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Dictionnaire de théologie catholique/TRINITÉ, LA THÉOLOGIE LATINE. I. De Boèce au IVe concile du Latran

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 86-100).

II. LA THÉOLOGIE LATINE DU VIe AU XXe SIÈCLE.

La théologie de la Trinité a déjà été étudiée sous divers aspects, chez les théologiens latins. Voir
Abstraits (Termes), t. i, col. 283-284 ; Ad intra, Ad extra, ibid., col. 398 ;
Appropriations aux personnes de la Trinité, ibid., col. 1708 sq. ;
Circumincession, t. ii, col. 2527 sq. ;
Consubstantiel, t. iii, col. 1604 sq. ;
Esprit-Saint, t. v, col. 759761 ;
Esprit-Saint (La procession de l'), ibid., col. 809812 ; 814-819, avec la bibliographie, col. 824-829 ;
Filioque, ibid., col. 2309 sq. ;
Fils de Dieu, ibid, col. 2467-2476 ;
Hypostase, t. vii, col. 407-437 ;
Noms divins, t. xi, col. 790-793 ;
Notion, ibid., col. 802-805 ;
Père, t. xii, col. 1188-1192 ;
Processions divines, t.xii, col. 645 sq. ;
Relations divines, ibid., col. 2135 sq. ;
sans compter les nombreuses monographies d’auteurs, d’hérésies ou d’écoles dont on trouve des échos dans l’étude précédente et dans la présente étude.

Les problèmes trinitaires seront rappelés ici, autant que possible, suivant leur enchaînement historique. La troisième et la quatrième partie cependant seront parallèles, l’une se référant aux erreurs, l’autre à la doctrine catholique.
I. De Boèce au IVe concile du Latran.
II. La grande scolastique et les controverses aboutissant au concile de Florence (col. 1730).
III. La crise protestante et ses répercussions dans la théologie catholique : concile du Vatican et encyclique Pascendi (col. 1766).
IV. Synthèse théologique de la Renaissance à nos jours (col. 1802).
V. Appendice : le culte de la Trinité (col. 1824).

I. De Boèce au IVe concile du Latran.

I. DE BOÈCE A LA FIN DE L’ÉPOQUE CAROLINGIENNE.

Boèce est le père de la scolastique. Ses cinq opuscules théologiques montrent bien comment la foi peut utiliser la raison dans l’exposé du dogme. Son influence fut considérable. Voir Scolastique, t. xiv, col. 1695-1696. Sans doute, la croyance chrétienne à la Trinité était depuis longtemps fixée, jusque dans les formules dogmatiques ; mais, pour réprimer les derniers sursauts de l’hérésie ou satisfaire la curiosité des penseurs, l’Église fut amenée à plusieurs reprises, à y apporter d’ultimes précisions.

Le dogme trinitaire avant l’époque carolingienne.

1. Les Pères.

a) Du vie au ixe siècle, les Pères sont, assez sobres sur le problème trinitaire. On peut cependant citer, à propos de l’affaire des Trois-Chapitres, Facundus d’Hermiane, Epistola catholiese fidei in defensione trium capitulorum, P. L., t. 1.xvii, col. 807 sq. ; ou encore Fulgence Ferrand, dans sa correspondance, Epist., iii, iv, v, ibid., col. 889, 908, 910. Cassiodore, à maintes reprises et parfois en quelques mots, souligne la foi catholique en la Trinité dans son commentaire sur le psautier, præfatio, c. xvii, P, L. t. lxx, col. 23 ; ps. ii, 17, col. 39 AB. ; ps. v, 2, 54 B ; ps. xvii. 33, col. 135D ; ps. xxix, 8, col. 201 BC ; ps. l. 13, col. 366 D-367 D (exposé assez complet avec. rappel de l’image augustinienne de la Trinité dans l’âme : substance, intelligence, vie) ; ps. lxxx, 14, col. 592 A ; ps. xi, 6, col. 98 CD (circumincession) ; ps. lvi, 4, col. 401 D (unité d’opération ad extra) ; cf. ps. cvi, 46, col. 765 D ; ps. cxxxi, 2, col. 947 CD et ps. cxxxii, 18, col. 955 D ; ps. cxxxv, concl. col. 967 (égalité dans l’adoration). La consubstantialité est indiquée au ps. lv, 9, col. 398 AD.

La collection canonique de Denys le Petit doit être mentionnée parce qu’elle acclimate les canons des conciles et les décisions des papes ; le dogme de la Trinité y trouve sa place marquée.

UHistoire des Francs de saint Grégoire de Tours débute par une profession de foi en la Trinité. P. L., t. lxxi, col. 161 B-162 A ; cꝟ. t. III, n. 31, col. 264 B. Son récit contient un certain nombre de professions de foi et de miracles attestant cette vérité. Cꝟ. t. II, n. 3, col. 195 B ; t. VI, n. 40, col. 406 C ; t. IX, n. 15, col. 493 B ; t. V, n. 44, col. 358 BC. Voir aussi Miraculorum libri, t. I, c. xiii, col. 718 BC ; c. lxxxi, col. 777-778, etc.

A cette époque (vie et vir 3 siècles), la foi au mystère de la Trinité était, à coup sûr, considérée comme le fondement de la vie chrétienne. Les « sermons » de saint Colomban ont pour point de départ une instruction De Deo uno et trino, P. L., t. lxxx, col. 229 sq. Boniface V exhorte le roi Edwin d’Angleterre à révérer avant tout « ce Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, qui est l’indivisible Trinité ». Epist., ii, ibid., col. 437 A. Le roi Dagobcrt I er invoque fréquemment la Trinité au début de ses diplômes. Ibid., col. 499 sq., passim. Voir aussi ceux de Dagobert II, ibid., col. 1301 sq. On constate la même formule initiale dans les chartes des donations aux vu » et viiie siècles. Ibid., col. 1077 sq. Les homélies attribuées à saint Éloi, évêque de Noyon, se terminent presque toutes par la doxologie trinitaire. Ibid., col. 593 sq. Une lettre, écrite en 679 par Damien de Pavie à l’empereur Constantin et à laquelle quelques manuscrits donnent le titre de De flde catholica, expose la croyance trinitaire et christologique de l’Église romaine et de l’Église de Milan, sorte d’explication du symbole de Nicée-Constantinople et des décisions de Chalcédoine. Ibid., col. 1261-1267. Le premier des sermons de saint Boniface, archevêque de Mayence, est consacré à un bref exposé de la foi chrétienne : le dogme trinitaire y tient une place prépondérante. P. L., t. lxxxix, col. 844 D845 AB ; cf. serm. v, col. 852 B ; serm. vii, col. 857 AB.

Dans ses commentaires sur l’Écriture, Bède offre d’excellents exposés théologiques du mystère. In Joan., c. i, P. L., t. xcii, col. 637-638, 645-646 (trinité des personnes) ; cf. c. viii, col. 745 AB ; c. v, col. 695697 (consubstantialité du Père et du Fils) ; cf. c. vi, col. 727 ; c. v, col. 698 (génération) ; c. vi, col. 726 (procession du Fils et du Saint-Esprit) ; c. xiv, col. 826 D-827 D (mission du Saint-Esprit dans les âmes) ; ibid., col. 830 (habitation de la sainte Trinité) ; ibid., col. 831 (unité d’opération ad extra) ; cf. c. xvii, col. 881 CD, 888 BC ; c. xvi, col. 859 (relation de la Trinité à l’incarnation). Voir aussi dans les homélies, t. I, hom. vii, t. xciv, col. 58 sq. ; t. II, hom. vi, col. 161 B-162 C ; hom. vii, col. 166 D ; hom. x, col. 181 D-182 A ; hom. xxi, col. 246 C-247 B. Chaque homélie se clôt par la doxologie trinitaire.

b) Les évêques espagnols forment un groupe compact. Au vie siècle, le priscillianisme est encore assez vivant en Espagne. Saint Martin, évêque de Braga, préside un concile dans cette ville (563) et porte le dernier coup à l’erreur : les deux premiers canons anathématisent les erreurs trinitaires. Voir Priscillien, t. xiii, col. 395 ; Denz.-Bannw., n. 231, 232. Sa lettre De trina mersione montre qu’il avait une parfaite notion du mystère. Voir Martin de Brada, t. x, col. 205.

Léandre de Séville est aussi un défenseur du dogme trinitaire dans ses deux traités de polémique anti-arienne, mentionnés par Isidore, De vir. (II., n. 41, P. L., t. LXXXIII, COl. 1103. Cf. LÉANDRE DE SÉVILLE, t. ix, col. 97. Léandre prit une part active au retour des Wisigoths à la foi catholique. Grâce à lui, le IIIe concile de Tolède (589) eut une exceptionnelle solennité et la profession de foi ainsi que les canons qui suivent sont un des plus beaux monuments élevés à la foi trinitaire. P. L., t. lxxxiv, col. 345-348.

La figure qui domine toutes les autres est celle du frère de Léandre, saint Isidore de Séville (î 636). Ce compilateur résume bien la pensée religieuse de son siècle. C’est au IVe concile de Tolède qu’il déploya toute son autorité. Bien que ce concile n’ait pas la même importance que le IIIe au point de vue trinitaire, on y doit signaler un premier canon De evidenti catholicæ fidei oeritate, P. L., t. lxxxiv, col. 365. Dans ses œuvres de théologie ou d’érudition, Isidore expose avec netteté la doctrine et la terminologie trinitaires. Cf. Etymol., I. VII, c. iv, P. L., t. lxxxii, col. 272 ; Differ., t. II, dif. î, t. lxxxhi, col. 69-73 ; Dc fi.de catholica contra Judœos, c. iv, col. 457-460 ; De ordine creaturarum, c. î, ibid., col. 913-916. Chose extraordinaire, les Sentences ne contiennent que quelques lignes sur la Trinité, t. I, c. xv, De Spiritu sancto, n. 1-3, ibid., col. 568-569.

Quelques noms gravitent autour d’Isidore. Taïon, évêque de Saragosse, expose la doctrine trinitaire en se référant fréquemment à saint Grégoire et à saint Augustin. Sentent., t. I, c. iv-vn, P. L., t. lxxx, col. 735-739. Ildefonse de Tolède indique nettement que le début du catéchuménat comporte la connaissance du mystère de la Trinité. De cognilione baptismi, c. n-iv, P. L., t. xevi, col. 112-113. Voir, sur la génération du Verbe, c. xxxix, col. 128-129 ; sur le Saint-Esprit, sa procession et ses différents noms, c. livlxxi, col. 134 C-138 A. Dans son Liber apologeticus des Trois-Chapitres, Julien de Tolède rappelle la foi trinitaire, sanctionnée aux XIVe et XVe conciles de Tolède. Mais cet exposé se rapporte à un incident qui aura sa place marquée plus loin.

En somme, chez les Pères, la continuité dans la croyance est parfaite. S’il n’y a guère de progrès, dogmatique ou théologique, il y a du moins possession sûre d’une doctrine traditionnelle.

2. Les décisions conciliaires. —

a) A Rome.

La controverse monothélite a sa répercussion et sa solution au concile du Latran de 649. Le can. 1 définit « la trinité dans l’unité et l’unité dans la trinité, à savoir un seul Dieu en trois subsistences consubstantielles et égales en gloire, aux trois appartenant la même et unique divinité, nature, substance, vertu, puissance, le même pouvoir et commandement, la même volonté, la même opération sans principe, sans commencement, incompréhensible, immuable, créatrice et protectrice de toutes choses ». Denz.-Bannw., n. 254. Voir Martin I er, t. x, col. 191.

b) En Espagne. —

La foi trinitaire est déjà précisée au prétendu I er concile de Tolède, Libellas im modum symboli. Denz-Bannw., n. 19 sq. On a signalé plus haut le concile de Braga, avec saint Martin, évêque de cette ville ; la profession de foi du IIIe concile de Tolède, lue par le roi Reccarède lui-même, cf. P. L., t. lxxxiv, col. 341 ; le can. De evidenti catholiese fidei oeritate de saint Isidore, au IVe concile. Ibid., col. 365. Le VIe concile (638) reprend, quant au sens, la même formule de foi au can. 1, De plenitudine fidei catholicæ, ibid., col. 393.

Le XIe concile (675) fait un apport considérable à la théologie trinitaire. Il canonise une profession de foi que Kûnstle attribue à un théologien inconnu du ve siècle. Voir Symboles, t. xiv, col. 2929. C’est le célèbre symbole de Tolède Confilemur et credimus, inséré dans la collection dite Hispana, P. L., t. lxxxiv, col. 452 sq. ; Denz.-Bamvw., n. 275 sq. On y trouve exprimée la génération éternelle du Fils consubstantiel au Père, ainsi que sa filiation naturelle et non adoptive, n. 276 ; la consubstantialité du Saint-Esprit au Père et au Fils dont il procède et par lesquels il est envoyé, comme le Fils est envoyé par le Père, lui-même étant cependant égal à l’un et à l’autre, n. 277. La foi nous oblige à parler de Dieu trine et non de Dieu triple, car c’est par leurs relations et non par leur substance que les personnes se distinguent entre elles. — Ici, un progrès est manifeste : la doctrine de la relation est présentée comme un élément dogmatique, voir Relations divines, t. xiii, col. 2139. En sorte que nous distinguons les personnes sans diviser la déité ; in hoc solum numerum insinuant, quod ad invicem sunt, n. 278-280. Impossible donc de concevoir les personnes sans leurs relations mutuelles ni de les séparer, bien que chacune garde sa propriété : « Le Père a l’éternité sans naissance ; le Fils a l’éternité et est engendré ; le Saint-Esprit procède, sans naissance, de toute éternité », n. 281. Le reste du symbole concerne l’incarnation.

Le XIIe concile (681) se contente de proclamer la foi du symbole de Nicée-Constantinople. P. L. t. lxxxiv, col. 470. Même rappel au XIIIe concile (683).

Le XIVe concile devait provoquer l’incident auquel on a fait allusion plus haut. Saint Julien avait envoyé au pape Benoît II la relation officielle de ce concile. Le texte de sa synodique ne nous est pas parvenu et nous n’en savons que ce qu’en font connaître les critiques et les répliques auxquelles certains passages ont donné lieu. En ce qui concerne la Trinité, Benoît II y avait relevé, comme répréhensible ou tout au moins contraire à l’usage, l’expression voluntas gentil voluntatem, appliquée à la génération du Verbe. L’interprétation en bonne part de la formule douteuse fut donnée par Julien lui-même dans la synodique du XVe concile (688). On en trouve la partie principale dans Denz.-Bannw. , n. 294. Voir l’interprétation à Julien de Tolède, t. viii, col. 1941. Cf. Th. de Régnon, Études de théologie positive sur la Sainte-Trinité, t. iii, p. 552 sq.

