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Dictionnaire de théologie catholique/TRINITÉ, LA THÉOLOGIE LATINE. III. La crise protestante et ses répercussions dans la théologie catholique : concile du Vatican et encyclique Pascendi

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 118-136).

III. La crise protestante et ses répercussions dans la théologie catholique : concile du Vatican et encyclique « Pascendi ».

Tout entiers à ce qu’ils considéraient comme leur œuvre essentielle : établir la justification et le salut de l’homme par la foi en Jésus-Christ, les premiers réformateurs n’ont pas attaqué le dogme catholique de la Trinité. Bien plus, ce dogme leur apparaissait, et à juste titre, comme la condition préalable de la sotériologie chrétienne. On aurait tort cependant de croire que la crise protestante fut sans influence sur la croyance trinitaire. Bien vite, en effet, les cadres traditionnels, conservés par Luster, Mélanchthon, Zwingle et Calvin, furent brisés. Une vague antitrinitaire déferla au sein de la Réforme. Un danger, plus grave encore peut-être, surgit de la philosophie indépendante qui, différentes formes, donna aux assertions dogmatiques des interprétations rationalistes. La réaction de Schleiermacher, s’efforçant de rendre au dogme une valeur réelle devant la conscience chrétienne, l’a simplement dépouillé de toute valeur objective. Ces interprétations ne sont pas seulement un témoignage irrécusable des nouvelles « variations » protestantes en une matière qui semblait en comporter le moins ; elles fournissent une contribution non négligeable à l’histoire du dogme catholique, en raison des répercussions qu’elles ont eues sur la théologie catholique du xixe siècle en Allemagne et en Italie et, plus tard, en France, ce qui provoqua l’intervention du magistère, principalement sous Pie IX et sous Pie X. On étudiera donc :

1° la permanence des cadres traditionnels chez les premiers réformateurs ;

2° les doctrines antitrinitaires ;

3° les interprétations philosophiques ;

4° l’adaptation moderniste protestante ;

5° le semirationalisme catholique et les interventions de l’Église ;

6° le modernisme catholique et la condamnation de Pie X.

I. PERMANENCE DES CADRES TRADITIONNELS CHEZ LES PREMIERS RÉFORMATEURS.

1° La pensée de Luther a été formulée dans les articles de Smalkalde, a. 1, i. Elle s’exprime parfaitement dans le texte du Petit catéchisme, divisant le symbole en trois articles, « le premier qui parle de Dieu le Père et de l’œuvre de la création ; le deuxième, de Dieu le Fils et de l’œuvre de la rédemption ; le troisième, de Dieu le Saint-Esprit et de l’œuvre de sanctification ». Joh. Tob. Muller, Z>/e symbolische Bûcher, p. 299. On saisit immédiatement la portée de cette profession de foi : elle est pratique en même temps que spéculative ; pratique en tant que le dogme s’exprime en fonction des relations de Dieu à sa créature, création, rédemption et sanctification. Ce double point de vue est développé dans le Grand catéchisme, ii, § 63-66. Millier, op. cit., p. 459-460. On aurait tort de ne vouloir retenir que le point de vue pratique, pour justifier, par un rapprochement tendancieux, les interprétations purement « économiques » que nombre de protestants ont données, au cours du siècle dernier, au mystère de la Trinité. Cf. P. Lobstein, Essai d’une introduction à la dogmatique protestante, Paris, 1896, p. 224 sq., et surtout, p. 226, note 2.

Mélanchthon, dans la première rédaction de ses Loci, avait traité fort sommairement le dogme trinitaire, trop étranger aux vérités religieuses, que la Réforme prétendait remettre en lumière. Ma’s les attaques des antitrinitaires ainsi que les nécessités d’une systématisation théologique l’incitèrent à donner une place plus large au mystère de la Sainte-Trinité dans les éditions postérieures. L’exposé de Mélanchthon, qu’on retrouve plus résumé dans la Confession d’Augsbourg, a. 1, présente, dans les Loci, une justification tirée de l’analogie psychologique déjà invoquée par saint Augustin, analogie qu’à l’exemple d’Augustin lui-même et des grands scolastiques, il élargit en lui donnant une portée spéculative. Corp. Reform., t. xxi, col. 258, 615, 629-630 ; cf. Enarr. symboli Niceni, t. xxiii, col. 235 ; Postilla, t. xxv, col. 19. Dans l’âme, il y a l’esprit, la pensée, le principe du mouvement. Le Père est comme l’esprit ; le Fils est l’image du Père engendrée par la pensée ; le Saint-Esprit est le mouvement. In ep. ad Col., iii, t. xv, col. 1274. Comme Luther, Mélanchthon cherche à donner une portée pratique à cette vérité spéculative : « L’Écriture, dit-il, nous enseigne la divinité du Fils d’une manière non seulement spéculative, mais pratique : nous devons invoquer le Christ, nous confier à lui et lui rendre ainsi l’hommage dû à la divinité. Il est plus expédient de considérer ces devoirs que de disputer sur la nature (de Dieu). Dans cette invocation, dans ces exercices de foi, nous arrivons à une meilleure connaissance de la Trinité que par des spéculations oiseuses qui envisagent les relations des personnes entre elles et non leurs rapports avec nous. » Corp. réf., t. xxi, col. 367 ; cf. col. 608-609, 612. Voir aussi Apol. confes., iii, 20, Mûller, op. cit., p. 90. Cette portée pratique et cette insistance de Mélanchthon à éliminer du dogme les discussions purement spéculatives ne suppriment en rien la réalité objective du mystère. Il est nécessaire de le souligner, comme tout à l’heure pour Luther.

Zwingle est plus exclusivement fidèle aux formules spéculatives, encore que le dogme de la Trinité n’ait été envisagé par lui que très accidentellement. Voir surtout Fidei ratio, I (1530) et l’ouvrage posthume (1536), Christ ianæ fidei exposilio, § 21-22, dans Zwinglii opéra, t. iii, Zurich, 1832. La distinction des personnes dans l’unité de l’essence semble avoir pour lui moins de portée pratique que pour Luther et pour Mélanchthon. Pour Zwingle, ce que nous attribuons au Père, au Fils et au Saint-Esprit se rapporte à la diinité unique indivisible. L’Écriture Sainte attribue au Père la puissance ; au Fils, la grâce et la bonté ; au Saint-Esprit la vérité. Mais c’est l’Être éternel et souverain qui est, par sa nature même, tout puissant, absolument bon et vérité parfaite.

En tout cela, rien que de très orthodoxe, encore que les antitrinitaires aient pu en déduire la non-distinction des personnes.

4° Mais c’est Calvin qui nous a laissé l’exposé le plus complet de la doctrine trinitaire. Sa pensée, au contact des controverses, semble accuser une certaine modification, non quant à la doctrine elle-même, mais quant à la manière de la présenter. D’abord plutôt spéculative, elle fait ensuite une place à l’expérience religieuse. Mais cette expérience religieuse n’a rien de commun avec celle de Schleiermacher.

1. Exposé.

La doctrine trinitaire de Calvin est renfermée dans l’Institution, t. I, c. xiii, Corp. Reform., t. xxxi, col. 144-189. Cette doctrine est conforme aux exigences du dogme catholique. Mais, au moment de la deuxième rédaction de cet ouvrage (1539), Michel Servet avait déjà publié (1531) son De Trinitatis erroribus. Il s’agissait donc de défendre le dogme attaqué. Calvin ne s’y prit pas autrement que les catholiques. Les preuves du mystère, il les trouve d’abord dans l’Écriture, accueillant même comme démonstratifs les textes de l’Ancien Testament que citaient encore à son époque les catholiques. Le chapitre est d’ailleurs intitulé : « Qu’en l’Escriture nous sommes enseignez dès la création du monde, qu’en une seule essence de Dieu sont contenues trois personnes. » Les principales preuves scripturaires sont, de toute évidence, prises dans le Nouveau Testament, là où il est question de la venue du Verbe en notre chair et des promesses de salut que Jésus nous donne par le Saint-Esprit. Ces textes sont classiques. Affirmer que Calvin atteint le Dieu trinitaire a posteriori, que la Trinité est chez lui un postulat de l’expérience religieuse de la sotériologie, c’est avancer une interprétation de sa pensée pour le moins discutable. Personne n’affirme a priori un mystère qu’on ne peut connaître que par révélation. Si Calvin, à plusieurs reprises, parle de l’expérience religieuse des apôtres ou même de notre expérience personnelle, il s’agit simplement de. cette expérience qui, en vue de notre salut, nous oblige à trouver, dans le Christ, tel que l’Évangile nous le révèle, le médiateur nécessaire auprès de Dieu. L’expérience personnelle ne nous fait pas par elle-même découvrir le mystère ; elle nous fait mieux comprendre les affirmations de l’Écriture. Voir Institution, loc. cit., n. 13, 14. C’est donc en ce sens qu’il est dit dans le Catéchisme de 1537-1538 : « L’Escripture et l’expérience mesme de piété nous monstre en la très simple essence de Dieu le Père, le Filz et son Esprit ». Voir une interprétation légèrement tendancieuse dans Doumergue, Jean Calvin, les hommes et les choses de son temps, t. iv, Lausanne, 1910, p. 92-93.

