, op. cil. infrai et ci-dessous l’art. Tradition.

La Révélation est un dépôt ; l’Église pourra bien prendre une conscience progressive de ce dépôt et en réaliser un développement progressif ; elle n’y ajoutera

rien qui lui soit objectivement étranger. S’il y a, dans l’Église et tout au cours de son histoire, des « révélations », celles-ci n’ajoutent objectivement rien a la connaissance du mystère de Dieu ; elles sont ou bien une lumière donnée soit à la hiérarchie, soit aux Pères, soit à l’Église dans son ensemble, pour une intelligence nouvelle et plus profonde de l’enseignement révélé, ou bien des « révélations privées » concernant la vie de l’Église, l’orientation de la piété, les fondations ou la conduite des âmes. Cf. J. de Ghellinck, Pour l’histoire du mot « revelare, », dans Recherches de science relig., 1916, p. 149-157 ; J. van I.ee, Les idées d’Anselme de Havclberg sur le développement du dogme, dans Analecta Præmonstralensia, t. xiv, 1938, p. 5-35 ; J. Ternus, Vom Gemeinschaftsglauben der Kirche, dans Scholaslik, t. x, 1935, p. 1-30 ; M.-J. Congar, La crédibilité des révélations privées, dans Vie spir., octobre 1937, Suppl., p. 29-48.

C’est pourquoi, dans la continuité de la « tradition », entendue au sens d’enseignement révélé transmis par l’Église, il y a lieu de faire une distinction entre la Iraditio consiitutiva, qui est renseignement-révélation des prophètes, du Christ et des apôtres, la trad.tio continuativa, enfin ajouterons-nous dans toute la mesure que réclame le fait du développement doctrinal, la iraditio explicativa, qui est la proposition, la conservation, l’explication et le développement par l’Église du népôt primitif. La traditio consiitutiva étant formée par l’apport révélateur des prophètes, du Christ et des apôtres, sans préjudice des sine scripto tradiliones, est laite principalement de l’Écriture sainte de laquelle les Pères anciens faisaient dériver toute la substance doctrinale de la Paradosis ecclésiastique. Quant à la trad.tio continuativa et à Y explicativa, elles consistent dans la proposition fidèle et l’explication progressive du dépôt, telles qu’elles se sont produites dans l’Église animée et dirigée par l’Esprit du Christ, depuis la Pentecôte jusqu’à nous. C’est ce témoignage social, selon toute sa réalité concrète et son développement successif, qui est l’objet ou la matière de la théologie positive. B.-M. Schwalm, Les deux théologies : la scolaftique et la positive, dans Revue des sciences philos, et théol., t. ii, 1908, p. 674-703 ; cf. M. Blondcl, Histoire et dogme, dans La Quinzaine, 16 janvier, 1 er février et 15 février 1904.

L’objet de la positive, c’est donc la tradition, c’est-à-dire l’enseignement transmis depuis le Christ et les apôtres jusqu’à nous par l’Église et qui s’est développé, quant à ses expressions et quant à l’intelligence que l’humanité croyante en a prise, petit à petit, jusqu’à nous, et qui est vivant dans l’enseignement de l’Église actuelle : id quod traditum est, id quod traditur. La théologie positive, c’est la sacra doclrina en tant qu’elle prend conscience de son contenu acquis. Llle trouve son objet dans les expressions, d’abord de l’Église actuelle, puis de l’Église totale en la continuité vivante de son développement (traditio continuativa et explicativa), enfin dans les sources qui, expression de la traditio constitutiva, sont la règle intérieure de la Paradosis ecclésiastique. Ainsi l’objet quod de la positive, c’est le témoignage total sur le mystère de Dieu, tel que, porté par les prophètes, le Christ et les apôtres, il existe, est conservé, interprété, développé <t proposé dnns et par l’Église du Christ et des apôtres, dans et par l’Église une et apostolique.

3° L’objet formel t 7110° ou la lumière de la théologie positive. Connaissance d’un enseignement révélé, la positive est théologie ; connaissance scientifique de nement, non dans le pur aurtltus fldel, mais dans unr recherche et une Interprétation des documents de lu tradition ecclésiastique, la théologie posl tive est une œuvre rationnelle. Seulement, la raison quie » t Ici associée à la fol n’est plus proprement la

raison spéculative : c’est la raison qui fait face aux documents bibliques et historiques où s’exprime la tradition ecclésiastique. La lumière de la positive est donc théologique, c’est-à-dire la lumière de la Révélation en tant que, au delà de la simple adhésion de la foi, elle rayonne dans la raison humaine, en utilise l’activité en vue de procurer un état humain, rationnel et proprement scientifique de l’auditus ftdei. Cette notion, de soi fort simple, peut s’expliciter en ces trois propositions :

1. La positive est une théologie, non une histoire. — L’histoire des doctrines bibliques et celle des doctrines chrétiennes ont matériellement le même objet que la théologie positive, mais elles regardent et atteignent cet objet sous une lumière et selon des critères différents. Nous pouvons avoir, du donné chrétien, une connaissance formellement naturelle et historique : histoire du peuple d’Israël, histoire des doctrines bibliques, histoire des doctrines chrétiennes. Ce n’est pas une telle connaissance, formellement rationnelle et historique, du donné, qui peut fournir à la théologie ses principes. Car, dans ce cas, il y aurait, entre le révélé et la théologie qui doit en être une interprétation rationnelle, une rupture de continuité : au point de vue noétique ou épistémologique, on changerait de genre ; cf. A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, p. 197 sq., 210-211. La théologie doit, pour rester la science de Dieu révélé, s’aboucher à son donné et connaître ses principes dans une lumière formellement théologique, avec des critères théologiques. C’est pourquoi la théologie positive est formellement différente de l’histoire des doctrines chrétiennes. Cf. A. Lemonnyer, Théologie positive et théologie historique, dans Revue du clergé français, mars 1903, p. 5-18 ; Comment s’organise la théologie catholique ? ibid., octobre 1903, p. 225-242 ; M. Jacquin, Question de mots : histoire des dogmes, histoire des doctrines, théologie positive, dans Revue des sciences philos, et théol., t. 1, 1907, p. 99-104, et cf. Ibid., p. 344 sq. ; B.-M. Schwalm, art. cité ; A. Gardeil, Donné révélé, p. 207 sq., 288 sq. ; G. Rabeau, Introduction à l’étude de la théologie, p. 153 sq.

2. La théologie positive, étant théologie, s’élabore en dépendance du magistère de l’Église. — Il s’agit, en effet, pour elle, de trouver et d’interpréter des documents et de connaître un passé en tant que documents et passé témoignent du mystère de Dieu révélé. Aussi est-ce le magistère qui seul peut dire quels sont les documents ou les hommes qui témoignent du révélé, et la valeur respective de leur témoignage. Pour l’Écriture, c’est bien clair. Le canon en est l’œuvre de l’Église, en sorte que l’Écriture n’existe pour nous comme Écriture, c’est-à-dire comme écrit inspiré et expression de la Parole de Dieu, que dans l’Église et grâce à la déclaration qu’en fait l’Église. De même est-ce l’Église qui possède le sens de l’Écriture, l’Église totale, celle d’aujourd’hui aussi bien que celle du passé. Aussi l’Église demande-t-elle qu’on interprète l’Écriture selon le consensus Palrum, la tradition de l’Église. Denz., n. 786 et 2146, et voir ici l’art. Interprétation de l’Écriture, col. 2294 sq,

3. S’il s’agit des Pères et des théologiens, c’est de l’approbation de l’Église, approbation qui peut d’ailleurs revêtir bien des formes, qu’ils tiennent, pour le théologien, leur aleur de témoins du donné chrét ien : Ipsa doclrina catholtcorum doctorum ab Eeelesia auctorilatem habel. Unie mugis standum est auctorttait Ecciasiet quani audorltati ml Augusltnt, vel Hteronymt, vel

ciijtisctimqiir dorloris. S. Thomas, Suin. theol., II*-II", q. x. a.)’2. Ceci se marquera Immédiatement dans le travail du théologien positif pour lui donner Uni une oriental ion. des critères différents de ceux du pur historien. Pourquoi, dans l’Hirit lire, ne cherehera-t-il PUS son donne dans le / V » Livre d’1 sdftU 0Il dans

{’Évangile de Pierre, sinon en vertu de critères propre-J ment théologiques reçus du magistère de l’Église ? De môme en matière patrislique.

C’est de cette différence de crilère et de source réelle de connaissance et d’appréciation que provient, entre la théologie positive et l’histoire pure, une certaine différence dans les résultats, différence dont la constatation provoque parfois une sorte de malaise. Il y a, en effet, parfois, du point de vue de l’historien, une certaine disproportion entre les affirmations que la théologie tient comme données et les preuves positives ou les appuis documentaires qu’on invoque en faveur de ces affirmations. Certes, comme nous le dirons à propos de la méthode, la théologie positive n’est jamais dispensée de loyauté et de rigueur ; mais, déjà guidée dans sa lecture des documents par un certain sens et une certaine connaissance de ce qu’elle y cherche, elle y découvre plus que ne peut le faire l’historien. A. Landgraf, Les preuves scripluraires et palristiques dans i’argumentation théologique, dans Revue des sciences philos, et théol., t. xx, 1931, p. 287-292 ; F. Cavallera, dans Bull, de littér. ecclésiast., 1925, p. 39 sq.

La méthode de la théologie positive.

Ce que nous

venons de dire de la lumière de la théologie positive nous indique la méthode qu’elle doit suivre. D’un mot, elle utilise les ressources de la raison historique à la manière dont la théologie spéculative utilise les ressources de la raison philosophique. Ceci comporte deux affirmations, dans la délicate conjonction desquelles réside le secret de la théologie positive : ces deux affirmations concernent respectivement les deux notions de ressources de la raison historique et d’utilisation.

1. Ressources de la raison historique.

Ce que la théologie spéculative demande à la raison philosophique, c’est qu’elle soit loyalement elle-même : de manière à lui apporter un service au’hentique et vrai. De même la théologie positive réclame-t-elle le service d’une raison historique loyale, maîtresse au maximum des différentes techniques. Il s’agit ici d’apporter au service de la connaissance théologique du révélé le maximum des ressources authentiques par lesquelles la raison croyante peut entrer en contact avec la Paradosis ecclésiastique, grâce aux documents bibliques et historiques, il est bien clair d’ailleurs qu’on ne peut demander au même homme de posséder toutes les compétences ; le travail théologique est un travail social et réclame des instruments de communication et de collaboration : collections, congrès, bibliothèques, revues surtout, qui sont, depuis le début du x : xe siècle, l’instrument le plus efficace des échanges et de la collaborât ion scientifiques.

Si des progrès sont encore à faire dans la théologie catholique en ce qui concerne l’ampleur et l’exactitude de l’apport positif, surtout peut-être en matière biblique, un progrès considérable a déjà été fait depuis le xix° siècle. On comprend que les exigences de chaque époque soient différentes en ce domaine. La théologie positive a du suivre les évolutions de la raison exégétique et historique. Celle-ci, dans son sens moderne, ne s’est pleinement affirmée qu’après la critique nominaliste et la renaissance humaniste, et plus tard au xixe siècle, déterminant alors la crise que nous avons évoquée plus haut ; mais, avant cela, la raison a eu sa manière de se référer au donné documentaire, et ce qui ne suffirait plus aujourd’hui à une raison historique plus avertie a pu suffire en un autre temps.

2. Leur utilisation.

De la même manière dont la raison philosophique n’est pas maîtresse en théologie spéculative, mais servante, c’est-a-dire accomplissant son travail sous la direction et le contrôle de la foi, de même la raison historique en théologie positive. C’est la condition pour que ses résultats soient vrai ment théologiques. La positive cherche à enrichir, par la connaissance de ses sources, la connaissance da la Paradosis ecclésiastique, qui est le « donné » de la théologie, et c’est pourquoi elle doit employer aussi loyalement et aussi intégralement que possible les ressources de la raison historique. Mais elle ne cherche dans le passé que le témoignage sur le mystère de Dieu révélé. Si elle s’intéresse à saint Augustin ou à la liturgie syrienne, ce n’est pas pour eux-mêmes, c’est en tant que ces choses représentent une expression de la Paradosis ecclésiastique et que le révélé s’y trouve développé et attesté. Aussi la positive ne cherehe-t-elle pas à en faire l’histoire pour elle-même ; mais surtout les étudie-t-elle sous la direction et selon les indications de la prédication ecclésiastique actuelle, en prenant son départ dans la pensée de l’Église actuelle. Cf. Rabeau, op. cit., p. 153 sq.

La méthode de la théologie positive, parce qu’elle est théologique, sera donc « régressive » selon le mot proposé par le P. A. Gardeil, dans Revue thomiste, 1903, p. 1 ; cf. Rabeau, op. cit., p. 155 ; ici, art. Dogmatique, col. 1524, 1533 ; H.-D. Simonin, dans Angelirum, 1938, p. 409-418. La théologie positive prend son point de départ dans le présent, dans l’enseignement actuel de l’Église, mais elle s’efforce d’enrichir ce que lui livre cet enseignement par une connaissance, obtenue en mettant en œuvre toutes les ressources de la raison historique, de ce que livre à ce sujet l’enseignement total de l’Église, le témoignage social intégral sur le révélé, lequel comprend avec l’Écriture, sa principalinr pars, tout le développement et toutes les expressions que le révélé a reçus dans l’Église à travers l’espace et le temps.

Voilà pourquoi la théologie positive trouve parfois dans un document qui, pour l’historien, n’aurait pas un semblable sens, un indice, une expression de la foi actuelle de l’Église ; ainsi, là où l’historien n’aurait pu conclure, le théologien positif, interprétant l’indice, retrouve la continuité du développement. C’est qu’il procède avec la certitude de l’homogénéité de celui-ci, le sens de cette homogénéité et la connaissance du résultat final, au moins en sa substance. Quand l’infaillibilité pontificale, par exemple, est officiellement acquise à la foi commune de l’Église, le théologien positif la retrouve exprimée ou suggérée en des textes, des faits ou des institutions où l’historien, légitimement, ne la voit pas. Car l’historien ne peut donner de sens à un texte que ce qui ressort du texte pris en lui-même ; pour lui, l’implicite n’existe pas, les indices de développements ultérieurs homogènes ne sont admis que difficilement et l’existence d’une doctrine n’est reconnue que si l’on en trouve l’expression documentaire explicite. Cf. Draguet, dans Apologétique, et cf. H.-D. Simonin, dans Angelicum, 1937, p. 143 sq. Pour le théologien positif, la signification d’un texte est éclairée par le dedans ; la plénitude de son sens lui est donnée du dedans, par la voie d’une lecture intérieure qui, sous le bénéfice de la continuité doctrinale, éclaire l’implicite par l’explicite et donne aux indices le sens que manifestera un développement ultérieur. Le texte n’est pour le théologien que le moyen d’une communion plus pleine avec une pensée vivante dont l’âme lui est actuellement donnée ; il s’agit pour lui de retrouver dans le passé les éléments de sa propre vie, de sa propre pensée. La référence au donné documentaire n’est pas, en théologie, une preuve extrinsèque aux assertions proposées ; elle est un élément même de la parole apostolique ou du savoir théologique. Cf. pour l’Antiquité, D. vanden Eynde. o/>.c17..p. 54 ; M.-J.Congar. L’esprit des Pères d’après Môhler, dans Vie spir., avril 1938, suppl., p. 1-25 ; pour le Moyen Age, J. de Ghellinck, dans À us der Geisteswelt des Mittelalters, Festgabe Grabmann, t. i, p. 413 sq., et R. Gagnebet,

dans Revue thomiste, 1938, p. 240 sq. De ce point de vue, l’histoire est plutôt une justification et un enrichissement de la pensée ou de la vie présentes qu’une restitution du passé d’après les documents.

Aussi, tandis que l’histoire des doctrines bibliques ou chrétiennes, tout en ayant une valeur irremplaçable de technique, sera toujours lacuneuse et n’aura jamais la valeur d’une explication totale, la théologie bihlique pourra avoir cette valeur. Parce qu’elle est théologie, la positive est, dans son ordre, une sagesse. Par quoi, d’ailleurs, elle rencontre la tentation de toute sagesse, et singulièrement de la sagesse théologique, qui est de négliger la connaissance des causes propres pour ne s’attacher qu’à l’explication transcendante : cf. S. Thomas, (’.ont. Cent.. t. II, c. iv, un chapitre de haute portée. Cette espèce de mentalité donnerait en théologie positive un faux surnaturalisme qui couvrirait en réalité, sous les droits du Transcendant, une ignorance, du réel. La théologie positive, si elle esi une utilisation des techniques historiques par une sagesse plus haute issue de la foi, ne vit cependant que d’une loyale utilisation des ressources authentiques et aussi intégrales que possible de la raison historique.

Réponse à quelques difficultés.

II nous reste à

préciser cette méthode de la positive en examinant quelques difficultés très réelles de son emploi. Ces difficultés concernent soit la valeur de vérité objective et, en somme, historique de la théologie positive (n. 1. 2), soit sa valeur dogmatique et régulatrice pour la théologie spéculative (n. 3).

difficulté.

I.e point de vue d’une justification

d’un donné actuel par les documents du passé, et l’emploi de la méthode régressive risquent d’amener le théologien positif à chercher non la vérilé de ce qui a été tenu par saint Léon, par exemple, ou par saint Alhanase, ou par saint Paul ; mais simplement des textes qui aillent dans le sens de ce qu’on veut dire soi même et qui puissent servir de confirmatur à une thèse tenue par ailleurs.