Dans une longue profession de foi, le XVIe concile revient encore sur la même question et confirme l’interprétation donnée. P. L., t. lxxxiv, col. 531 sq. L’essentiel est dans Denz.-Bannw., n. 296. Le XVIIe concile (694) se contente du symbole de la foi. P. L., t. lxxxiv, col. 555. Quant aux actes du XVIIIe et dernier concile (701), ils sont perdus. Voir l’art. Tolède (Conciles de), supra col. 1189.

L’époque carolingienne.

1. Le problème trinitaire à la renaissance carolingienne. —

La renaissance carolingienne ne. connaît pas encore la théologie systématisée. Néanmoins l’étude des Écritures et des Pères ou les nécessités de la controverse provoquent parfois, au sujet du mystère de la Trinité, une heureuse alliance du raisonnement et des données positives. Cf. J. de Ghellinck, Le mouvement théologique an xiii tiède, Paris, 1914, p. 8 sq.

a) Alcuin (+ 804). —

Le point de départ des travaux d’Alcuin sur la Trinité fut l’apologie du Filioque pour répondre aux observations faites par les Orientaux au coneile de Gentilly (767). Dans le De processione Sancti Spiritus, P. L., t. ci, col. 64-82, Alcuin utilise, fort incomplètement d’ailleurs, les travaux de saint Augustin et d’autres écrivains Intins post/rieurs. — Trois ans après le IIe concile de Nlcée. Alcuin se retrouva devant le même problème en raison del actes de ee coneile, dans lesquels on avait remarqué l’omission du F II toque, t’n nouveau travail de ce théologien est publié, au nom de Charlemagne, dans les Livres carolinx, t. III, c. iii, P. L., t. xcviii, col. 11171121. S’appuyant sur les textes déjà utilisés par les Pères des ive et ve siècles, Alcuin affirme d’abord la divinité du Saint-Esprit et aborde ensuite la question de sa procession. Ni les preuves scripturaires alléguées, ni les raisonnements proposés n’apportent d’élément nouveau.

La théologie didactique de la Trinité a inspiré à Alcuin, vers la fin de sa vie, le De fide S. Trinitatis en trois livres, P. L.., t. ci, col. 11-54, suivi d’une invocation à la Trinité et d’un long symbole de foi. Trinité et incarnation y sont exposées en formules qui s’apparentent au Quicumque. Signalons également les 28 questions De Trinilate ad Fredegisum, col. 57-64. Ces œuvres sont « d’un théologien fort sûr ». É. Amann, L’époque carolingienne, dans Fliche-Martin, Histoire de l’Église, t. vi, p. 99.

b) Paulin d’Aquilée (f vers 802).

C’est au concile du Frioul (796) que Paulin rappelle la doctrine catholique promulguée à Nicée et à Constantinople sur la Trinité, n. 6, 7. Il insiste sur la procession du Saint-Esprit, à la fois du Père et du Fils, puisque le Père et le Fils sont inséparables (Joa., xiv, 9, 10), n. 8. Ce texte scripturaire, peu ad rem, est heureusement corroboré par d’autres allégations plus pertinentes. Joa., xx, 22 ; xvi, 7 ; xiv, 26. L’exposé qui suit est relatif au mystère lui-même et englobe tout le dogme catholique, n. 8-11. Il se termine par un long symbole de foi, n. 12-13, P. L., t. xcix, col. 283-295. Cf. É. Amann, op. cit., p. 177 sq.

c) Agobard de Lyon († 840). —

Comme Paulin, Agobard défendit la doctrine catholique contre l’adoptianisme. C’est donc d’une manière occasionnelle qu’il parle de la Trinité. Le début du Sermo exhortatorius ad plebem de fidei veritate et totius boni institutione est consacré à un bel exposé de ce dogme, n. 3-4. Sur la procession du Saint-Esprit, on trouve cette précision qui prélude à la formule : tanquam ab uno principio t « Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils… ; il ne procède pas d’abord du Père dans le Fils, ensuite du Fils pour répandre dans le cœur des fidèles le don de la charité, mais simultanément de l’un et de l’autre. » P. L., t. civ, col. 269 BC.

d) Théodulphe d’Orléans († 821). —

Au début du ixe siècle, une communauté de moines francs à Jérusalem chantait le symbole avec l’addition du Filioque. Accusés d’hérésie par les Grecs, ils écrivirent à Léon III pour lui demander une décision. Le pape transmit leur lettre à Charlemagne, en l’invitant à prendre leur défense. Théodulphe fut chargé d’étudier la question. Son travail fut lu devant le concile d’Aixla-Chapelle (809) et reçut l’approbation complète des évêques. Sur cette démarche des moines francs, voir Le Quicn, Dissert, damasc, diss. I, n. 13 sq., P. G., t. xciv, col. 205 sq. — Dans le De Spirifu sancto de l’évêque d’Orléans, P. L., t. cv, col. 239-276, la preuve scripturaire est nulle, mais la preuve patristique prend un développement que ne lui avait pas donné Alcuin. L’enquête est faite sur des bases plus larges. Sans doute la liste des textes n’est pas de tout point irréprochable ; elle constitue cependant un réel progrès pour la théologie du Saint-Esprit.

2. Controverses postérieures à Photius.

Le débat du Filioque rebondit en 867 après le réquisitoire de Photius. Voir t.xii, eol. 1574. Le pape Nicolas 1° invita les évêques francs à répondre aux accusations venues de Constantinople. P. /… t. exix, col. 1 1 52. Une fois de plus, le Filioque fut l’occasion de proposer non seulement la procession ob ntroqne, mais encore le dogme tout entier. Les évêques de Germanie, réunis a Worms (868). publièrent un De fidr Trinitatis contra Grn’corum h/rresim, P. L., t. exix, col. 1201-1212. OdOîl de B< BUvnis répondit également aux Grecs ; cf. Flodoard, llisl. Fret. Itrmrnsis, I. III, c. xxiii, P. L., t. cxxxv, col. 224 B ; mais son livre ne nous est pas parvenu. Sur la motion des évêques de la province de Sens, Énée, évêque de Paris, composa son Liber adversus Grsecos, P. L., t. cxxi, col. 683 sq. ; chargé du même office par les évêques de la province de Reims, Ratramne écrivit son Contra Grœcorum opposita. Ibid., col. 225 sq.

a) Concile de Worms.

Les évêques germains ne connaissent pas les travaux d’Alcuin et de Théodulphe. Leur mémoire est déficient. Pour prouver le Filioque, ils se contentent de quelques textes de saint Augustin sans portée réelle. Toutefois ils affirment l’essentiel du mystère, c’est-à-dire l’égalité, la divinité, la consubstantialité des personnes divines. Le De fide Trinitatis se complète de décrets disciplinaires et de protestations infirmant d’injustes reproches formulés par les Grecs. Mais les actes du concile contiennent en outre une belle profession de foi, exprimant d’une manière plus détaillée la doctrine des trois personnes divines et de leurs rapports mutuels, particulièrement en ce qui concerne le Saint-Esprit. Mansi, Concil., t. xv, col. 867.

b) Énée de Paris († 870). —

En écrivant son Liber adversus Grœcos, l’évêque de Paris n’a pas seulement l’intention de justifier le Filioque et de rappeler, à cette occasion, l’ensemble du dogme trinitaire ; il reprend aussi, un à un, les griefs disciplinaires formulés par les Grecs. Des 210 chapitres que renferme le mémoire, les 94 premiers seuls ont trait à la Trinité. Énée a transcrit les textes de Théodulphe, avec quelques additions de Vigile de Thapse et d’Alcuin (dont cependant il ne semble pas connaître le De processione Sancti Spirilus). Le Liber adversus Grsecos apparaît ainsi en léger progrès sur le recueil de Théodulphe.

c) Ratramne. —

L’ouvrage de Ratramne, en quatre livres, est supérieur à ceux qu’on vient de citer. Le 1. IV est consacré aux controverses disciplinaires ; les trois premiers ont pour objet la doctrine trinitaire et spécialement la procession du Saint-Esprit. Le 1. I expose les preuves scripturaires : l’argumentation de Ratramne. est bien menée et s’avère supérieure à l’essai d’Alcuin et des Livres carolins. Les livres II et III développent l’argument patristique. Ratramne connaît Alcuin et Théodulphe et il les utilise. Mais, aux données qu’il emprunte (en faisant d’ailleurs une sélection judicieuse), il ajoute le résultat de ses recherches personnelles : résultats modestes, s’attachant plus à la qualité qu’à la quantité. La méthode de Ratramne est différente de celle de ses prédécesseurs : il rapporte les documents par petites tranches qu’il fait suivre d’une glose. Ainsi on trouve chez lui une exégèse personnelle, souvent intéressante.

Ratramne avait aussi composé une défense de la formule Te trina Deitas unaque poscimus, de l’hymne des premières vêpres du commun des martyrs. Sur ce point, il épousait les idées de Gottschalk qui s’était attaché à cette formule qu’Hincmar estimait dangereuse. Voir plus loin. C’est par Hincmar qu’on connaît l’existence de l’opuscule, aujourd’hui perdu, de Ratramne.

3. Autres auteurs du IXe siècle.

a) Raban Maur († 856). —

Dans le De universo (844), Raban Maur, après avoir parlé de Dieu, c. i, du Fils de Dieu, c. ii, du Saint-Esprit, c. iii, expose brièvement la doctrine catholique sur la Trinité, c. iv. Les formules s’inspirent du Quicumque. Comme preuves de l’Ancien Testament en faveur du dogme trinitaire, il invoque Gen., i, 26 et Is., vi, 3. Pendant longtemps encore, les écrivains catholiques puiseront dans cet arsenal et y trouveront même de nouvelles armes.

Chose extraordinaire, Raban Maur a été cité par des Grecs, au xixe siècle, comme adversaire du Filioque ! Cf. Macaire, Théologie dogmatique orthodoxe (tr. fr.),

Paris, 1860, p. 370. Deux textes sont relevés où, tout en parlant de la génération du Fiis, Raban Maur dit simplement que le Saint-Esprit procède du Père : In EcclL, t. VI, c. ii, P. L., t. cix, col. 943 D ; Hom. in evang. et epist., hom. xxxv, P. L., t. ex, col. 212 A. Ce sont de simples citations de saint Augustin. La procession ab utroque est explicitement affirmée par l’archevêque de Mayence, hom. xlix, ibid., col. 237 D et surtout dans le De universo, t. I, c. m et iv, P. L., t. exi, col. 23 D-24 B, 27 D (Spiritus relative ad Patrem et Filium). Voir aussi Jn Eccli., t. VI, c. n. t. cix, col. 939 D ; De universo, I. IV, c. x, t. exi, col. 96 À et B ; De clericorum institutione, t. II, c. lvii (De régula fidei), t. cvii, col. 369 C ; Liber de sacris ordinibus, c. ix, t. cxii, col. 1171 C. Cf. Franzelin, Examen doctrinal Macarii Bulgakow…, Rome, 1876, p. 112 sq.

b) Haymon d’Halberstadt († 853). —

Haymon n’a pas écrit ex professo sur la Trinité. Mais Macaire a dirigé contre lui la même accusation que contre Raban Maur. Dans l’homélie lxxxvii, de lempore, Haymon affirme que le Saint-Esprit est appelé Esprit de vérité parce qu’il procède a Pâtre veritatis. P. L., t. cxviii, col. 519 C. Or, quelques lignes plus loin, est affirmée la procession a Paire et Filio, col. 520 A. Cf. hom. xcvm, col. 551, où précisément se retrouve la phrase incriminée, mais avec tous les apaisements nécessaires en faveur du Filioque. Voir également hom. evi, col. 574 A ; hom. li, col. 300 B ; hom. c, col. 558 À et, dans les homélies de sanctis, hom.xii, col. 798 A. Cf. Franzelin, op. cit., p. 110 sq.

c) Paschase Radberl († 865). —

Radbert a composé un traité De fide, spe et cliaritate. P. L., t. cxx, col. 1387 sq. Dans le 1. I er sur la foi, il étudie la vertu de foi et, à l’occasion de son objet, fait un exposé simple et précis du dogme de la Trinité, c. i, n. 3, col. 1393 AC ; cf. c. vi, n. 1, col. 1402-1403. On lit. au n. 2, une explication rejetant, comme inventée par les hérétiques, la formule : credo et in sanctam Ecclesiam. Le mystère de la Trinité est certainement manifesté dans la formule baptismale. Jn Matth., t. II, c. iii, ibid., col. 177.

d) Hincmar († 882). —

On a vu que Ratramne défendait l’orthodoxie de la formule Te trina Deitas et que Gottschalk, ayant appris quHincmar l’avait interdite, s’efforçait d’en venger l’orthodoxie. Hincmar reprend le texte de Gottschalk en y répondant dans le De una et non trina Deitale, P. L., t. cxxv, col. 473-618. Si la thèse d’Hincmar n’est pas incontestable (voir par exemple la doxologie de l’hymne Sacris solemniis), elle fut du moins l’occasion d’un bon exposé de la doctrine.

e) Jean Scot Érigène (t vers 870). —

Avec une terminologie catholique, Érigène semble faire de la Trinité l’objet soit d’une inférence partant de la vision des choses sensibles, soit d’une introspection attentive. Voir ici t. v, col. 410. Prélude, sans doute, des tentatives de « démonstration » que nous trouverons au XIIe siècle. La synthèse, fortement inspirée des idées origénistes et platoniciennes (elles lui viennent par le pseudo-Aréopagite) est extrêmement puissante.

II. lA PRÉSCOLASTIQUE.

L’époque étudiée ici couvre les XIe et XIIe siècles. C’est la préparation immédiate à l’ère des grands scolastiques.

Avant Pierre Lombard.

1. Le XIe siècle.

La théologie qui avait été, sinon frappée à mort, du moins très languissante, au xe siècle, commence à reprendre quelque vie au XIe siècle. Mais c’est une vie encore bien embryonnaire. Les auteurs se contentent souvent de reprendre ce qu’on avait dit avant eux et leurs spéculations sont timides. En ce qui concerne la Trinité, on ne peut guère relever que les noms de Fulbert de Chartres, d’Odilon de Cluny, de Guitmond d’Aversa et de saint Pierre Damien.


a) Fulbert de Chartres († 1028).