Calvin accepte pleinement (à l’exception peut-être du Dieu de Dieu du symbole de Nicée, en raison des abus que faisaient de cette expression les antitrinitaires ) la terminologie traditionnelle, adoptée par les Pères et les anciens conciles, rien ne devant nous empêcher « d’exposer par mots plus clairs les choses qui sont obscurément monstrées en l’Escripture ». Loc. cit., n. 3. Il justifie Yhomoousios contre Arius et Sabellius, n. 4. Cf. n. 16, 22. La distinction est nettement marquée entre « le Père, sa Parolle et le Sainct Esprit », distinction, mais non division ; distinction de toute éternité et qui n’a pas eu son origine depuis que le Fils a pris chair, n. 17. Les comparaisons tirées des choses humaines donnent difficilement une idée de ce mystère : il faut ici être très prudent afin de ne pas donner « occasion de mesdire aux méchants et aux ignorans de s’abuser », n. 18. Il n’est pas jusqu’à la doctrine catholique des relations qui ne soit accueillie d’une façon nette : « Car en chacune personne toute la nature divine doit être entendue avec la propriété qui leur compte… Le Père est totalement au Fils et le Fils totalement au Père, comme lui-même l’affirme (Joa., xiv, 10 sq.)… Par ces mots, dit saint Augustin, dénotans distinction, est signifiée la correspondance frelatio) que les personnes ont l’une à l’autre ; non pas la substance, laquelle est une en toutes les trois », n. 19. C’est encore la meilleure solution des difficultés : « Le plus seur est de s’arrêter à la correspondance, selon qu’il (Augustin) le déduit », n. 19. À la fin du chapitre, Calvin justifie le langage moins précis de certains Pères, notamment d’Irénée, n. 27, de Tertullien, n. 28, de Justin et d’Hilaire, n. 29.

Le catéchisme de Calvin, comme celui de Luther, sait allier l’aspect spéculatif et l’aspect pratique du mystère. En voici les passages essentiels : « En une seule essence divine, nous avons à considérer le Père, comme le commencement et l’origine ou la cause première de toutes choses ; son Fils qui est sa Sagesse éternelle ; le Saint-Esprit, qui est sa vertu et sa puissance, répandue sur toutes les créatures et qui néanmoins réside toujours en lui… En une même divinité nous concevons distinctement trois personnes et Dieu pourtant n’est pas divisé. — Si nous sommes enfants de Dieu, ce n’est pas par nature, mais seulement par adoption et par grâce… au lieu que le Seigneur Jésus, qui est engendré de la substance de son Père et qui est d’une même essence que lui, est appelé à bon droit son Fils unique. Car il n’y a que lui seul qui le soit par nature. — Le Saint-Esprit habite dans nos cœurs… nous illumine pour nous faire connaître ses grâces ; il les scelle, les imprime dans nos cœurs et les y rend efficaces… » Le catéchisme de Genève, de Calvin, en français moderne, Paris, 1934, p. 23, 30-31, 43.

2. Discussions avec Caroli. —

La doctrine trinitaire de Calvin fut néanmoins suspectée, en raison de la discussion qu’il eut avec Caroli, moine apostat de Paris, qui, en 1537, avait sommé Calvin de souscrire aux trois symboles des Apôtres, de Nicée et d’Athanase, afin de prouver son orthodoxie. Calvin s’y refusa. Dans un tract tout populaire, son ami Farel avait exposé le dogme de la Trinité en évitant les termes de l’École. On avait accusé Farel de partager les idées de Servet. Ces termes n’étaient pas non plus dans le catéchisme que Calvin et Farel venaient de publier ; et pourtant, dans V Institution de 1536, on les lirait. Devant le synode de Lausanne (14 mai 1537), Calvin lut une confession sur la Trinité, où il fait appel à « l’expérience active plus certaine que toute spéculation oisive » ; il proclamait la divinité du Fils « apprise par une expérience certaine de piété, certa pietatis experientia ». On retrouve ces expressions soit littéralement, soit substantiellement, dans Vinstilution de 1530 et dans le texte définitif de 1559, t. I, c. xui, n. 19. Nous en avons expliqué le sens plus haut. Si, dans sa défense de 1537, Calvin s’en tient à ces expressions, c’est qu’il ne veut pas se séparer ds Farel dans sa justification ; il déclarait accepter les termes reçus, mais ne pas s’y lier, « lafoi ne devant pas être liée à des mots et des syllabes ». Cf. Doumergue, op. cit., p. 97. Voir Defensio pro C. Farello et coUegis ejus, adversus Pétri Caroli calumnias, p. 311-319, dans Calvini opéra, Corp. reform., t. xxxv, col. 293. Ce fut là un sujet d’étonnement et une occasion d’attaque de la part des adversaires de Calvin. Voir, en particulier, iEgidius Hunnius, professeur à Wittemberg, Calvinus judaizans, Wittemberg, 1595 : « Jean Calvin n’a pas eu horreur de corrompre, d’une façon détestable, les passages et les témoignages les plus utiles de la sainte Écriture sur la glorieuse Trinité » (sous-titre).

3. L’affaire Servet. —

Entre la deuxième et la troisième rédaction de l’Institution s’est placée l’affaire Servet. Calvin juge nécessaire d’entrer en polémique avec l’antitrinitaire et de réfuter ses idées. Mais cette polémique n’ajoute rien à ce que nous connaissons de la doctrine du réformateur. Cette polémique a trouvé place dans les derniers paragraphes du c. xiii, n. 20 sq. On en retiendra surtout l’affirmation suivante : ’Que si la distinction des personnes, selon qu’elle est difficile à comprendre, tourmente quelques-uns de scrupules, qu’il leur souvienne que si nos pensées se laschent la bride à faire des discours de curiosité, elles entrent dans un labyrinthe ; et combien qu’ilz ne comprennent pas la hautesse de ce mystère, qu’ilz souffrent d’estre gouvernés par la saincte Écriture », n. 21. Une telle polémique devait rassurer les adversaires de droite ; à gauche, on ne pouvait qu’accuser Calvin de conservatisme étroit. C’est cette accusation qu’on retrouve sous la forme à peine voilée d’une absolution de simple opportunité, chez Harnack : « Si l’on considère la question en soi, il est profondément regrettable que, si près de ce progrès immense (l’adoption de l’antitrinitarisme), la Réforme n’ait pas fait le pas décisif ; mais si l’on pense que les principaux antitrinitaires n’avaient aucune idée de la conception de la foi de Luther et de Zwingle, et se laissaient aller en partie au pire nominalisme, il faut juger que la tolérance vis-à-vis d’eux aurait probablement amené au xvi » siècle, la dissolution de la foi évangélique, tout d’abord dans les pays calvinistes. » Lehrbuch der Dogmengeschichle, 1890, t. iii, p. 665, note 2.

Sur la doctrine trinitaire de Calvin, voir Benjamin B. Werflclds, Calvin’s Doctrine of the Trinity, dans The Princeton théologal Review, oct. 1909, p. 553-652.

Les confessions calvinistes. —

S’il pouvait exister un doute sur la pensée de Calvin, il serait levé par la lecture des « confessions » qu’il a inspirées :

1. La Confession des Pays-Bas :

Art. 9 : Il est donc manifeste que le Père n’est point le Fils et que le Fils n’est point le Père ; semblablement que le Saint-Esprit n’est pas le Père ni le Fils. Cependant ces personnes aussi distinctes ne sont pas divisibles, ni aussi confondues ni mêlées… Le Père n’a jamais été sans son Fils ni sans son Saint-Ksprit, pour ce que tous trois sont d’éternité égale en une même essence. Il n’y a ni premier ni dernier : car tous trois sont un en vérité et puissnnce, en bonté et miséricorde. Le catéchisme de Genève…, appendice, p. lHfi, a. 8 ; cf. p. 180.

Cette doctrine de la Sainte-Trinité a toujours été maintenue en la vraie Eglise depuis le temps des apôtres jusques à présent contre aucuns faux chrétiens et hérétiques… lesquels à bon droit ont été condamnés par les saints Pères… Nous recevons volontiers en cette matière les trois symboles, celui des Apôtres, celui de Nicée et d’Athanase et semblablement ce qui a été déterminé par les anciens, conformément à eux. P. 190.

Art. 10 : Nous croyons que.lésus-Christ, quant à sa nature divine, est Fils unique de Dieu, éternellement engendré, n’étant point fait ni créé, d’une essence avec le Père coôtornel…, étant en tout semblable a lui, lequel est Fils de Dieu, non point seulement depuis qu’il a pris notre nature) mais de toute éternité… P. 191.

Art. Il : Nous croyons ot confessons aussi que le Saint-Esprit procède éternellement du Pèro et du Fils, n’étant point fait ni créé ni engendré, mais seulement procédant des deux : lequel est une personne troisième de la Trinité en ordre, d’une même essence et majesté et gloire avec le Père et le Fils, étant vrai et éternel Dieu, comme nous enseignent les Écritures saintes. P. 192.

2. La Confession de La Rochelle, adoptée à Paris en 1559 :

Art. 6 : Cette Écriture sainte nous enseigne qu’en la seule et simple essence divine que nous avons confessée, il y a trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit : le Père, première cause et origine de toutes choses ; le Fils, sa parole et sagesse éternelle ; le Saint-Esprit, sa vertu, puissante et efficace ; le Fils éternellement engendré du Père, le Saint-Esprit procédant éternellement de tous deux ; les trois personnes non confuses, mais distinctes ; et toutefois non divisées, mais d’une même essence, éternité, puissance et qualité. Et en cela nous avouons ce qui a été déterminé par les conciles anciens et détestons toutes les sectes et hérésies qui ont été rejetées par les saints docteurs, comme saint Hilaire, saint Athanase, saint Ambroise et saint Cyrille. Op. cit., p. 145-146 ; cf. a. 7, p. 146-147.