Réponse. - - Il ne s’agit pas proprement, en théologie positive, de savoir ce qu’ont pensé Alhanase ou Léon comme tels : c’est là le point de vue de l’histoire des doctrines chrétiennes et la compétence de la méthode historique ; il s’agit, pour mieux savoir ce que croit l’Église, et donc ce que Dieu a révélé, d’interroger saint Athanase et saint Léon comme témoins de la croyance de l’Église à un moment donné et dans des circonstances données ; on ne recherche en eux que la croyance de l’Église. Cependant, cette recherche ne peut enrichir notre connaissance du témoignage toujours actuel de l’Église, 1ml île la théologie positive, que si elle nous fait connaît le un aspect plus précis de ce témoignage de l’Église : précisément cel aspect qu’ont compris saint Athanase et saint Léon dans les circonstances qui ont été les leurs. Cette connaissance ne peut être obtenue que si la pensée d’Athanase ou de Léon sur le point envisagé est connue dans sa vérité historique, par une utilisation loyale des ressources île l’histoire. L’apport de la théologie positive à l’oeuvre théologique présuppose et utilise la méthode et les résultats de l’histoire (les dix Innés ehrél icniic.s. L’ordre est donc celui-ci : I. une reconstruction historique du passé chrétien, aussi loyale que possible, grflre à toutes les ressources de l’histoire : histoirt doctrine s chrétiennes ; 2. acte de foi et audilus fldei en dépendance de la Paradosis ou prédication ecclésiastique qui se continue, homogène, au travers des générations. .’!. iieliei, in d’un étal scientifique de cel audilus /iilri ei d’un enrichissement de notre connaissance du donne chrétien contenu et présenté dans la prédira lion ecclésiastique, par la connaissance des différents états, des différentes formes et expressions de !.i nice et de la doctrine de t i glise dans leui contti

tution première et au cours de leur développement : œuvre de la théologie positive poursuivie sous la direction de la foi. par la mise en œuvre et l’utilisation des résultats de l’histoire des doctrines ; 4. recherche d’un état scientifique de Vintcllectus ftdei par le tiavail spéculatif utilisant la lumière et les ressources de la raison pour construire en forme de science l’enseignement chrétien ainsi connu en sa plus grande précision, en sa plus grande richesse de donné.

2e difficulté. — Elle renouvelle un point de la précédente. La théologie positive a beau « utiliser » le travail de l’histoire, son point de vue n’est pas purement historique. Recherchant un enrichissement de sa connaissance de la foi de l’Église actuelle, elle est amenée à voir une continuité et une homogénéité formelles dans la similitude matérielle des expressions et, par exemple, là où il sera question chez un Père de dona Spiritus Sancti, à entendre indûment cette formule au sens où nous parlons aujourd’hui des sept dons du Saint-Esprit comme distincts des vertus ; cf. Charlier, Essai sur le problème théol., p. 165, n. 209, et p. 167, n. 212. C’est ainsi encore que, dans les textes des conciles, on cherchera la justification de positions théologiques d’école, que ces conciles ont cependant expressément voulu ne pas envisager et qui, parfois, ne se sont fait jour que longtemps après eux. Cf. Charlier, op. cit., p. 159 sq., et H. Lennerz, Das Konzil von Trient und theoloaische Schulmeinungen, dans Scholastik, 1929, p. 38-53.

Réponse. — Ces choses relèvent de la loyauté et de la rigueur dans la documentation et dans l’usage des méthodes d’interprétation que la théologie positive met en œuvre. Documentation et Interprétation doivent être portées à un étal véritablement scientifique et critique ; à défaut de quoi, malgré des apparences de citations et un étalage de références, il n’y aura pas de théologie positive. La critique d’interprétation mise en œuvre par celle-ci est double : elle est d’abord historique ; elle est ensuite théologique, relevant de ce traité méthodologique et critique des sources et des règles de la pensée théologique qu’est le traité des lieux théologiques.

3e difficulté. — La science se fait par le savant ; l’esprit a une part non seulement dans l’interprétation des faits, mais dans la construction du fait comme tel et dans la réception de l’expérience. Quelque exigence qu’ille apporte en ses démarches, la théologie positive reste l’œuvre du théologien ; elle comporte une part Irréductible d’interprétation personnelle, voire de choix dans la documentation. Souvent les textes ne s’imposeront pas au choix ou à l’interprétation d’une manière telle qu’elle exclue ce facteur personnel qui jouera, chez chacun, dans le sens de ses options persni m elles ou corporatives. Ls scotlste trouvera des textes des Pères grecs qui lui sembleront, à l’évidence, aller dans le sens de sa t hese sur la primauté du Christ ; de même le molinlste trouvera t il chez les Pères grecs encore des textes qui lui sembleront appuyer sa théo rie sur la prédestination posl prseoisa merita et la nonprédétermination physique des actes libres, etc.

Réponse. - I.e p. Simonin a envisagé celle difficulté dans une Note sur l’argument de tradition et la théologie, dans Angelicum, 1938, p. 409 iih. Il élimine d’abord, comme critère d’interprétation, une option inspirée par l’expérience religieuse ou, comme on dit, la « spiritualité » personnelle du théologien ; il écarte ensuite, comme critère, l’harmonie d’une interpréta

lion avec la cohérence interne de la construction Intellectuelle ou du système spéculatif, car ce serait user, comme d’un rrilcre, de ce qui est en question II relient, en somme, comme principe d’interprétation, l.r doi llité au magistère ec » lésiastique : car il ne s’agit pas de trouver des appuis pour une théorie pei sonnelle,

mais bien d’enrichir, par la connaissance de toutes ses expressions, Vauditus du témoignage apostolique qui est déposé, s’explique et se perpétue dans l’Église. C’est la pensée de celle-ci que recherche le théologien positif. Il demande à ceux qui, ayant vécu et pensé en elle, ont su exprimer et parfois expliciter la foi de la Calholica, un témoignage sur ce qu’ils tenaient d’elle, sur ce qu’elle a exprimé en eux et peut nous apprendre par eux. Le théologien, d’ailleurs, peut recourir, en même temps qu’aux indications du magistère à ce contrôle et à cet enrichissement que chacun reçoit dans la communion et dans le commerce de tous les autres. C’est un des éléments de la vie et du progrès scientifique que cette collaboration, cette critique mutuelle de normes de vraisemblance et de renforcements de probabilités. Le théologien est un savant et sa méthode bénéficie de cette collaboration, de cette réduction, de ce contrôle mutuel dont le commerce scientifique est la source. Il est aussi un fidèle et il trouve les mêmes bienfaits dans l’ordre de la foi et de la pensée religieuse, au sein de la communauté catholique, tant qu’il est vivant dans cette communion ; cf. M.-J. Congar, Chrétiens désunis, p. 52 sq.

On voit aussi par là qu’il y aurait quelque étroit esse à limiter les investigations du théologien aux données pour lesquelles il bénéficierait des indications explicites du magistère. En réalité, d’abord, le magistère ordinaire de l’Église a des formes très variées et, comme l’a bien noté Vacant, Le magistère ordinaire de l’Église et ses organes, Paris, 1887, p. 27 et 46 sq.. il va jusqu’à enseigner d’une manière tacite, en laissant penser, dire et faire de telle ou telle manière. Ensuite, dans le silence du magistère hiérarchique, il y a une conservation et une éducation de la foi qui se fait dans tout le corps de l’Église. Enfin, l’enquête historique peut fournir par elle-même des données assez fermes pour donner à la théologie des principes sûrs, même en l’absence de toute « définition » par le magistère, comme c’est le cas, par exemple, pour la notion de la causalité instrumentale de l’humanité du Christ, ainsi que l’a montré le P. Simonin, De la nécessité de certaines conclusions théologigues, dans Angelicum, 1939, p. 72-82. Cf. C. Labeyrie, La science de la foi, p. 531.

Sur la théologie positive et le débat auquel elle a donné lieu au début du xxe siècle : L. de Grandmaison, Théologiens scolastiques et théologiens critiques, dans les Études, t. lxxiv, 1898, p. 26-43 ; Mgr Mignot, La méthode de la lliéologie, dans Reoue du clergé français, t. xxix, décembre 1901, repris dans les Lettres sur les éludes ecclésiastiques, Paris, 1908, p. 291 s<(. ; J. Brucker, La réforme des éludes dans les grands séminaires, dans les Études, t. xcii, 1902, p. 597-615 et 742-754 ; M. -Th. Coconnier, Spéculutive ou positive ? dans Revue thomiste, 1902, p. 629-653 ; A. Lemonnyer, Théologie positive et théologie historique, dans Revue du clergé français, t. xxxiv, 1903, p. 5-18 ; Comment s’organise la théologie catholique ? ibid., t. xxxvi, 1903, p. 225-242 ; P. Bernard, Quelques réflexions sur la méthode en théologie, dans les Études, t. ci, 1904, p. 102-117 ; P. Batilïol, Pour l’histoire des dogmes, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. 152-164 ; Évolutionnisme et histoire, ibid., 1906, p. 169179 ; M. Jacquin, Question de mots : histoire des dogmes, histoire des doctrines, théologie positive, dans Revue des sciences philos, et théol., t. i, 1907, p. 99-104 ; B.-M. Schwalm, Les deux théologies : la scolastique et la positive, ibid., t. ii, 1908, p. 674-703 ;  !.. Saltel, Les deux méthodes de la théologie, dans Bull, de liltér. ecclésiast., 1909, p. 382-397 ; F. Cavallera, La théologie historique, ibid., 1910, p. 426-434 ; Ed. Hugon, De la division de la théologie en spéculative, positive, historique, dans Revue thomiste, 1910, p. 652-656 ; H. Hedde, Nécessité de la théologie spéculative ou scolastique, ibid., 1911, p. 709-723 ; A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; F. Cavallera, La théologie positive, dans Bulletin de littér. ecclésiast., 1925, p. 20-42 ;.M. Scliumpp, Bcdeutung und Behandlung der Heiligen Schriil in der sqstematischen Théologie, dans Théologie und Glaube, t. xxi, 1929,

p. 179-198 ; A. Antweiler, Ueber die Beziehungen zwischen historischen und sijstematischen Théologie, ibid., t. xxix, 1937, p. 489-497.

Parmi ces études, celles de Schwalm, Saltet, Hugon, Coconnier sont spécialement orientées vers une ullirmation de la nécessaire union de la positive et de la spéculative. Voir aussi en ce sens, Bellamy, La théologie catholique au XIX’siècle, p. 182-187, et T. Richard, Étude critique sur le but de la scolastique, dans Revue thomiste, 1904, p. 167-186, 416-436, et Usage et abus de la scolastique, ibid., p. 564-582.

Sur le travail de la théologie positive comme conditionné par le magistère de l’Église : N.-J. Laforèt, Dissertatio hislorico-dogmalica de methodo theologiæ sive de auctoritate Ecclesise catholicæ tanquam régula l’idei christianæ, Louvain, 1849 ; M. Jacquin, Le magistère ecclésiastique source et règle de la théologie, dans Revue des sciences philos, et théol., t. vi, 1912, p. 253-278 ; A. Landgiaf, Les preuves scripluraires et patristiques dans l’argumentation théologique, dans Revue des sciences philos, et théol., t. xx, 1931, p. 287-292 ; J. Hanft, Die Tradilionsmethode, cité supra : H.-D. Simonin, Note sur l’argument de tradition en théologie, dans Angelicum, t. xv, 1938, p. 409-418 ; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, Thuillies, 1938, p. 58 sq. ; P. Wyser, Théologie als Wissenschalt, Salzbourg et Leipzig, 1938, p. 112-120, 128 sq., 159. — Et comp. supra, col. 426.

II. LE PROBLÈME DE L’APPORT RATIONNEL ET DV

raisonnement THÊOLOOiQUE. — 1° Le problème. Il

peut se poser ainsi : même en admettant qu’il y ait, entre l’univers de notre connaissance naturelle et l’univers de la foi, une certaine proportion, analogia entis, le monde révélé est proposé à notre foi précisément comme quelque chose d’autre que notre monde naturel, quelque chose de nouveau, dont on ne peut se représenter par la voie de la raison que ce qui est justement le moins lui-même. La Révélation est faite, précisément, pour nous faire connaître des choses inaccessibles à notre savoir et cependant nécessaires à l’accomplissement de notre destinée. Et même lorsqu’elle parle des choses que nous connaissons, au moins par un côté, elle en parle non pour nous en faire connaître la nature, les propriétés ontologiques ou physiques, mais pour nous en enseigner un usage conforme à l’orientation de notre vie vers Dieu. N’est-ce pas, au fond, le problème que posent directement des textes de l’Écriture du genre de ceux-ci : « Nous prêchons une sagesse qui n’est pas de ce siècle (de ce monde)…, des choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a pas entendues… Or, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous sachions les choses que Dieu nous a données. Et nous en parlons, non avec des discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, employant un langage spirituel pour les choses spirituelles, » I Cor., ii, 6, 9, 12-13 ? Comment peut-il y avoir une théologie chrétienne qui emploie, pour se constituer, la connaissance philosophique de ce monde ?

Techniquement, la difficulté se présentera ainsi : si l’on emploie, pour constituer la théologie, des notions philosophiques, ou bien l’on syllogisera à quatre termes, ou bien ce qu’on fait ne signifiera rien et n’apportera rien, ou bien on ramènera l’Écriture au sens des catégories philosophiques utilisées. Soit, en effet, un raisonnement de ce genre, dont il n’y a d’ailleurs pas lieu de se demander s’il aboutit à une con clusion théologique nouvelle, contenue ou non dans la Révélation :

Le Christ est roi (révélé : Joa., xviii, 37) ;

Or, tout roi possède le pouvoir de juger et de condamner ses sujets (principe philosophique : saint Thomas, Sum. theol., III*, q. xi ix, a. 4, ad l" iii) ;

Donc le Christ possède le pouvoir etc.

La qualité royale du Christ est révélée dans maint passage de l’Écriture sainte, mais elle est révélée dans son ordre à elle ; sa royauté est expressément pré

sentée par lui comme étant « de l’autre monde » et obéissant à des lois bien différentes de celles que suivent les rois terrestres. Or, dans la mineure (ou majeure, si l’on remet l’argument en forme) philosophique, la royauté est prise dans sa notion philosophique humaine. Et l’on cherche à progresser dans la connaissance de la royauté du Christ et de ses « propriétés », grâce à la connaissance, apportée par la mineure philosophique, d’une des propriétés de toute royauté et donc également de la royauté du Christ. On voit la difficulté : ou bien il n’y a aucun apport philosophique, et alors ce raisonnement ne signifie rien ; ou bien il y a un tel apport, mais alors on raisonne sur deux notions de la royauté, l’une révélée et spéciale, l’autre philosophique et générale, et l’on syllogise à quatre termes ; ou enfin on ramène la royauté surnaturelle et révélée du Christ dans le cadre de la royauté en général, telle que la réalisent les hommes et que la définit la sociologie rationnelle. Si l’on met notre raisonnement en forme, le principe philosophique y joue le rôle de majeure ; il se subordonne la vérité révélée et la royauté du Christ n’y est traitée que comme un cas de la royauté humaine en général, c’est-à-dire qu’elle perd sa spécificité surnaturelle, que Dieu devient pour nous un roi parmi les autres, alors que toute la Révélation cherche à nous faire savoir qu’il est le seul… C’est bien à cela, diront certains, qu’aboutit en effet la théologie » scolastique », c’est-à-dire celle qui s’est construite en assumant des données philosophiques. Pour avoir construit rationnellement la morale, on y a perdu de vue l’anthropologie biblique, où l’homme est essentiellement chair et esprit, pour prendre une anthropologie philosophique, où l’homme est matière et forme ; on a fait de l’Eglise une société de même type que les autres, différente simplement par son but et ses pouvoirs ; on a fait des sacrements de simples cas de causalité instrumentale, etc.

Une comparaison très heureuse que donne Scheeben peut nous permettre de réaliser encore mieux la difficulté du problème. Dogmatique, n. 862 ; Mysterien des Christentums, § 107, n. 3. Soit un voyageur faisant le récit de ce que sont, dans une montrée lointaine, un climat, une tlorc et une faune tout à fait différents de ceux que nous connaissons. Le simple fidèle est semblable à celui qui se contenterait d’écouter, d’admettre ce qu’on lui rapporte et d’agir en conséquence ; mais le théologien est l’homme qui, ayant écouté et admis, s’efforcerait de comprendre en recourant au monde qu’il connaît, à la connaissance qu’il a du climat, de la flore et de la faune du pays qui est te sien.

Réponse.

En face du problème que nous venons

de poser, il y aurait une autre hypothèse : que les notions rationnelles introduites en théologie spéculative ne soient ni vaines, ni parallèles et étrangères aux vérités de foi, ni dominatrices et assimilatrices de celles i i. mais soient assimilées par celles-ci et ramenées à leur sens. (Ici le hypothèse est en réalité la vraie, comme nous allons le montrer.

Il n’y a, pour notre esprit, qu’une manière de progresser intellectuellement dans la connaissance des n : y stères, c’est d’analyser le contenu des concepts dans lesquels ils nous ont été révélés pur Dieu, de déduire des essences les propriétés, fie rattacher les effets aux ii, bref d’analyser, d’expliquer et d’organiser rationnellement. La théologie consiste en cela. C’est pour cela qu’elle applique aux concepts choisis par Dieu dans notre monde pour se révéler les élabora*’ions des concepts correspondants auxquelles notre esprit ; i pu parvenir d : ms les différentes sciences qui les concernent, (/est ainsi que, si Dieu se dévoile comme personne, nous révèle qu’il y a en lui l’ère et etc., la voie d’une perce pi ion intellectuelle de i es vérités sera pour nous celle d’une application à ce

donné révélé, formulé en notions de notre monde, des élaborations que ces mêmes notions auront pu recevoir dans les disciplines humaines qui les étudient.

Mais il faut bien voir la condition nouvelle de ces notions désormais empruntées aux sciences par la théologie. Certes, les élaborations dont on fait maintenant profiter la théologie ont été obtenues par une étude des choses créées et sensibles qui constituent nos objets de connaissance ; mais leur validité et leur efficacité au regard de la représentation des mystères font l’objet d’une garantie, dont l’initiative et la responsabilité reviennent à Dieu lui-même : leur application aux mystères pour les représenter authentiquement est autorisée par Dieu lui-même qui, en se révélant comme personne, comme Père et comme Fils, détermine lui-même quels sont les concepts et les réalités créés qui ont une valeur de similitudo suse sapientiæ. Ces concepts ne sont plus, dès lors, des analogies philosophiques appliquées par l’homme sous sa seule responsabilité en vertu du principe transcendant de causalité ; ce sont des analogies révélées, reçues dans la foi et dont l’homme connaît dans la foi la valeur de représentation. Sur les analogies de la foi ainsi entendues : J. Maritain, Distinguer pour unir ou les degrés du savoir, Paris, 1932 ; cf. M. T.-L. Penido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Paris, 1931 ; G. Sôhngen, Analogia fidei : Gottâhnlichkeit allein aus Glauben ? dans Calholica, t. iii, 1934.