C’est dans ses sermons qu’on trouve sa doctrine trinitaire. La Trinité est comparée au soleil, dans lequel il y a trois éléments : la sphère, la lumière, la chaleur. Serm., i, P. L., t. cxli, col. 317 B. Ailleurs, Fulbert cherche dans l’Ancien Testament des preuves du mystère. Serm., vii, col. 331 C-334 C. La lettre à Adéodat est d’une théologie scripturaire plus sérieuse : l’évangile de saint Jean y est mis à contribution. Epist., v, col. 196-204. Signalons aussi une hvmne à la Trinité, col. 342 D-343 A.

b) Odilon de Cluny († 1048). —

Dans un sermon sur la Nativité on trouve les grandes lignes d’une doctrine trinitaire assez complète. P. L., t. cxlii, col. 993 B.

c) Guitmond d’Aversa († 1079). —

Cet auteur fait une sorte d’exposé de la foi chrétienne. L’âme de l’homme fournit une image des trois personnes en une seule substance : faite à l’image de Dieu, elle est substance spirituelle et, d’elle-même, c’est-à-dire de cette substance, elle possède trois réalités distinctes : l’intelligence, la mémoire, la volonté. Confessio de SS. Trinitate, Christi humanilate…, P. L., t. cxlix, col. 1497 D-1498 A.

d) Pierre Damien († 1072). —

Trois opuscules touchent au dogme trinitaire.

— L’opuscule I, De fide catholica, en dix chapitres, rappelle ce que la tradition nous oblige à croire touchant la Trinité et l’incarnation. L’Écriture est fréquemment invoquée et l’on sent l’influence du tome de Léon à Flavien. P. L., t. cxlv, col. 19-39. La procession du Saint-Esprit est exposée dans le dernier chapitre, col. 37. et dans le second des « scholia » qui terminent l’opuscule, col. 40. — La procession du Saint-Esprit, exposée spécialement en fonction de l’erreur des Grecs, fait l’objet exclusif de l’opuscule xxxviii, col. 633-642.

— Contre les Juifs, Pierre défend l’existence de la Trinité en s’appuyant uniquement sur des textes de l’Ancien Testament, Opusc. ii, præamb., col. 42-44 ; ce qui, à plusieurs reprises, l’amène à préciser la place tenue par le Fils de Dieu dans la Trinité.

— De ses Carmina sacra et preces, Pierre Damien consacre le premier à une prière à Dieu le Père, le second à une prière à Dieu le Fils, le troisième à une prière à Dieu le Saint-Esprit et il ajoute sept petites prières à la Sainte-Trinité. Ibid., col. 917-925.

2. Le début du XXIe siècle : tendance traditionnelle. —

Le xire siècle marque le réveil de la pensée religieuse. Mais la raison entend prendre part — une part quelquefois aventureuse — dans l’exposé du dogme. Toutefois, dès l’aube de cette période, un grand docteur contribue à fixer la théologie trinitaire dans les voies traditionnelles, en lui faisant en même temps l’apport d’un exposé dialectique solide et de bon aloi. C’est saint Anselme de Cantorbéry.

a) Anselme de Cantorbéry († 1109). —

Sur la méthode de saint Anselme dans la recherche de la connaissance des mystères, voir ici t. i, col. 1346 ; cf. col. 1343. Le début du De fide Trinitatis et de incarnatione Verbi, dirigé contre Roscelin, montre la vraie pensée de l’archevêque : il est absurde de subordonner la foi à la raison ; c’est plutôt l’attitude inverse qui l’impose. Les vrais théologiens doivent humblement s’appuyer sur les données de l’Écriture. C. i, ii, P. L., t. clviii, col. 259-265. Suit la réfutation des assertions rosccliniennes, avec la solution des difficultés. Anselme précise surtout les notions de nature et de personne en distinguant en Dieu ce qui est absolu et ce qui est relatif. Ce qui lui permet de montrer la non-répugnance du mystère à la raison : l’unité dépend de la substance, la multiplicité de la relation et, en Dieu, nec substanliri potest amittere singularitatem, nrr relatio pluralilatem. C. ix, col. 284 A. La théorie de ! relations reprend ainsi, dans la pensée et sous la plume d’Anselme, la place essentielle que lui assigne la tradition dans l’exposé du mystère. C’est Anselme qui trouve le premier la formule dogmatique que consacrera le concile de Florence, proclamant l’unité existant en Dieu, ubi non obviât aliqua relationis oppositio. De processione Spiritus sancti, c. ii, col. 288 C. Cf. B. Adlhoch, Roscelin und S. Anselmus, dans Philosophisches Jahrbuch, t. xx, 1907, p. 443 sq.

Ainsi la théologie trinitaire d’Anselme fait une grande place à la dialectique. Est-ce à dire que, par elle-même, la raison puisse s’élever à la connaissance du mystère ? On accuse Anselme d’avoir eu cette prétention. Dans le De fide Trinitatis, c. iv, col. 272 D, il renvoie au Monologium et au Proslogium, « écrits, dit-il, surtout dans le but de prouver, par des raisons nécessaires (necessariis rationibus) et sans l’autorité de l’Écriture, ce que nous croyons par la foi touchant la nature divine et les personnes, en dehors de l’incarnation ». Il ne faut pas exagérer la portée de cette assertion, bien adoucie à la fin de l’opuscule, col. 284 BC. Anselme semble vouloir simplement « retrouver par la raison les mystères déjà établis. Anselme (Saint), t. i, col. 1346. Cf. Proslogium, c. xxiii, et Monologium, surtout c. lxv-lxvi. La vraie pensée de l’auteur serait d’expliquer le mystère en coordonnant, avec une logique aussi rigoureuse que le comporte la matière, les éléments essentiels, sans prétendre en épuiser la vérité, de telle sorte que cette vérité demeure encore ineffable et incompréhensible. P. L., t. clviii, col. 211-213. Cf. Th. de Régnon, Études…, étude viii, c. ii, t. ii, p. 23 sq. ; et Janssens, De Deo trino, Fribourg-en-B., 1900, p. 413.

A l’instar d’Augustin, Anselme étudie dans l’âme l’image de la Trinité, c. lxvii, col. 213 BC, et par cette étude des opérations intellectuelles, il lui semble qu’il pénètre jusque dans le sanctuaire de la divinité, non pour comprendre, bien entendu, mais du moins pour affirmer par argument probant ». De Régnon, op. cit., t. i, p. 304. Dieu se contemple lui-même dans son acte d’intellection ; de là, naissance du Verbe mental qui explique les relations constituant le Père et le Fils. Mais comment n’y a-t-il qu’un seul Verbe et comment ce Verbe ne procède-t-il que du Père ? Anselme, qui ne distingue pas « intellection » et « diction », déclare ce fait inexplicable. Monol., c. lxiii-lxiv, col. 208 B-210 D. Quant au Saint-Esprit, il est l’amour commun du Père et du Fils, ne faisant qu’une essence avec eux. Ibid., c. lvii sq., col. 204 B. Cette procession par l’amour fait que le Saint-Esprit se distingue du Fils. Voir Janssens, op. cit., p. 593 sq., comparant sur ce point Anselme et saint Thomas ; cf. p. 621.

La question du Filioque amène saint Anselme, durant son séjour en Italie, à composer le traité De processione Spiritus sancti, P. L., t. clviii, col. 285326. La dialectique y a la part principale ; les formules concernant la pluralité des personnes en raison de « l’opposition des relations » s’y rencontrent assez nombreuses, ainsi col. 287 B, 288 C, 289 A, 290 A, 322 BC, 323 C. La procession ab utroque n’est qu’une application du principe de l’opposition des relations ; mais Anselme indique également, de cette procession, une raison psychologique : « Si Dieu s’aime, sans aucun doute, le Père s’aime et chacun aime l’autre. » Monol., c. li, col. 201 AB. Il est donc impossible de concevoir une procession selon l’amour, dans laquelle le Fils n’aurait pas sa part active comme le Père.

Aux Grecs qui reprochent aux Latins d’admettre ainsi pour le Saint-Esprit deux principes, Anselme répond en paraphrasent l’ensi ignement de saint Augustin. De Trtnitate, I. » ’, c. xiv, P. L., t. xlii, col. 920921 : Nous ne croyons pas que ! >’Saint-Lsprit procède de ce qui rend deux » le Père et le Fils, mais bien de ce qui les laisse « un ». Voilà pourquoi nous ne reconnaissons pas deux principes, mais un seul principe du Saint-Esprit. En effet, lorsque nous disons que Dieu est le principe de la créature, nous considérons le Père, le Fils, le Saint-Esprit comme un unique principe, non comme trois principes. Aussi nous disons un seul créateur et non pas trois créateurs, bien que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient trois ; et la raison en est que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont créateurs par ce en quoi ils sont un, non par ce en quoi ils sont trois. Si donc, relativement à la créature, bien que le Père soit principe, que le Fils soit principe, que le Saint-Esprit soit principe, cependant ils ne sont pas trois principes, mais un seul principe ; de même, relativement au Saint-Esprit, bien qu’il procède du Père et du Fils, il ne procède pas de deux principes, mais d’un seul, comme il procède d’un seul Dieu qui est le Père et le Fils. » De processione S. Sp., c. xviii, col. 311-312. (Trad. de Régnon, t. ii, p. 202-203.) Bien que la dialectique ait emporté Anselme au point de lui faire négliger tout recours aux sources patristiques, les preuves scripturaires ont été invoquées surtout aux c. ix-xii et xix-xx.

La doctrine trinitaire de saint Anselme a été particulièrement mise en relief par L. Janssens, op. cit. : sur les processions, p. 49, cꝟ. 78 ; sur les relations, p. 249 ; sur le rôle de la raison dans l’étude du mystère, p. 395, cꝟ. 413 ; sur le nom de Verbe, p. 486 ; sur l’unique principe de laspiration, p. 607 ; sur l’égalité du Père et du Fils, p. 802 ; sur les missions divines, p. 818.

b) Anselme de Laon († 1117). —

Une mention doit être accordée à cet auteur, disciple et homonyme d’Anselme de Cantorbéry, qui fut, au xir » siècle, le chef d’une école florissante. Sur Anselme de Laon, voir Dict. d’hist. et de géogr. eccl., t. iii, col. 485-487. L’ouvrage principal d’Anselme est intitulé Flores sententiarum ac quee.stionum magistri Anselmi et Radulphi fratris ejus, ms. Bibl. Nat. lat. 16 528, fol. 1-252. Il est divisé en sept parties. En voir les titres dans L. Saltet, Les réordinations, Paris, 1907, p. 285, note 3. C’est dans la première partie qu’on rencontre les questions relatives à la Trinité (prima pars continet de Pâtre et Filio). L’inspiration en est nettement traditionnelle et reflète saint Augustin et saint Anselme. Elle évoque même Jean Erigène, dont le monisme toutefois est rigoureusement écarté. La philosophie y a une grande part. Les Flores ont été édités une première fois par G. Lefèvre (thèse), Évreux, 1895, sous le titre Anselmi Laudinensis et Radulphi fratris ejus sententise excerptse. Une édition plus complète et plus récente, par Bliemetzrieder, dans les Beitrâge de Bâumker, Munster-en-W., t. xviii, 1919.

c) Guillaume de Saint-Thiéry († 1148).—

Cet adversaire d’Abélard, voir plus loin. col. 1714, est un représentant de l’école traditionnelle. Son œuvre prépare celle de Pierre Lombard. Théologien profond, nourri des Pères, doué d’un jugement sûr et pénétrant, tel il nous apparaît. Trois de ses ouvrages, dont deux seulement sont édités, nous renseignent sur sa doctrine trinitaire :

1. Spéculum fidei, passim ; voir P. L., t. clxxx, col. 385 A, 392 AB, 394 AB, 396 BC ; — 2. JEnigma fidei, ibid., col. 405 AB, 408 AC, 409-414, 417 AB, 419-422, 425 D-432 C, 433D-436D, 437C-440 : — 3. Sententiss de fîde, inédit, où l’auteur « traite de l’essence divine, de ses attributs, de la trinité des personnes, de l’unité de nature et de la création des anges et des hommes, employant presque toujours les propres paroles de saint Augustin et de Boèce ». Dom Ceillier, Hisl. gén. des auteurs sacrés et ecclés., éd. Vives, Paris, 1863, t. xiv, p. 389. La préface de l’édition Migne indique un autre ouvrage inédit : Traité des relations divines contre les erreurs de Gilbert de la Porrée ( ?).

Mais les traités polémiques de Guillaume contre Abélard sont encore la meilleure source à laquelle on doive puiser :

1. Sa lettre à saint Bernard, dans les œuvres de ce Père, Epist., cccxxvi, P. L., t. clxxxii, col. 531 ; — 2. Dispulatio adversus Petrum Abselardum, P. L., t. clxxx. col. 249-282 (la théologie trinitaire dans les c. ii-iv) ; — 3. Dispulatio altéra adv. Abœlardum, 1. I : réfutation de la doctrine abélardienne qui attribuait la puissance au seul Père, la sagesse au seul Fils, la bénignité au seul Saint-Esprit, ibid., col. 283298 ; 1. II : comment la trinité des personnes se concilie avec l’incarnation du seul Fils, col. 297-310 ; I. III, diverses erreurs abélardiennes y sont réfutées, notamment les erreurs cataloguées dans Denz.-Bannw. , n. 2, 3, 7, pour nous en tenir aux questions trinitaires. Ibid., col. 309 sq. Il faut enfin ajouter l’opuscule De erroribus Guillelmi de Conchis, ad sanctum Bernardum, col. 333 sq.

d) Rupert de Deutz († 1135). —

Le De Trinitate de Bupert de Deutz ne ressemble à aucun autre ouvrage sur la Trinité. C’est un commentaire sur un grand nombre de livres sacrés depuis la Genèse jusqu’aux évangiles. Il est divisé en trois parties : la première présente les événements depuis la création du monde jusqu’à la chute du premier homme ; la deuxième, depuis cette date jusqu’à l’incarnation et la passion du second homme, Jésus-Christ, Fils de Dieu ; la troisième, depuis ce temps jusqu’à la résurrection générale. Rupert attribue les œuvres de la première partie au Père ; celles de la deuxième au Fils ; celles de la troisième au Saint-Esprit. Ni son exégèse, ni sa théologie ne présentent d’originalité. Les applications trinitaires des textes de l’Ancien Testament en forcent évidemment le sens. Voir ici t. xiv, col. 175184. La procession du Saint-Esprit a Pâtre Filioque est cependant bien présentée au début de la troisième partie, c. iii-iv et c. xxviii, P. L., t. clxvii, col. 15731576, 1599-1600. La doctrine trinitaire proprement théologique de Rupert doit être glanée aussi en d’autres ouvrages, mais surtout dans le De glorificatione Trinitatis et processione Spiritus sancti, P. L., t. clxix, col. 13 sq., et dans le De divinis officiis, t. clxx, col. 13 sq. Sur le reproche fait à Rupert d’avoir affirmé l’incarnation du Saint-Esprit, voir ici t. xiv, col. 193194.

e) Hugues Métel († 1150). —

Si l’on cite cet auteur, ce n’est pas en raison de sa très modeste notoriété théologique, voir t. x, col. 1573. Mais ses lettres sur la Trinité attestent le caractère traditionnel des doctrines qu’il y présente. La lettre m est un petit traité composé à la prière de Tiécelin, son premier maître, et dans lequel Hugues propose ce que l’Église croit du mystère de la Trinité. Il n’y parle que d’après saint Augustin, saint Ambroise, saint Athanase, saint Jérôme et Boèce. La lettre xlv à l’abbé Odon explique la Trinité par les relations divines. Cf. Ceillier, op. cit., p. 363, n. 7 et 368, n. 25.

f) Honorius Augustodunensis.