Théologie scripturaire. —

On l’a déjà constaté par la position prise par Luther et Calvin, la spéculation tient une place infime dans la théologie trinitaire des réformateurs : c’est dans l’Écriture qu’ils cherchent l’exposé du dogme. Tout comme les théologiens catholiques de leur époque, les protestants affirment trouver dans l’Ancien Testament une révélation certaine de la Trinité. Georges Calixte (1614-1656), qui fit fleurir à Helmstedt le goût des études philologiques et historiques, osa présenter quelques observations, assez timides d’ailleurs, contre les procédés de l’exégèse traditionnelle. Num mysterium S. Trinitatise solius V. T. libris demonstrari possil ? Helmstedt, 1649. Dans le camp orthodoxe, ces observations soulevèrent des tempêtes. Cf. Calov, Scriptura V. T. Trinitatis revelalrix, Wittemberg, 1680 ; Pfeiffer, Dissertatio Trinitatem personarum in unitale Dei ex oraculis V. T. probans, Erlangen, 1743.

Mais c’est de toute évidence dans le Nouveau Testament que les protestants, comme les catholiques, vont chercher la révélation précise du mystère. Et, tant que le protestantisme demeure orthodoxe, il reste fidèle à l’exégèse traditionnelle et voit dans la révélation du Fils et du Saint-Esprit la révélation de trois personnes divines distinctes et inséparables dans l’unité de leur nature commune et identique. Cf. Martensen, Dogmatique chrétienne (tr. fr. Ducros), Paris, 1879, p. 173 sq. ; p. 367 sq. ; p. 505 sq.

Aujourd’hui encore, cette exégèse subsiste, non pas, hélas ! chez tous, mais chez un certain nombre d’auteurs qui semblent vouloir réagir contre les libertés excessives prises par la grande majorité des théologiens protestants à l’égard de nos textes inspirés. On pourra juger plus loin de la gravité de ces écarts. On est quelque peu réconforté de constater que la Conférence mondiale de Lausanne (août 1927) s’est déroulée sur une base trinitaire nettement affirmée. Non seulement, on y admit à plusieurs reprises les formules traditionnelles, mais plusieurs commissions entendent se référer purement et simplement au symbole des Apôtres et à celui de Nicée. La seule restriction apportée est celle des orthodoxes orientaux au sujet du Filioque. Cf. Foi et constitution, Actes officiels de la Conférence mondiale de Lausane (3-21 août 1927), par J. Jézéquel, Paris, 1928, passim et surtout p. 538-539. Mêmes constatations à la Conférence universelle d’Edimbourg, 3-18 août 1937, rapport (en français), Winchester-New-York, 1937, p. 32. Mais on est pleinement rassuré en lisant des ouvrages comme le commentaire de M. Louis Bouyer, Le quatrième évangile, Paris, 1938. L’étude des textes conduit l’auteur à professer explicitement la divinité du Verbe incarné, dans lequel nous ne pouvons voir « ni un Dieu diminué, ni un homme incomplet », p. 108. La divinité du Saint Esprit, cet « autre », le Paraclet, p. 219, ne ressort pas moins du quatrième évangile. Et l’auteur rejoint la théologie catholique sur l’habitation de la Trinité dans l’âme juste : « Le but de l’œuvre de Jésus, dit-il, est de créer une société d’amour entre les personnes divines et les fidèles : c’est aux disciples que le Christ ressuscité se manifestera parce qu’il meurt et ressuscite pour que, par le Saint-Esprit répandu dans leurs cœurs, ils soient réunis au Père dans le Fils et que toute la Trinité divine fasse sa demeure chez les hommes », p. 221 ; cf. p. 241.

II. LES DOCTRINES ANTITRINITAIRES. —

Les doctrines antitrinitaires se manifestèrent dès le début du protestantisme. C’est, au fond, un mouvement rationaliste s’originant à une interprétation rationaliste de l’Écriture. La tendance déjà indiquée chez Luther et Calvin de considérer la Trinité par rapport à nous, d’une manière « économique », selon l’expression adoptée par beaucoup d’auteurs protestants, incite à n’attribuer à la triade scripturaire qu’une valeur relative à l’histoire de notre rédemption et non une valeur ontologique : « Le Nouveau Testament, dit-on, n’établit pas de distinction hypostatique entre le Père et le Fils d’une part, et le Saint-Esprit de l’autre ; il n’enseigne pas la personnalité distincte et indépendante de l’Esprit, puisque celui-ci n’est que Dieu ou le Seigneur glorifié, vivant et agissant dans les âmes, y déployant sa force, y répandant ses dons. Ce résultat semblera plus vraisemblable encore si l’on songe que le génie hébraïque n’aimant pas l’abstraction est naturellement porté à personnifier les forces ou les attributs divins, en sorte que les passages qui attribuent à l’Esprit un rôle personnel peuvent s’expliquer parfaitement par ces personnifications si fréquentes dans la Bible. » P. Lobstein, art. Trinité, dans YEncycl. des sciences relig. de Lichtenberger, t.xii, p. 214. Quant au Fils, il suffit de n’attribuer aux textes affirmant sa divinité qu’une valeur relative, pour aboutir à la négation de sa personnalité divine. Voir Jésus-Chhist, t. viii, col. 1370sq. Etl’on conclut avec sérénité : « Sans doute, le Nouveau Testament nous parle du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; mais son enseignement ne diffèrc-t-il pas de celui de l’Église ? Attribue-t-il la divinité métaphysique et la préexistence éternelle au Fils de Dieu, qui serait par conséquent absolument égal au Père ? Conçoit-il le Saint-Esprit comme une personne distincte du Père et du Fils et procédant de l’un et de l’autre ? C’est ce que l’on conteste, et il est évident que la négation de la divinité de Jésus-Christ et de la personnalité du Saint-Esprit emporte comme conséquence nécessaire la négation de la trinité elle-même dans le sens que l’Église attache à cette doctrine. D’ailleurs, alors même que les éléments de la doctrine trinitaire se trouveraient dans le Nouveau Testament, les écrivains sacrés nous parlent de la trinité révélée dans ses rapports avec l’histoire de notre rédemption, non pas de la trinité en soi et considérée en Dieu même : or, s’ils se taisent sur le rapport immanent des personnes divines, ne faut-il pas en conclure qu’il y a une différence sensible entre la triade religieuse de la révélation chrétienne et la trinité spéculative de la métaphysique chrétienne. » P. Lobstein, art. cit., p. 227. Sans doute, tout en partant du même principe, certains auteurs pensent pouvoir garder encore quelque chose de la triade métaphysique. Voir Bonifas, Revue théologique de Monlauban, 1878-1879, p. 60 sq. Mais la position scripturaire indiquée par Lobstein est bien celle qui a dicté toutes les négations antitrinitaires, sous quelque forme que ce soit.

Avant Michel Servet. —

L’humanisme érudit et littéraire poussa dès le début de la Réforme certains individus, impatients des limites où les réformateurs voulaient les enfermer, à s’attaquer aux dogmes mêmes que, ceux ci entendaient respecter. Ce fut le cas des premiers antitrinitaires. Les principaux noms qu’il convient de relever sont ceux de : Conrad in Gassen, Wurtembergeois, exécuté à Bâle en 1529 pour crime de blasphème contre la divinité de Jésus-Christ ; L. Hetzer, de Bischofszelt en Thurgovic, prêtre catholique apostat, « le plus remarquable des anabaptistes », dit Harnack, Lehrbuch…, t. iii, p. 658-659, condamné à mort à Constance en 1528 pour immoralité (sur lui, voir Th. Keim, dans la Prol. Realencycl., 3e éd., t. vii, p. 325 sq.) ; J. Denk, de Nuremberg (1495-1527), ami de Th. Mùnzer, chef des anabaptistes, qui, dans son livre De la loi de Dieu, oppose la lettre de l’Écriture à l’Esprit de Dieu ; chassé de Bâle et de Strasbourg pour scandale de mœurs, il revint cependant en cette ville sous la protection d’Œcolampade ; mais il y mourut bientôt de la peste (sur lui, voir Hebeilé, Johann Denk und sein Biichlein vom Gesetz, dans Sludien und Kritiken, 1851 ; et Johann Denk und die Ausbreitung seiner Lehre, ibid., 1855) ; J. Kautz, de Worms, qui, le 9 juin 1527, jour de la Pentecôte, affiche dans cette ville sept thèses chères aux anabaptistes. Quoi qu’en pense Harnack dans l’appréciation superficielle qu’il donne de ces auteurs, op. cit., p. 660, on doit objectivement les considérer comme des protagonistes de l’antitrinitarisme en Alsace, de 1526 à 1528, et comme les alliés des anabaptistes. Leur doctrine revient, en termes généraux, à ceci : Dieu est absolument un ; il n’existe en Dieu aucune trinité de personnes ; Jésus-Christ n’a pas eu de préexistence personnelle avant sa venue sur la terre. Denk insiste cependant sur l’idée d’un Verbe éternel, parole intérieure de Dieu dans nos âm"s. Cf. Doumergue, op. cit., t. vi, Neuilly-sur-Seine, 1926, p. 445-449 ; A. Réville, art. Antitrinitaire, dans l’Encyclopédie d>-, Liclitenborg : r, t. i, p. 378.