Nous commençons donc à entrevoir la solution de nos difficultés. Les notions de raison employées en théologie pour exprimer renseignement de la foi selon un mode rationnel et scientifique ne sont plus de pures notions de raison philosophique ; elles sont en efïet soumises aux analogies de la foi, jugées, corrigées, mesurées, approuvées par elles et, par là, amenées à la dignité d’une analogie théologique, objet de raison théologique, de cette ratio fide iltuslrala dont parle le concile du Vatican, sess. iii, c. iv, Denz., n. 1799. Le raisonnement théologique n’est nullement une application de notions philosophiques à un donné qu’on recevrait d’ailleurs sans l’avoir démontré. Certaines manières de procéder, qui reposent plus sur l’appareil rationnel que sur la vérité révélée, pourraient tomber sous ce reproche ; cf. L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 154-155. Quand les Salmanticenses, par exemple, reprenant le procédé du raisonnement de potentia absoluta, cher à la critique théologique des xive et xve siècles, avancent que, même si Dieu n’était point Père, non plus que Trinité, notre adoption par lui en qualité de fils serait encore possible, In ///- iii, q. xxiii, a. 2, éd. Palmé, t. xvi, p. 393 sq., on peut dire qu’une telle manière de raisonner d’après les seuls concepts naturels et en dehors des affirmations effectives et de l’économie réelle de la Révélation est de mauvaise méthode théologique. Car la théologie n’est pas la philosophie qui raisonne sur la foi, c’est, comme l’a dit le P. Chenu, la foi qui cherche à s’cmniembrer de raison », le donné qui « s’invertèbre par l’intérieur et sous s ; i propre pression ». Position de la théologie. d ; ms Revue des sciences philos, et théol., t. xxiv, 1935, p. 232-257 (p. 232 et 242).

Au point de vue du contenu objectif, c’est d’un bout à l’autre la foi qui commande en théologie. C’est uniquement pour prendre son développement dans

une intelligence humaine selon le mode connut urcl à cette intelligence, qu’elle s’annexe et se subordonne des notions philosophiques. Elle n’en reçoit aucun

apport objectif propre, mais seulement une explii t.

tion plus complète en assumant les ressources et les Voles « le cette raison. Aussi, dans Cette assomplion,

les notions philosophiques sont elles vérifiées, amenuisées, purifiées pu la foi de manière à repondre au sel

vice que celle ci réclame d’elles. <.. travail est évident

dans la théologie scolastiquc ; qu’on pense seulement à la reprise des notions de personne, de relation, de conversion substantielle, de subsistence, de verbe mental : les deux dernières, qui sont d’authentiques notions philosophiques, n’ont été dégagées, au bénéfice de la philosophie, que sous la pression du travail théologique et pour ses besoins ; quant à la première, on sait quelles rectifications et quelles précisions elle doit à sa destination théologique. De telles reprises seraient un scandale pour le philosophe qui voudrait n’être que philosophe ; elles sont, en théologie, la conséquence de la souveraineté de la foi. Pour le dire en passant, c’est à ce rôle de la foi vis-à-vis de la philosophie, que nous devons en grande partie la « philosophie chrétienne », au sens où cette expression désigne un certain nombre de problèmes, d’attitudes, de concepts et de certitudes qui ont été acquises à la philosophie. Les textes du magistère catholique ont souvent insisté sur ce bénéfice de certitude et cette plus-value de précision que la raison humaine reçoit de ce service de la foi.

Nous pouvons maintenant répondre aux difficultés qui représentent la forme classique de notre problème.

Il n’y a pas subalternation de la théologie à la philosophie car, dans la théologie de forme rationnelle, ce qui est donné de foi juge et mesure ce qui est emprunt philosophique et, loin de se subordonner à lui, se le subordonne à soi-même. S. Thomas, Sum. Iheol., I », q. i, a. 5, ad 2um ; a. 6, ad l um et 2um ; In Boet. de Trin., q. ii, a. 3. D’autre part, la théologie reste une science une, caractérisée par un médium demonstrationis un. Les prémisses du raisonnement théologique, en effet, sont coordonnées l’une à l’autre pour inférer la conclusion. La notion analogique de raison a en effet été prise, travaillée, mesurée et finalement approuvée et adoptée par la notion analogique de foi. De la sorte on n’a pas, dans l’argument théologique, un terme de foi, un terme de raison et un produit théologique, mais un terme de foi assumant vitalement et assimilant du vrai rationnel pour porter, grâce à lui, l’analogie révélée à un état rationnel et scientifique et constituer avec lui un unique analogue de foi. Ainsi : 1. il n’y a pas quatre termes dans l’argument théologique ; 2. les deux prémisses de cet argument forment un unique médium de démonstration dans lequel toute la détermination vient de la foi et qui est donc, comme le dit Cajétan, divino lumine fulgens, cf. In / am, q. i, a. 3, n. iv ; la conclusion du raisonnement théologique se résoud dans l’unique causalité de ce médium que sont les prémisses organisées et coordonnées pour son inférence ; toute la lumière lui vient de la prémisse de foi. La théologie est vraiment le développement scientifique de la foi, la science de la foi.

Tout ceci a été exposé par Jean de Saint-Thomas, In / » " partem, q. i, disp. II, a. 6, n. 1, 10-17, 22-24 (éd. deSolesmes, p. 369-374) ; a. 7, n. 18 sq. (p. 381) ; a. 9, n. 6, 11-13 (p. 391, 393) ; cf. Logica, II » pars, q. xxv, a. 1, ad 3, éd. Reiser, p. 777 ; cf. ici l’art. Dogmatiquk, t. iv, col. 1525-1526.

Conséquences.

Ces conséquences vont toutes

à assurer effectivement la primauté du donné de foi et le rôle instrumental de l’apport rationnel. Notons les quatre points suivants :

1. Le théologien devra avoir une conscience très vive du fait qu’il n’y a réellement qu’un monde de pensée comme un seul monde de réa.ité et que la foi se subsume le savoir rationnel, comme l’être surnaturel le fait pour ce qui est des réa.ités naturelles. Foi et raison, surnature et nature sont distinctes, mais pas néanmoins comme deux quantités de même genre et extérieures l’une à l’autre. Le monde de la foi est le « tout » du monde de la raison ; il l’englobe et le déborde. K. Eschweiler, Die zwei Wege, p. 37 sq., 238 ; L. Char ger, Essai sur le problème théol., p. 84 sq. C’est pourquoi il ne faut pas prendre les choses et les vérités de la foi pour de simples cas, de simples applications des lois générales du monde naturel, qui trouveraient dans ces lois leur explication.

2. Au delà de toute construction, si satisfaisante soit-elle, le théologien devra garder un sens très aigu de la transcendance et du mystère. Nos idées humaines peuvent bien nous aider à mieux nous représenter ce que c’est, pour le Christ, que d’être roi, par exemple ; mais le mode propre et positif dont il est loi nous échappe en son unité indivisible, et demeure un mystère. Ainsi la théologie peut-elle, comme science humaine de la foi, prendre de la réalité mystérieuse révélée une vue qui tend à être de plus en plus précise ; mais ce qui fait le point le plus propre du mystère lui échappe et se refuse à être élucidé par l’emploi des analogies humaines. On définit avec précision le lieu du mystère, mais on n’éclaircit pas celui-ci.

Ici encore, saint Augustin représente, pour le théologien, un exemple digne d’être médité : lui qui a écrit que si l’on parle en Dieu de trois personnes, « c’est moins pour dire quelque chose que pour ne pas ne rien dire », De Trin., t. V, c. ix, P. L., t. xlii, col. 918 ; lui qui a écrit également que ce qu’on a déjà trouvé et compris de Dieu invite à une nouvelle et perpétuelle recherche. Ibid., t. XV, c. ii, col. 1057-1058. Sur ce sens du mystère chez le théologien, cf. A. Gardeil, Le donné révélé, p. 144-150 ; R. Garrigou-Lagrange, Le sens du mystère et le clair obscur intellectuel, Paris, 1934 ; La théologie et la vie de la foi, dans Revue thomiste, 1935, p. 492-514 ; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 153-158.

3. En théologie, le donné est totalement régulateur. Le théologien ne construit pas à partir de ses concepts un monde où l’esprit n’est arrêté par rien qui soit étranger à son propre jeu et aux déterminations idéologiques nécessaires, mais il se réfère à un donné reçu du dehors. Cette dépendance exige du théologien une attitude de totale soumission et de radicale pauvreté ; cf. M.-J. Congar, Saint Thomas serviteur de la vérité, dans Vie spir., mars 1937, p. 259-279. Elle implique qu’en chacune de ses démarches, le système idéologique que le théologien construit, soit cri’iqué et assoupli en référence à tous les éléments du donné, eux-mêmes appréciés selon leur valeur respective. En certaines questions surtout, comme en matière sacramentelle, qui sont autant des « institutions » que des dogmes, la référence au fait doit être constante, le plus petit fait devant être respecté et engageant à assouplir la théoiie si celle-ci s’avère trop étroite ou tiop rigide pour en rendre compte. Sur cette docilité du « construit » à l’égard du « donné », cf. M.-D. Chenu, Position de la théologie, dans Revue des sciences philos, et théol., 1935, p. 243-245, et, sur le sens de l’Église et du magistère qui en est la condition, L. Charlier, op. cit., p. 158-164.

4. Enfin, il sera encore de l’humilité et de la soumission de la science théologique d’accepter un donné dont tous les éléments sont loin d’être de niveau avec les exigences de l’esprit en fait de précision conceptuelle. La Révélation est faite en un style imagé, dont M. Penido a précisé, si l’on peut dire, le statut épistémologiquc sous le nom d’ « analogie métaphorique » ou « analogie de proportionnalité impropre ». Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, p. 42 sq., 99 sq. C’est ainsi que le Christ nous est révélé comme « agneau de Dieu », ou « tête de l’Église », que l’Église elle-même l’est comme « épouse du Christ », « vigne du Seigneur », etc. La perfection commune aux deux termes métaphoriquement analogiques n’est pas formellement en tous les analogues, l’analogie métaphorique exprime une équivalence d’effets, non pas directement

la forme d’être ou la définition essentielle, mais la proportion entre deux manières d’agir. Aussi, comme Dieu, dans la Révélation qu’il nous adresse, veut plus nous dire ce qu’il est pour nous et ce qu’il fait pour nous que ce qu’il est en lui-même, on comprend très bien, indépendamment du motif général de s’adresser en images à des hommes qui sont des êtres sensibles, que la Révélation soit remplie de métaphores. De la sorte, en même temps que le théologien s’efforcera de traduire ces notions métaphoriques en analogies de proportionnalité plus rigoureusement définies, il devra cependant, parce qu’elles sont du donné révélé, des analogies de foi, soumettre des concepts philosophiquement plus satisfaisants à l’approbation de ces métaphores. Ainsi, d’un côté, il traduira en concepts plus précis le sens affirmé par les similitudes de la tête et <le la vigne, mais, d’autre part, le théologien devra soumettre le matériel conceptuel, emprunté aux sciences philosophiques, au jugement et à la mesure de ces grandioses mais imprécises images de la tête ou de la vigne, etc. Car ces métaphores sont du donné révélé et leur contenu doit passer dans la constitution de la théologie. Ce serait une erreur de méthode que de ne constituer une ecclésiologie, par exemple, qu’avec les notions humainement claires et rigoureuses, plus proches de la philosophie, de société, de pouvoir, de loi, etc., et de négliger les grandes images bibliques dont heureusement des traités comme les Thèses de F.cclesia de Franzelin ou le Corpus Christi quod est Ecrlesiu du P. Tromp, ont fait leur profit. Sur cet usage et cette valeur des métaphores en théologie, cf. S. Thomas, Sum. theol., 1*. q. t, a. 9.

/II. LK PROBLÈME DE LA CONCLUSION TUÉOI.OOIQUE El UB L’HOMOGÉNÉITÉ DE LA SCIENCE TIIÉOLOO QUE AU DOOME. — Si le raisonnement théologique vérifie les conditions d’un raisonnement néccssaiie et si l’apport de la raison y est à ce point assumé et réglé par la foi, ne doit on pas reconnaître à la conclusion theologique, à ce seibile divino lumine julgens dont parle Cajétan, une certaine homogénéité avec le révélé lui même, Objel de notre foi ? Dans le cas où une conclusion découlerait d’une façon nécessaire et évidente, soit de deux prémisses île foi, soit d’une prémisse de foi et d’une autre de raison évidente, la conclusion pourrait-elle faire l’objet d’une adhésion de foi, et s ; i négation l’objet d’un péché d’hérésie, avant toute définition de cette vérité par l’Église ? lue telle conclusion peut-elle être définie par l’Église comme vérité de foi et, m oui. comment justifier cette définition ? Enfin, après sa définition, une telle vérité relève-t-elle de la foi théologale, OU bien d’une adhésion spéciale distincte tant de la foi théologale que de la foi humaine ? telles son ! les questions que pose la conclusion tbéologlque. Cf. A. Gardeil, I.e donné révélé, p. 163-186.

1° Adhésion à une conclusion théologique avant sa définition. - Les grands théologiens (lu xiiie siècle admettent bien un accroissement « les formulaires dogmatique par la canonisation de propositions consequenliit nd articulas, mais ces propositions sont pour eux des vérités r< v< ndaires quant à leur con tenu, et non, !, | ln’-ologiqucs ; cf. H. -M.

Schultes, Introdurtia i lu loriam dogmatum, Paris, l>. 71 -78. I » aprè documentation que présente uteur, p. ~x s :, , il sembe que ce soient les théologiens noniina i ti - ri, .. ! tes qui aient appliqué aux conclusions théologiqui’, qu’Albert le Grand el’m.lisaient des viriles révélées 51 d.oïc. admettant parmi les vérités catholiques : veritalet omnes et singulie quæ concluduntur rx pnnnistr ilali bus in consequentia crrln m lumine fidei niot m evidenti lumine naturali, quamolt non in propria forma verborum ilhe habeantur. Gerson, cité p. 82 ; pour Bcot, <f p 84, Le P. Schultes semble suggère*, p. « 3,

que c’est dans ce contexte que s’est produite l’insistance des thomistes à donner pour objet à la théologie, ainsi distinguée de la foi, les conclusions théologiques.

La position qu’on attribue aux nominalistes, favorable à l’inclusion, parmi les vérités de foi, des conclusions déduites bona et necessaria consequentia, serait aussi, au xvre siècle, celle de Cajétan ( ?), Pierre Soto, M. Cano, Tolet, Molina, cités par Schultes, p. 1 16. Mais la position la plus notable à cette époque dans la question qui nous occupe est celle de Vasquez et de Suarez. Ces auteurs ont apporté en effet dans ce problème, une distinction qui s’est transmise après eux et est passée dans un grand nombre d’ouvrages. Ils distinguent, au regard d’une conclusion théologique nécessaire, deux assentiments : celui qu’on donne à la conclusion en tant qu’on la voit inférée par le raisonnement, et cet assentiment reste théologique ; celui qu’on donne à la vérité telle quelle que présente la conclusion en tant que, dégagée pour l’esprit par un raisonnement, elle apparaît comme objectivement et réellement contenue dans la proposition révélée. Ce second assentiment, qui va à une vérité vue comme contenue dans une autre vérité révélée, relève de ia foi ; pour marquer, cependant, ce qui la distingue de l’assentiment donné aux vérités révélées, explicitement proposées par l’Église comme des dogmes, Suarez parle, dans ce dernier cas, de foi catholique et, dans le premier, de simple foi divine ou « foi théologique ». distinction, elle aussi, extrêmement répandue depuis lors et à laquelle on peut d’ailleurs donner un sens acceptable. Cf. Vasquez, In / am partemD. Thomæ, q. i, a. 2, disp. V, c. m. éd. Venise, 1608, p. 19 ; Suarez, De fide, disp. III, sect. xi, n. 5, Opéra omnin, éd. Vives, t.xii, p. 97 ; cf. d’autres références dans Marin-Sola, Évolution homogène, n. 85, t. I, p. 99 sq. ; n. 114 sq., ibid., p. 210 sq. ; n. 388, t. ii, p. 157.

Le grand principe de discernement sera celui-ci : toute adhésion dépend de ce par quoi elle est motivée. Si mon adhésion repose sur le témoignage de Dieu proposé dans la prédication apostolique, elle sera de foi théologale ; si elle repose sur ce que je vois, par l’industrie de mon esprit, dans le témoignage de Dieu, elle restera humaine ou plutôt humano-divine, c’est-à-dire théologique. Cf. Marin-Sola. op. cit., n. Cià sq.. t. i, p. 202 sq.

Ce principe, cependant, n’est pas toujours d’une application commode. I.e plus simple auditus fidei engage toujours une certaine activité de notre esprit, ne serait-ce que pour comprendre le sens des mots. I.’intention même de la foi ne peut se contenter d’une réception purement passive de la parole de Dieu ; elle essaie de pénétrer le plus possible son sens et, pour cela, tout en étant dans la disposition d’être rectifiée par le sens de l’Église et les déclarations du magistère, elle s’engage à ses propres risques dans une certaine activité d’interprétation ; elle cherche à voir tout ce que veut dire l’énoncé sacré. Dira ton qu’un chrétien ne peut adhérer de fol théologale au sens qu’il voit être celui de tel passage de l’Écriture dont l’Êgiise ne lui donne par ailleurs aucune interprétation officielle explicite ? Et de même ne pourra I il adhérer

de foi théologale a ce qu’il verra avec évidence appar tenir à un dogme, mais dont l’Église n’aura pas encore fait une définition explicite ?

H semble qu’on puisse dire ceci : quand l’activité de le. prit se lient dans les limites d’une intelligence des énoncés révélés tell quels, une adhé’ion de foi est pos sible a ce que l’on verra avec évidence appartenir au révélé ou être le sens de CCS énoncés. À la limite, ii semble que la même adhésion de foi pourra elle don i ce qu’on verra avec évidence être lié de telle

lOTte aux énoncés de la foi que, i ou niait cela, on serait amené n leill a pervertir le sens offl

ciellement déclaré desdits énoncés. Telle est du moins la position de saint Thomas, à propos des « notions » divines. In I am Sent., dist. XXXIII, q. i, a. 5 ; Sum. theol., I a, q. xxxii, a. 4 ; cf. IIa-IIæ, q. xi, a. 2. On pourrait, dit saint Thomas, pécher contre la foi, si on niait la doctrine des notions divines. Non pas que celle-ci soit explicitement de foi ; mais elle intéresse la foi indirectement, indirecte ad fidem perlinel. On peut commettre un péché d’hérésie non en niant directement une vérité de foi, mais en tenant une position telle que le sens orthodoxe de la foi ne puisse être gardé. Il ne semble pas, d’ailleurs, que saint Thomas élargirait beaucoup le champ de ces appartenances indirectes de la foi et que, par exemple, il y ferait rentrer une doctrine comme celle de l’unité d’être dans le Christ. Sum. theol., III*, q. xvii. C’est pourquoi cette position ne revient nullement à considérer, avant toute définition dogmatique, toute conclusion théologique certaine comme relevant, pour le théologien, de la foi.