Cet auteur, dont la personne demeure entourée de tant d’obscurité, a certainement vécu dans la première moitié du xii* siècle. Voir ici t. vii, col. 139 sq. Deux de ses ouvrages retiendront notre attention : 1. De philosophia mundi, P. L., t. clxxii, où les c. vi-xiv du 1. I esquissent rapidement le dogme et la doctrine des appropriations, col. 45 A-46. Le c. xv contient une allusion intéressante à l’adresse de ceux qui voyaient dans le Saint-Esprit l’âme du monde, col. 46 CD. — 2.Elucidarium sive dialogus de summa totius christianie théologies, dont deux petits chapitres (i et n) sont consacrés à la Trinité et aux noms du Père et du Fils. Un point de comparaison, pour l’intelligence du mystère, est donné dans le soleil, à la fois substance ignée, lumière et chaleur. Col. 1110-11Il A.


3. Le début du XIIe siècle (suite) ; tendances rationalistes.

La théologie en est encore à ses premiers essais et « tous les inconvénients d’une science encore débutante… devaient forcément occasionner bien des hésitations, des tâtonnements et des écarts ». De Ghellinck, op. cit., p. 106. Ajoutons que les excès de la dialectique et l’intrusion de la philosophie dans le domaine dogmatique poussèrent plus d’un esprit dans la voie de l’erreur. Trois tendances téméraires s’affirment ainsi et précisément en corrélation avec les trois solutions proposées pour le problème des universaux.

a) Le nominalisme de Roscelin († 1120) et le dogme trinitaire.

Fidèle aux principes du nominalisme, Roscelin ne pouvait concevoir que des substances individuelles et concrètes. Cette position philosophique le fit aboutir logiquement au trithéismc. Saint Anselme rapporte l’argument de Roscelin : « Si les trois personnes sont une seule chose, una res, et non trois choses, très res, — chacune existant par soimême séparément, comme trois anges ou trois âmes, de sorte cependant qu’elles soient identiques en tant que puissance et volonté — il s’ensuivrait que le Père et le Saint-Esprit se sont incarnés avec le Fils. » De fide Trinitatis, c. iii, P. L., t. clviii, col. 266 A. Voir également, de Roscelin à Abélard, la lettre où le premier s’insurge contre les décisions du concile de Soissons. Dans bs lettres d’Abélard, Epist. xv, P. L., t. clxxviii, col. 357-372. On sait que le trithéisme de Roscelin fut, en effet, condamné, en 1092, au concile de Soissons, lequel nous est connu par la lettre d’Anselme à Falcon, évêque de Beauvais. Epist., t. II, xli, P. L., t. clviii, col. 1192 sq. Voir ici Roscelin, t. xiii, col. 29Il sq. Cf. Hefele-Leckrcq, Hist. des conciles, t. v, p. 365-367. On doit signaler que, de son côté, Abélard avait réfuté le trithéisme de Roscelin dans le De unilate et trinitate divina, publié en 1891 par R. Stolze, Fribourg-en-B. ; voir ici, t. i, col. 38.

b) Le conceptualisme d’Abélard († 1142) et le dogme trinitaire.

La foi personnelle d’Abélard ne saurait être mise en doute. Voir t. i, col. 41. Croyant sincère, Abélard s’est soumis d’avance au jugement de l’Église. Cf. Theologia christiana, 1. III. P. L., t. clxxviii, col. 1228 CD. Pour s’en convaincre, il suffirait de lire ses brèves compositions sur le symbole des apôtres, ibid., col. 617 sq., ou sur le symbole d’Athanase, col. 629 sq. Mais, voulant expliquer le dogme par la philosophie, il tombe à plusieurs reprises en de graves erreurs où l’on ne peut voir de simples impropriétés de langage. Sous prétexte de réfuter le trithéisme de Roscelin, il ressuscite le sabclHanisme. Il ne voit dans la Trinité que trois concepts dont la révélation se sert pour décrire et recommander la perfection du Souverain Bien. Theol. christ., t. I, c. ii, col. 1125 CD. Si parfois Abélard Indique le caractère relatif des personnes, cꝟ. t. IV, col. 1275 CD, ces rapports ne semblent pas dépasser l’ordre logique. Cf. col. 1277. Ainsi les noms de Père, Fils et Saint-Esprit sont pures appropriations. Professer que Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit, c’est proclamer qu’il est le Souverain Bien, que rien ne lui manque de la plénitude de tous les biens et que, par sa participation, toutes les créatures sont bonnes. Intr. ad theol., I. I, c. îx, col. 990 A ; cf. c. vii, col. 989 B. La révélation de la Trinité aux Chrétiens a donc simplement consisté à désigner sous des noms nouveaux les trois propriétés du Souverain Bien ; la puissance (Père), la sagesse (Fils), la bénignité (Saint-Esprit). Theol. christ., t. I, c. ii, col. 1125 C, 1126 C.

Les processions divines sont expliquées en fonction de ce conceptualisme. La puissance, qui s’identifie avec le Père, est un terme général, dont la sagesse est une partie, restreinte a l’ordre de la connaissance. La bénignité n’est pas à proprement parler une puissance, mais une disposition affective de la puissance générale et de la sagesse. Intr. ad theol., t. II, c. xiv, col. 1072 AB. En sorte que, si le Fils et le Saint-Esprit procèdent du Père, l’un en procède par génération et l’autre simplement : « La génération diffère de la procession parce que le Fils est engendré de la substance même du Père, puisque la sagesse est une certaine puissance. Quant à la disposition de la charité, elle se rapporte plutôt à la bénignité de l’âme qu’à sa puissance. Ainsi le Fils est engendré du Père parce qu’il est de la substance même du Père. Quant au Saint-Esprit, on ne dit point qu’il est engendré, mais qu’il procède simplement, c’est-à-dire qu’il s’étend vers un autre par la charité. » Theol. christ., I. IV, col. 1299 D1300 AB. Abélard est embarrassé pour expliquer comment en Dieu les personnes divines ne sont pas multipliées à l’infini selon le nombre infini des attributs divins. Cf. Theol. christ., 1. III. col. 1259 B-1260 C.

Abélard fut dénoncé à saint Bernard par Guillaume de Saint-Thiéry, lequel dressa dans la suite un double réquisitoire contre son adversaire : Disput. adv. Abœlardum ; Disp. altéra ado. Abselardum, P. L., t. clxxx, col. 249 sq. et col. 283 sq. On sait la suite. Au concile de Sens, saint Bernard dénonça dix-neuf articles tirés des œuvres d’Abélard. Des articles incriminés, six se rapportent au dogme trinitaire. Voir ici 1. 1, col. 44-46.

Les erreurs d’Abélard ont été reprises par un certain nombre de disciples. Voir t. i, col. 50-51. Très particulièrement Guillaume de Conches († 1145) accentua le sabellianisme du maître : « Dans la divinité, afflrmet-il, il y a puissance, sagesse, volonté. Ces attributs, les saints les appellent personnes, leur accordant, en raison d’une certaine analogie, des noms qu’on détourne de leur sens vulgaire : appelant « Père », la puissance ; « Fils », la sagesse ; « Saint-Esprit », la volonté. » Guillaume de Saint-Thiéry, De erroribus Guiltelmi de Conchis, P. L., t. clxxx, col. 333 C. Guillaume de Conches rétracta ses erreurs dans un dialogue intitulé Pragmaticon. Cf. Ccillier, loc. cit., p 388.

Touchant le Saint-Esprit, Abélard et son école professent une erreur que le concile de Sens n’a pas suffisamment relevée et qui semble poser le principe d’une âme divine du monde. D’où une accusation, imméritée peut-être pour Abélard. mais très exacte en ce qui concerne Guillaume de Conches et Bernard de Tours, l’accusation de panthéisme. Pour Abélard, en effet, le Saint-Esprit procède à la fois du Père et du Fils parce qu’il est leur bénignité dans I’ « affection » et 1’ « effection » qui ont pour terme les créatures. Intr. ad theol., t. II, c. xiv, P. L., t. clxxviii, col. 1072 AB. Il semble donc qu’une relation aux créatures soit essentielle à l’Esprit-Saint. Cf. Guillaume de Saint-Thiéry, Disp. adv. Abœlardum, c. iv, P. L., t. clxxx, col. 260 C-262 C. Tout en protestant de sa foi chrétienne, Guillaume de Conches va plus loin et paraît identifier le Saint-Esprit et l’âme du monde. De erroribus G. de C, col. 339 A. Ces tendances deviennent un système réel chez Bernard Silvestris de Tours dans son De mundi universitate ou Megacosmus et Microcosmus, éd. Barach et Wrohl, dans liibliotheca philosophica mediæ a’talis, Inspruck, 1876. On voit par lu qui était visé par Honoré d’Autun, au c. xv du De philosophia mundi ; voir ci-dessus, col. 1712. La même fâchl use tendance s’accentue au xiiie siècle chez Amaury de Bène († 1207) et, avec une aggravation matérlallstt, chi i David de Dînant. Voir ces vocables, t. i, col. 936 ; t. iv, col. 157 et plus loin, col. 1725.

Les décisions du concile de Sens provoquèrent de la part de Robert de Melun († 1167) une defens. des propositions 1 et 14 d’Abélard au sujet de la Trinité. A cette occasion, Robert a su mettre en relief la doctrine des appropriations divines, que devait plus tard reprendre Richard de Saint-Victor et que consacreront les grands scolastiques. Voir les textes ici t. xiii, col. 2752.

c) Le réalisme de Gilbert de la Porrée († 1154) et le dogme trinitaire.

Après la condamnation du nominalisme à Soissons, du conceptualisme à Sens, le réalisme est atteint à Paris et à Reims dans la réprobation des doctrines trinitaires de l’évêque de Poitiers. Sur Gilbert de la Porrée, voir ici, t. vi, col. 1350 et cf. A. Hayen, Le concile de Reims et l’erreur théologique de Gilbert de la Porrée, dans Arch. d’hist. doct. et litt. du M. A., t. x, 1935-1936, p. 29 sq.

Le réalisme de Gilbert, distinguant en Dieu « l’être qui est » de « l’essence par laquelle il est » (essens quod est et essentia qua est) l’amenait à concevoir la Trinité comme trois êtres n’ayant qu’une forme d’existence, c’est-à-dire la même essence, id quo est unum esse in Trinitate contendit, c’est-à-dire la forme, la nature déifique, qui est pour ainsi dire la source de la divinité des personnes. Porro quod hac essentia est, non unum in Trinitate contendit, sed tria singularia queedam, très res numerabiles unitatibus tribus. Geoiïroy, abbé de Glairvaux, Libellus contra Gilbertum, n. 26, P. L., t. clxxxv, col. 604. Comment concilier l’unité divine et le nombre trois des divines réalités ? Pour Gilbert, l’unité est dans le même prédicament que la chose qu’elle rend une et, par conséquent, il y a autant d’unités que de prédicaments. Puisqu’en Dieu il n’y a qu’une seule substance, il n’y a aussi qu’une seule unité substantielle, par laquelle les trois personnes sont Dieu. Mais en Dieu il y a trois relations ; les unités de paternité, de filiation, de spiration qui sont non des unités substantielles, mais des unités relatives. Gilbert, Comment, in lib. de prædicatione trium personarum, P. L., t. lxiv, col. 1309 D. Peut-être Gilbert cherche-t-il d’une façon malhabile la formule d’accord entre la substance et les relations divines ; mais sa formule n’échappe pas au reproche d’une quaternité divine. Ce qui justifie les critiques de saint Bernard, De consideratione, t. V, c. vii, P. L., t. clxxxii, col. 797 C ; cf. In Cantica, serm. lxxx, n. 5, t. clxxxiii. col. 1168-1169.

Les erreurs trinitaires et christologiques de Gilbert furent condensées en quatre propositions que présente, avec leur justification d’authenticité par des textes empruntés à Gilbert, l’abbé de Clairvaux, Geoffroy, dans son Libellus contra capitula Gilberli Pictaviensis episcopi, P. L., t. clxxxv, col. 595 sq. A chaque proposition, le concile de Reims, présidé par Eugène III, opposa un article de profession de foi catholique.

1. À l’erreur initiale (cf. Geoffroy, col. 597 CD), le concile oppose l’article suivant :

Credimus et confitemursimplicem

naturam divinitatis esse Deum, nec aliquo sensu catholico posse negari, quin divinitas sit Deus et Deus divinitas. Si vero dicitur : Deum sapientia sapientem, magnitudine magnum, aeternitate aeternum, unitate unum, divinitate Deum esse et alia hujusmodi, credimus nonnisi ea sapientia quæ est ipse Deus, sapientem esse, nonnisi ea magnitudine, quae est ipse Deus, magnum esse, nonnisi ea aeternitate mise est ipse Deus, aeternum esse, nonnisi ea unitate qua ; est ipse Deus unum esse, nonnisi ea divinitate Deum, quæ est ipse, id est seipso sapientem, magnum, aeteriium, unum, Deum.

Denz.-Bannw., n. 389.

Nous croyons et confessons que la simple nature de la divinité est Dieu et qu’on ne peut accorder aucun sens catholique à l’assertion que la divinité n’est pas Dieu lui-même et Dieu, la divinité. Si l’on dit que Dieu est sage par sa sagesse, grand par sa grandeur, éternel par son éternité, un par son unité, Dieu par sa divinité, etc., nous croyons que Dieu est sage uniquement par la sagesse qui est Dieu lui-même, grand uniquement par la grandeur qui est Dieu lui-même, éternel uniquement par l’éternité qui est Dieu lui-même ; un, uniquement par l’unité qui est Dieu lui-même, Dieu, par la divinité qui est lui-même, en sorte qu’il est par luimême sage, grand, étemel, n, Dieu.

Voir le commentaire de cette assertion à l’art. Dieu, t. iv, col. 1165-1167 et surtout 1173-1174. Il est impossible de distinguer en Dieu id quod est et id quo est, car « soutenir qu’il y a en Dieu quelque chose par quoi il est Dieu et qui n’est pas Dieu détruit la simplicité divine ». Loc. cit.

2. À la seconde erreur, proprement trinitaire (voir Geoffroy, col. 604), le concile oppose le deuxième article :

Cum de tribus personis Ioquimur, Pâtre, Filio et Spiritu Sancto, ipsas unum Deum, unam divinam substantiam esse fatemur. Ete converso, cum de uno Deo, una divina substantia loquimur, ipsum unum Deum, unamque divinam substantiam esse très personas confitemur.