A ces noms il faut encore ajouter : Claudius de Savoie, qui enseigna à Berne (1534) l’unité absolue de Dieu, combattit la préexistence personnelle du Christ, ramena l’Esprit-Saint au nombre des créatures ; Sébastien Frank, de Donauwœrth, en Souabe, un idéaliste qui ne voyait dans le Christ visible que l’image et le symbole du Christ spirituel, invisible, résidant dans la conscience humaine, et qui révèle le Créateur dont il dérive ; J. Campanus, de Juliers, qui, dès 1528, se faisait remarquer à Wittemberg pour son opposition au dogme trinitaire et qui mourut en prison, vers 1574, dans un état de complète démence. Il avait consigné ses vues dans un écrit : Restitution et amélioration de l’Écriture sainte et divine, obscurcie depuis des siècles, avec la permission de Dieu, par des doctrines et des docteurs pernicieux (en allemand). Il voulait, non une trinité, mais une dualité divine, l’homme, mâle et femelle, ayant été créé à l’image de Dieu. Le Fils est l’élément féminin, par conséquent subordonné de la divinité où le Père représente l’élément masculin, actif et productif. Le Saint-Esprit n’est pas une personne, mais l’esprit commun au Père et au Fils et leur action commune sur l’homme.

Enfin, D. Noris, de Delft (1501-1556), évêque anabaptiste dans sa ville natale, repoussait comme contradictoires les doctrines de la Trinité et de l’incarnation. L’incarnation du Fils-Dieu a été révélée par trois hommes, Moïse, Élie, Jésus ou enror^ Adam, David, Jésus. Mais le vrai Fils est le Christ de l’esprit qui s’Identifie avec la volonté, la parole, la nature même di Dii ii Noris a laissé de nombreux traités en langue hollandaise ; le plus remarquable est Wonderboek des miracNs).

Michel Servet. —

Cet Fspagnol (il étaitnéen 1500 ou 1511 à Villanueva en Ar.i<ion)se fit déjà remarquez à Pâle, en 1530, par sis vues antltrinltmlrea qui lui valurent les observations d’Œcolampade. Ce qui ne

l’empêcha pas de publier en 1531 son traité De Trinitatis erroribus libri VII qui causa grand scandale. L’édition fut, dans la mesure du possible, saisie et anéantie ; il dut se rétracter dans Dialogorum de Trinitate libri II. De justitia regni Christi capitula IV (1532). Au fond, Servet ne rétractait rien. Sur ses discussions avec Calvin au sujet de la Trinité, voir Servet, t. xiv, col. 1967 sq. En 1543, Calvin publiait déjà contre lui sa Defensio orlhodoxæ fidei de sancta Trinitate contra prodigiosos errores Michælis Serveti Hispani, Corp. Reform., t. xxxvi, col. 457 sq. (trad. fr. en 1564, Déclaration pour maintenir la vray foy, que tiennent les chrestiens de la Trinité des personnes en un seul Dieu contre les erreurs détestables de Michel Servet, Espagnol, Genève).

Ce qui mit le comble à 1’ « hérésie » de Servet fut, en 1553, la publication de la Christianismi restitutio (on voit l’opposition avec la Christiana institutio). (Cinq livres et deux dialogues sur la Trinité ; trois livres sur la foi, la justice, le royaume du Christ ; quatre livres sur la nouvelle naissance d’en haut et le royaume de l’Antéchrist ; trente lettres à Calvin ; les soixante signes de l’Antéchrist et une apologie contre Mélanchthon, relative au mystère de la Trinité, 734 p. Voir l’histoire de la publication de la Restitutio dans Doumergue, op. cit., t. vi, p. 255 sq.). Entre les deux ouvrages, celui de 1531 et celui de 1553, Servet avait fait une évolution philosophique vers le néoplatonisme. Mais, dès 1531, il se montre violemment antitrinitaire, au nom même de la spéculation philosophique et de la critique rationnelle. Tandis que « les Réformateurs étaient des croyants pratiques », se préoccupant avant tout du péché et de la rédemption des hommes, Servet se montre « l’inventeur de la théologie historique ». Cf. Doumergue, op. cit., t. vi, p. 229. Il critique vivement les « tritoïtes ». « On divise, écrit-il, notre Dieu en trois parties, nous sommes donc sans Dieu, des athées. » De Trin., p. 21. Après son évolution, il écrira : « Ces tritoïtes, ils rêvent d’une façon incompréhensible (inintelligibiliter somnianl) d’un cerbère à trois têtes, d’un Dieu tripartite. » Restitutio, p. 119.

Michel part d’un principe a priori : le dogme antitrinitaire, l’unicité de Dieu, mais d’un Dieu conçu à la façon du néoplatonisme : « L’essence de toutes choses est Dieu même et toutes choses sont en Dieu. » De Trin., p. 102. Et encore : « Dieu est partout, plein de l’essence de toutes choses. Il contient en soi l’essence de toutes choses, de telle façon que, par sa seule essence, sans autre chose créée, il peut se montrer à nous comme feu, comme air, comme pierre, comme aimant, comme verge, comme fleur, comme quoi que ce soit… Dieu dans le bois est bois, dans la pierre est pierre, ayant en lui l’être (esse) de la pierre, la vraie substance de la pierre. » Lettre VI, dans Restitutio, p. 588. Ainsi « Dieu est dit « essentiant » (essentians) les essences, pour que celles-ci en essentient d’autres ». Le Christ est le dispensateur de la lumière ; l’envoyant de sa substance, envoyant l’esprit de sa substance. Id., p. 128. C’est le principe néoplatonicien du Logos. Cf. Trechsel, Michel Servet und seine Vorgânger nach Quellen und Urkunden dargestellt, 1839 (i OT vol. de l’ouvrage, Die protestant ischen Antitrinitârier vor Faustin Socin, Heidelberg, 1839, t. II, 1844). Voir aussi Doumergue, op. cit., t. vi, p 228 sq. C’est un panthéisme qui s’affiche avec d’autant plus do naïveté qu’il croit servir la cause du christianisme. Chauvet, Élude sur le système théologique de Servet, Strasbourg, 1807, p. 36. Cf. Emerton, dans Harvard theological Review, avril 1909. Ainsi le Christ est vraiment, visiblement et corporel lement engendré (genilus) de la substance de Dieu le Père et de la Vierge comme mère. Restitutio, lettre vi, p. 589. Il n’est pas Dieu, mais il n’est pas homme non plus ; son corps est divin de la substance de la déité, cf. Trechsel, op. cit., p. 105 ; en son âme et en sa chair, il y a déité substantielle et la même puissance, substanlialis deitas et potentia eadem. Restitutio, p. 87. Ces spéculations nébuleuses n’empêchent pas Servet de se livrer à des élans de prière mystique. Dial. de Trinitate H, dans Restitutio. Cf. Tollin (tr. fr. de Mme Picherat-Dardier), Michel Servet, portrait et caractère, Paris, 1879.

C’est sur ces données métaphysiques que Servet construit la synthèse de la religion chrétienne. En voici le résumé par A. Réville, art. cit., p. 382 :

Dieu… a voulu se révéler et s’est révélé sous trois modes : la parole, le Christ et l’esprit. La parole ou le Verbe est le monde idéal, la lumière incréée, omnium imagines… in sapientia ipsa… in luce omnia consistant, l’homme et le Christ y compris. Pour que ce Christ prévu, prédéterminé, apparût, le monde et son histoire était nécessaire. C’est ainsi que le monde a été fait par (per) le Christ et en vue de sa venue en chair. Mais, comme de toute parole provient un souille, de même, du Verbe créateur émane l’esprit, l’âme du monde, qui anime aussi les hommes et fait leur respiration. Cet esprit procédant par des productions encore imparfaites (Adam, la Loi, les prophètes, les figures de l’Ancienne Alliance) a trouvé sa parfaite expression en l’homme Jésus, dans la naissance duquel la substance du Verbe ou de la lumière incréée a tenu lieu de semence paternelle. Les vrais éléments supérieurs, le feu, l’air, l’eau se sont unis à la manière terrestre dans le sein d’une vierge ; d’où il suit que la nature corporelle du Christ est aussi divine que son âme… Grâce à cette incarnation ou plutôt à cette « sarcogénèse », l’esprit, troisième mode révélateur de Dieu, s’est pour ainsi dire affranchi de tout ce qui le limitait et l’obscurcissait. Il nous vient du Christ, délivré depuis la résurrection de tout ce qui pouvait encore, même en Jésus vivant de la chair terrestre, troubler sa pensée. Spiritus sanctus est ipse oris Christi halitus. Il implante dans l’homme la nature divine et la vraie immortalité.

Les protestants italiens réfugiés en Suisse. —

On ne parle ici que des Italiens n’appartenant pas directement à l’école socinienne. — Citons : Francesco le Calabrais, Titiano et surtout Camillus Renatus, tous trois en Suisse depuis 1542, et s’accordant dans une doctrine d’un subjectivisme complet, qui annule l’incarnation objective du Verbe et ramène à la persuasion intérieure du salut le rapport religieux de l’homme avec Dieu. Ce sont des modernistes avant la lettre.

Bernardin Ochino, d’abord franciscain, confesseur de Paul III, natif de Sienne, passe au protestantisme et se réfugie en 1542 à Bâle. On peut l’appeler le second fondateur de l’unitarisme. Ses vues sont exposées dans son Catéchisme (1561) et surtout dans ses Dialogues (1563), composés en italien et traduits en latin par Castellion. La question de la Trinité est agitée en l’un de ces dialogues entre Ochin et son esprit. L’esprit dit que la doctrine de la Trinité est à réviser, non moins que les autres. Cf. Trechsel, op. cit., t. ii, p. 240. L’esprit estime que le Nouveau Testament ne réclame pas la foi en la Trinité. Et cependant, devant les réponses d’Ochin, l’esprit se déclare vaincu. Réponses d’une faiblesse voulue. Voir Ochin, t. xi, col. 916 sq.