Il faut au contraire, à la suite de Jean de Saint-Thomas, In / » iii, q. i, disp. II, a. 4, éd. de Solesmes, p. 357 sq., et du P. Schultes, bien distinguer du cas précédent celui de la conclusion théologique proprement dite, laquelle relève de ce que Schultes appelle le virtuel illatif. Dans ce cas, nous ne sommes plus en piésence d’une activité de l’esprit s’efforçant de comprendie aussi totalement que possible et de traduire simplement en valeurs techniques l’énoncé tel quel de la foi, mais d’une activité s’efforçant de dégager, par l’introduction d’un élément étranger au révélé forme), un objet de pensée qui ne procède que médiatement des énoncés de la foi ; nous sommes dans l’ordre du médiatement révélé ; l’activité de l’esprit n’intervient pas seulement pour permettre au sujet de comprendre ce qui est expressément révélé, mais pour constituer un objet dont l’appartenance au révélé n’est que médiate. Il ne peut être question de donner au terme ainsi dégagé une adhésion de foi, le motif de celle-ci n’étant nihil aliud quam veritas prima. Sum. theol., IIMI », q. i, a. 1.

Il faut donc bien distinguer, comme le fait Jean de Saint-Thomas, deux usages du raisonnement : le cas où il ne s’agit que de disposer et d’habiliter l’esprit du croyant à comprendie aussi totalement que pessible ce qui est vraiment révélé ; le cas où il s’agit de dégager, par l’usage d’un moyen terme nouveau, des virtualités qui ne se rattacheront au révélé que d’une façon médiate. Il semble que la distinction de Suarez et de Vasquez ne puisse valoir pour ce second cas et qu’on ne puisse, dans un raisonnement théologique proprement dit, une fois la conclusion obtenue par le raisonnement, laisser de côté le moyen d’inférence qui a servi à la dégager et en contempler la vérité telle quelle, comme objectivement contenue dans la prémisse révélée. Ce qui est vrai du tiavail par lequel le théologien prend conscience du contenu du révélé formel, ne l’est plus du travail par lequel il dégagerait le « révélé virtuel », qui relèvera toujours d’une adhésion où la raison intervient. Finalement d’ailleurs, ce qu’on croyait à un moment donné ne teprésenter que du révélé virtuel sera peut-être un jour défini par l’Église. On reconnaîtra alors que c’était bel et bien, dès le début, du révélé formel. Mais on n’en savait rien alors. C’est pourquoi le théologien doit conduire son travail dans un parfait esprit de docilité envers le magistère de l’Église.

Après la définition par l’Église.

La question de

savoir quel assentiment donner à la conclusion théologique définie par l’Église après sa définition n’a plus d’urgence si l’on adopte la thèse de Schultes. Celuici, d’ailleurs, Inlrod., p. 130-131, a critiqué vivement la « foi ecclésiastique », c’est-à-dire une foi qui ne

serait ni la foi théologale, ni une foi humaine inspirée par la foi divine et s’adressant à l’autorité de l’Église comme telle. Le P. Marin-Sola, Évolution homogène, t. i, n. 225-297, a critiqué plus à fond encore la « foi ecclésiastique » ; il montre bien que, par la définition de l’Église, un nouveau motif d’adhésion, qui relève de la foi théologale, est substitué à celui du savoir théologique ; il résout dans le sens esquissé plus haut, col. 443, la question de la compossibilité de l’adhé.ion de foi et de l’adhésion théologique, sous différents aspects, à la même vérité matériellement prise.

Dogme et théologie.

Au terme de cette étude des

problèmes de structure que pose la théologie, et finalement la question de son homogénéité à son donné initial, il peut être utile de marquer nettement la distinction de la théologie et du dogme, puis d’expliquer et de déterminer le rôle, à l’intérieur de la théologie elle-même, d’une pluralité de constructions intellectuelles.

La théologie se distingue du dogme, où se trouve défini l’objet de la foi, en ce qu’elle implique un travail humain de l’intelligence qui reste, précisément, un travail purement humain. La foi est une pure adhésion à la Parole de Dieu, pour le motif même de l’autorité souveraine de Dieu révélant. Si l’homme a sa part dans l’expression de cette révélation divine, les énoncés humains de la Révélation ne laissent pas d’être garantis comme pure Parole de Dieu par le charisme de l’inspiration. La part de l’homme est plus notable dans la formulation proprement dogmatique de l’objet de la foi, car le dogme, expression plus élaborée de la Révélation, est l’œuvre de l’Église, laquelle n’est pas inspirée dans ce travail, mais seulement assistée ne errel. Le dogme est, à cet égard, de facture humaine ; aussi ses formules ne sont-elles pas sans rapport avec l’état intellectuel du temps qui les voit naître. Cependant, le dogme n’est qu’une fixation officielle des vérités contenues dans la Révélation et déjà proposées par l’Église qui nous transmet avec autorité et l’Écriture et les traditions. Le dogme ne fait qu’expliquer et expliciter le contenu réel de la Parole révélée, sans y rien ajouter. Aussi le travail humain peut-il être notable dans l’explication du donné primitif et l’élaboration des formules dogmatiques ; il n’entre cependant en rien dans la constitution intrinsèque de l’objet de l’adhésion religieuse. Cet objet demeure, sous une forme plus élaborée et plus précise, identiquement ce qu’il était, comme objet, dans la Révélation prophétique, évangélique et apostolique. Non seulement on n’ajoute rien à son contenu, mais on ne change rien à ce qu’il est comme objet d’adhésion.

La théologie, elle, s’efforcera bien de demeurer, pour l’expliquer intellectuellement et le construire scientifiquement, à l’intérieur du contenu des assertions révélées : ainsi, à l’assertion de la présence réelle du Christ vivant dans l’eucharistie, elle n’ajoutera pas une autre assertion ; elle s’efforcera seulement de pénétrer intellectuellement et de construire scientifiquement la réalité affirmée. Mais ce qu’elle percevra et affirmera dans l’objet révélé sera perçu et vu par elle grâce à un effort humain et par l’emploi de moyens épistémologiques humains, pour qui ne valent ni l’assistance dont bénéficie l’Église, ni à plus forte raison l’inspiration qui est donnée au « prophète ». Dans la vision du théologien comme tel, le moyen humain, laissé à lui-même, intervient comme principe même de connaissance ; l’objet comme objet, c’est-à-dire comme terme de connaissance, est constitué par le mélange de deux lumières bien inégales en qualité et en certitude, celle de la vérité révélée et celle de la raison humaine du croyant : deux lumières se composant ensemble pour déterminer un genre nouveau d’adhésion, celui du savoir théologique. Sur l’ensemble de la question et la

distinction entre dogme et théologie, cf. A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; H. Pinard, art. Dogme, dans le Dict. apologét., t. i, col. 1144-1148 et 1183.

Cette distinction entre le dogme et la théologie a toujours été, sous une forme ou sous une autre, reconnue et surtout pratiquée dans l’Église : et ceci même lorsque, n’ayant pas encore nettement défini la théologie comme une activité rationnelle et scientifique du croyant, on ne laissait pas (te distinguer entre ce qui est tenu unanimement par l’Église et s’impose à la foi de tous, et ce qui est la manière de voir d’un individu proposant telle affirmation sous sa responsabilité personnelle, ou encore entre la simple affirmation des faits chrétiens, objet de la prédication ecclésiastique, et l’explication du comment et du pourquoi, à laquelle s’efforce la prédication des docteurs. Origènc en avait déjà fait la remarque au début du De principiis.

La distinction entre dogme et théologie n’a cependant pas toujours été as ; cz présente à la pensée des théologiens et de ceux qui, sans l’être, ont touché au domaine de la théologie. Plusieurs des difficultés soulevées par les modernistes contre le dogme viennent d’un manque de distinction entre le dogme de l’Église et les systèmes ou même la science théologiques. Ainsi de M. Ed. Le Roy dans son fameux article Qu’est-ce qu’un dogme ? repris avec des éclaircissements dans Dogme et critique, Paris, 1907 ; ainsi encore de G. Tyrrell, cf. supra, col. 440. Ce fut donc l’un des bénéfices de la crise moderniste que de faire mieux distinguer du dogme la théologie, la science théologique et les systèmes particuliers de théologie. Les éclaircissements donnés alors n’ont cependant pas suffi et l’on a vii, récemment, soulever contre le catholicisme des difficultés qui, arguant de la présence dans le dogme d’éléments philosophiques périmés, reposaient pour une part sur la vieille méprise et sur le manque de distinction entre dogme et systèmes theologiques. Sur la distinction entre dogme et théologie, au moment du modernisme, cf. les interventions des PP. Sertillanges et Allô dans le débat soulevé par M. Ed. Le Roy (bibliographie dans J. Rivière, Le modernisme dans l’Église, Paris, 1929, p. 250 sq.) ; A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; L. de Grandmaison, Le dogme chrétien, sa nature, ses formules, son développement, Paris. 3e éd., 1928 ; H. Pinard, art. Dogme, dans le Dict. apologét., t. i, col. 1116-1 148 ; R. Garrigou-Lagrangc, Le sens commun, la philosophie de l’être et les lormules dogmatiques, Paris 1909.

C’est dans la perspective de ce qui vient d’être dit sut dogme et théologie qu’il faut comprendre la différence entre la science théologique et les systèmes théologiques et l’inévitable diversité de ces systèmes dans Il e. Il y a la fui catholique, qui s’impose à tous les nils, parce qu’elle n’est point particularisée dans la pensée d’un seul homme, mais qu’elle est le bien de l’Église comme telle et il y a l’élaboration humaine’l' cette f"i. qu’est la théologie. Par le fait même que cette élaboration est l’œuvre de croyants particuliers et qu’elle s’opère par l’adjonction organique au dogme d’éléments empruntés à la connaissance rationnelle, son produit, la théologie, est. nécessairement Inadé quat à la fuies catholica et, un peu comme l’inadéquation d « i biens particuliers au bien universellement voulu fonde la liberté de choix, cette Inadéquation jusiiiie et, en quelque mesure, entraîne une certaine diversité de théologies. Cette diversité proviendra de ourees principales :

1, La théologie, pas plus que la philosophie, : une œuvre absolument Impersonnelle, une wrU di trurtion purement logique au regard de laquelle de l’homme pensant, son tempéra

ment, son histoire, on i rieure et inte rner. DE TIIKOL. CATHOL.

rieure, pourraient être considérés comme amorphes. En philosophie, par exemple, ces choses, au contraire, orientent vers certaines attitudes qui commandent elles-mêmes les options inspiratrices du système. Et certes la théologie a pour règle un donné proposé par un magistère ecclésiastique, comme la philosophie a pour règle le donné de la connaissance naturelle ; et il est bien établi que la première démarche du théologien est un acte de soumission à ce donné et à ce magistère. Mais ce donné est si riche qu’il autorise des manières différentes de l’aborder et, selon l’orientation d’esprit d’un chacun, des manières différentes de poser les problèmes eux-mêmes. Ce que la foi catholique nous dit de la connaissance et du vouloir de Dieu quant à nos actes libres autorise, à coup sûr, différentes constructions non seulement des réponses, mais des problèmes eux-mêmes, constructions qui dépendent d’un certain angle de vision, lui-même commandé par une orientation initiale dont la raison est à chercher dans une certaine expérience intime, une tradition, une compréhension personnelle des données tout à fait premières. C’est ainsi, par exemple, que les historiens les plus récents du nominalisme ont signalé en celui-ci une conséquence et comme une expression d’une intuition initiale très forte, celle de la souveraine et libre omnipotence divine ; cf. P. Vignaux.dans l’article Nominalisme, ici, t. xi, col. 741-748, et L. Baudry, dans sa préface au De principiis theologiæ, Paris, 1936, p. 35-40. On pourrait faire des remarques de même type sur le molinisme, sur l’augustinisme franciscain, cf. supra, col. o92 sq., sur la théologie de la grâce chez Augustin ou chez Pelage, sur l’ecelésiologie de saint Cyprien, etc.

2. Si la théologie est l’élaboration de la foi par une raison humaine usant de ses ressources propres, il est clair que le contenu et l’inspiration d’un « milieu », le contenu et l’inspiration d’une tradition de vie religieuse et de pensée philosophique détermineront dans une large mesure Pauvre théologique, la construction rationnelle de la foi. Le climat intellectuel d’Alexandrie n’était pas celui de Carthage et l’on a justement souligné l’importance de cette diversité au regard de la diversité des théologies qui ont fleuri ici ou là. D’une manière plus générale, la tradition théologique de l’Orient et celle de l’Occident, en matière trinitaire, ont chacune une homogénéité interne relative et sont cependant diverses en leur manière d’aborder le mystère et de le construire intellectuellement : cf. les Éludes de théologie positive sur la Sainte Trinité, du P. de Régnon, et en particulier la conclusion du t. iii, p. 564 sq., et. du t. iv, p. 533 sq. Des différences semblables existent sur d’autres points entre l’Orient et l’Occident. Elles proviennent d’une manière différente d’aborder les mêmes mystères, la différence étant due à une orientation diverse du regard et de l’effort spéculatif, orientation elle-même conditionnée par une culture, par une tradition de pensée philosophique et religieuse.

3. Au delà de l’intuition religieuse, initiale, au delà du milieu général de la pensée, la diversité des théologies pourra naître du choix délibéré d’instruments conceptuels et philosophiques divers. L’Église, en effet, impose à tous le même donné de foi, mais, en raison même de sa transcendance, ce donné supporte, dans son organisation rationnelle en théologie, le ser

vice d’appareils philosophiques divers. Si le projet,

formé par certains au xvr siècle et jusqu’en plein JCVIIIe siècle d’employer, au lieu de la logique et do la dialectique d’Aristote, celles de Platon avait | fruit, nous aurions eu peut-être, dans l’Eglise catholique, un type di théologie assez différent de celui qui y

a prévalu. I.a tentative d’appliquer a l’ciichari lie la théorie cartésienne île l’étendue, i été condamnée p, n

T. — XV. — 16.

4 83

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. L’HABITUS DE THÉOLOGIE

48’l’Église, mais une tentative semblable inspirée de la philosophie leibnizienne ne l’a pas été. La philosophie thomiste de la matière et de la forme diffère radicalement de celle de saint Bonaventnre ; la philosophie suarézienne du composé diffère profondément de celle de saint Thomas et toutes ces différences ont leurs répercussions immédiates dans la construction théologique. On pourra’t multiplier le- ; exemples.

Ayant ainsi marqué et justifié la possibilité de plusieurs systèmes théologiques, il est juste d’affirmer non moins fortement que cela n’autorise pas, en cette matière, un pur et simple relativisme. D’une part, en effet, il y a des zones où l’interprétation rationnelle est tellement liée aux certitudes philosophiques communes, qu’on se trouve atteindre à une connaissance scientifique et nécessaire, telle qu’elle ne laisse plus de place à une systématisation plus particulière. Ce serait le cas, par exemple, de la doctrine selon laquelle celui qui nie délibérément un article de foi perd l’habitus total de la foi ; de la théologie de la science bienheureuse du Christ ; d’un certain nombre de conclusions relatives à la sainte Vierge, aux fins dernières, à certains points de morale sociale ou internationale… L’ensemble de ces thèses dessinerait l’aire de ce qu’on peut appeler, par opposition aux systèmes, la science théologique.

D’autre part, tous les systèmes sont loin de se valoir au point de vue de l’expression du donné révélé avec ses virtualités, de même qu’au point de vue des éléments rationnels assumés. Un système qui, comme celui de saint Thomas, s’avère capable d’assumer et d’ordonner une multitude d’aspects particuliers qu’on trouve mis en valeur ailleurs, mais en un état dispersé et d’une façon fragmentaire, tient évidemment, de son point de vue supérieur, une valeur autrement « catholique » qu’un système particulier, fait pour répondre à une antinomie de détail. Voir, sur toute cette question de la science et des systèmes théologiques, A. Gardeil, Le donné révélé, p. 252-284.

IV. L’IIABITUS DE THÉOLOGIE DANS LE THÉOLOGIEN.

— Après avoir défini et étudié la théologie au point de vue de son objet et de sa méthode, il faut définir son statut dans le sujet, dans le théologien, en étudiant d’abord l’habitus de théologie, puis les conditions du travail et du progrès théologiques.

I. l’habit vu de THÉOLOGIE. — Trois affirmations caractérisent l’habitus de théologie : la théologie est une science ; elle esta la fois spéculative et pratique mais principalement spéculative ; elle est sagesse. Le premier point a été touché plus haut ; reste à parler des deux autres et à se demander si l’habitus de théologie est naturel ou surnaturel.

1° La théologie est un savoir spéculatif et pratique, mais principalement spéculatif. — Nous avons déjà vii, à propos de la notion de science, combien saint Thomas obéit à l’idée que le savoir doit correspondre à son objet et aux conditions internes de celui-ci. Or, il y a des objets qui sont faits pour être connus et dont la seule connaissance épuise toute la relation que nous pouvons avoir à eux et il y a des objets qui sont faits pour être réalisés par nous. Est spéculatif le savoir qui considère son objet comme un pur objet à connaître, en spectateur ; est pratique le savoir qui considère son objet comme une chose à réaliser et à construire, en acteur et en cause. Comme le dit saint Thomas, In II Anal., t. I, lect. 41, n. 7, le savoir spéculatif vise la cognilio generis subjecti, le savoir pratique la construclio ipsius subjecti. Cf. Com. in Metaphys., t. II, lect. 2 ; In de anima, t. III, lect. 15 ; In Polilic, prol. ; In Ethic, t. I, lect. 1 ; De verit., q. iii, a. 3 ; Sum. theol., I », q. lxxix, a. Il ; In Boel. de Trin., q. v, a. 1.