Denz.-Bannw., n. 390.

En parlant des trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous confessons que ces trois personnes elles-mêmes sont un Dieu unique et une substance divine unique. Et, à l’inverse, en parlant d’un Dieu unique et d’une unique substance divine.nous confessons que ce Dieu unique et cette unique substance divine sont les trois personnes.

Ce canon indique expressément qu’on ne peut concevoir en Dieu une essence ou substance réellement distincte des personnes. Quoique les personnes soient réellement distinctes entre elles, elles s’identifient pleinement avec la réalité de la substance divine, de Dieu lui-même. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ; mais les trois sont l’unique Dieu, l’unique substance divine.

Par là est réprouvée l’application faite par Gilbert à la Trinité de son erreur fondamentale, à savoir que les personnes ne sont pas une essence quæ sunt, mais une essence 711a sunt, qu’elles ne sont donc pas réellement identiques à l’essence divine mais participent simplement à cette essence qui les domine. Ainsi le Père, le Fils, le Saint-Esprit ne seraient pas numériquement un Dieu ; ils participeraient seulement à la même déité, un peu comme trois hommes à la même humanité.

3. La troisième erreur (voir Geoffroy, col. 609) établissait une distinction réelle entre personnes et propriétés divines. C’était là briser la simplicité de Dieu. Le concile émet donc ce troisième article :

Credimus (et conûtemur) solum Deum Patrem et Filium et Spiritum Sanctum aeternum esse, nec aliquas omnino res, sive relationes, sive proprietates, sive singularitates vel unitates dicantur, et hujusmodi alia, adesse Deo, quæ sint ab aeterno, quæ non sint Deus. Denz.-Bannw., n. 391.

Nous croyons (et confessons ) que seul Dieu, Père, Fils et Suint-Esprit, est éternel et que les réalités, quelles qu’elles soient, relations, propriétés, particularités, unités et autres semblables, ne peuvent être dites appartenir à Dieu de toute éternité, si elles ne sont Dieu.

Donc, simple distinction de raison entre Dieu et les attributs et l’essence, entre les relations, les propriétés et la substance. Voir Dieu, t. iv, col. 1170-1171 et Relations divines, t. xiii, col. 2145 sq.

La quatrième erreur de Gilbert concernait l’incarnation (voir Geoffroy, col. 613). Cf. Gilbert de la Porrée, t. vi, col. 1353.

Les Sententiæ divinitatis (éd. Geyer, Die « Sententiæ divinitatis », ein Sentenzenbuch der Gilbertschen Schule, Munster-en-W., 1909) sont à placer vers le milieu du XIIe siècle. Elles sont l’œuvre d’un disciple de Gilbert et reproduisent presque à la lettre les points réprouvés à Reims, notamment la doctrine trinitaire et christologique. Les propriétés par lesquelles les hypostases divines se distinguent l’une de l’autre ne sont pas Dieu, mais en Dieu. Cf. Geyer, op. cit., p. 10-28 ; p. 160*, 161*, 162*. Voir ausr.i M. Grabmann, Die Geschichte der scholastischen Méthode, t. ii, p. 437-438 ; A. Landgraf, Untersuchungen zu der Eigenlehre Gilberis de la Porrée dans Zeitschr. fur kath. Théologie, Inspruck, 1930, p. 184 sq.

4. Le début du XIIe siècle (suite) : tendances mystiques.

Le début du XIIe siècle est dominé par la grande figure de saint Bernard. Saint Bernard est avant, tout un mystique. C’est dans l’Écriture, dans la contemplation des choses divines qu’il puise toute sa scirnce, une science qui, loin des subtilités d’une vaine philosophie, cherche à conduire les âmes vers la connaissance de soi, l’amour du prochain et la contemplation de Dieu.

On a dit, voir Bernard (Saint), t. ii, col. 763, que son enseignement sur la Trinité avait uniquement consisté à poser le dogme, tel que l’Église l’a défini. Pour Bernard, scruter ce dogme est une spéculation condamnable, la connaissance de la Trinité divine étant réservée à la vie éternelle. On a dit aussi, col. 764, que Bernard avait été dégoûté des spéculations scolast.iques sur la Trinité par les tentatives malheureuses de ses contemporains, tentatives qu’il avait dû lui-même dénoncer, poursuivre et faire condamner. Noir surtout Contra capitula errorum Pétri Abeelardi, P. L., t. clxxxii, col. 1049 sq. ; 1053 sq. La doctrine trinitaire de Bernard est condensée dans le De consideratione, t. V, c. vii-ix, col. 797-801.

Saint Bernard n’en a pas moins exercé une influence heureuse sur la scolastiquc. Cf. Grabmann, op. cit., t. ii, p. 94-97. Peut-être même, en raison de son mysticisme, eut-il une certaine influence sur l’école de Saint-Victor, dont le chef, Hugues, lui proposa des difficultés soulevées par les théories d’Abélard, ce qui nous vaut le petit traité De baptismo aliisque quæstionibus, P. L., t. ci.xxxii, col. 1031 sq.

a) Hugues de Saint-Victor († 1141). —

La doctrine d’Hugues sur les rapports de la raison et de la foi a été indiquée, t. vii, col. 259-261. Hugues est disciple d’Augustin et il expose avec complaisance la théorie augustinienne de la trinité humaine, image de la Trinité divine : l’âme, la sagesse, l’amour. De sacramentis, 1. f, part. III, c. iv-xi ; xix-xxi, P. L., t. clxxvi, col. 218 B-220 A ; 224 D-225 D. Faut-il y voir un point de départ pour une démonstration rationnelle de la Trinité divine ? F. Vernet a montré ici, t. vii, col. 207269, ce qu’il faut penser de cette affirmation. Pour découvrir en elle-même un vestige de la Trinité, il faut d’abord que l’âme se sache créée à l’image de Dieu et parte de cette connaissance. Il y a donc nécessairement un point de départ révélé. Mais il serait excessif d’en vouloir tirer une démonstration proprement dite de l’existence du mystère. Voir art. cit., col. 268. La doctrine trinitaire elle-même est assez rudimentaire chez Hugues, col. 274.

Si le Tractatus théologiens édité dans P. L., t. clxxi, col. 1067 sq., sous le nom d’Hildebert de Lavardin doit être restitué à Hugues de Saint-Victor, on y trouvera c. iv-vui, un bon exposé de la doctrine catholique « /inspirant de saint Augustin et de Boèce : le mystère de la Trinité, les noms par lesquels selon leurs propriétés nous distinguons les personnes entre l’égalité du Père, du Fils et du Saint-lisprit. On y relève de grandes analogies aee Pierre Lombard.

b) La Summa Sententiarum.

Cette Somme présente un réel propres, spécialement quant a la théologie trinitaire, sur le De sacramentis. I.n Ce qui concerne les rapports de In rai’on et di !  ; i foi, elle t adoucit les expri salons du be sacramentis sur la démonstration rationnelle de la Trinité et, après avoir dit nettement qu’il faut d’abord entendre les témoignages de l’autorité, réduit le rôle de la raison à montrer certains exemplaires de la Trinité dans les œuvres de Dieu, quædam exemplaria in his quæ facta sunt, certains vestiges de la Trinité dans l’âme, in seipsa potuit humana mens vestigium Trinitatis invenire. Sur le terme ingenitus appliqué au Père, sur l’égalité des personnes, l’application du mot personne aux trois réalités divines, sur les relations dans la Trinité et les opérations divines, des explications courtes mais précises sont données, qu’on chercherait en vain dans le De sacramentis ». F. Vernet, art. cit., col. 285. Voir Summa sententiarum, tract. I, c. vi-xi, P. L., t. clxxvi, col. 50 D-61 B.

c) Richard de Saint-Victor (f vers 1173). —

Richard tient une place de premier plan dans le développement de la théologie trinitaire. Sa doctrine a été longuement exposée t. xiii, col. 2684-2691. C’est lui surtout qui a présenté une « démonstration rationnelle » du mystère. Le P. de Régnon indique qu’on peut dégager de sa théologie une double démonstration, l’une d’ordre métaphysique, qui part de l’existence a semetipso et qui est développée surtout dans le 1. V du De Trinitate ; voir ici, t. xiii, col. 2687 ; l’autre, d’ordre psychologique, s’appuyant sur la puissance d’aimer, amour de personne à personne. C’est surtout dans le 1. III qu’est développé l’argument ; voir ici t. xiii, col. 2684. Mais le 1. VI (voir col. 2689) y ajoute un couronnement nécessaire en montrant la plénitude de la vie divine se communiquant dans le Fils et dans l’amour. Sur la valeur de la « démonstration », voir t. xiii, col. 2691. La doctrine de Richard est aussi résumée dans A. d’Alès, De Deo trino, p. 197-198 ; cf. J. Ebner, Die Erkenntnislehre Richards, Munster, 1917 ; A. -M. Ethier, O. P., Le « De Trinitate » de Richard de Saint-Victor, Paris, 1939.

Il serait utile de rapprocher Richard de saint Augustin sur le point précis de la théorie psychologique de l’amour appliquée à la Trinité. Le P. de Régnon l’a fait, avec bonheur, semble-t-il, dans ses Éludes…, t. ii, p. 305 sq. Tandis qu’Augustin, partant de l’analyse d’un amour naturel, se trouve obligé d’insérer un « verbe » dans l’intelligence avant d’envisager la volonté, pour constater que l’amour procède et de l’âme et de son verbe, Richard s’adresse immédiatement à l’amour personnel ou amour d’amitié, qui ne peut pas ne pas exister en Dieu et qui pose nécessairement la multiplicité des personnes qui s’aiment.

Le P. de Régnon fait également observer qu’au sommet des choses, théorie métaphysique et théorie psychologique se rejoignent. Au sommet métaphysique, Dieu, c’est l’amour subsistant à l’état d’acte qui est sa propre substance, sa propre vie, sa propre subsistence. L’Être, c’est-à-dire Dieu, est le Bon, l’Amour. Amour, c’est la substance divine, identique chez les Trois. Aimant, c’est le suppôt, la personne divine. Un seul Amour, voilà l’unité ; trois Aimants, c’est la Trinité. Op. cit., p. 312-313. Cf. Richard, De Trinitate. I. V, c. xx, P. L., t. exevi, col. 963 CD.

Les appropriations divines ont été étudiées par Hichard dans un opuscule qui fait suite au De Trinitate, ibid., col. 992-994. L’amour que les personnes divines ont entre elles est brièvement rappelé dans l’opuscule Quomodo Spirilus Sanctus est amor Patris et lilii. Ibid., col. 1011. Voir M. -T. L. Ptnido, Glose sur les » roccssions d’amour dans la Trinité, dans Eph. theol. Lovanien., t. xiv, 1937, p. 33-68.

Bn parlant de la procession du Fils, Richard, voulant faire écho à la formule de certains Pères, parle di la substance qui engendre et de i.i substance qui i t i ng< iulrtv, subslanlia gentil tubstanUam. Substance est ici, pour lui, l’équivalent de personne, en marquant toutefois que toute la réalité de la personne se confond avec la substance. De Trinitate, I. VI, c. xxii. C’est là d’ailleurs une conception conforme à la définition qu’il donne de la personne : l’être qui possède une nature. Ibid., t. IV, c. XI, col. 937 B. La formule ne présenterait pas plus d’intérêt que la oolunlas genuit voluntatem de saint Julien de Tolède, si l’on n’avait quelque raison de penser que Richard a visé ici Pierre Lombard qui, au moment où Richard écrivait son traité, enseignait que « la divine essence n’a pas engendré l’essence. En effet, puisque la divine essence est une chose unique et suprême, si l’essence divine a engendré l’essence, une chose s’est engendrée elle-même ; ce qui est absolument impossible. Mais le Père seul a engendré le Fils, et du Père et du Fils procède le Saint-Esprit ». Sent., t. I, dist. V. Le IVe concile du Latran a donné raison à Pierre Lombard contre Joachim, abbé de Flore, qui attaquait précisément la position prise par le Maître des Sentences. En condamnant Joachim, le concile n’a pas atteint Richard ; voir ici, t. xiii, col. 2694. Ce qui fut condamné, c’est le trithéisme qui se cachait sous la formule de l’abbé de Flore. (Voir plus loin, col. 1727.)

De Pierre Lombard au IVe concile du Latran.

Pierre Lombard († 1160) est un initiateur ; il entend réagir contre les abus des dialecticiens, restituer à la révélation le primat sur la raison, faire un appel modéré à la philosophie dans le seul but d’éclairer le dogme, interroger surtout l’Écriture et les Pères. Son œuvre présente un programme relativement complet et ordonné de la théologie, dans lequel il s’efforce de concilier en une synthèse cohérente les éléments traditionnels parfois disparates ou divergents.

A tous ces titres, le livre des Sentences de Pierre Lombard marque le début d’une période nouvelle. Si le Maître a eu des continuateurs, des commentateurs ou imitateurs, il existe toutefois encore des auteurs indépendants. Enfin, l’ère des hérésies n’est pas close ; plusieurs erreurs attaqueront encore, à la fin du xiie siècle, le dogme de la Trinité et auront leur solution au IVe concile du Latran.

1. Pierre Lombard et son influence immédiate.

La doctrine trinitaire de Pierre Lombard a été exposée t. xii, col. 1991-1992. Le plan du 1. I er, consacré à la Trinité, appelle de sérieuses réserves ; Pierre se justifie en disant que l’objet de notre jouissance devant être finalement la Trinité, il est bon d’en commencer l’étude dès le principe. La distinction du De Deo uno et du De Deo trino, si souhaitable, n’est donc pas réalisée.

a) Maître Bandinus (XIIe s.) mérite à peine une mention : abréviateur plutôt que continuateur de Pierre Lombard, il donne de simples notes dans le De sacrosancta Trinitate qui forme le 1. I er de ses Sentences. P. L., t. cxcii. col. 871-1028. Voir ici t. ii, col. 140.

b) Pierre de Poitiers († 1205), au contraire, s’est appliqué à mettre en relief et à expliquer la doctrine du Lombard dans cinq livres de Sentences. P. L., t. ccxi, col. 791 sq. Sauf quelques chapitres (i-ii, vm-xvi), le 1. I er est entièrement consacré à la Trinité. L’auteur aborde les problèmes doctrinaux plutôt de biais, en fixant la terminologie avec exactitude. C’est, en somme, un véritable traité des notions divines et des noms divins. La seconde partie du c. III en indique le plan :

Il y a neuf genres de termes qu’on applique à Dieu. Les uns désignent l’essence et présentent toujours une signification essentielle, par exemple l’essence, la divinité, etc. D’autres désignent l’essence (le texte de Migne porte existentiam ? ), et cependant ont parfois une acception personnelle, par exemple : la puissance, la sagesse, la bonté. Quelques-uns, et par leur expression et par leur signification, s’appliquent aux relations de toute éternité ; par exemple : Père, Fils. Il y en a qui s’appliquent collectivement aux trois personnes sans pouvoir être dits d’aucune d’entre elles, comme la Trinité. Certaines expressions marquent un rapport de la divinité aux créatures et conviennent à toutes les personnes : Créateur, Seigneur. Mais d’autres, qui impliiruent pareillement un rapport aux créatures, rapport ne se réalisant que dans le temps, ne conviennent pas à toutes les personnes, par exemple : être envoyé. D’autres conviennent à une personne et dans le temps, sans rapport aux créatures : être incarné, fait homme. Dans ce dernier genre se rencontrent des expressions métaphoriques, comme « agneau », » lion », « caractère », etc. C’est de toutes ces énonciations qu’il sera ici traité. Col. 795 AB.