Matthieu Garibaldo, jurisconsulte de Padoue, expose dans une lettre (Genève, 1554) sa théorie sur le Père et le Fils, deux hypostases réelles, distinctes, l’une et l’autre Dieu, l’un envoyant, l’autre envoyé, l’un corporeus, l’autre corporalus. Il admet trois dieux : le Père, prince des dieux, le Fils et le Saint-Esprit, dieux à son service et subordonnés, ministeriales et subordinatos. Lettre de Haller à Bullinger, 14 septembre 1557, citée par Trechsel, op. cit., t. H, p. 298, note 3. L’unité divine du Père et du Fils n’est autre chose que la participation à une même nature divine abstraite, un peu comme Paul et Apollos étaient unis entre eux dans le même apostolat. Cf. Réville, art. cit., p. 380. Singulier mélange de trithéisme et d’arianisme, que Calvin, dans sa correspondance avec Wolmar, réprouve énergiquement. Voir Doumergue, op. cit., t. vi, p. 475. Emprisonné à Berne, Matthieu consentit, pour éviter la mort, à signer une rétractation et à accepter tous les symboles, « celui de Nicéc et celui d’Athanase » (septembre 1557). On le laissa néanmoins en prison, où il mourut de la peste (1558). Voir Trechsel, op. cit., t. ii, Appendice xiv, p. 466, 467.

Georges Blandrata, de Saluées (1515-1590), était médecin et Calvin, à maintes reprises, en fait un portrait peu flatteur, mettant ses correspondants en garde contre « ce monstre ». Voir les textes dans Doumergue, op. cit., p. 477 sq. Blandrata venu à Genève, posa à Calvin d’innombrables questions, servetica deliramenta, dit le réformateur. Parmi ces questions revenaient celle des personnes de la Trinité et de l’idée que s’en étaient faite Justin et Tertullien. Un de ses disciples, Jean-Paul Alciati, piémontais, accusa Calvin et ses fidèles « d’adorer trois diables, pires que toutes les idoles de la papauté, parce qu’ils croyaient en trois personnes ». Voir aussi Vie de Calvin, dans Corp. Reform., t. xlix, col. 86. Ces attaques de 1’ « Église italienne » déterminèrent Calvin à réunir une conférence (1558) où la question trinitaire fut discutée et qui aboutit à la rédaction d’une confession de foi orthodoxe que tous les membres s’engagèrent à signer. Blandrata et Alciati se retirèrent en Pologne, où Lismaninus les accueillit favorablement, malgré les avertissements de Calvin. Alciati devait mourir à Dantzig, en 1565.

Blandrata continua ses attaques antitrinitaires, d’abord sous forme de petites sentences où il préconisait le subordinatianisme ; mais très habilement il évite de froisser de façon trop directe le sentiment des calvinistes trinitaires. Ce fut seulement en 1562 qu’il démasque le fond de sa pensée en douze articles qu’il soumit au synode d’octobre 1562. Voici les plus caractéristiques : 1. Le fondement de toutes les erreurs est de dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit est un Dieu ; 2. Celui qui invoque Dieu absolument un dans la Trinité a un « Dieu gonflé » (Deum conflatum), un « Dieu turc » (turcinum) sans Fils ; 11. Les mots « trinité, personnes, essence », sont des mots papistes ; 12. Tous ceux qui ne pensent pas ainsi sont des sabelliens. Dans Corp. Reform., t. xlvii, col. 573. Cf. Doumergue, op. cit., ꝟ. 486. Après ce synode, où l’on ne put s’entendre, le protestantisme polonais se scinda : calvinistes et blandratistes. Le calvinisme reprit bientôt le dessus et Blandrata quitta Cracovie pour la Transylvanie, où il défendit l’unitarisme avec Franz David et périt, dit-on, assassiné par un neveu, en 1590.

Valentin Gentilis, de Cozenza, en Calabre, avait refusé de signer la profession de foi de 1558 proposée par Calvin à 1’ « Église italienne ». Toutefois, en présence de Calvin, le 20 mai, il accepta d’y souscrire. Mais il porta bientôt le débat en chaire devant le grand public et cette incartade lui valut la prison et un procès en règle. Cf. Henry Fazy, Procès de Valentin Gentilis et de Nicolas Galbo (1558), dans Mémoires de l’Institut national genevois, t. xiv, 1878-1879 ; Trechsel, op. cit., t. ii, p. 316-390. Devant ses juges, il présenta deux confessions de foi. Il y niait la première personne, le Père, en l’essence unique » ; une telle personne serait « sophistique » et « doit estre raclée entièrement du mystère de la Trinité ». Cette essence unique qui serait Dieu, ajoutée aux trois personnes, également dieux, formerait « non pas une Trinité, mais une quaternité en Dieu ». Le Père n’est donc pas la première personne en l’essence divine, il est « ceste seule essence ». Le Père « est le seul vray Dieu, et baillant essence ». Le Fils, « la Parole, c’est la splendeur de la gloire de Dieu ; et il est ensemble aussi vray Dieu ». Texte latin dans Corp. Reform., t. xxxvii, col. 389-390. — Dans une lettre adressée aux pasteurs, Gentilis conclut : « Ainsi faisant, je tiens pour certain que vous abolirez, par l’esprit de Dieu qui habite en vous, tous ces monstres, qui ont si souvent renversé la Trinité et remettrez icelle Trinité en sa première beauté et pureté qui jusques ici a esté délaissée et salie de tant de blasphèmes. » Ibid., col. 399. Condamné, Gentilis abjura le 29 août ; mais au lieu de faire amende honorable en public, il se sauva à Lyon, où il publia ses Antidota : seul, le Père est àuTO0e6ç, essentiator ; le Fils est ëTepo6e6ç, essentialus. Quant à la « personne » du Père, elle est « magique, sophistique, fictive, fantastique, diabolique ». Cf. Trechsel, op. cit., t. ii, p. 333, note 5. Après un bref séjour en Pologne, Gentilis revint à Gex et fut repris par le gouvernement bernois qui le fit décapiter, 10 septembre 1566, comme blasphémateur et parjure. Voir l’exposé de toute l’affaire dans Corp. Reform., t. xxxvii, col. 365-420.

Enfin, François Stancaro de Mantoue, réfugié en Suisse, dut partir également pour la Pologne († 1574). Il n’est antitrinitaire que parce qu’il cherche à écarter de l’essence divine tout ce qui, dans l’œuvre de la rédemption, pourrait en compromettre l’immutabilité. Son antitrinitarisme se résout, en fin de compte, en un nestorianisme très accentué.

Pour être complet, il faudrait citer les théologiens polonais antitrinitaires : Pierre Gonesius (Goniadski), pasteur à Wengrow, dont les idées offrent une grande analogie avec celles de Servet, Grégoire Pauli, Statorius et son disciple Rémi Chelinski. On a vu comment, après le synode de 1562, un schisme se produisit parmi les protestants polonais, entre trinitaires et unitaires. Les antitrinitaires eux-mêmes se divisèrent en partisans et adversaires de la préexistence de Jésus-Christ. Franz Davidis poussa la logique du système antipréexistentiel en refusant l’adoration au Christ, quatenus homo. Désormais, l’histoire de l’antitrinitarisme polonais se confond avec l’histoire du socinianisme. Sur tous ces auteurs on consultera la correspondance et les œuvres de Calvin, cf. VIndex historique, à la fin du t. l du Corpus Reformatorum.

Le socinianisme. —

Sur l’histoire et les doctrines antitrinitaires des sociniens, voir t. xiv, col. 2326 sq. Il ne serait pas difficile de montrer que, si l’erreur de Michel Servet procède d’un mélange de sabellianisme et de mysticisme platonicien, celle des Socins suit plutôt l’impulsion de Paul de Samosate, avec son rationalisme plus ou moins moraliste. Socin, c’est Servet, moins sa métaphysique. Pour bien comprendre l’antitrinitarisme socinien, il faut le replacer au point de vue de son temps : c’est un rationalisme supranaturaliste.

Il cherche surtout à ramener les doctrines chrétiennes à des conceptions conformes aux exigences de la raison, mais en mémo temps, il croit à une révélation surnaturelle contenue dans la Bible et, par conséquent, il s’ingénie à interpréter l’Écriture sainte de manière que ses enseignements soient toujours et en tout d’accord avec la raison… Par conséquent tous les dogmes contraires à la raison doivent d’avance être considérés comme non-scripturaires…

La doctrine de la Trinité est contraire à la raison :

1. parce qu’elle enseigne l’existence de trois personnes divines sans pouvoir rétablir d’une manière acceptable l’unité de Dieu qu’elle nie et que, dans les vains eflortt de la théologie traditionnelle pour échapper à cette conséquence, elle tombe fatalement ou dans le trithélsme ou dans le modalisme ;

2. parce qu’en attribuant à chaque personne divine des propriété* distinctes, elle Introduit l’imperfection dana la nature divine, puisque les propriétés distinctes de l’un manquent aux deux autres ;

3.parce que l’Idée de génération est Inapplicable à l’Être divin et suppose la profonde subordination de l’être engendré qui ne tire pas son existence de lui-même ;

4. parce qu’au chapitre de l’incarnation du Fils, vrai Dieu et vrai homme, elle aboutit à stipuler l’existence d’une seule personne ayant deux natures, personnelles toutes les deux, de sorte que le Christ est a la fois infini et fini, parlait et imparfait, impassible et souffrant, impeccable et tenté, prié et priant, etc.