Nous avons résumé plus haut, col. 398, et pour Scot, col. 402, les positions prises au Moyen Age sur

la question du caractère spéculatif ou pratique de la théologie. Elles sont toutes inspirées par le sentiment que la théologie est un savoir original, supérieur, irréductible aux catégories des disciplines purement humaines. Cette inspiration est aussi celle de saint Thomas, mais elle l’amène à une position quelque peu différente des autres. La théologie ne se constitue pas et ne se spécifie pas comme les sciences humaines. Elle est une extension de la foi, laquelle est une certaine communication et une certaine imitation de la science de Dieu. Or, la science de Dieu dépasse la division en spéculative et pratique. C’est pourquoi la foi, puis les dons intellectuels de science, d’intelligence et de sagesse, puis la doctrina sacra et la théologie qui en est la forme scientifique, sont à la fois spéculatifs et pratiques, tenant du point de vue supérieur de la science de Dieu une unité qui se romprait s’il s’agissait de science humaine. Cependant, la théologie est plus principalement spéculative que pratique, car 1. elle considère principalement les mystères de Dieu, devant lesquels l’intelligence croyante est spectatrice et non active ; 2. même en tiaitant de l’action humaine, elle la considère comme ordonnée à la béatitude, laquelle consiste en la connaissance parfaite de Dieu. Cf. S.Thomas, In I am Sent., prol., a. 2, ad 3um ; a. 3, qu. 1 ; Sum. theol., I », q. i, a. 4 ; II » -lI æ, q. iv, a. 2, ad 3um, et q. ix, a. 3.

Ainsi, il n’y a qu’une théologie, science du mystère de Dieu révélé. Cette théologie est principalement spéculative, mais elle est aussi imprescriptiblement pjatique, car Dieu révélé n’est pas uniquement un objet, il n’est pas connu adéquatement par nous s’il n’est connu comme notre fin. C’est pourquoi l’étude de Dieu comporte une morale dont l’objet est l’activité par laquelle fa créature raisonnable revient à Dieu comme à sa fin dernière, selon l’économie concrète qui est celle de ce monde de la faute et du rachat par le Christ. La théologie a donc pour objet d’abord la connaissance de son genus subjectum, ensuite une certaine constructio ipsius subjecti, à savoir la construction de Dieu en nous, ou plutôt la construction du Christ en nous. Certes, tant pour des raisons pédagogiques que pour des raisons tirées de la nature des objets, la morale et la dogmatique se distinguent en quelque manière ; la morale répond, dans la Somme de saint Thomas, à la II a pars ; la dogmatique à la I » et à la III a pars, cette dernière représentant d’ailleurs, en plusieurs de ses parties, l’achèvement de la morale. Mais on se tromperait gravement si l’on séparait dogme et morale comme représentant deux systèmes indépendants de connaissance : d’un côté la dogmatique, c’est-à-dire les considérations sur les mystères, parmi lesquels on rangerait le péché originel, la grâce, l’habitation de Dieu dans l’âme des justes ; d’un autre côté, la morale, c’est-à-dire un ensemble de règles pratiques le plus rapproché qu’il est possible des « cas » concrets de la vie réelle. Cette morale, coupée de l’étude de la grâce de Dieu et de la béatituæ où la considération des vertus théologales serait exténuée à l’extrême et celle des dons du Saint-Esprit omise, ne représenterait d’ailleurs guère qu’une casuistique et devrait recevoir, comme une annexe extrinsèque, des considérations d’ « ascétique », valables pour l’ensemble des fidèles, et des considérations de « mystique », concernant des cas particuliers et « extraordinaires ».

Un tel état de choses serait contraire à la vraie nature de la théologie et à celle de ses deux fonctions ou quasi-parties. Il serait contraire à son activité spéculative au regard du mystère de Dieu révélé qui est celui de Dieu béatifiant, de Dieu se communiquant aux hommes et constitué leur fin dernière. Il serait contraire à sa fonction pratique au regard de l’agir °

chrétien et de la consommation de l’image de Dieu en nous, car action, image et consommation ne se conçoivent comme telles qu’en dépendance du mystère de Dieu et comme faisant partie de ce mystère lui-même. Ainsi, d’une part, c’est toute la théologie qui, par la connexion que ses éléments pratiques ont avec les spéculatifs, apparaît normative et a, comme on dit, « valeur de vie » ; et d’autre part, l’ascétique et la mystique trouvent leur place en elle, non comme des parties spéciales ajoutées à une morale elle-même séparée d’une dogmatique, mais comme des éléments intégrés organiquement dans l’étude scientifique du mystère révélé de Dieu béatifiant, en quoi consiste la théologie. Il appartiendra donc à celle-ci de développer, aux lieux propres correspondants, les éléments de doctrine qui rendent compte des diverses réalités dont on eût fait l’objet d’une ascétique, d’une mystique et d’une pastorale, et sans doute y a-t-il lieu de compléter sur ces points l’enseignement des théologiens anciens. Cf. Bulletin thomiste, 1932, p. 494 sq. ; ici, art. Probabilisme, t. xiii, col. 617 : R. Garrigou-Lagrange, La théologie ascétique et mystique ou la doctrine spirituelle, dans Vie spir., octobre 1919, p. 7-19 ; L’axe de la vie spirituelle et son unité, dans Revue thomiste, 1937. p. 347-360 ; S. -M. Lozano, Natureleza de la sagrada theologia su aspeclo affeclioo-praclico, sêgun S. T ornas, dans C.icncia tomista, septembre 1924, p. 204-221 ; A. Lemonnyer, Saint Thomas maître de vie spirituelle, dans Xotre vie divine, Paris, 1936, p. 393102 ; B. Merkelbach, Moralis thenlogiæ idonea melhodus, dans Miscell, Vermeersch, t. i, Rome, 1935, p. 116 ;.1. Vieujean, Dogmatique et morale, dans Revue écriés, de Liège, 1936, p. 333-338.

Il c t bien certain d’ailleurs que la science morale théologique ne v ufïit pas à régler immédiatement l’action concrète ; entre la connaissance des principes de l’action et l’action elle-même, il y a place pour une connaissance pratique immédiatement régulatrice. connaissance est celle non plus d’une science, d’une vertu à la fois intellectuelle et morale, la prudence : voir ce mot et l’art. Probabilisme, t. xiii, 133 sq. et 618 sq., où se trouve justifié le rôle de cette vertu comme adaptation vitale, par chaque fidèle, ouvernement de sa vie, des lumières de l’enseignement moral chrétien.

Mai i n’y a-t-il pas lien de concevoir, entre la science ogique morale et la vertu de prudence, un type Intermédiaire de connaissance qui serait un savoir, mais plus pratique et différemment pratique que la science morale ? M. Maritain l’a pensé et a proposé l’idée d’intercaler, entre une science péculative de l’action et le gouvernement prudentiel, une science quement pratique : cf. bibliographie, infra. Non lierait plusieurs savoirs par des obd lïérents, mais, seulement par une différence de point de vue formel et de méthode dan ? la considérai i même objet. Il y aurait d’abord nue considération « péculative de la ri Ité morale, qui ne se propoi tte réalité et où la nature de il moral, celle de l’action morale et de ses condi : > fin et il raient

étudiée suivant la méthode analytique, allant du trait, qui est la méthode des scii lirait, à la direction immédia i

on, la prudence ; il y aurail enfin, entre la science pratique ou cicncc spcculativement vertu de prudence, une connaissance quement pratique : connu ancc de la réalité I are pratiquement, empruntant ses lumières m de l’agir, à laquelle elle serait

vue de proposer des règle plus proiivoir pratiquement pra Uqu< nielle ou communiquée joue rait un grand rôle : ce serait la science de l’homme prudent comme tel, du praticien, du directeur spirituel.

Des théologiens ont agréé cette manière de voir. Ils ont pensé que la distinction proposée était de nature à donner son statut à une « théologie spirituelle ». distincte de la théologie morale telle que la réalise la Somme de saint Thomas, laquelle ne serait qu’une étude spéculative de l’agir chrétien : ainsi A. Lemonnyer, La théologie spirituelle comme science particulière, dans la Vie spir., mars 1932, Suppl., p. 158-166. Il semble bien que cette catégorie de « théologie spirituelle » réponde à quelque chose : d’abord à un genre littéraire, celui des « auteurs spirituels » ; ensuite à une utilité, voire à une nécessité pédagogique, car on ne peut bien enseigner les voies de la perfection chrétienne qu’en en faisant une étude spéciale ; enfin à une certaine réalité psychologique, à cet état particulier que prend le savoir théologique chez le théologien vraiment animé par le zèle et le goût des âmes. Mais il n’y a en tout cela rien qui justifie qu’on reconnaisse à la théologie spirituelle la qualité d’une théologie spéciale, distincte comme savoir de la théologie en sa fonction pratique. À la critique, ce savoir intermédiaire semble bien se distribuer sur les deux connaissances morales, celle de la science théologique et celle de la prudence, à condition que l’on restitue à cette dernière tout ce qui lui revient de connaissance et à la premièic la plénitude de son caractère pratique et la nécessaire information qu’elle reçoit de l’expérience, celle d’autrui et la nôtre propre. Moyennant quoi la « théologie spirituelle » ne serait que l’une des fonctions pratiques de la théologie, dont il serait légitime, pour les raisons reconnues plus haut et d’un point de vue pragmatique, de faire en quelque sorte une spécialité. C’est en ce sens que concluent les PP. Périnelle, Dcman, Mcnnessier, Régamey ; cf. la bibliographie.

Sur la question de la science pratique et de la « théologie spirituelle :). Maritain, Saint Jean de la Croix praticien de la contemplation, dans Études carmélitaines, avril 1931, p. 62-109 ; V. Simon, Réflexions sur la connaissance pratique, dans Revue de philos., 1932, p. "449-473 i.1. Maritain, Distinguer pour unir on 1rs degrés du savoir, Paris, 1932, c. VIII el app. vu ; A. Lemonnyer, La théologie spirituelle comme science particulière, d ; ms la Vie spir., mars 1932, Suppl., 1>. 158-166, repris dans Xntre vie divine, Paris, 1936, p. 403417 ; Y. Simon, La critique de la connaissance morale, Paris, 1934 ; Th. Dcman, Sur l’organisation du savoir moral, dans Revue des sciences pliilos. et théol., 1934, p. 238-280 ; J. Pôrinelle, ibid., 1935, p. 731-737 ;.1. Maritain, Science et sagesse, Paris, 1935 ; I. Mcnnessier, dans la Vie spir., juillet 1935, Suppl., p. 56-62 et juillet 1936, p. 57-61 ; Th. Daman, Questions disputées de science morale, dans Revue des sciences pliilos. ettliéol., 1937, p. 278-306 ; M. Lalmurdet le, Connais sanec spéculative et connaissance pratique, dans Revue thomiste, 1938, p. 561-568 ; P. Régamey, Réflexion* sur la théologie spirituelle, dans la Vie spir., dccemliie 1938, Suppl., p. 151-166, et janvier 1939, p. 21-32.

La théologie est sagesse.

Dans la i rc question de

la Somme, comme saint Thomas s’élail demandé, à l’art. 2. si l’enseignement chrétien vérifie la qualité de science, il se demande, à l’art. 6. s’il vérifie celle de sagesse ; cf. In I" m Sent., prol., a. 3, sol. 1 ; In 1 1 l um Sent., dist. XXXV, q. n. a. 3. sol. I ; In Ilncl.de Trin.. q. ii, a. 2, ad l um. Comme il le fait toujours dans les articles de ce type, saint Thomas rappelle quelles sont militions de la sagesse, puis en esquisse l’appli cal ion a la suera doelnna.

Mans Chaque ordre de choses, dit-il, le sage est celui qui détient le principe de l’ordre, lequel donne à tout

>n sens et sa Justification, ’.'est pourquoi le

savoir qui a pour objet la cause première ci univer

selle, le principe souverain de Imites < i.i la

sagesse suprême, la sagesse pure et simple, (, ’est I

de la sacra doctrina ou enseignement chrétien, dont la théologie est la forme scientifique. La théologie est vraiment un critère dernier et universel ; elle est reine et dominatrice de tout savoir ; on peut lui appliquer le mot de saint Paul : Spiritualis judicat omnia. De là découlent les conséquences suivantes :

1. La théologie étant sagesse, c’est-à-dire science suprême, n’a rien au dessus d’elle. Dans l’échelle des sciences, chaque discipline prouve ses propres conclusions, mais laisse à une discipline supérieure le soin de défendre ses principes ; mais la science suprême assure elle-même la défense de ses propres principes et des principes communs de toutes les autres sciences. C’est ainsi que la métaphysique se développe en « critique » pour défendre la valeur des principes premiers de la raison et la validité de la connaissance elle-même. De même la théologie doit-elle défendre ses principes, qui sont les vérités révélées proposées par l’Église. Elle le fait en se développant en une parlie critique qu’on appelle apologétique ou encore théologie fondamentale, sans préjudice de la défense particulière de tel ou tel point que la théologie assure dans ses différents traités, cf. ici, art. Dogmatique, t. iv, col. 1528, et supra, col. 430. Cette idée de l’apologétique conçue comme critique théologique et comme partie de la théologie nous paraît la plus satisfaisante ; c’est celle qu’appuient les textes de saint Thomas, Sum. theol., I a, q. i, a. 8, et Ia-IIæ, q. lvii, a. 2, ad 2um ; c’est celle qui est défendue ici à l’art. Apologétique par M. Maisonneuve et à l’art. Crédibilité du P. A. Gardeil, ainsi que dans La crédibilité et l’apologétique, du même auteur, 2e éd., Paris, 1912, par J. Didiot, Logique surnaturelle objective, p. v-vi et 4, par le P. Garrigou-Lagrange, De revelalione, t. i, 3e éd., Rome, 1931, p. 3 sq., 43 sq., 52 sq., L’apologétique dirigée par la foi, dans Revue thomiste, 1919, p. 193-213 et L’apologétique et la théologie fondamentale, dans Revue des sciences philos, et théol., 1920, p. 352-359.

2. La théologie est apte à utiliser pour sa propre fin toutes les autres sciences ; elle est fondée également, dans les conditions qu’on précisera plus loin, à exercer à l’égard de toutes autres sciences une certaine fonction de règle et de contrôle. Ce qui, d’ailleurs, comporte pour ces sciences un bénéfice de sécurité et de vérité.

3. D’un côté par le fait qu’elle utilise le service de nombreuses sciences auxiliaires, d’autre part en raison de l’ampleur et de la richessedesonobjet.lathéologiea une diversité de fonctions et de parties, telle qu’aucune science purement rationnelle n’en présente de-pareille.

4. La théologie tient de sa qualité de sagesse suprême, et donc de modératrice des autres savoirs, un rôle d’accomplissement, d’unification et d’organisation à l’égard des acquis spirituels de l’homme. C’est grâce à elle et soit à son service, soit sous sa direction, que les diverses acquisitions de l’intelligence peuvent être orientées vers Dieu et tournées à son service, non pas seulement du point de vue de l’exercice et de l’usus, mais selon leur contenu et leur richesse intrinsèque eux-mêmes. C’est pourquoi la théologie, comme sagesse, apparaît comme le principe nécessaire, sinon à tel ou tel individu, du moins à la communauté comme telle, d’un humanisme chrétien et d’un état chrétien de la culture. Un siècle laïcisé veut nécessai- ! rement qu’on supprime les facultés de théologie ou qu’on en nie la raison d’être, cf. supra col. 444.

Le danger de la théologie serait ici dans son point de vue supérieur lui-même, qui pourrait tourner en mentalité théologique simpliste ; si c’est une erreur de n’admettre que des causes immédiates et de rester ainsi dans les limites d’un point de vue étroitement technique, c’en est une autre de ne s’attacher qu’à l’explication transcendante, par la cause efficiente et

finale dernière, en négligeant les causes immédiates. Cette mentalité aboutirait à des résultats parfois désastreux : en politique, à un régime théocratique qui pourait bien dégénérer en cléricalisme, en mystique à un faux surnaturalisme, en apologétique à un concordisme facile, parfois malhonnête, où la vérité, au lieu d’être recherchée et servie, serait utilisée et truquée, etc.

3° L’habilus de théologie est-il surnaturel ? — On connaît la position de Contenson, Theologia mentis et corrf /s, t. I, pncl. I, c. ii, specul. 3, éd. Vives, 1875, t. i, p. Il sq. Se fondant sur le fait, admis par tous les thomistes, que la théologie est surnaturelle radicaliter, originative, en sa source ou racine qui est la foi. il veut qu’elle soit aussi surnaturelle entitalive : car 1. son objet et sa lumière sont surnaturels, dépassant toute adhésion humainement possible ; 2. le motif de l’assentiment donné aux conclusions n’est pas le discours humain, mais la vérité de la foi que le discours ne fait qu’appliquer ; 3. la théologie a des caractères tels qu’ils ne peuvent appartenir qu’à un habitus surnaturel, tels que d’être subalternée à une science proprement surnaturelle, d’être plus certaine que tout savoir naturel, etc.

L’intention de Contenson est de marquer fortement l’homogénéité objective de la théologie à l’ordre de la foi. Mais Contenson admet que la théologie est un habitus acquis, dont le rôle est de disposer les facultés, non de donner la puissance elle-même. Il est donc fort éloigné de l’opinion apparentée à celle d’Henri de Gand et curieusement soutenue de nos jours par J. Didiot, Logique surnaturelle subjective, théor. xxii, 2e éd., d’un habitus theologicus infus. On ne peut cependant pas tenir avec lui pour un habitus intrinsèquement surnaturel : car l’objet de la théologie n’est pas purement et simplement surnaturel, non plus que sa lumière, non plus que sa certitude : objet, lumière ou motif d’adhésion, certitude, sont bien d’origine surnaturelle et participent de la qualité surnaturelle de leur racine, la foi ; mais objet, lumière et certitude sont intrinsèquement modifiés par le fait qu’ils sont considérés par la théologie dans le rayonnement qu’ils prennent par l’activité rationnelle de l’homme croyant, laquelle peut bien être dirigée, fortifiée et surélevée par la foi, mais non formellement prise en charge et qualifiée par elle. L’objet qui finalise, termine et qualifie le travail théologique n’est pas purement et simplement surnaturel, mais bien ce qui est vu par la raison croyante dans l’objet surnaturel de la loi.

II. CONDITIONS DO TRAVAIL ET OU PROGRÈS TIIÈO LOdiQŒS. — 1° Théologie et vie spirituelle. — Il y a lieu d’abord de montrer comment la vie religieuse et la spéculation théologique s’unissent et ce qu’elles reçoivent l’une de l’autre.