Pierre de Poitiers et son maître Pierre Lombard, ainsi qu’Abélard et Gilbert de la Porrée, furent l’objet de vives attaques de la part de Gauthier de Saint-Victor, dans son ouvrage Libri contra quatuor Labyrinlhios Francise, P. L., t. cxcix, col. 1127 sq. (simples extraits) ; voir ici t. vi, col. 1171. Les critiques concernant le 1. I er sont restées inédites en presque totalité. C’est par une note de dom Mathoud qu’on en connaît les plus pertinentes, P. L., t. ccxi, col. 785 CD786 A. La plus importante est à coup sûr celle qui concerne l’habitation personnelle du Saint-Esprit, identifié avec la charité, dans l’âme juste. Voir l’article suivant, col. 1841.

c) Sur Gandulphe de Bologne, voir t. vi, col. 11461150, où J. de Ghellinck résume les conclusions de son livre Le mouvement théologique au xue siècle, p. 178 sq. Comme Pierre Lombard, Gandulphe traite de la Trinité dans le 1. I er, ordonné comme celui du Maître des Sentences : Dieu, la Trinité, les attributs divins, la science divine, la prédestination, la volonté divine.

d) Faut-il rapporter à Gauthier de Châtillon (f vers 1201) un traité De Trinitate, P. L., t. ccix, col. 575 sq. ? L’auteur, quel qu’il soit, semble avoir composé cet écrit contre ceux qui prétendaient qu’en Dieu des propriétés ou des relations sont des réalités différentes de la substance divine. C. xi. Seraient-ce des disciples attardés de Gilbert ? La conception de trois personnes constituées en Dieu par trois propriétés absolues distinctes virtuellement de l’essence divine n’était pas inouïe à cette époque. Voir ci-dessous, col. 1731, un texte significatif de Robert Grossetête, évêque de Lincoln.

Ce De Trinitate s’inspire visiblement de Pierre Lombard et comprend treize chapitres. Après avoir démontré les perfections essentielles de Dieu (c. i), l’auteur prouve qu’il y a trois personnes dans l’unité de la substance divine (c. il). Le Père est sans principe ; le Fils est engendré ; le Saint-Esprit procède de l’un et de l’autre (c. iii). D’où il suit que le Père ne tient de personne ce qu’il a ; que le Fils tire du Père ce qu’il possède et que le Saint-Esprit tire, non par grâce, mais naturellement, ce qu’il a et du Père et du Fils, sans que ces mutuelles dépendances marquent la moindre infériorité dans la seconde et la troisième personne (c. iv). La Trinité n’a qu’une opération ad extra commune aux trois personnes (c. v) ; donc tout ce qu’on dit substantiellement de Dieu peut être dit du Père, du Fils et du Saint-Esprit. En passant, l’auteur examine s’il est permis de dire qu’il y a dans la Trinité trois » substances » individuelles de nature raisonnable (définition de la personne par Boèce). Sa solution est négative, en raison de l’usage (c. vi). Ce qui convient à Dieu de toute éternité par rapport à sa nature peut être attribué à chacune des personnes ; il faut en dire autant de ce qui convient à Dieu dans le temps par rapport à la créature. L’incarnation est à part, car elle n’implique pas en Dieu de rapport à la créature (c. vu). Le c. viii rappelle que les prédicats relatifs concernent les personnes et qu’il faut en conséquence parler de Dieu trine et non de Dieu triple. Les c. ix et x montrent les similitudes de la Trinité dans l’âme humaine : seuls les bienheureux dans le ciel auront une connaissance parfaite de la Trinité. Le c. xii explique en bonne part un texte de saint Jérôme et certaines expressions de la préface de la messe de la Trinité (cette préface date de l’époque carolingienne). Enfin (c. xiii) l’auteur réfute l’erreur de ceux qui, attribuant au Père seul la puissance, au Fils seul la sagesse, au Saint-Esprit seul la bonté, se vantent de comprendre le mystère : une telle prétention est folie et la transcendance du mystère exige de nous une foi plus humble.

e) Existe-t-il un lien de dépendance, doctrine et plan, entre les Sentences et le sermon xxxiv, In festivitate sanctæ Trinitatis de saint Martin de Léon († 1202), P. L., t. ccviii, col. 1269 ? À lire ce « sermon », qui n’a rien d’un morceau oratoire, mais qui a tout d’un traité didactique, on serait tenté de l’admettre. L’auteur espagnol, du moins, puise à la même source principale, saint Augustin, et développe son exposé suivant un plan similaire. De plus on y retrouve la doctrine du Saint-Esprit, charité de Dieu dans l’âme, col. 1302 D-1305 A.

Voici le résumé de l’ouvrage :
1. Preuves de la Trinité par l’Écriture, Ancien et Nouveau Testament, col. 12711274 D ;
2. Vestiges de la Trinité dans les créatures et image dans l’àme, col. 1274-1280 A ;
3. Exposé du mystère et terminologie à garder, col. 1280-1282 C ;
4. Vérité, immutabilité, simplicité de l’essence divine qui ne possède rien qui ne soit elle-même, col. 1282-1290 B ;
5. L’Esprit-Saint, amour du Père et du Fils, procède éternellement de l’un et de l’autre, quoi qu’en disent les Grecs, et cette procession n’est pas une génération, col. 1290-1294 G ;
6. Mission visible et invisible du Saint-Esprit dans le monde et dans les âmes, col. 1294-1297 G ;
7. Mission du Fils comparée à celle de l’Esprit, col. 1297-1301 B ;
8. Du don de l’Esprit-Saint à l’àme par la charité, col. 1301-1306 D ;
9. Égalité des trois personnes dans leurs perfections, col. 1307-1310 A ;
10. Les propriétés personnelles, col. 1310-13Il B. —
Le reste du « sermon », tout comme la fin du t. I, r des Sentences concerne la nature divine comme telle (intelligence, science, prédestination, volonté). L’ouvrage se clôt par la profession de foi de Nicée longuement commentée, col. 1326 B1328 G et par une exhortation aux Juifs incrédules à revenir à la foi d’Abraham à qui aurait été révélée la Trinité, et à croire en Jésus-Christ, Messie envoyé par Dieu et Fils de Dieu, col. 1350.

2. Auteurs indépendants.

D’autres écrits, de caractères et de genres très divers, ne semblent pas avoir subi l’influence des Sentences.

a) Achard de Saint-Victor († 1171). —

On lui attribuait un De Trinitate dont, semblait-il, il ne restait plus trace. Voir t. I, col. 310 et Ceillier, op. cit., p. 709. Avec quelque vraisemblance on a aujourd’hui identifié ce traité avec le commentaire du pseudo-Bède sur le De Trinitate de Boèce, P. L., t. xcv, col. 391-411. La rédaction de ce commentaire accuse une certaine habitude de la scolastique, encore que la doctrine exposée ne présente aucun relief et se traîne dans des généralités entrecoupées de remarques historiques, grammaticales ou étymologiques. Le dernier paragraphe seul présente quelque intérêt en raison de la définition de la personne donnée par Boèce et qu’il s’agit d’appliquer à la Trinité : il faut, de toute nécessité, déclare l’auteur, entendre le mot subslantia dans le sens à’hyposlasis, col. 4Il C. Le commentaire se clôt sur une curieuse hésitation, l’auteur n’osant ni affirmer ni nier que les trois personnes soient coéternelles, ne voulant pas paraître accorder au Fils et au Saint-Esprit une sorte d’autorité sur le Père, se re fuant néanmoins à dire qu’ils ne sont pas éti nuls comme lui, col. 4Il D.

b) Hugues d’Amiens, archevêque de Rouen († 1164). —

Hugues écrit sur la Trinité en un tout autre genre, L’( xposé du mystère est contenu dans le I. I or de ses Dialogues, où il est aussi question « le l’incarnation. L’auteur procède par interrogations et réponses.

Dieu est le Souverain Bien, un dans son essence, trine dans ses personnes (I). La Trinité ne s’oppose pus à l.i simplicité (IV) ni à l’éternité (V), ni l’unité à la distinction dis personnes (VI-V1II). L’image de la Trinité est dans l’Ame : intelligence, mémoire, amour (IX). Le Fils est engendré et l’Esprit-Saint procède du l’ère et du Fils (X) Comme tous ses contemporains. Hugues trouve des preuves teriptnratfea de la Trinité dans la Genèse ; mais, sur la connaissance du mystère, sa doctrine est ferme : la raison humaine ne

peut l’acquérir et c’est la foi seule qui nous permet d’y atteindre. P. L., t. cxcii, col. 1141-1147. Voir aussi De memoria, t. I, col. 1301-1308 ; De fide catholica et oratione dominica, passim, col. 1323 sq. ; cf. ici, t. vii, col. 205 sq.

c) Adam Scot (fin du XIIe siècle) est plutôt un mystique. Voir t. i, col. 389. Son traité De tripartito tabernaculo et la lettre aux prémontrés qui le suit, P. L., t. cxcviii, apportent cependant une contribution non négligeable a l’histoire du dogme trinitaire. Le traité est divisé en trois parties : 1. Explication, au sens littéral, du tabernacle de Moïse ; 2. Au sens allégorique, interprétation de ce tabernacle par rapport à l’âme devenue image de la Trinité dans l’imitation de la passion du Christ. C’est dans cette partie que se trouvent les emprunts au dogme trinitaire. Voir surtout col. 762 BC. Dans la lettre, De triplici génère conlemplationis, Adam décrit l’image de la Trinité dans l’esprit créé, part. I, § xxi-xxx, col. 805 sq., en marquant combien la Trinité, par sa transcendance même, se différencie des faibles images qu’on en peut avoir ; l’auteur est ainsi amené à faire l’exposé du mystère. La deuxième partie est consacrée à l’adoption de l’âme par les personnes de la Trinité, ce qui permet à l’auteur de revenir, au § xvi, sur l’image de la Trinité dans l’âme, col. 833 CD, et sur les processions divines en même temps que sur la distinction des personnes, § xvii, col. 835.

d) Pour clore cette série, citons quelques lettres, essais, sermons, d’un intérêt non négligeable.

Des sermons attribués à Hildebert de Lavardin, voir t. vi, col. 2466, bien peu sont authentiques. Le sermon De Trinitate, P. L., t. clxxi, col. 595, doit être restitué à Pierre Comestor († 1178). — Le cardinal Henri de Marsi († 1188), dans le De peregrinante civitate Dei, P. L., t. cciv, touche à plusieurs reprises aux questions trinitaires : opérations communes aux trois personnes et cependant appropriations légitimes, tract. I, col. 262-263 ; image de la Trinité dans la créature, tract. II, col. 270-271 ; témoignage rendu par la Trinité à ses amis qui, par là, se distinguent des fils et des serviteurs, tract. III, col. 275 sq. — Baudoin, archevêque de. Cantorbéry († 1188) parle en mystique de la Trinité : habitation de la Trinité dans l’âme par la charité, serm. xiii, P. L., t. cciv, col. 528 ; vie de la Trinité, une dans les trois personnes distinctes, idéal de la vie cénobitique, serm. xv, col. 545 sq. ; témoignage rendu par la Trinité (cf. I Joa., v. 7) à ses amis, Liber de commendatione fidei, col. 614 sq., cꝟ. 619 B, 628 BC, 634 CD. — Pierre de Blois († 1200) a, sur la Trinité, P. L., t. cevn, col. 637-641, un sermon où l’on relève une formule expressive au sujet de l’unité divine simplex et unissima, col. 640 B ; du même auteur signalons une poésie, Tractalus de sacrosanctis venerabilis sacramenti eucharistiie musteriis, col. 1135 sq., dont le prologue, écrit en vers léonins, est constitué par une triple invocation au l’ère, au Fils et au Saint-Esprit, col. 1 135 B-1138 C. — D’Alain de Lille († 1202), qu’on retrouvera plus loin, outre les doxologies trinitaires terminant la plupart de sis sermons, on Indiquera les sermons iv, t. ccx, col, ao ?D-a08 lï.etvm, eol.218Bsq.( les MtmoraHlia, col. 254 AF » ; le s 7 lirologictr reguttr, rcg. i-lxi, col. 621lee Distinctionrs dictionum thrologicarum, V 7rinitas, col. 980 B. Tous ces textes renferment des observations ou (L i exposée utiles.

Enfin, après deux anonymes, auto urs de commentaires sur le symbole des apôtres et sur le Quiciimque, P. L., t. ccxiii, col. 728-730, 735-744 (ers réfén nc< s concernent la Trinité), terminons par le curieux seTmon de daniier, évlque de Langrea (t van 1198), De tanekêitBia Trinttata, P. L., t. c.cv, col. 710-721 i et auditeurs langrois devaient être habitués aux subtilités pour comprendre un tel discours, qui prétend démontrer philosophiquement la Trinité par les choses extérieures et ce, en vertu d’arguments non seulement probables, mais nécessitants. Tout le raisonnement porte sur les rapports des trois côtés du triangle isocèle 1 Cela posé, à l’aide de textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, Garnier expose le mystère, exhortant les fidèles à réfléchir souvent à ces vérités quæ simplici sermone vix leneri poteranl, col. 721 A.

3. Controverses.

L’histoire du IIIe concile du Latran montre quelles étaient, vers la fin du xiie siècle, les préoccupations des controversistes. Voir ici t. viii, col. 2647 sq. Les adversaires du dehors étaient, en plus des vagabonds de toute sorte, les albigeois, les vaudois, les Juifs et les Sarrasins musulmans. Mais, dans l’Église même, les apologistes eurent à combattre les erreurs de quelques théologiens. Soit du dedans, soit du dehors, les attaques ont visé, plus d’une fois, le dogme trinitaire.

a) Les hérétiques du dehors.

Au concile de Vérone de 1184, Lucius III, de concert avec l’empereur Frédéric Barberousse, promulgua un décret contre tous les hérétiques de son temps, nommément « les cathares, les patarins, les humiliés ou pauvres de Lyon (vaudois), les passagiens, les josépins, les arnaldistes ». Décret. Greg. IX, t. V, tit. ii, c. 9. Voir le texte latin, ici t. viii, col. 1547. Les recherches consacrées à ces sectes ou à leurs fondateurs n’ont pas toujours permis d’identifier complètement leur doctrine. Il semble qu’on puisse les partager en trois grandes classes qui, par la force de leur opposition à l’Église, se sont pratiquement unies dans la même rébellion et ont mérité le même anathème.