Cette doctrine n’est pas moins contraire à l’Écriture, qui insiste partout sur l’unité rigoureuse de Dieu. Les trois termes de la trilogie chrétienne, Père, Fils et Saint-Esprit, correspondent à trois éléments essentiels de la dispensation chrétienne, mais non à la métaphysique trinitaire. Le passage des trois témoins (I Joa., v, 7) n’est pas authentique et, quand il est dit que le Père et le Fils sont un, cette expression ne doit s’entendre que de leur accord en volonté, en intention et en action… A Réville, art. cit., p. 387-388.

Parmi les disciples des Socins, Jean Crell (Crellius) est celui qu’ont le mieux connu nos théologiens catholiques. Petau lui a consacré presque entièrement le 1. III de son De Trinitate, s’appliquant dans les c. i, ii, iv, à réfuter les arguments de Crell contre la divinité du Fils ; dans le c. iii, à montrer qu’on ne peut refuser au Christ d’être Dieu comme le Père ; dans les c. vu-vin, à venger la divinité du Saint-Esprit ; enfin, dans les c. ix-x, à rétablir la vérité du mystère tout entier de la Trinité. Bossuet, d’une manière plus générale, attaque à plusieurs reprises la doctrine et surtout l’exégèse de Crell. Voir Le Nouveau Testament de Richard Simon, dans Œuvres, Paris (Lachat-Vivès), t. iii, l re instr., n. 14, p. 392 ; 2e instr., n. 2, p. 479 ; Défense de la Tradition et des Saints Pères, t. III, passim, t. iv, p. 74 sq. L’évêque de Meaux s’attache également à réfuter les erreurs sociniennes en général. Voir la 2e instruction citée et les Avertissements aux protestants, 1 effet 6e avertissements, ibid., t. xv, p. 181 sq. ; t. xvi, p. 1 sq. Suarez fait une brève allusion aux hérétiques de Transylvanie, De Trinitate, t. II, c. iv, n. 3, renvoyant à Bellarmin, De Christo, 1. 1. (Il s’agit de la divinité et de la préexistence du Christ.)

En général, les sorbonnistes ont accordé une grande attention aux erreurs trinitaires des sociniens. On verra plus loin que cette préoccupation a donné à leurs traités une allure nouvelle. Voir Tournely, De Trinitate, q. i, a. 4 (réfutation de Michel Servet, de Gentilis et des sociniens) ; Witasse, id., q. ii, sect. ii, n. 15-16 ; sect. iii, n. 12-13 ; q. iii, a. 2, passim ; q. iv, a. 2, sect. i (préexistence du Christ) ; sect. n (éternité du Christ) ; sect. m (consubstantialité du Christ par rapport au Père éternel) ; a. 3, divinité du Saint-Esprit ; et les autres.

L’unilarisme. —

Au point de vue doctrinal, il y a peu de chose à ajouter à ce qui a été dit sur le socinianisme et l’antitrinitarisme, en ce qui concerne l’unitarisme, qui n’est autre que la transposition en Angleterre et en Amérique des théories sociniennes.

Les idées antitrinitaires furent apportées en Angleterre par les juristes italiens, notamment Pierre Vcrmigli et Bernardin Ochino. On doit y ajouter, venant d’Espagne, Enzinos ou Dryandcr ; de France, Pierre Alexandre ; de Strasbourg, Buccr et Fagius ; de Pologne, Jean de Lasco qui fut le fondateur de « l’Église des étrangers » en Angleterre.

En principe, l’Église des étrangers proclamait le dogme de la Trinité. Bientôt cependant les unitaires y marquèrent leur point de vue. Voir Unitariens. Bernardin Ochino fut à leur tête, avec ses Labyrinthes et ses Trente dialogues sur la Trinité. Après Ochino et dans les dernières années d’Elisabeth, l’unitarisme fut représenté par l’espagnol Antonio Corrao. Dans son ouvrage, L’œuvre de. Dieu, il incline, au sujet de la Trinité, vers des solutions subordinatirnncs. L’architecte Italien Jacques Acontius déclara, dans ses Stratagèmes que la connaissance du mystère trinitaire n’était pas nécessaire pour le salut. L’assemblée de Westminster de 1048 condamna fc. idées comme hérétiques ; mais, en dépit des excommunications, les doctrines antitrinitaires ne cessèrent d’avoir des défenseurs dans l’Église des étrangers. Quand éclata l’hérésie socinienne, l’Angleterre lui offrit un terrain propice et, malgré la brièveté de son séjour à Londres, Lelio Socin y exerça néanmoins une réelle influence. En 1651 parut à Londres la deuxième édition du catéchisme de Rackow, bientôt suivie de la traduction des autres écrits les plus importants des frères polonais. L’accueil fait aux idées sociniennes fut si favorable qu’en 1731 Edouard Combe ne craignit pas de dédier à la reine Caroline la traduction anglaise du De auctorilate Scindée Scripturse de Fauste Socin. Thomas Lushington, chapelain de Charles I er, traduisit quelques-uns des commentaires de Crell sur le Nouveau Testament.

Le plus célèbre des unitaires fut John Biddle (16011662), qui arriva au doute sur la Trinité avant d’avoir lu les traités sociniens. Seize mois de détention dans la prison de Newgate ne l’empêchèrent pas de publier Douze arguments tirés de l’Écriture contre la divinité du Saint-Esprit (1647). Un peu plus tard, du fond du cachot où il avait été enfermé pour avoir nié la Trinité (2 mai 1648), il publie encore deux ouvrages : La confession de foi touchant la Trinité conformément à la sainte Écriture ; Témoignages d’Irénée, de Justin martyr… concernant le Dieu unique en trois personnes. Après sa mort, son collaborateur Firmin fit paraître en quatre séries (de 1693 à 1700) ses Anciens traités unitariens (Old Unitarian Tracts). En 1665, le libraire Richard Moone publiait la traduction du De Deo uno et Pâtre de Jean Crell.

Sous le règne de Guillaume III, les unitaires eurent plus de liberté. Clarke, dans la Doctrine scripturaire de la Trinité, se montre nettement subordinatien. Milton, l’auteur du Paradis perdu, est arien dans son Traité de la doctrine chrétienne et, comme Biddle, nie la divinité du Saint-Esprit. Locke, l’auteur de L’entendement humain, laisse percer ses sympathies unitaires, soit dans sa correspondance avec l’arminien Philippe de Limborch, soit dans le manuscrit posthume, Adversaria theologica (deux colonnes de passages pour ou contre la Trinité, la colonne contre étant la mieux fournie). Des arguments analogues furent développés par Newton dans son Exposé historique de deux notables éclaircissements de l’Écriture, adressé à Locke, et dans ses Observations sur les prophéties de Daniel et de l’Apocalypse.

A la fin du xviiie siècle, l’unitarisme passe aux États-Unis. Son principal foyer est, aujourd’hui, au Massachusetts. En 1822 se fonda V Association unitaire britannique et étrangère, dont le siège est à Londres. A l’art. Unitarisme seront donnés les détails historiques du développement de cette doctrine. Il suffisait ici d’en retracer la marche doctrinale.

Conclusion : la position des unitaires protestants en face de leurs coreligionnaires trinitaires. —

Les antitrinitaires se dressent tous comme des adversaires de la métaphysique et des spéculations grecques. Mais ils sont subtilement raisonneurs et semblent hypnotisés par la question de la Trinité qu’ils passent leur temps à nier, à étudier, à discuter. Certes, /épondent les trinitaires, la Trinité est un mystère, mais elle est aussi un postulat auquel la raison, partant des faits religieux, de la Bible et des expériences du cœur et de la raison elle-même, doit logiquement arriver. En arrivant, elle trébuche ; soit. Mais cela ne compromet en rien ni les textes de la Bible, ni les expériences du cœur et de la conscience. La Trinité, répondent-ils encore, est la meilleure hypothèse qu’on puisse faire ; à supposer que cette hypothèse ne soit pas parfaite, il n’y a pas à s’en étonner : l’essence divine dépasse la compréhension humaine.

Les antitrinitaires partent de l’idée de la Trinité, l’analysent et en déduisent leurs négations ou leurs affirmations. C’est du raisonnement pur, qui n’a pas d’autre valeur que celle du raisonnement, valeur petite et incertaine au point de vue religieux. Les trinitaires s’élèvent à la question de la Trinité en partant d’une angoisse de la conscience et du cœur, la préoccupation de leur salut. Les antitrinitaires descendent de la question de la Trinité en partant d’un embarras et d’une révolte de l’intelligence.

Les trinitaires raisonnent à contre-cœur. Calvin ouvre la discussion avec les Italiens en déclarant : « La confession de foi qui est au symbole des apôtres devrait bien suffire à tous chrestiens modestes. Et c’est seulement pour « obvier à toutes les astuces et cautèles » de Satan qu’il se voit obligé à franchir cette limite raisonnable, désirable, des discussions… ». — Les antitrinitaires raisonnent avec passion, avec délices. Le raisonnement est leur vie. Nous avons un curieux récit de Bèze sur Gentilis : « Ce malheureux doué d’un esprit sagace, mais subtil et sophistique, peu de temps après le supplice de Servet, se procura son livre et la réfutation de Calvin. Voilà son début. Il est là au milieu des « spectres », des « idées », des hérésies de Paul de Samosate, de Sabellius, d’Arius, des questions d’essence, de personnes. Il s’aperçoit que ce qui est dit dans les Écritures de l’unique essence de Dieu, des trois hypostases, ne cadre pas avec la raison et il décide de soumettre la sagesse divine à l’humaine raison. » Calvin, Opuscules, Paris, 1842, p. 1957.