1. Ce que la théologie apporte à la oie religieuse. — Elle est, pour la vie spirituelle, une sauvegarde et un aliment ; elle l’empêche de s’égarer, elle la préserve du subjectivisnie sous toutes ses formes et du particularisme mal éclairé ; cf. Garrigou-Lagrange, La théologie et la vie de la foi, dans Revue thomiste. 1935, p. 492 sq. ; De Deo uno, p. 30 sq. Elle lui permet de rayonner plus complètement dans l’homme, car elle étend le règne lumineux de la foi sur un plus grand nombre de convictions, de conséquences et d’aspects. Enfin, la théologie est une œuvre éminente de foi et de charité, un culte très élevé rendu à Dieu, car elle lui consacre notre raison comme telle, achevant la consécration que la foi lui avait faite de notre entendement comme tel. Pour saint Thomas, l’œuvre théologique représente une consécration de la raison humaine comme raison, en ses acquisitions, ses procédés, son efficacité. Elle procède d’une foi fervente et en augmente le mérite, Sum. theol., II » - !  ! », q. ii, a. 10 ; elle réalise le pro

gramme tracé par saint Paul : In captivitatem redigentes omnem intelleclum in obsequium Christ i. II Cor., x, 5. Se vouer à l’étude théologique est une œuvre éminente de la foi et de la charité et peut, à ce titre, devenir une matière spéciale de religion et la fonction de choix d’un ordre religieux. S. Thomas, Sum. theol., 1I » -II ». q. clxxxviii, a. 5 ; Contra impugnanles Dei cultum. c. xi.

2. Ce que la vie spirituelle peut et doit apporter à la théologie. — Tout d’abord, la grâce de la foi est consul ulionnellement nécessaire à la théologie, cf. supra, col. 451 i q. Chez le théologien qui viendrait à perdre la foi, l’habitus de théologie disparaîtrait ; il s’y substituerait un habitus opinatif qui n’aurait plus aucun rapport avec cette science de Dieu et des bienheureux à laquelle la théologie s’appuie et en laquelle elle tend à se résoudre. Il convient pourtant de noter que la théologie n’est pas liée à la charité du point de vue de sa structure noétique ; comme nous l’avons vii, col. 485, le mode de son union à son objet est intentionnel et intellectuel, non réel et affectif : ce qui est de nature à mettre au point certaines formes de Lebenslheologie, voir supra, col. 446, 447, et l’augustinisme bonaventurien tel que le présente le P. Th. Soiron, Heilige Théologie, Pauerborn, 1935, p. 65 sq., 68. 76 sq.

Il faut cependant bien voir tout ce qui manquerait à la théologie d’un théologien qui aurait perdu l’état de grâce. Il lui manquerait d’abord le moteur religieux de sa recherche et les conditions sans lesquelles il n’aura plus de goût pour la théologie ; il n’aura pas le goût de tirer de ses principes les conclusions pratiques qui intéressent la vie, non plus que de contempler les mystères qui sont liés aux attitudes les plus délicates de l’âme : les vérités concernant la vie spirituelle, les anges, la sainte ierge, le péché et la pénitence, etc. bref, toutes les choses qui accompagnent ce qu’on appelle l’esprit de foi.

Mais la charité, le goût et une certaine expérience personnelle des choses de Dieu sont nécessaires surtout pour que le théologien traite les mystères et parle d’eux de la manière qui leur convient. Bien que l’objet de la théolofrfe soit de l’intellectuel et du scientifique, il est surnaturel par sa racine et essentiellement religieux par son contenu, ea quorum visione perjruemur in nita a-trrna et per qum ducimur in vitam œternam. La connaissance de foi, qui donne à la théologie ses principes, ne se termine pas à des énoncés, à des formules, mais à des réalités qui sont les mystères de la vie de Dieu et de notre saint ; et nous avons vu plus haut, col. 470. combien la foi tendait à la perception surnaturelle des réalités divines. Il conviendra donc que 12 théologien mène une vie pure, sainte, mortifiée, priante. Son travail ne peut bien se fi. ire qu’avec le secours de grâces actuelles et sur la base d’un certain potentiel religieux. Et si, d’après saint Thomas, les dons d’intelligence et de sagesse sont nécessaires au Adèle pour perce oir droitement le sens des énoncer de la foi. on peut penser que le théologien ne saurait se passer de leur secours. Sur la nécessité de conditions morales pour la connaissance des choses spirituelles, nombreuses références aux auteurs anciens dans M. SchmaUl, bf p^grlinloqische Trinitatslehre du hL AugiUlintU, Munster, 1 ! » ’27, p. 171, n. 4. Plus spécifiquement sur les coi ni i lions spirituelles du travail I héologique et l’influence de la vie religieuse : Sehccben, Dogmatique, t. i. n. 997-1010 ; Mysterien drs Christentuinx, S H18 ;.1. Didiot, Logique surnaturelle subjective,

ll.eor. i.xxxi sq., 2° éd., 1894, p. 503 sq. ;.1. BilL, KinfOhrung in ihe Théologie. Pribourg-cn-Br., 1 p. 73 sq., ii. blekamp, Tlvologia dogmattese manuale, l. i. i’, p. 86 ; B. Garrignu-Lagrange, L" théo

togle ri i, i vie <ir in /m, dans Revue thomiste, ’< p. 492 sq. ; De Deo uno, Paris, 1938, p. 30 sq.. i<

La vie du théologien dans l’Église.

1. Le théologien

doit vivre dans l’Église. — Cela lui est nécessaire à plusieurs titres : a) du fait que, la théologie est science, elle suppose collaboration ; or, il s’agit d’abord de la collaboration des autres croyants, soucieux de porter leur foi à un état rationnel et scientifique, par où nous voyons que le théologien ne peut s’isoler de la communauté des croyants qui est l’Église. — b) La théologie est dépendante, dans son développement, du développement de la foi. Or, d’après saint Paul, Eph., iv, 13 ; Phil., i, 9, etc., le développement de la foi en connaissance, yvcôaoç. est lié à notre croissance dan., le corps mystique, comme membre de ce corps.

— c) La condition d’une connaissance orthodoxe des objets de la foi est la communion dans l’Église catholique, car la droite vue de ces objets est donnée par le Saint-Esprit, lequel ne dévoile la vérité qu’à ceux qui vivent dans la communion de l’amour ; cf. M.-J. Congar, L’esprit des Pères d’après Môhler, dans la Vie spir., avril 1938, Suppl., p. 1-25, et dans L’Église est une. Hommage à Môhler, Paris, 1939, p. 255-269. — d) Le critère dernier et finalement seul efficace de cette connaissance orthodoxe est l’Église enseignante : car l’Église ne peut vivre comme corps et ecclésiastiquement dans l’unité de la vérité, que grâce à un critère ecclésiastique d’unité et de croyance. M.-J. Congar, Chrétiens désunis, p. 105 et 166. C’est pourquoi, tant à propos de l’auditus fidei et de la théologie positive, qu’à propos de i’intellectus fidei et de la théologie spéculative, nous avons marqué plus haut la nécessité, pour le théologien, de se référer sans cesse à l’enseignement de l’Église, d’avoir le sens de l’Église et le sens du magistère.

La théologie sans doute est une science, mais c’est un fait que les Pères et les plus grands théologiens ont orienté leur travail vers la satisfaction des besoins de l’Église à un moment donné : défense de la foi, besoins spirituels des âmes, exigences ou amélioration de la formation des clercs, réponse à des formes nouvelles de la pensée ou à des acquisitions nouvelles de l’intelligence. Si l’on soustrayait de la théologie les œuvres qui répondent à ces divers appels pour ne garder que celles dont le seul souci du savoir a été l’inspirateur, on rayerait la plupart des plus grands chefs-d’œuvre. Toutefois ce serait un danger d’accentuer ou de développer, aux dépens d’un équilibre authentique de la doctrine et parfois même aux dépens de la vérité tout court, les thèmes qui « rendent » à un moment ou dans un milieu donnés. Le théologien ne doit pas se refuser à t-availler pour le service de l’Église ; mais, pour éviter ce danger qui, scientifiquement, ressemblerait à l’amateurisme, il doit aussi entourer son travail des conditions qui sont de rigueur pour tout travail scientifique : des exigences critiques, un certain recul par rapport à l’actualité immédiate, une atmosphère de désintéressement et de contemplation, une part de loisir, de dépouillement et de solitude.

2. L’Église doit laisser ou procurer au théologien les conditions de liberté qui sont nécessaires ù son travail. — Non que l’on veuille en aucune manière réclamer la liberté de l’erreur ou le droit à l’erreur. Mais il s’agit simplement de tirer une conséquence nécessaire de la distinction, expliquée plus haut, col. 180, entre dogme et théologie. L’Eglise enseignante propose et interprète la foi avec l’autorité souveraine du magistère apostolique. Mais, à l’Intérieur de cette unité de la foi dont elle est gardienne et juge, il y a place pour une recherche de type scientifique, que le théologien mènera sous sa piopre responsabilité et pour laquelle vaudra l’axiome :

in nrcessariis imitas, in diibus librrlas.

Ainsi celle distinction entre le dogme et la science

théologique correspond elle a une différenciation fort Importante, au sein de l’Église, dans les fonct ions rclatives à la sacra doctrina, à la vérité sacrée. Le service de cette vérité se fait en effet selon deux modes qu’on ne saurait bloquer sans dommage. La question proprement dogmatique est une fonction de conservation et de continuité ; elle doit transmettre à chaque génération ce qui a été depuis toujours transmis ; il ne lui revient pas de faire à proprement parler progresser la connaissance intellectuelle, mais de garder le dépôt, d’en déclarer le sens d’une manière authentique ; cf. Denz., n. 786, 1636, et surtout 1800. C’est le rôle du magistère hiérarchique. La fonction scientifique et proprement théologique, par contre, est une fonction d’initiative et de progrès : non pas, proprement, une fonction de conservation, mais une fonction de recherche, voire d’invention. Car, si la théologie travaille sur un donné immuable et auquel on ne peut ajouter, elle est elle-même une activité d’explication grâce à l’intervention active de ressources rationnelles ; aussi lui arrive-t-il de dépasser, à ses propres risques, les affirmations du dogme à un moment donné, tentant des synthèses là où celui-ci ne donne que des éléments, abordant des problèmes pour lesquels celui-ci ne fournit qu’un point de départ plus ou moins lointain, bref exerçant la fonction d’initiative et de recherche qui est celle de la science. B. Poschmann, Der Wissenschaftscharakter der kathol. Theol., Breslau, 1932, p. 14-15 ; A.-D. Sertillanges, Le miracle de l’Église, Paris, 1933, p. 94.

Aussi le travail théologique, comme tout travail scientifique, demande-t-il, par le côté où il est recherche et non tradition, une certaine liberté. Il est en effet rigoureusement impossible à la théologie de remplir sa fonction propre, si on lui ferme la possibilité d’essais, d’hypothèses, de questions et de solutions qu’on met en circulation non pour les imposer comme des choses définies et définitives, mais pour leur faire subir l’épreuve de la critique et faire jouer, à leur profit comme au profit de tous, la coopération du monde qui pense et qui travaille. Se refuser, dans ce domaine, à courir le moindre risque, vouloir que le théologien ne fasse que répéter ce qui a été dit avant lui et n’énonce que des choses certainement irréprochables et inaccessibles à la critique serait méconnaître le statut propre de la théologie et par là préparer sa décadence. Comme Benoît XV le déclarait, le 17 février 1915, au P. Ledochowski, S. J., il faut laisser, dans les matières qui ne sont pas de la Révélation, la liberté de discussion Timere se potius ne hac libertate præcidenda alæ simul ingeniorum inciderentur cum damno profundioris studii théologici. Revue du clergé français, 15 juin 1918, p. 416 ; Rev. apol., t. xxxvi, 1926, p. 307.

C’est ce droit à proposer, en matière non définie, pourvu que ce soit dans le respect de la foi, des opinions et des interprétations diverses, que réclamait, par exemple, au XIIIe siècle, un Bernard de Trilia : cf. le texte de son Mémoire justificatif, publié par P. Glorieux, dans Revue des sciences philos. et théol., 1928, p. 412 et 421. Aussi bien le Moyen Age connut-il précisément, en ce domaine, un régime de liberté qui permit la pleine floraison de la théologie.

Le progrès de la théologie. — Que la théologie progresse, c’est bien évident, puisque la connaissance dogmatique elle-même progresse et, pour une grande part, grâce à la théologie. On peut, semble-t-il, analyser les conditions du progrès de la théologie selon ces divers aspects.

Le progrès atteint d’abord la théologie au titre général de science. Elle se développe dans un régime de collaboration et par le commerce des spécialistes, grâce aux organes normaux d’un tel commerce : universités, instituts de recherche, congrès, collections, revues avec leur partie de critique bibliographique. Par ce côté, le progrès de la théologie est, au moins en partie, solidaire du progrès dans les autres sciences : sciences historiques, philologiques, liturgiques, sociologiques, etc. Par ce côté aussi, la théologie suivra en quelque mesure la loi de tout progrès qui se fait par spécialisation. Il appartiendra au théologien vraiment soucieux de la vitalité et du progrès de sa discipline de s’informer du progrès de toutes ces sciences dont il peut faire des auxiliaires de son travail.

Et en effet, le progrès atteint encore la théologie comme science d’un donné. Si progresser, pour tout être, c’est tendre à son principe, le progrès de la théologie consistera dans l’intelligence du donné tel quel de la prédication apostolique plus encore que dans le raffinement de la systématisation. Aussi la loi qui est celle de tout progrès vaut-elle d’une façon plus rigoureuse pour la théologie, qu’il n’y a de progrès véritable et de renouvellement fécond que dans la tradition. La nouveauté et le progrès, en théologie, ne sont pas dans un changement affectant les principes ou le donné, mais d’abord dans une prise de conscience plus riche ou plus précise de ce donné lui-même. Plusieurs questions de théologie peuvent être reprises, parfois révisées ou orientées d’une manière plus heureuse, par une étude plus critique du donné qui les concerne. C’est le cas, par exemple, de la notion de tradition, cf. supra, col. 464 ; ce pourrait être le cas, sans doute, pour plus d’une notion d’ecclésiologie ou de théologie sacramentaire. Cf., pour l’ensemble de la question du progrès en théologie, J. Kleutgen, Die Theologie der Vorzeit vertheidigt, t. v, 2e éd., Munster, 1874, p. 432-490 ; M.-J. Scheeben, Dogmatique, t. i, n. 1011-1026, trad. franç., p. 640 sq.

V. Divisions ou parties de la théologie. — La création progressive des diverses spécialités dans la théologie ne représente pas qu’un processus de désagrégation ou de décadence, mais bien aussi un processus normal de développement. Le progrès engage généralement une certaine spécialisation et donc une certaine division. Dans la partie historique de cet article, nous avons assisté à des spécialisations sucscessives au sein de la science sacrée : division de l’enseignement en lectio et quæstio, en commentaire de l’Écriture et disputes dialectiques, naissance d’une théologie positive et d’une théologie biblique, spécialisation d’une théologie morale, d’une théologie ascétique ou mystique séparées de la dogmatique, création d’une apologétique, développement séparé de la théologie polémique… Dans les tendances de restauration et de rénovation religieuses du début du xixe siècle, s’est formée une « théologie pastorale ». Nous avons vu aussi comment, vers la fin du XVIIe siècle, tout un mouvement s’était développé dans le sens d’une réintégration des différentes parties ainsi divisées dans un ensemble organique, dans un « système » dont les différentes parties seraient comme le développement d’une idée unique. C’est alors qu’on écrivit, surtout en Allemagne, des Encyclopédies dont l’objet était une distribution logique des sciences sacrées selon leurs articulations naturelles, cf. supra, col. 434. On trouvera un tableau de la distribution des disciplines théologiques telle que la proposaient Dobmaier, Drey, Klee et Staudenmaier, dans l’article Théologie du 'Dict. encyclopédique de la théologie catholique de Goschler, traduction de la 1re éd. du Kirchenlexikon de Wetzer et Welte, t. XXIII, p. 314 sq. ; cf. aussi l’article Encyklopädie de la Prot. Realencyklopädie, 3e éd., t. v, p. 351-364. Les auteurs modernes d’Introductions à la théologie présentent aussi, en la justifiant, une distribution de la théologie selon ses diverses parties ou sciences auxiliaires. Voici, par exemple, comment J. Bilz, qui semble s’inspirer un peu de Drey, divise et organise la théologie, soit dans son Einführung in dit Theologie, Fribourg-en-B., 493 THÉOLOGIE. SES DIVISIONS 494

1935, p. 49 sq., soit dans l’article Théologie du Lexikon fur Theol. u. Kirche, 1938, col. 71 sq. :

Disciplines auxiliaires :

Philologie biblique, herméneutique, géographie, chronologie et archéologie bibliques ; paléographie, épigraphie, diplomatique, chronologie, géographie, philologie.

Théologie proprement dite :

Apologétique, puis Introduction à la théologie ou Encyclopédie.

  • Théol. historique
    • hist. biblique
      • Introduction.
      • Exégèse
      • Théologie biblique.
    • hist. de l’Église
      • du dehors
      • du dedans (les idées) : nombreuses subdivisions.
  • Théol. doctrinale
    • Dogmatique
      • positive
      • spéculative (branches spéciales ; symbolique, étude des confessions chrétiennes).
    • Morale (dogmata morum), plus ou moins pratique, avec l’ascétique et la mystique.
  • Théol. pratique
    • Droit canon (avec spécialités droit des religieux, etc.).
    • Théol. pastorale :
      • (magistère) : homilétique, catéchistique.
      • (sacerdoce) : liturgique.
      • (gouvernement) : théologie pastorale proprement dite, avec, comme sciences auxiliaires, la pédagogie, la médecine, la psychiatrie.

Une rapide réflexion critique montre qu’il n’y a pas, dans ces diverses disciplines, différentes théologies mais une distribution d’une unique théologie, faite d’un point de vue pédagogique. C’est en réalité une division et une distribution de la matière complexe de l’enseignement ecclésiastique dans les universités et les séminaires, fl en est de même de l’énumération que présentent un certain nombre de documents officiels concernant les études des clercs. Voici les principaux, où se trouve généralement une distribution de la théologie en dogmatique, morale (avec annexion du Droit canonique et de la sociologie), Écriture sainte (divisée m Introduction générale et exégèse), histoire ecclésiastique ; cf. lettre de la Congrégation du Consistoire, Le visite apostoliche, aux évêques d’Italie, 16 juillet 1912, dans Enchiridion clericorum, Rome, 1938, n. 874 sq. ; Codex juris canonici, can. 1365 ; lettre de la Congrégation des universités et séminaires. Ordinamrnln dri seminari, 26 avril 1920, aux évêquei d’Italie, dans Enchir. cler., n. 1106, 1114 ; lettre Vixdum hœc Sacra (.ongregatio de la même Congrégation aux évéques d’Allemagne, 9 octobre 1921. ibid., n. 11311139 ; constitution Deus scientiarum Dominas sur les universités et facultés d’études ecclésiastiques, du 24 mai 1931 et règlement annexe, dans Arta aposl.