D’une part, on trouve les partisans d’un néo-manichéisme, que caractérise la croyance en un double principe : les albigeois, t. i, col. 678, ou les cathares, t. ii, col. 1993, avec toutes les nuances qui différencient leurs sectes et que nous fait connaître un converti, Rainier Sacconi, Summa de catharis et leonistis, publiée dans Martène et Durand, Thésaurus noous anecdotorum, Paris, 1717, t. v, col. 1761-1776. Voir aussi un autre converti, Bonacorsi, Vita hærelicorum, P. L., t. cciv, col. 775 ; Ermengaud, Contra hæreticos, ibid., col. 1235 sq., et Moneta de Crémone, Adoersus catharos et valdenses libri V, Rome, 1743. Voir la bibliographie à l’art. Cathares, t. ii, col. 1997. Faut-il rapprocher des cathares les josépins ? Le problème est obscur ; voir, t. viii, col. 1547. Mais, à coup sûr, doivent leur être identifiés, tout au moins dans ! a pensée de Lucius III, les patarins. Voir t. xi, col. 2243.

Une deuxième classe serait constituée par les hérésies principalement antiecclésiastiques, faisant écho aux idées de réforme alors en l’air, dans lesquelles pouvait parfois se mêler une certaine dose de manichéisme, mais où l’on trouvait surtout une volonté de révolte contre l’autorité. C’est le cas des pétrobrusiens, dénoncés dès le début par Pierre le Vénérable, P. L., t. clxxxix, col. 719 sq., voir Bruys (Pierre de), t. ii, col. 1153 ; des henriciens, voir Henri, t. vi, col. 2182 et, en général, des vaudois ou pauvres de Lyon. Cf. Bernard de Fond-Cauld, Adversus waldensium seclam, P. L., t. cciv, col. 793 sq. De ces sectes, il faut rapprocher les arnaldistes, voir Arnaud de Brescia, t. i, col. 1973 ; cf. Bonacorsi, op. cit., P. L., t. cciv, col. 791-792. Sans être nommément désignées, ces sectes virent plusieurs de leurs doctrines condamnées par le IIe concile du Latran, can. 23 ; voir t. viii, col. 2642-2643.

Enfin, une troisième classe renferme les hérétiques faisant figure de judaïsants, sans toutefois l’être réellement, ainsi que G. Lacombe l’a démontré contre Schmidt et Newman. Voir G. Lacombe, La vie et les œuvres de Prévostin, Kain, 1927. Tels étaient les passagiens, dénoncés par Bonacorsi et par Prévostin de Crémone ; voir ici t. xi, coï. 2206. Quant aux juifs et aux mahométans, leur monothéisme rigide et leur opposition au Christ les plaçaient avec les passagiens au premier rang des adversaires de la Trinité.

A la fin du xiie siècle, toutes ces sectes se sont pour ainsi dire compénétrées et toutes subissent plus ou moins indirectement l’effet de préjugés antitrinitaircs ou déformateurs de la vérité trinitaire ; voir plus loin. Des apologistes, comme Alain de Lille, ont attaqué de front toutes ces hérésies simultanément, De flde catholica contra hæreticos sui temporis, P. L., t. ccx, col. 305 sq.

Toutefois le dogme de la Trinité est directement nié par les passagiens, les juifs et les « sarrasins ». La loi mosaïque, retenue par les passagiens, les empêchait d’admettre la divinité du Christ. Les personnes divines ne sont donc pas d’une seule substance : le Fils est inférieur au Père, et le Saint-Esprit, inférieur au Père et au Fils. C’est de l’ébionisme pur. Bonacorsi consacre trois chapitres de sa réfutation à i établir la vérité du dogme trinitaire, c. ii-iv, t. cciv, col. 788. Dans sa Summa contra hæreticos, Prévostin distingue nettement les passagiens des cathares ; il réfute les premiers qui n’admettent qu’un principe, le Père toutpuissant, personne unique. Le Fils n’est ni de la même substance, ni de la même dignité que le Père ; il est Dieu par adoption. Cf. Lacombe, op. cit. Par contre, il semble que, dans sa Summa theologica, Prévostin n’ait pas saisi la doctrine catholique de la relation, si nécessaire cependant pour rendre raison de la distinction des personnes, puisqu’il enseigne que les personnes divines sont constituées par elles-mêmes et se distinguent l’une de l’autre par leur propre réalité : donc, négation des relations et des notions ; cf. S. Thomas, Sum. theol., I », q. xxxii, a. 2. Cette opinion singulière a trouvé deux timides approbateurs au xive siècle, Guillaume de Rubione et Gauthier de Catton. Cf. M. Schmaus, Der « Liber Propugnatorius » des Thomas Anglicus und die Lehrunterschiede zwischen Thomas von Aquin und Duns Scotus. n. Die Trinitarischen Lehrdifjerenzen, II Band, Anhang, Texte, Munster-en-W., 1930, p. 389, 544-547. Un seul auteur du xive siècle a soutenu franchement cette opinion, c’est Grégoire de Rimini († 1358), In I am Sent., dist. XXVI, q. i, a. 2.

Les controverses antijuives ont existé de tous temps. Voir Juifs (Controverses avec les), t. viii. col. 1870 sq. Le dogme trinitaire a été spécialement défendu contre eux. Nous avons déjà rencontré sur notre chemin Isidore de Séville et Pierre Damien avant le xiie siècle. Les auteurs cités t. viii, col. 1881 omettent ou ne font qu’effleurer accidentellement la question de. la Trinité. Des auteurs mentionnés col. 1888, on ne retiendra que quelques noms : le pseudo-Guillaume de Champeaux, P. L., t. clxiii, col. 1056 D1060 C ; Guibert de Nogent, dans son De incarnatione contra Judœos, t. III, c. x, P. L., t. clvi, col. 525 C526 D ; Pierre de Blois, Contra perfidiam Judœorum, P. L., t. ccvii, où l’auteur veut établir la vérité de la Trinité et de l’unité de Dieu par l’Ancien Testament, c. v, col. 828 A-834 B, mais où il ajoute les arguments du Nouveau Testament « pour l’édification et la consolation des chrétiens », c. vi, col. 834-835 A. De l’anonyme Traclatus adversus Judœum, P. L., t. ccxiii, col. 749 sq., la première partie est consacrée à la preuve du mystère : existence du mystère, génération du Fils, divinité du Saint-Esprit, procession de la troisième personne a Pâtre Filioque ; le tout appuyé par des textes de l’Ancien Testament. La démonstration se clôt par une preuve générale, tirée de la vision d’Abraham, n. 2-9, col. 750 A-756 A. L’auteur trouve la Trinité dans Is., vi, 3 : Quem milfam et quis ibit nobis ?N. 66, col. 798.

Gauthier de Châtillon, au 1. III du Contra Judieos, accumule des textes sans valeur de l’Ancien Testament pour prouver la Trinité. P. L., t. ccix, col. 453458. De son côté, Alain de Lille, au 1. III du Contra hæreticos, démontre aux Juifs qu’il n’y a pas contradiction à affirmer une essence et trois personnes, c. iii, P. L, t. ccx, col. 399 D-403 A. Il développe ensuite les preuves ( ?) par l’Écriture, c. iii, col. 403-405 B, et par la raison : arguments tirés de l’unité et du nombre, de la sagesse issue du Père et du nœud qui la rattache au Père ; comparaison de l’âme (mémoire, intelligence, volonté) et de la lumière (l’unique flamme de trois flambeaux conjoints), c. iv-v, col. 405-407 A.

Les autres controversistes ou font silence ou n’ont que de vagues allusions au problème trinitaire. Le meilleur exemple qu’on puisse apporter est celui de Pierre le Vénérable rappelant à propos des « sarrasins » les anciennes hérésies d’Arius, de Macédonius, de Sabellius. P. L., t. clxxxix, col. 665.

Quant aux hérétiques inféodés au dualisme manichéen, ils ne pouvaient que difficilement admettre le principe de la Trinité chrétienne, surtout en considération du Dieu de l’Ancien Testament, le Dieu mauvais. Comment pourraient-ils concéder que le Fils fût l’égal du Père ? Cf. Bonacorsi, op. cit., t. cciv, col. 777 B ; Alain de Lille, op. cit., t. I, c. xxiii, t. ccx, col. 334 C sq. Comment pouvaient-i’s admettre l’action du Saint-Esprit conjointe à celle des autres personnes, puisqu’ils rejetaient le baptême ? Bonacorsi, col. 777 C. D’ailleurs, tous se réclamaient du règne de l’Esprit, qui avait définitivement remplacé celui du Fils de Dieu et de l’Église. Moneta de Crémone nous apprend que ces hérétiques admettaient l’existence des trois personnes, mais formulaient toutes sortes de théories à leur propos en particulier sur ce qui concerne le Saint-Esprit. Op. cit., p. 4, 6, 36. Bien d’étonnant que les papes ou les conciles aient imposé à tous, dès le début du xiiie siècle, la foi en la sainte Trinité.

b) Controverses intérieures.

Les lointains disciples d’Abélard, a-t-on dit, col. 1714, sombrèrent dans une sorte de panthéisme. Amaury de Bène, voir t. i, col. 937, est à citer en premier lieu. Pour lui. Dieu est la forme de toute créature. On se demande quelle est sa pensée au sujet de la Trinité. Ses disciples nous l’apprennent. Selon eux, le Père s’est incarné en Abraham et son rôle se termine au moment où le Fils s’incarne en Marie et commence à agir dans le monde. Mais ni Abraham, ni Jésus ne sont Dieu. Enfin, à l’époque où vivait Amaury, le règne du Fils est terminé. C’est le Saint-Esprit, s’incarnant en tout homme, qui leur apporte à tous et à chacun les prérogatives qui, jusque, la, avaient été le propre d’Abraham, puis du Christ. Cette singulière doctrine qu’on retrouve chez hs joachimites et les guillclmites, voir ces mots, dérivait-elle du trithéisme de Joachim de Flore ? Voir t. viii, col. 1437 sq. Ce qui est certain, s’est qu’elle favorisait singulièrement la rébellion chez les révoltés. Pour les « spirituels » de toute sorte, le règne de l’Église était terminé et devait faire place à celui de l’Esprit. Nous avons là une explication de l’attitude ajrtiecclésiastique de bon nombre des hérétiques du xir » et du xiir » siècles.

David de Dînant, avec un panthéisme plus accentué dans h’sens du matérialisme, aboutissait aux mêmes équenecs en ce qui concerne la Trinité. David fut pareillement condamné au concile de Sens de 1210 et par Robert di Courçon, légat du pape, dans le règlement donné à l’université de Paris, en 1215.

Une figure plus attachant d Joachim de More. Voir t. viii, col. 1425 sq. C’est dans son Libella* de imitâte seu essenlia Trinitatis (non publié) que se trouve la controverse engagée par lui contre Pierre Lombard. Joachim avait traité celui-ci d’hérétique et d’insensé pour avoir enseigné, à la dist. V, qu’ « une chose souveraine est Père, Fils et Saint-Esprit » et dit qu’ « elle n’engendre, ni n’est engendrée, ni ne procède ». Joachim s’imaginait qu’il fallait admettre en Dieu quatre réalités : trois personnes et une essence distinguée des trois personnes et qu’en Dieu donc aucune chose n’existait qui fût tout ensemble Père, Fils et Saint-Esprit, car ce serait admettre une quaternité, savoir : l’essence commune et les trois personnes. Joachim ajoutait même que cette unité d’essence n’était pas proprement et véritablement une unité numérique, mais une simple unité collective et de ressemblance, comme il est dit dans les Actes des apôtres « que la multitude des croyants n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ». Ce qui n’empêcha pas Joachim, dans un âge plus avancé, de s’exprimer fort correctement sur la Trinité. Cf. Psalterium decem chordarum. Texte dans Ceiliier, op. cit., p. 831.

4. Les décisions de l’Église.

Il n’est ici question que, des décisions doctrinales, lesquelles se réduisent à deux :

a) Profession de foi imposée par Innocent III à Durand de Huesca (1208).

— En ce qui concerne le dogme trinitaire, deux points y sont fortement accentués :

1. Corde credimus, fide intelligimus, ore eonfltemur et simplicibus verbis allirmamus : Patrem et Filium et Spiritum sanctum très personas esse, unum Deum, totamque Trinitatem coessentialem et consubstantialem et coœternalem et ommpotentem et singulas quasque in Trinitate personas plénum Deum…

Denz.-Baruvw., n. 420.

Nous croyons de cœur, admettons par la foi et confessons de bouche, affirmant notre croyance par ces simples mots : le Père et le Fils et le Saint-Esprit sont trois personnes et un seul Dieu et toute la Trinité est coessentielle, consubstantiellc, eoéternelie et toute-puissante, et chacune des personnes de la Trinité est Dieu tout entier…

On remarquera la formule « coessentielle, consubstantielle, coéternelle », appliquée à la Trinité elle-même et la plénitude de la divinité reconnue à chaque personne. Il y a là une réminiscence du symbole de Léon IX emprunté, quant au sens, aux interrogations proposées par les Slatuta Ecclesise anliqua aux candidats à Pépiscopat. Voir Denz.-Bannw., n. 343 et note. Innocent III ajoute que cette unité divine dans la Trinité est bien celle que nous affirmons en récitant le symbole des apôtres ou le symbole de Nicée et le Quicumque.

2. Patrcm quoque et Filium et Spiritum Sanctum unum Deum de quo ndbts sermo, esse ereatorem, factorem, gubernatorem et dispositorem omnium corporalium et spiriiualiiun, visibilium et invisibilium, conle credimus et ore eonfltemur. N » vi et Veteris Testa unum cumdemque anctorem credimus esse Deum irai in Trinitate, ut diction est, |>ermanens, de nihilo cuncta en ivil … I l, r 1 L.|| : ininv., il. 121.

Nous croyons de cœur et confessons de bouche que cet unique Dieu dont nous parlons, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, est le créateur, l’auteur, le gubernateur et l’ordonnât en r de toutes lis choses corporelles et spirituelles, visibles et invisibles. Nous croyons que Dieu est l’unique et le même auteur a la lois il" l’Ancien et du Nouveau Testament, ce Dieu qui, demeurant dans sa Trinité, a crée toutes choses de rien.