Parmi les antitrinitaires, on observe un double mouvement : celui de Servet, celui de Lelio Socin, le premier plus mystique, le second plus rationaliste. Mais, dans les deux cas, c’est la suprématie du moi, de l’individu sur la Bible et l’expérience chrétienne. Cf. Doumergue, op. cit., p. 487-498.

Le pasteur Doumergue n’hésite pas à rapprocher les extrémistes du xvie siècle des excès qu’il appelle 1’ « ultraprotestantisme » du xixe. Op. cit., p. 449-450. Dès lors qu’on rejette toute règle de foi en dehors de la Bible et de l’interprétation qu’on en peut faire sous l’inspiration personnelle du Saint-Esprit et sa propre expérience religieuse, on peut se demander si les « extrémistes » du xvie siècle et les « ultras » du xix « ne sont pas, les uns et les autres, dans la logique même du système.

III. LES INTERPRÉTATIONS PHILOSOPHIQUES. —

L’interprétation mystique. —

La remarque faite en dernier lieu explique que, dès le début du protestantisme, se soit fait jour, même parmi les protestants, une conception du christianisme autre que celle de Luther ; c’est la conception des mystiques et des théosophes.

Le premier théosophe, qui n’a appartenu qu’à moitié à la Réforme, est Théophraste Paracelse, contemporain de Luther. Pour lui, le Christ est la lumière de la nature ; et il cherche à découvrir la connexion intérieure entre la révélation dans la nature et la révélation par le Christ. Pour les théosophes, la Trinité se réduit aux rapports de Dieu avec l’homme : Dieu, par un effet de son amour, a uni étroitement notre âme à notre corps ; mais le Christ, lumière de la nature, nous communique par son Esprit (l’Esprit-Saint) le germe d’un corps nouveau d’ordre spirituel et qui ne trouvera sa réalisation que dans le corps céleste du Christ, par le corps que nous recevrons à la résurrection.

Valentin "Weigel († 1558) ne considère l’Écriture que comme un simple témoin historique : la lettre de l’Écriture est un noyau qu’il faut briser pour atteindre le Christ glorieux, livre vivant de la vérité. Cette vérité est d’expérience subjective : elle existe en nous et c’est le témoignage de l’Esprit qui appelle à la lumière la vérité cachée en nous. L’homme doit arriver ainsi à renouveler sa substance (âme et corps) par le corps spirituel et céleste du Christ. Et l’épanouissement de notre nature se fera dans une communion d’amour avec Dieu par Jésus-Christ.

D’autres mystiques en vinrent à concevoir une incarnation progressive du Christ dans l’humanité : la religion devient ainsi la connaissance et le culte de l’Esprit éternel de Dieu qui est aussi le Christ (Lautensack, Isaïe Syiefel, Ezéchiel Metz). Rêveries panthéistes et qui ne méritent pas de retenir l’attention. Elles nous éclairent du moins sur l’idée chère au calviniste Poiret, Économie divine, Amsterdam, 1687, qui attribue au Christ un corps céleste préexistant à l’incarnation, idée partagée par les anglais Goodwin, H. Morus, Ed. Fowler.

Le représentant le plus distingué de la théosophie allemande est Jacques Bôhme. Voir t. ii, col. 924. Il est le premier théosophe à avoir formulé une doctrine assez précise de la Trinité. Pour comprendre son point de vue, il faut se rappeler qu’il rattache au problème trinitaiie celui de la création. Au commencement était l’abîme (non-être) ; c’est de lui que procèdent l’amertume, le feu, la colère. Il n’est pas Dieu et cependant il est le premier principe existant en Dieu le Père. Mais il est dans le Père un autre principe, sentiment éternel qui aspire à se révéler et qui a la volonté d’engendrer. C’est grâce à cette aspiration que le premier principe engendre le Fils, cœur éternel de Dieu, douce lumière qui, grâce à sa puissance intrinsèque, engendre à son tour le Saint-Esprit. Cette explication de la Trinité a pour but d’assurer la possibilité et la réalisation de la création par le triple principe de la volonté en Dieu le Père, de la nature éternelle et indestructible cachée dans le sein de Dieu et à laquelle est donné le nom de Fils, et du Saint-Esprit qui manifeste la majesté du Père. Toute la doctrine de Bohme est fonction de cette conception fondamentale. Voir Dorner, Histoire de la théologie protestante (tr. fr. Paumier), Paris, 1870, p. 518-520.

Une autre forme du mysticisme protestant fut le piétisme, avec Spener († 1705) et surtout ses disciples. Nous n’avons pas à rappeler ici la nature de ce mouvement qui voulait avant tout, comme l’indique son nom, communiquer aux chrétiens une foi vivante et active, cf. Piétisme, t.xii, col. 2084 sq. Mais par làmême, ou restreignait la part, dans la vie chrétienne, des éléments extérieurs, Église visible, livres symboliques, et même, dans une certaine mesure, Écriture sainte. Spener enseigne la communion immédiate de l’ame avec l’infini et sa participation possible à la vie divine elle-même. Le Père que Spener adore est le Dieu vivant et vrai, et non pas un Dieu qui se renferme dans sa solitude pour laisser agir les grâces renfermées dans les sacrements et dans la Parole ; ce Dieu agit directement dans l’âme par le ministère de la Parole et des sacrements, moyens dont le Saint-Esprit se sert pour travailler et transformer les consciences. La Parole est le médiateur sensible et humain entre Dieu et l’homme. La philosophie ne joue qu’un rôle assez effacé dans ces conceptions. Les traités dogmatiques abondent chez les piétistes, mais les appels fréquents à l’action directe du Saint-Esprit n’y remplacent pas le contrôle utile d’une règle supérieure. La Trinité qui semble confinée dans le rôle de Dieu dans l’Ame, avec la Parole et l’Esprit, reste bien dans l’indéterminé et le vague. Les ouvrages exégétiques des piétistes, Francke, Hoffmann, multiplient les sens allé-Roriqm-s, paraboliques, typiques, en sorte u la al’iir objective des affirmations scripturaires disparaît dans une multiplicité d’interprétations, contrai la nature même du dogme.

Après Francke, le piétisme du nord de l’Allemagne (Halle) dégénéra et languit. Dans le Wurtemberg, avec Bengel et en Moravie, avec Zinzendorf et les frères moraves, il manifestait une puissance et une vitalité plus durable.

La théologie de J.-A. Bengel (1687-1752) est moins une étude dogmatique qu’une étude directe de la Bible. Bengel est, en Allemagne le fondateur de la critique du Nouveau Testament. L’école de Bengel se partagea en deux groupes distincts : le premier se consacrant à des travaux historiques, le second se livrant aux spéculations de la pensée chrétienne. C’est dans ce second groupe que se trouve Christophe-Frédéric Œtinger, dont les tendances mystiques rejoignent la théosophie. Par le fait qu’il envisageait le monde comme un ensemble de réalités, Bengel cessa de considérer Dieu comme un être infini, insondable, tout volonté et entendement, pour voir en lui le centre vivant de l’univers, qui pénètre le monde de son Esprit, tout en gardant intactes sa gloire et sa félicité, dont il veut rendre, par Jésus-Chriat, les hommes participants. Œtinger s’empare de ces idées : Dieu n’est pas une unité absolue, mais l’unité des forces divines, forces vivantes, unies entre elles par un lien indissoluble, mais pouvant agir séparément. Les forces infinies de la divinité se reflètent dans la nature ; elles se retrouvent dans l’homme qui est un monde et un Dieu en miniature ; elles créent en lui un sensus commuais bien différent de la conscience chrétienne, parce qu’il n’est que le pressentiment de la vérité divine. Ce sensus convnunis a été possédé par le Christ d’une manière exceptionnelle ; en nous, il nous attire vers le Christ et sert de base à l’action du Saint-Esprit.

Le mysticisme de Zinzendorf (1700-1760) fut, au point de vue du dogme trinitairc, d’une extravagance déconcertante. Il représentait la Trinité comme mari, femme et enfant ; c’est le Saint-Esprit qui est la mère. Il enseigne également la paternité du Fils : lui seul est directement notre Père et c’est à lui seul qu’on s’adresse en récitant le Notre-Père. Le Père de Jésus-Christ est « ce qu’on appelle dans le monde un beau-père ou un grand-père ». Cf. Zinzendorf, ITepl èautoû oder naturel Reflexiones ùber sien selbst, 1749 ; Félix Bovet, Le comte de Zinzendorf, Paris, 1865 ; dans l’Encyclopédie de Lichtenberger, Ch. Pfender, art. Zinzendorf, t.xii, p. 512 ; ici l’art, zinzendorf.