Sfdis, t. xxiii, 1931. p. 241-262, tra.l. française dans Documentation cathol., 15 aoûl 1931, col. 195-221. Ces documents donnent, sur l’objet, la méthode, l’importance ei l’espril de la théologie, de indications assez nettes et extrêmement prérieuses. Mais que l’énumération qui est faite là des matières principales, auxl’"ires et spéciales (telle est la division adoptée) ne prétende à aucune portée spéculative, on le volt soit par le but et la qualité de ce document, soit par ce qu’il déclare lui-même, soit par la manière dont des membres qualifiés des grands corps enseignants catholiques ont glosé ce dispositif ; cf. Ch. Boyer, dans les Études, 5 octobre 1931, p. 16 ; Gregorianum, 1936, p. 159-175 ; J. de Ghellinck, dans Nouvelle revue théol., novembre 1931, p. 777.

Il n’y a donc pas lieu de chercher dans ces documents une division scientifique de la théologie en ses parties nécessaires, mais bien une organisation et une distribution de l’enseignement des sciences ecclésiastiques. Quand la lettre Ordinamento, op. cit., n. 1110, la lettre Vixdum hase, op. cit., n. 1135 et la constitution Deus scientiarum parlent de théologie ascéticomystique comme d’un complément de la morale, elles n’entendent nullement prononcer que ces disciplines ont un statut épistémologique séparé, mais simplement donner une direction pour un enseignement complet de la morale. De même, quand le Code, can. 1365, § 3 et Pie XI, dans la lettre Officiorum omnium du 1 er août 1922, Enchir. cler., n. 1157, parlent de théologie pastorale, ils ont en vue de promouvoir une réalité pédagogique et non de définir une spécialité épistémologique. Et ainsi du reste. La voie est donc libre pour concevoir, selon l’idée qu’on se fait de la théologie, l’unité de celle-ci et la distinction de ses parties.

La théologie, en elle-même, est une, elle a un unique objet formel quod et quo, à savoir le mystère de Dieu révélé, en tant qu’il est atteint par l’activité de la raison à partir de la foi. Cette définition, en même temps qu’elle exprime l’unité essentielle de la théologie, nous fait pressentir la complexité de ses éléments et des apports qui l’intègrent : donné positif extrêmement complexe et dont une connaissance vraiment scientifique engage bien des disciplines, apport rationnel, possibilités considérables de développements et d’applications. La théologie, étant une sagesse, se subordonnera normalement une pluralité de méthodes et de données, les orientant vers son service tout en leur laissant leur autonomie. Parce qu’elle utilise ainsi à son service une pluralité de sciences, tout en respect ant les conditions propres de leur travail, la théologie aura donc, à l’intérieur de son activité à elle, plusieurs actes ou méthodes partiels qui joueront leur rôle dans sa constitution intégrale. Cette assomption d’instruments, de disciplines et de méthodes auxiliaires se fera en théologie, plus particulièrement, à deux moments : quand elle recueille son donné et quand elle pousse l’application de ses principes dans les différents domaines de l’activité proprement religieuse. C’est pourquoi deux auteurs récents, qui se rattachent à la tradition thomiste, G. Rabeau et J. Brinktrine, ont distribué les parties auxiliaires de la théologie selon ces deux moments : la préparation et l’application <>u exécution du travail de la théologie.

Voici comment G. Rabeau résume sa pensée, Inlrod. à l’étude de la théol., p. 235 :

  • Sciences instrumentales préparatoires :
    • Philologie sacrée
      • Langues sacrées
      • Archéologie
    • Histoire sacrée
      • de la Révélation
      • de l’Eglise
    • Théologie biblique et histoire des dogmes
      • Théologie spéculative
  • Sciences instrumentales exécutoires :
    • Dans la vie en général Droit canon
    • dans le culte Liturgie
    • dans l’enseignement Théologis pastorale 49J THÉOLOGIE ET AUTRES SCIENCES 496

Et voici comment J. Brinktrine schématise sa division, Zur Einteilung der Théologie und zur Gruppierung der einzelnen Disziplinen, dans Théologie und Glaube, 1934, p. 569-575 et dans Ofjenbarung und Kirche. Fundamenlal-lheologische Vorlesungen, t. i, Paderborn, 1938, p. 26 :


Rubricistique
Catéchistique
Homilétique
Droit canonique
Théologie pastorale
^ ^ ^ ^ ^
I I I I I
Eglise
^
I
Théol. mystique <-Dons du S.-E.
^
I
Péchés --> Théol. casuistique
^
I
Théol. liturgique <-- Religion
^
I
Vertus --> Théol. ascétique
^
I
Théologie
dogmatique
morale
fondamentale'
^ ^
I I

Théol. historique --> <--Théol. biblique

(l’ordre logique de lecture est de bas en haut)

Nous ne nous attarderons pas ici à définir chacune des disciplines particulières qui interviennent en théologie, non plus que chacune des parties de la science théologique. Voir l’exposé très compétent de G. Rabeau, op. cit., p. 231-327 et ici, aux mots : Apologétique, Archéologie chrétienne, Ascétique, Casuistique, Catéchisme, Dogmatique, Droit canonique, Exégèse, Fondamentale, Interprétation de l’Écriture, Liturgie, Morale, Mystique, Pères (t.xii, col. 1199 sq., sur Patristique, Patrologie, etc.), Philosophie, etc. Nous préférons donner rapidement, d’un point de vue spéculatif, un classement des parties de la théologie.

On peut distinguer un tout du point de vue de ses parties intégrantes ou du point de vue de ses parties potentielles.

Les parties intégrantes sont celles qui font l’intégrité du tout, comme les membres font celle du corps. À cet égard, les parties de la théologie sont :
1. du point de vue de sa méthode ou de sou objet formel quo, les deux actes qui intègrent son travail, à savoir l’auditus fldei porté à un état rationnel et scientifique dans sa fonction positive, et Y intellectus fldei porté à son état rationnel et scientifique dans sa fonction spéculative. —
2. Du point de vue de sa matière ou de son objet formel quod, les différents traités par lesquels elle considère son objet selon tous ses aspects : De Deo uno, de Deo trino, de Deo créante, etc. Ce sont aussi les différentes disciplines par lesquelles la théologie prend toute son extension pratique et qui ne sont qu’un développement de certains éléments étudiés dans les différents traités, comme on le voit bien dans le tableau de J. Brinktrine reproduit plus haut : ascétique, pastorale, etc.

Les parties potentielles sont celles en qui le tout est présent selon toute son essence, mais ne réalise pas toute sa vertu ; partie et tout son pris ici dans l’ordre d’une virtus qui se distribue inégalement en diverses fonctions : ainsi les diverses puissances de l’àme, intelligence et volonté, ou, dans la théologie de saint Thomas, les vertus qui considèrent un aspect secondaire dans l’objet d’une autre vertu, comme la religion ou la piété, par rapport à la justice. On pourrait donc, considérer comme parties potentielles de la théologie les usages différents et inégaux qui y sont fails de la raison théologique, c’est-à-dire de la raison habitée, éclairée et positivement dirigée par la foi. C’est pourquoi le P. Gardeil faisait de l’apologétique une partie potentielle de la théologie, ordonnée à un aspect secondaire de l’obiet de celle-ci, la crédibilité naturelle, et n’usant pour se fonder que des ressources de la raison critique de laquelle relève cette créoibililé naturelle. Revue d*.s sciences philos, et théol., 1920, p. 652. Mois, si l’on considérait l’apologétique comme un traité spécial étudiant Dieu révélant, comme un De revelalione, on la rangerait à cet égard parmi les parties intégrantes, et c’est ce que fait le P. Garrigou-Lagrange, De rcuclatione, t. i. p. 66. Peut-être pourrait-on de même considérer comme des parties potentielles ces disciplines instrumentales auxiliaires que G. Rabeau appelle « sciences préparatoires » : l’exégèse, l’histoire des dogmes et des institutions, la philologie sacrée, etc. Non pas que ces sciences ou parties de sciences, considérées en elles-mêmes, soient proprement de la théologie : l’histoire des dogmes est formellement de l’histoire et la philologie sacrée de la philologie ; mais, si l’on considère ces disciplines dans l’usage qu’en fait la théologie et en tant qu’elles se subordonnent à elle et obéissent à sa direction pour le service de sa fin. alors elles deviennent comme des appartenances de la théologie : elles peuvent alors être considérées comme se trouvant dans une situation semblable à celle de l’apologétique, discipline où la raison théologique ne se produit que selon une partie de sa vertu, n’usant que de ressources purement rationnelles, mais sous la direction de la foi, et atteignant l’objet de la théologie selon quelque aspect secondaire de celui-ci. Car c’est bien l’objet sacré, en tant que se trouvant dans telle ou telle condition semblable aux conditions des documents historiques, que ces disciplines considèrent, et cela les fait relever de la théologie à un litre spécial. À ce compte, les sciences auxiliaires préparatoires, telles que l’exégèse, l’histoire des doctrines et des institutions, etc., pourraient être envisagées comme des parties potentielles de la théologie ; mais on pourrait aussi les considérer comme des sciences indépendantes dont la théologie utilise les services, comme elle le fait aussi de la philosophie.

G. Rabeau, Introduction à l’étude de la théologie, Paris, 1926, III* partie ; J. Bilz, Ein/uhrung in die Théologie, Fribourg-en-B., 1935, p. 49-63 ; J. Brinktrine, Zur Einteilung der Théologie und zur Gruppierung der einzelnen Disziplinen, dans Théologie und Glaube, 1934, p. 569-575 ; Zur Einteilung und zur Stellung der Lilurgik innerhalb der Théologie, ibid., 1936, p. 588-599 ; Welches ist die Aufgabe und die Slellung der Apologelik innerhalb der Theulogie ? ibid., 1937, p. 314 sq. — Sur l’apologétique, cf. aussi supra, col. 430 et A. de Poulpiquet. Apologétique et théologie, dnns Revue des sciences philos, et théol., t. v, 1911, p. 7U8-734 ; supra, art. Dogmatique, t. iv, col. 1522 ; Dict. apologét., 1. 1, col. 244-247.

VI. La théologie et les autres sciences. —

Nous ne ferons ici que proposer très brièvement quelques conclusions concernant le rapport de la théologie non plus avec ses propres parties, mais avec les sciences profanes.

Distinction de la théologie d’avec les sciences qui, au moins partiellement, ont même objet matériel qu’elle. —

La théologie est distincte :
1. De ta philosophie, même en la partie de celle-ci qui traite de Dieu ; saint Thomas, Sum. theol., I », q. i, a. 1, ad 2um ; Denzinger, n. 1795.

2. De la psychologie religieuse, d’une analyse ou d’une description de l’expérience religieuse, car la théologie est l’élaboration intellectuelle scientifique des enseignements de la Révélation objective ; Révélation à laquelle fait bien face, dans les fidèles, la grâce 497 THÉOLOGIE ET AUTRES SCIENCES 498

intérieure de la foi, mais qui est essentiellement constituée en son contenu par un donné objectif dont la conservation, la proposition et l’interprétation relèvent d’un magistère hiérarchique prolongeant celui des apôtres. La théologie catholique est tout autre chose que cette description de l’expérience religieuse en termes intellectuels que le libéralisme protestant donnait pour tâche à la dogmatique, cf. ici, Expérience religieuse, t. y, col. 1786 sq.

3. De l’histoire des dogmes, et ceci pour les mêmes raisons. Si la théologie se nourrit, par sa fonction positive, de ce qui a été pensé dans l’Église, elle ne s’identifie pas plus avec l’histoire de cette pensée que la philosophie ne s’identifie avec l’histoire des idées ; elle est une contemplation rationnelle d’un donné, non l’histoire des idées religieuses.

4. De la science des religions et de la philosophie de la religion. On distingue assez généralement la science des religions ou histoire des religions, qui s’attache à décrire en leur genèse, leurs formes, leur contenu et leur développement les différentes religions, à l’aide des ressources de la méthode historique ; la psychologie religieuse, qui a pour objet les diverses manifestations du fait religieux dans les individus et dans les groupes, et pour méthode celle de la psychologie ; enfin la philosophie de la religion, qui étudie l’essence de la religion, les bases du fait religieux dans la nature de l’homme, les critères rationnels de vérité en matière de religion. L’ensemble de ces trois disciplines forme ce qu’on appelle en Allemagne la Religionswissenschaft. La théologie ne peut être assimilée à ces sciences ni par son objet, qui est le mystère de Dieu tel qu’il est connu dans la Révélation judéo-chrétienne proposée par l’Église, ni par sa méthode, qui n’est nullement d’enquête et d’explication historiques ou psychologiques, non plus que de démonstration philosophique, mais qui met en œuvre des ressources de la raison historique et philosophique à l’intérieur d’une foi s’adressant à une Révélation, sous la direction positive et constante de cette foi.

Principes généraux concernant les rapports de la théologie et des sciences profanes.

Les principaux textes du magistère sur cette question ont été apportés ici, art. Dogmatique, t. iv, col. 1529 sq. Sur les rapports de la philosophie et de la théologie, on se reportera surtout à l’encyclique Aeterni Patris du 4 août 1879. On peut formuler en trois énoncés la pensée de l’Église en cette matière :

1. entre la foi et donc ultérieurement la théologie, d’une part, les sciences qui sont vraiment telles d’autre part, il ne peut y avoir de contradiction réelle, cf. Denz., n. 1797 sq., 1878 sq.

2. Les sciences ont, en face de la foi et de la théologie, leur objet propre et leur méthode propre, et donc une autonomie épistémologique. Denz., n. 1670, 1674, 1799. —

3. La théologie, science de la foi, est cependant, de soi, supérieure à toutes les autres sciences en lumière et en certitude. Denz., n. 1656, 2085, etc.

Ce que ta théologie est pour les sciences. —

On a déjà Indiqué plus haut, col. 186, que la théologie, comme sagesse suprême, était le couronnement de toutes les sciences et devrait être le principe d’un ordre chrétien de la culture et du savoir. Comme sa suprême, la théologie domine et juge les sciences. Elle utilise leurs services pour son propre but, comme nous l’avons déjà remarqué, et elle a à l’égard de toutes, un certain rôle de critère, rôle qui peut s’exprimer ainsi : la théologie ne prouve pas les conclusions des autres sciences mais, dans la mesure on des conclusions l’intéressent elle même, elle les approuve ou les désapprouve, et ainsi intervient dans leur travail.

1. La théologie ne prouve pas les conclusion des autres sciences ; elle leur laisse l’autonomie de leurs démarches propres ; son intervention à leur égard n’est pas intrinsèque, concernant leur travail interne de recherche et de preuve ; elle ne change pas intrinsèquement et dans sa substance leur régime épistémologique : et ceci est vrai non seulement des sciences physiques ou mathématiques, mais des sciences philosophiques ou historiques que la théologie emploie immédiatement à son service. Même alors, en effet, la valeur, la certitude et l’évidence des données historiques ou philosophiques employées restent intrinsèquement ce qu’elles sont dans leur science respective, selon les critères propres de cette science.

2. Elle intervient de l’extérieur dans leur travail. — La théologie étant, en face des sciences, d’une vérité plus haute et plus certaine, le rapport de conformité ou de répugnance que les énoncés des sciences auront à l’égard de ceux de la théologie, rapport qui s’exprimera, le cas échéant, dans l’approbation ou la désapprobation que celle-ci leur témoignera, interviendra du dehors dans le travail des sciences et pourra ainsi le régir, le changer et, dans l’hypothèse favorable, en augmenter même la certitude. Soit par exemple la théorie cartésienne de la matière identifiée à la substance-étendue. Cette théorie se heurte aux énoncés de la foi et de la théologie concernant les espèces eucharistiques (noter que si la théologie parle d’ « accidents », le dogme, lui, évite ce mot philosophique). Il se passe alors ce que saint Thomas énonce ainsi : Ad (sacram) scientiam non pertinel probare principia atiarum scientiarum, sed solum judicare de eis : quidquid enim in aliis scientiis invenitur veritali hujus scienliæ répugnons, totum condemnatur ut /alsum. Sum. theol., I », q. i, a. 6, ad 2um. La théorie de la substance-étendue sera jugée et désapprouvée par la théologie et ainsi sera condamnée aux yeux du philosophe croyant. Si celui-ci l’avait tenue jusqu’alors pour certaines raisons philosophiques, il remettra en question ses raisons et ses évidences ; il cherchera une autre voie, par des moyens proprement philosophiques et ainsi la théologie, sans intervenir dans la trame interne de sa pensée, sans modifier intrinsèquement le régime épistémologique de sa discipline, représente pour le savant un critère extrinsèque, une norme négative. Son intervention est, pour le savant comme pour la science de celui-ci, un bienfait, car elle leur évite des erreurs, des fausses voies, elle les garantit contre l’illusion et les libère du mensonge ; cf. Denz, , n. 1656, 1674, 1681, 1714, 1799, 2085. Les documents officiels sont à cet égard soucieux d’exclure la distinction que certains faisaient entre le philosophe et la philosophie et d’affirmer la souveraineté de la théologie non seulement sur le premier, mais sur la seconde. Denz., n. 1674, 1682, 1710.

Soit maintenant une théorie philosophique, comme celle de la subsistence, que la théologie emploie au coeur même de ses traités les plus importants, dans la construction intellectuelle des mystères de la Trinité et de l’incarnation. L’utilisant dans les conditions que l’on a dit plus haut être celles des principes de raison dans le travail théologique, la science sacrée approuve la théorie de la subsistence ; elle ne la transforme pas intrinsèquement ou épistémologiquement, et cette théorie restera, en philosophie, ce qu’elle était auparavant, valant ce que valent les raisons qui la fondent ; mais elle recevra, aux yeux du philosophe croyant ou du philosophe théologien, une plus-value extrinsèque de certitude du fait de son approbation par la science de la foi qui, pour ainsi dire, l’homologue et la garantit. C’est pourquoi, dans de nombreux documents et en particulier dans l’encyclique Aeterni Patris, le magistère ecclésiastique a souligné, au delà d’une défense et d’une protection contre l’erreur, le bénéfice positif de certitude que la raison philosopbi 499 THÉOLOGIE 500

que retire de sa subordination à la foi par la théologie, cf. Denz., 1799, où le concile du Vatican dit de la foi que rationem multiplici cognitione instruit.