L’hérésie dualiste est ici nettement atteinte avec le caractère spécial que lui avalent donné les albigeois, en distinguant l< i >li ii, auteur de l’Ancirn Testami ht, i i le Dit ii, Hifi ur dU Nouveau. Voir ALBIGEOIS, t. i, col. G78. Il s’agit de prémunir les nouveaux convertis conUn l’héré le dualiste ambiante. D’ailleurs cette profession de foi servit à plusii urs reprises pour reoe* voir dans l’Église les hérétiques des différentes sectes. Voir Denz.-Bannw., n. 420, p. 185, note 2.

b) Décisions doctrinales du IVe concile du Latran (1215). —

Deux décisions également. L’une définit la foi catholique « contre les alhigeois et autres hérétiques ». C’est le célèbre chapitre Firmiter ; en voir le texte et la traduction à Albigeois, t. i, col. 683. La première partie de cette définition est tout entière consacrée au dogme trinitaire. Denz.-Bannw., n. 428.

L’autre déclaration doctrinale concerne l’affaire de l’abbé de Flore contre Pierre Lombard. Après avoir relevé l’affirmation de Joachim à peu près dans les termes où on l’a rapportée ci-dessus, le concile rend sa sentence en approuvant — chose rare dans les annales de la théologie — la position prise par Pierre Lombard :

Nos autem, sacro approbante concilio, crcdimus et confitemur euro Petro Lombardo, quod una quædam summa res est, incomprehensibilis quidem et ineffabilis, quæ veraciter est Pater et Filius et Spiritus Sanctus ; très simul personæ ac singillatim quælibet earumdem ; et ideo in Deo solummodo ïrinitas est, non quaternitas ; quiaquælibettriura personarum est ilia res, videlicet substantia, essentia seu natura divina ; quæ sola est universorum principium, pneter quod aliud inveniri non potest ; et illa res non est generans, neque genita, nec procedens, sed est Pater, qui générât, et Filius qui gignitur, et Spiritus qui procedit ; ut distinctiones sint in personis, et uni tas in natura.

Quant à nous, avec l’approbation du saint concile, nous croyons et confessons avec Pierre Lombard, qu’il est une réalité souveraine, unique, incompréhensible certes et ineffable, laquelle est vraiment le Père et le Fils et le Saint-Esprit ; les trois personnes ensemble et chacune d’elles en particulier ; et ainsi, en Dieu, il y a seulement une Trinité et non une quaternité. Chacune des trois personnes, en ellet, est cette réalité, à savoir la substance, essence ou nature divine, laquelle seule est le principe de toutes choses et en dehors de laquelle aucun autre principe ne peut être trouvé. Et cette réalité n’engendre pas, ni n’est engendrée, ni ne procède ; mais c’est le Père qui engendre, le Fils qui est engendré et le Saint-Esprit qui procède ; de sorte que c’est dans les personnes que sont les distinctions et dans la nature qu’est l’unité.

Licet igitur alius sit Pater, alius Filius, alius Spiritus Sanctus, non tamen aliud ; sed id quod est Pater, est Filius, et Spiritus Sanctus idem onuiino ; ut secundum orthodoxam et catholicam ndem consubstantiales esse credantur. Pater enim ab aeterno Filium generando, suam substantiam ei dédit, juxta quod ipse testatur : Pater quod dédit milii, majtis omnibus est (Joa., x, 29). Ac dici non potest, quod partent substantia 1 suæ illi dederit, et partent ipse sibi retinuerit, cuin substantia Patris indivisibilis sit utpote simplex omnino. Sed nec dici potest quod Pater in Filium transtulerit suam substantiam generando, quasi sic dederit Filio, quod non retinuerit ipsam sibi ; alioquin desiisset esse substantia. Patet ergo quod sine ulla diminutione Filius nascendo substantiam Patris accepit, et ita Pater et Filius iiabent eamdem substantiam ; et sic eadem res est Pater et Filius neenon et Spiritus Sanctus ab utroque procedens.

Bien que donc le Père soit un autre, le Fils un autre et un autre le Saint-Esprit, ils ne sont cependant pas autre chose. Ce qu’est le Père, le Fils l’est et pareillement le Saint-Esprit. Ainsi, selon la foi orthodoxe et catholique, les personnes sont crues consubstantielles. Car le Père, de toute éternité engendrant le Fils, lui communique sa substance, selon que le Christ lui-même en témoigne : « Ce que mon Père m’a donné est plus grand que toutes choses. < Et l’on ne peut dire que le Père a donné au Fils mie portion de sa substance, retenant pour lui l’autre partie ; car la substance du Père est indivisible, parce qu’absolument simple. Et l’on ne peut dire non plus que le Père a transféré au Fils sa substance en l’engendrant, comme s’il l’avait donnée au Fils, ne la gardant pas pour lui ; il faudrait dire alors que la substance du Père a disparu. Il est donc clair que le Fils, en naissant, a reçu, sans lui causer aucune diminution, la substance du Père et ainsi le Père et le Fils ont la même substance. La même réalité est donc le Père et le Fils et le Saint-Esprit qui procède de l’un et de l’autre.

Cum vero Veritas pro fidelibus suis orat ad Patrem, Volo (inquiens) ut ipsi sint unum in nobis, sicut et nos unum sumus (Joa., xvii, 22) ; hoc nomen unum » pro fidclibus quidem accipitur, ut intelligatur unio caritatis in gratia, pro personis vero divinis, ut attendatur identital is uni tas in natura, quemadmodum alibi Veritas ait : Estote perfecti, sicut et Pater vester ceelestis perfectus est (Matth., v, 48), ac si diceret manifestais : Estote perfecti perfectione gratiæ, sicut Pater vester ceelestis perfectus est perfectione naturæ, utraque videlicet suo modo : quia inter creatorem et creaturam non potest tanta similitude notari, quin inter eos major sit dissimilitudo notanda.

Quand la Vérité (faite homme) priait le Père pour ses fidèles, elle disait : « Je veux qu’ils soient un en nous, comme nous aussi sommes un. Ce mot « un » entendu des fidèles, signifie en eux l’union de la charité dans la grâce ; mais appliqué aux personnes divines, il signifie l’identité dans la nature. C’est ainsi qu’ailleurs la même Vérité dit : Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » C’est comme si elle disait plus manifestement : « Soyez parfaits » de la perfection de la grâce, « comme votre Père céleste est parfait de la perfection de la nature. Chaque perfection doit donc être comprise de la façon qui lui convient ; car, entre le Créateur et la créature, on ne peut noter une telle ressemblance, qui cependant ne laisse place à une plus grande dissemblance.

Si quis igitur sententiam vel doctrinam prsefati Joachim in hac parte defendere vel approbare preesumpserit, hæreticus ab omnibus conlulatur.

Denz.-Bannw., n. 431-432.

Si quelqu’un donc a la présomption de défendre ou d’approuver sur ce point la doctrine proposée par le dit Joachim, qu’il soit de tous rejeté comme hérétique.

Cette longue déclaration peut être divisée en trois parties.

Dans la première, le concile rétablit la vérité catholique : dans la Trinité, une seule chose (une seule réalité absolue), qui est vraiment Père, Fils et Saint-Esprit et s’identifie avec chaque personne, tout en laissant subsister leur distinction mutuelle. Donc cette réalité absolue ni n’engendre, ni n’est engendrée, ni ne procède. C’est le Père qui engendre, le Fils qui est engendré, le Saint-Esprit qui procède. Comme le disait autrefois saint Grégoire de Nazianze dans sa lettre ci à Clédonius, il n’y a pas dtXXo et fiXXo, mais àXXoç et àXXoç. P. G., t. xxxvii, col. 180 B. L’expression passe ici de la théologie au dogme. Joachim est condamné, non pas précisément parce qu’il réprouve la façon de parler de Pierre Lombard, mais parce qu’il introduit en Dieu une véritable quaternité. La réprobation formulée à son égard n’atteint pas Richard de Saint-Victor, voir ci-dessus, col. 1718.

La seconde partie est une justification un peu confuse de ces vérités dogmatiques. Le concile expose que le Père communique sa substance sans la perdre et il justifie son assertion par la simplicité et l’immutabilité divines. L’explication est matériellement juste ; mais il faudra arriver au concile de Florence pour tenir l’explication adéquate : Omnia in Deo unum sunt, ubi non obviât relationis oppositio. Le concile cependant, au canon Firmiter, avait en passant marejué que la Trinité était secundum communem essentiam individua et secundum personales proprietates discrela ; mais il est en régression, quant à la vraie formule, sur le XIe concile de Tolède. Voir ci-dessus, col. 1704.

Enfin, dans la troisième partie, le concile montre que les textes scripturaires sur lesquels pouvait s’appuyer Joachim pour comparer l’unité divine à une simple unité collective ou de ressemblance, ne supportent pas, appliqués à la Trinité, une interprétation univoque. Et il en fournit un exemple en faisant l’exégèse de Joa., xvii, 22, par comparaison avec Matth., v, 48. Il affirme ici le grand principe de l’analogie qui doit gouverner toute la théologie : pas de ressemblance entre les créatures et Dieu qui ne laisse subsister une plus grande dissemblance. Remarque trop importante pour ne pas être soulignée.

Conclusion.

Les textes du IVe concile du Latran montrent qu’à l’aube du XIIe siècle le dogme trinitaire ne réalise plus de véritable progression et se trouve, jusque dans ses détails, à l’abri de controverses graves. Un seul point peut-être n’est pas encore suffisamment mis en relief dans les documents officiels de l’Église : le rôle des relations divines. Les Pères, même les Pères grecs, dont le concept trinitaire part des trois hypostases pour aboutir à la substance unique, font état, dans l’exposé du dogme et pour réfuter les objections ariennes, des relations réelles d’origine, qui seules peuvent, en Dieu, expliquer la distinction des personnes, sans nuire à l’unité et à la simplicité. Voir, par exemple, saint Grégoire de Nazianze, Orat.. xxix, 16 et xxxi, 9, P. G., t. xxxvi, col. 96 A et 141 C ; saint Grégoire de Nysse, Quod non sint tres dii, P. G., t. xlv, col. 133-136, ce dernier texte moins clair dans son expression et cependant, quant au sens, concordant avec ce que saint Grégoire de Nazianze appelle τῆς πρὸς ἄλληλα σχέσεως διάφορον. Les Pères latins, partant de la substance pour aboutir aux personnes, ne peuvent y parvenir qu’au moyen des relations d’origine, dont le concept trouve une élaboration déjà remarquable chez saint Augustin. Voir t. I, col. 2347. Toutefois les relations divines n’étaient pas encore entrées dans les textes officiels de l’Église (si l’on excepte le XIe) concile de Tolède, qui, par lui-même, n’a pas valeur œcuménique). Peut-être l’œuvre de suprême clarification que vont accomplir les grands scolastiques a-t-elle été nécessaire pour faire consacrer à Florence la formule dogmatique préparée par la tradition depuis des siècles.

Mais, à côté du dogme, reste son exposé philosophique, qui est le propre de la scolastique. On a vu que, dès la fin du xiie siècle, Pierre de Poitiers avait excellé dans la précision des formules à employer. Voir col. 1719. Son œuvre sera continuée et parachevée par les théologiens postérieurs. Le progrès s’affirmera surtout — mais ici avec des divergences parfois fort accentuées — dans la théorie rationnelle de la Trinité ; chacun, en effet, y introduit le concept analogique qu’il s’est fait de la vie intime de Dieu.

Les luttes engagées au xiie siècle ont convaincu la raison humaine de son impuissance à démontrer le mystère lui-même et tous les théologiens affirment d’un commun accord que la philosophie ne saurait nous le faire même soupçonner. Mais, cet aveu fait, il reste que Dieu a imprimé dans les créatures des vestiges, dans l’âme humaine une image de sa vie intime ; et donc la raison a le droit et le devoir d’en rechercher les traces à la lumière de la foi. Mais — tous les théologiens sont également d’accord pour le noter — « les explications rationnelles des processions divines n’atteignent point la réalité même des choses. Elles ne fournissent que des comparaisons, puisque, ne s’appuyant que sur des images, elles ne procèdent que par voie d’analogie. Sans doute, dans nos docteurs scolastiques comme dans les saints Pères, on rencontre souvent la théorie des processions présentée sous une forme syllogistique. Mais il ne faut jamais oublier que les théologiens attribuent à de pareils argument, une simple valeur de « convenance », comme ils disent. La raison ne démontre point apodictiquement ce dogme inaccessible, mais elle montre que, loin d’impliquer contradiction, le mystère se reflète dans les plus belles créatures. Par là, elle écarte les obstacles ; elle prépare les voies de l’âme à l’arrivée de la foi : arguit et commendat, suivant l’heureuse expression d’Hugues de Saint-Victor… Toutes nos théories de la Trinité sont de simples comparaisons par voie d’analogie ». Th. de Régnon, op. cit., t. ii, p. 119-120.

Ainsi, dans toutes les théories relatives au mystère de la Trinité, nous trouverons deux éléments. L’un est révélé : c’est l’unité divine, c’est la trinité des personnes, dont les noms, Père, Fils et Saint-Esprit sont consacrés par l’Évangile et le symbole. Tous admettront donc en Dieu une paternité, une filiation, une procession qui n’est pas une génération. Mais d’autres noms divins nous sont révélés, qui fournissent eux aussi des images du mystère : le Fils est le Verbe, la Sagesse, l’Image, la Splendeur ; le Saint-Esprit est le Don, l’Amour. Ce sont là des indications. Les théologiens restent libres de choisir parmi ces données celles qu’ils veulent mettre à la base de leur œuvre. Déjà, dans l’étude du XIIe siècle, nous avons rencontré des essais — heureux ou malheureux — en ce genre. Saint Thomas, résumant les « voies » de ceux qui l’ont précédé, écrit fort pertinemment : « Pour prouver la trinité des personnes, quelques auteurs ont raisonné sur l’infinité de la bonté divine, qui se communique elle-même d’une manière infinie dans la procession des diverses personnes. D’autres se sont appuyés sur ce qu’il ne peut y avoir jouissance-possession d’un bien, si l’on n’en jouit pas en commun. Quant à saint Augustin, pour expliquer la Trinité des personnes, il part de la procession du verbe et de l’amour dans notre âme, et c’est la voie que nous avons suivie nous-même. » Sum. théol., Ia, q. xxxii, a. 1, ad 2um.

Après une période de tâtonnement, la théologie du xiiie siècle a vu deux noms se détacher de l’ensemble, deux noms d’initiateurs, Pierre Lombard et Richard de Saint-Victor. Le premier devait être l’organisateur de la théologie ; le second en est le docteur mystique. La doctrine de Pierre Lombard se retrouve dans Albert le Grand, mais elle prend une vigueur nouvelle chez saint Thomas dont l’influence est telle qu’on la retrouvera, au cours des siècles suivants, ininterrompue jusqu’à nos jours. Richard influencera Alexandre de Halès et se fixera en saint Bonaventure. Et, plus tard, l’école franciscaine prendra une direction nouvelle avec Duns Scot.