C’est le fait de ce bénéfice reçu par la philosophie du contact qu’elle a avec la théologie qui a porté M. Gilson, puis M. Maritain et ceux qui les ont suivis, à parler de « philosophie chrétienne ». En Allemagne, vers le même temps, d’une manière peut-être moins

« formelle », on parlait de sciences et de philosophie

catholiques, cf. infra, bibliographie. Dans un sens un peu différent, M. Blondel avait, depuis quelque temps, parlé de « philosophie catholique ». Un certain nombre de théologiens se sont montrés rebelles à cette nouvelle catégorie de philosophie chrétienne, voulant avant tout maintenir la distinction entre la théologie et la philosophie, prise de leur objet formel ou de leur lumière, aux termes de quoi toute pensée réglée par la foi ou dépendante de la foi serait théologie, toute valeur rationnelle, dùt-elle son origine au christianisme, ne pouvant recevoir aucune qualification intrinsèque autre que celle de philosophique. Cette opposition souligne bien que, au point de vue des définitions essentielles et des motifs formels qui en sont le principe, il n’y a pas de tertium quid entre la philosophie et la théologie. Mais, ceci accordé, il paraît légitime de se placer au point de vue de la genèse, de l’histoire, des conditions d’exercice et de l’état concret des formes historiques de la pensée. Alors il semble bien qu’il y ait une pensée inspirée ou suscitée par la foi, mais de contexture épistémologique comme de valeur purement philosophiques, que la raison développe et poursuit par ses propres moyens et pour sa propre fin, laquelle est le vrai pur et simple. Historiquement, ce développement des notions philosophiques grâce à la foi chrétienne s’est souvent opéré par la recherche de l’intellectus fidei, de l’intelligibilité de la foi, c’est-à-dire par l’effort proprement théologique. Inversement il est arrivé aussi chez un saint Augustin par exemple, que l’enrichissement philosophique ait été obtenu hors d’une référence directe à l’intellectus fidei, dans une véritable contemplation philosophique poursuivie pour elle-même et par les voies propres de la raison, mais dont le donné de la foi avait été l’occasion, le christianisme exerçant ici l’une de ses vertus qui est de rendre l’homme à lui-même et à la raison son propre bien de raison. Ouverte par la foi, la méditation philosophique se développe dès lors selon ses propres exigences. En sorte que, par ces deux voies, celle des besoins rationnels de la contemplation théologique, celle des possibilités rendues par la foi à la contemplation philosophique elle-même, il s’est développé, tout au long de l’histoire chrétienne, un savoir qui, purement philosophique au point de vue de son objet, de ses démarches, de sa trame épistémologique, n’en doit pas moins être qualifié de chrétien au point de vue de tout ce qui l’a rendu concrètement possible : choc initiateur ou point de départ, conditions et soutiens de la réflexion.

Ce que les sciences sont pour la théologie.

Les sciences sont pour la théologie des auxiliaires nécessaires, puisqu’elles lui fournissent cet apport rationnel sans lequel celle-ci ne pourrait se constituer pleinement. Ce que nous avons vu plus haut des conditions de cet apport justifie, au sens qui a déjà été expliqué, l’appellation de « servantes de la théologie » qui a été traditionnellement donné aux sciences. Toutefois, dans la mesure où les sciences n’apportent pas seulement à la théologie des illustrations extrinsèques ou de simples préparations subjectives, mais où elles lui fournissent véritablement un donné entrant dans l’élaboration de son objet, elles influencent sa constitution, son orientation, son progrès. Non que la théologie devienne ainsi subordonnée ou subalternée aux sciences : elle ne reçoit d’elles que ce qu’elle admet comme conforme à ses principes et convenable a son but. Mais la théologie se règle et se développe elle-même en faisant usage de sciences qui ont leurs accroissements et leur développement propres ; et ainsi le progrès de la science sacrée est-il en quelque manière fonction de l’état des sciences. Il est clair que le développement de la psychologie ou de la sociologie pourra, dans une certaine mesure, modifier celui de la théologie en certaines de ses parties, comme le développement de la métaphysique au XIIIe siècle, celui de l’histoire au XVIIe et celui des sciences bibliques au XIXe ont déjà pu influer sur son développement dans le passé.

Certains ont, dans cette perspective, préconisé un renouvellement de la théologie, soit en sa méthode, soit en quelqu’une de ses parties, comme le traité de l’eucharistie, par l’assomption en elle de techniques de pensées nouvelles, comme la logistique, ou de données scientifiques nouvelles, par exemple en physique et en chimie, cf. infra. bibliographie. L’idée n’est pas fausse a priori et au plan des raisons de principe ; structuralement, méthodologiquement, rien ne s’oppose à ce qu’elle porte fruit ; c’est une question d’espèce et il est bien clair qu’on ne s’engagera pas dans cette voie à la légère, sans une très sérieuse mise à l’épreuve des ferments nouveaux qu’il s’agirait d’assimiler. Pour ce qui est des cas concrètement proposés, il ne semble pas qu’on se trouve en présence de disciplines suffisamment mûres ou d’une valeur, d’une portée, d’une fécondité suffisamment indiscutables.

C’est sans doute du progrès des études bibliques et historiques, de celles qui intéressent la prise de possession exacte et riche de son donné, que la théologie serait présentement en droit d’attendre le plus pour son renouvellement ou son progrès.

L’histoire des rapports de la théologie avec les sciences a été écrite, dans un esprit prévenu, par A. While, A history o/ Ihe W are f are of Science ivilli Theologq in Christendom, New-York, 1903, qui s’attache à montrer que la théologie s’est toujours montrée hostile à la science.

Sur les rapports entre théologie et sciences en général : Petau, Theol. dogmata, proleg., c. m-v ; J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzeil, t. v, 2e éd., Munster, 1874, p. 293333 ; J. Didiot, Logique surnaturelle subjective, théor. lxiilxv, 2’éd., 1894, p. 275-318 : H. Hedde, Relations des sciences profanes avec la philosophie et la théologie, dans Revue thomiste, janvier 1904, p. 650-G66 et mai 1904, p. 187-206 ; J. Bilz, Einfiihrung in die Théologie, 1933, p. 80-95 ; B. Baudoux, Philosophia ancilla theoloyiæ, dans Antonianum, 1937, p. 293-326.

Sur la distinction entre la théologie, l’apologétique et toute philosophie de la religion, on aura profil à lire les articles du pasteur L. Dallière, Examen de l’idéalisme, dans Études théolog. et relig., 1931 ; de même, sur les rapports de la théologie et de la psychologie ou de la philosophie de la religion, l’article de D.-S. Adam dans l’Encyclopsedia of Religion and Ethics de J. Hastings, t.xii, 1921, p. 293 sq. ; B. Heigl, Religionsgeschichtliche Méthode und Théologie, Munster, 1926.

Sur la « Philosophie chrétienne », on trouvera une bibliographie complète et critiquement analysée dans La philosophie chrétienne. Journée d’études de la Société thomiste, t. II, Juvisy, 1934, puis, pour la suite du débat, dans le Bulletin thomiste, octobre 1934, p. 311-318, et juillet 1937, p. 230-255. Les ouvrages essentiels sont É. Gilson, L’esprit de la philosophie médiévale, 2 vol., Paris, 1932 ; Christianisme et philosophie, Paris, 1936 ; J. Maritain, De la philosophie chrétienne, Paris, 1933.

Études préconisant une application nouvelle de sciences modernes à la théologie. Pour la logistique : La pensée catholique et la logique moderne (Congres polonais de philosophie), Cracovie, 1937 ; H. Scholz, Die mathematische Logik und die Metaphysik, dans Philos. Jalirbuch, 1938, p. 257291. — Pour les théories physiques et chimiques : A. Mitterei, Dos liingen der alten StofJ-Form-Metaphysik mit der heutigen Stoff-Phystk, [nspruck, 1935 ; Wesensarlwcuidel und Artensyslem der physikalischen Kôrperivelt, Bicssanone, 1936 ; Profanuiissenschafl als thlfswissenschajt der Théologie, dans Zeitsch. f. kathol. Theol., 1936, p. 241-244 ; J. Tennis, Dogmaiische Phqsik » in der Lelire vom Allarsakrament ? dans Stimmen der Zeit, juillet 1937, p. 220 sq. ; Fr. Unterkircher, Zu einigen Problemen der Eucliaristielehre, Inspruck, 1938. Le philosophe et apologiste catholique K. Isenkrahe († 1921) a donné le titre de Experimentelle Théologie à un ouvrage publié en 1919, oii il cherche, en usant des ressources des sciences exactes, à fournir des preuves mathématiques et scientifiques de l’existence de Dieu et à traiter des faits préternaturels.

Bibliographie générale. — La bibliographie, arrêtée en mars 1939, a été indiquée à mesure, selon les époques et les sujets. On se contente donc ici de quelques indications, par mode de rappel ou de complément. D’autre part, les histoires générales de la théologie, rares d’ailleurs, ne se placent guère au point de vue méthodologique. Hurter, Somencliitor literarius, est une histoire presque purement littéraire. Il y a à prendre dans les très érudits travaux de K. Wcmer, Geschichte der apologetischen und polemlschen Literatur der christlichen Théologie, 5 vol., Schaflouse, 18611867 ; Thomas von Aquin, 3 vol., Ratisbonne, 1838 ; Die Scholaslik des spdleren Mitlelalters, 5 vol., Vienne, 18811887 ; Franz Suarez und die Scholaslik der Irtzten Jahrhunderte, Ratisbonne, 1861 ; Geschiciile der katholischen Théologie Deutschlan<ls seit dem Trienler Conzil, Munich, 1866. De même dans J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzeit, t. iv, 2’éd., Munster, 1873, qui contient, plus encore qu’une histoire, une défense et illustration de la scolastique ; de même encore dans l’esquisse historique que donne Scheeben à la fin du t. i de sa Dogmatique. M. Grabmann, Geschichte der katholischen Théologie seil dem Ausgang der Vàlerzeit, Fribourg-en-B. , 1933, n’est guère qu’une nomenclature, dont les classements et les appréciations procèdent souvent de Scheeben ; mais la Geschiciile der scholastichen Méthode du même auteur, 2 vol., 1913, est une mine précieuse pour l’histoire de la notion et de la méthode de la théologie. — Les articles de M. R. Draguet, Méthodes théologiques d’hier et d’aujourd’hui, dans lieuue cathol. des idées et des faits, 10 janvier, 7 février et 14 février 1936, bien que dépouillés de toute référence documentaire, présentent une vue d’ensemble fort suggestive des phases historiques de la méthode théologique, surtout dans son rapport au donné.

Sur les rapports de la raison et de la foi au Moyen Age, question qui déborde celle de la théologie et lui est en somme préalable : G. Brunhes, La foi chrétienne et la philosophie au temps de la Renaissance carolingienne, l’aris, 1903 ; Th. HeitZ, Essai historique sur les rapports de lu philosophie il de lu loi de Bérenger de Tours à suint Thomas d’Aquin, Paris, 1909 ; J.-M, Verweycn, Philosophie und Théologie un MUtelalter, Bonn, 191 1 ; E. Baudin, Les rupporls de la raison elde la fol, du Moyen Age à nos jours, dan - Revue des sciences relig., t. iii, 1923, p. 233-255, 328-357, 508-537 ; M. Grabmann, De quæstione l : trum oliquid possit esse si/nul creditum et seiium inler scholas augustinismi ei aristotelico-thomismt Me, m h : » ! agilata, dans Acla hebdom. augustinianee-tliamlsticm, lui iii, 1931, ». 110-137 ; W. Betzendôrfer, Glauben umt Wlssen bei dm grossen Denkern des Mitlelalters, Gotha, 1931 ; A.-.I. Macdonald, Authority and Reason in the rarlq MlddU Ages (Hulsean Lectures 1931-1932), Oxford. 1933.

Études sur la notion de théologie n’ayant pas figuré dans les bibliographies ou ayant été peu citées au cours de l’article :

  • N.-.J. Laforêt, Disserlalto historico-dogmatica de methodo

theologlm, Louvain, 1819 ;

  • H. Kilber, Principia theologica

(Theologia Wirceburgensis, t. 1), l’aris, 1852 ;

  • Bourfpiard,
  • LN’.nt.sur la méthode dans les sciences théologiques,

. 1860 ;

  • .1. Kleutgen, Die Théologie der’orzeil, 2’éd.,

Munster, 5 vol., 1867-1874, el un vol. de Beilagen : défense de li scolastique conl ro l termes, Gunlher et Herscber ; les t. i-iii représentent une sorte de-cou ; - de théologie, 1rs 1. iv et v une histoire de la théologie et un expose <| (. | a notion de théologie h « le so méthode ; Cl. Schrader, /v theologia generatim, Poitiers, IS7I ; C. von Schazler, Inlroducllo In 1. Theologiam dogmaticam, éd. Th. lisser, 1882 ; ’.. Kiini, Eragklopiidie und w der Théologie,

1892. I lopûdie der theologischen Wissenschaf l’ii. 1899 ; 1. B. Ha mg, Einjùhrung in dus Studium der 1911 ; leme ne, l>u. Ishraml der katholischen 1926 ; li. Martin, Principes de lu théologie tt lieux théologiqui thomi te, 1912, p. l’i’i

K. Zn-.< hé, 1 h. r ;.., dei boi ii, 1919 ;

li, Avuiamrnto alla studio délie scieme Uni’.() ; St. Szydol 1-1. Prolegomena m theologlm crain, Léopol, 2 vol., 1920 sq. ; Einfùhrung in dus Studium

der katholischen Théologie, hrsg. von der Munchener theolog. Fakultât, 1921 ; M. d’Herbigny, La théologie du révélé, 1921 ; G. Rabeau, Introduction à l’élude de la théologie, Paris, 1926 ; J. Engert, Sludien zur theologischen Erkennlnislehre, Ratisbonne, 1926 ; B. Baur, Um Wesen und Weisen der Théologie, dans Benediktin. Monatschri/t, t. ix, 1927, p. 187-189 ; J.-Chr. Gspann, Einjùhrung in die katholische Dogmatik, Ratisbonne, 1928 ; A. -M. Pirotta, De mcihodologia théologie ? scholaslicæ, dans Ephem. theol. Lovan., t. vi, 1929, p. 405438 ; Humilis a Genua, De theologia : objecto scholastica disquisitio, dans Estudis Eranciscans, t. xli, 1929, p. 447-458 ; De sacræ theologiæ scienti/ica natura, ibid., t. XI.il, 1930, p. 165-180 ; Eslne sacra theologia speculativa an praclica ? ibid., t. xliii, 1931, p. 151-168 ; F. Brunstâd, Théologie als Problem, Rostok, 1930 ; F. Canetti, La propedeutica alla s. Teologia, Bologne, 1931 ; G. Sôhngen, Die katholische Théologie als Wissenschaft und Weisheit, dans Calholica, 1. 1, 1932, ]>. 49-69, 126-14.") ; A. Janssens, Inleiding lot de Théologie, Anvers, 1934 ; J. Bilz, Einjùhrung in die Théologie, Fribourg-en-B., 1935. — On ajoutera les articles Théologie dos différents dictionnaires : Kirchenle.xikon ; Realencyklopàdie f. protest. Theol. ; Dict. de théologie de Bergier, de Goschler ; Lexikon jùr Théologie und Kirche ; Die Religion in Geschiciile und Gegenwart (protestant, dans le t. v de la 2° éd., ce qui concerne la théologie catholique est rédigé, col. 1124-1128, par J. Koch), etc.

Les livres ou études les meilleurs sur l’objet et la méthode de la théologie restent, outre les grands classiques, de saint Thomas à Scheeben : C. von Schazler, Introductio in sacrant theologiam ; A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; M.-D. Chenu, Position de la théologie, dans Revue des sciences philos, et Ihéol., t. xxiv, 1935, p. 232-257 ; R. Gagnebet, La nature de la théologie spéculative, dans Revue thomiste, 1938, p. 1-39 et 213-255 ; P. Wyser, Théologie als Wissenschaft, Salzbourg et Leipzig, 1938.

M.-J. CONGAR.


THÉOLOGIE DITE DE CHALONS, œuvre du séculier Louis Habert, voir t. vi, col. 20132016, un des manuels les plus considérables que le commencement du xviiie siècle vit surgir, mais que ses tendances jansénistes firent beaucoup discuter. Il fut supplanté par Tournely.

A. Degert, Histoire des séminaires français jusqu’à la Révolution, l’aris, 1912, t. 11, p. 213-250.


THÉOLOGIE DITE DE CLERMONT, appellation d’origine sous laquelle fui bientôt et reste encore usuellement désigné un manuel qui tint une place impoit ante, pendant la seconde moitié du xixe siècle, dans l’enseignement des séminaires tant en France qu’à l’étranger.

Sous sa forme primitive, il est dû au sulpicien Arsène Vincent (1813-1809) — qui avait déjà publié un Tractalus de ocra reliyione, Paris, 1858, puis un Traclalus de veraEcclesia Christi, Paris, 1802 — et s’intitulait Compendium universte theologiæ, Lyon et Paris, 1807-1869, 6 vol. ln-12. Écrivant pro juiuoribus clcricis, l’auteur s’y préoccupe surtout de logique et de simplicité. Il avoue n’avoir pas craint de faire à ses devant lera des emprunts qui vont parfois Jusqu’à la transcription de verbo ad verbum, t. 1, p. vin ; mais il revendique le mérite de la nouveauté (ibid.. p. vi H) pour une notice relative aux opérations de Hourse et pour la création d’un Irait é spécial De beata Virgine.

Devenu la propriété du grand séminaire de Cler mont-Ferrand, ce premier Compendium allait être

isivement retouché par les professeurs tic la

maison, lue 2’édition en fui préparée (1875) par Auguste Thibaut (18 Ht 1895) pour le dogme, avec le

coin ours, pour la morale de Nicolas Déjardins (1806 1889). qui l’enrichit d’un Supplementum ad tractahu de habilibua, de pracceplis Decalogi ri de surmmento matrimonii. A partir de la.’S' (1882 1883), où l’ouvrage fut désormais Intitulé Theologia dogmalica et morallt, deux nouveaux collaborateurs prennent part à l’œuvre commune, le pu miet poui la têt le ! " mat Iqu second pour la partie morale, savoir les frères J