On voit par là combien déficiente est la théologie des mystiques théosophes ou piétistes relativement à la Trinité. Avant de les quitter, il convient de dire quelques mots de la conception plus extravagante encore de Swedenborg. Sur cet auteur, voir t. xiv, col. 2874. Ce théologien aspirait à une communion réelle de Dieu et du monde, qu’il cherchait à réaliser par des spéculations émanatistes et panthéistes. Il proteste donc contre les formules orthodoxes de la Trinité, qui relèguent la divinité dans les abîmes d’une transcendance inaccessible à la pensée et n’établissent aucun contact entre elle et la Trinité révélée dans ses rapports directs avec le monde. Aussi enseigne-t-il non une trinité des personnes, mais une trinité de la personne. Cette trinité se manifeste de différentes manières : l’être universel doit être conçu sous forme de trois cercles concentriques. Dans le cercle intérieur siège le Seigneur sur son trône d’amour, entouré d’esprits supérieurs qui révèlent par leur activité les diverses puissances de l’amour. Le second cercle est celui du Seigneur sous la forme de la vérité divine. Le troisièim I formé par le monde visible et matériel et par l’homme à l’état de nature. Les trois cercles oui une existence simultanée et parallèle. C’est la la représentation d’une évolution de Dieu, progressant de l’être virtuel à l’être complet et réel par le devenir, Parvenu an terme de son évolution, qui est l’homme. Dieu est entré dans sa réalité. Grâce à sa nature physique et spirituelle, l’homme manifeste l’union des principes, qui, en dehors de lui, sont séparés l’un de l’autre, à savoir l’union de la nature, de l’intelligence, de l’amour. La trinité existe en Dieu lui-même : la divinité du Seigneur est le Père ; l’humanité divine est le Fils ; la divinité se révélant dans la sphère de la réalité est le Saint-Esprit. L’homme, but suprême et épanouissement définitif de la vie divine, présente la perfection idéale de l’univers et Dieu, en devenant homme d’une manière sensible, acquiert l’existence qui répond à son essence, puisque toutes les puissances qui existaient en lui sont réalisées dans l’homme dont il a pris la forme. Le Christ est l’homme par excellence, dans lequel réside la Trinité, à savoir la divinité du Père, l’idée de l’homme et la réalité sensible. Le Fils, qui était virtuellement en Dieu et qui se manifeste et devient réel dans la personne du Christ, exprime l’amour substantiel, ou divinité du Père. C’est en lui que se manifeste la Trinité ; il est le point central de l’univers et le sentiment que nous avons de Dieu peut désormais sans crainte s’appuyer sur la réalité concrète que Dieu a acquise en lui. Le Christ continue à communiquer aux âmes sa sagesse et son amour par l’Écriture qui doit être envisagée comme une continuation constante de l’incarnation de Dieu au sein de l’humanité depuis que le Christ a quitté la terre. Cf. Dorner, op. cit., p. 571-573.

La théosophie contemporaine suit les mêmes errements. Non seulement elle nie la personnalité de Dieu, mais — conséquence inévitable — elle détruit le mystère de la Trinité. Sans doute, certains de ses représentants, pour les besoins de leur cause, semblent parfois admettre la Trinité chrétienne. Pur trompe-l’œil t Quand on vient à l’explication, jamais il ne s’agit de personnes divines ; il n’est question que de forces impersonnelles groupées par triade ou symbolisées par des noms. Ainsi, une théosophe en vue, Mme Besant, assimile la Trinité chrétienne à la Trimurti hindoue, à une terna de dieux helléniques, arbitrairement choisis : Zeus, Apollon, Minerve, ou encore aux trois notions fondamentales des matérialistes : cause, énergie et matière. Voir de Grandmaison, art. Théosophie, dans le Dict. apol. de la foi cath., t. iv, col. 1663-1664. Du même auteur : Le lotus bleu, Paris, 1910 et deux articles sur La nouvelle théosophie, dans les Études, 5 décembre 1914 et 5 mai 1915.

Interprétations objectives de l’orthodoxie traditionnelle.

Il faut entendre ici dans un sens assez large le mot « orthodoxie ». Il signifie simplement l’exposé d’une doctrine répondant à une réalité objective.

1. Leibniz. —

Le philosophe Leibniz s’est fait, au point de vue rationnel, le défenseur du dogme contre les unitaires. Non qu’il veuille démontrer la Trinité, il se contente d’en montrer la possibilité. Le Cursus theologicus de Migne a accueilli trois petits travaux de Leibniz sur ce sujet, t. viii, col. 749-770. Dans Opéra omnia, Genève (éd. Dutens), 1768, p. 10, 17, 24.

Le premier, Defensio Trinitatis per nova reperta logica, contra epistolam ariani, est dirigé contre André Wissowath, descendant des Socins du côté maternel (1608-1678) et socinien lui-même. Simple réfutation des objections antitrinitaires. — Le second, Duse epistolse ad Lœfllerum, vise non seulement les sociniens, mais les « néo-ariens » d’Angleterre : l’auteur y cherche à concilier la définition de la personne par la substance, et la même définition par la relation. — Enfin, la plus importante publication de Leibniz sur le problème trinitaire ce sont les Remarques sur le livre d’un anlitrinitaire anglais qui contient des considérations sur plusieurs explications de la Trinité : quelques pages seulement, mais pleines d’une doctrine répondant parfaitement aux exigences du sujet :

J’oserais dire que trois esprits infinis, étant posés comme des substances absolues, seraient trois dieux, nonobstant la parfaite intelligence qui ferait que l’on entendrait (de l’un) tout ce qui se passe dans l’autre. Il faut quelque chose de plus pour une unité numérique… Il ne sulïit pas non plus de dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit diffèrent par des relations semblables aux modes, tels que sont les postures, les présences ou les absences. Ces sortes de rapports attribués à une même substance ne feront jamais trois personnes diverses existantes en même temps… Il faut donc dire « qu’il y a des relations dans la substance divine, qui distinguent les personnes, puisque ces personnes ne sauraient être des substances absolues. Mais il faut dire aussi que ces relations doivent être substantielles, (ce) qui ne s’explique pas assez par de simples modalités ». (Les guillemets sont de Leibniz).

C’est donc l’explication de saint Thomas qui est reprise par le philosophe allemand. Et Leibniz entend bien montrer par là qu’il n’y a, dans la Trinité, aucune contradiction. Il blâme même les théologiens catholiques « qui croient que ce principe de logique ou de métaphysique : Quee sunt eadem uni tertio, sunt eadem inter se, n’a point de lieu dans la Trinité ». Je crois, ajoute-t-il, que « ce serait donner cause gagnée aux sociniens en renversant un des premiers principes du raisonnement humain, sans lequel on ne saurait plus raisonner sur rien, ni assurer aucune chose… J’ai été fort surpris de voir que les habiles gens parmi les théologiens scolastiques ont avoué que ce qu’on dit de la Trinité serait une contradiction formelle dans les créatures. Car je crois que ce qui est contradiction dans les termes, l’est partout ». Col. 768-769, 767 ; cf. Dissertatio de conformitale fidei cum ratione, n. 22, dans Opéra, t. i, p. 81. Voir à Relation, col. 2155 et ci-dessous, col. 1822, les auteurs à qui Leibniz fait allusion. On lira dans Franzelin, De Deo trino (3e éd.), p. 330, la note rédigée à ce propos.

2. Commencement de la décadence de l’orthodoxie. —

Les disciples de Leibniz sont loin d’avoir la ferme attitude de leur maître. Ils ont été formés à l’école de Wolfî et, si Wolfî a beaucoup contribué à faire progresser la philosophie leibnjzienne, c’est en la déformant par la systématisation rigide qu’il lui imposa. Il habitua les esprits à réclamer en tout des démonstrations et des raisonnements. D’ailleurs, en ce qui concerne les mystères révélés, toute une tendance nouvelle, bien conforme aux idées naturalistes du xviiie siècle, commence à se faire jour et les théologiens de l’orthodoxie traditionnelle sont obligés d’y faire face. La théorie de l’expérience personnelle prenait le pas sur la révélation objective par l’Écriture : on pensait par là faire plus facilement comprendre et admirer les enseignements de l’Écriture en les confrontant avec les instincts les plus profonds de l’humanité et même le simple bon sens. En réalité, on détruisait toute croyance objective. Aussi les théologiens attachés encore à l’orthodoxie s’empressèrent-ils de chercher une base plus objective de la divinité de l’Écriture sainte et une argumentation plus serrée en faveur de la vérité du christianisme : ils eurent recours soit à la méthode rationnelle, soit à la méthode historique.

Les disciples de Wolff adoptèrent la première manière. Ainsi Reinbeck veut tirer le principe de la Trinité de l’idée du Souverain Bien, qui est Dieu et que Dieu veut communiquer aux siens d’une manière absolue. Belrachtungen ùber die in der Augsburger Confession enthaltene und damit verknùpfte Wahrheiten, Berlin, 1731-1741. Bûttner déduit la Trinité du dogme de la rédemption : s’il y a une personne divine qui accomplit l’acte d’expiation, il doit y en avoir une autre qui accepte cet acte. Cursus theologiæ revelatse, 1746. Reusch, esprit net et positif, établit que la Trinité correspond en Dieu à trois ordres de pensée, l’ordre du nécessaire, du possible, du réel. Inlroductio in theologiam revelatam, Iéna, 1744. Des explications analogues se retrouvent chez Canz, Schubert, Carpov, Daries, Baumgarten et, en général, chez tous les théologiens qui cherchent encore à concilier les formules traditionnelles avec la philosophie. Contre le piétiste Joachim Lange, le luthérien Val. -Ernest Lôscher n’abandonne aucune des positions dogmatiques traditionnelles. Unschuldige Nachrichlen, Dresde, de 1702 à 1719.

On retrouve dans ces essais des échos de certains raisonnements de théologiens du Moyen Age, Bonaventure, Richard de Saint-Victor ou même saint Anselme. Cette attitude a persévéré chez certains luthériens jusqu’au xixe siècle. Plusieurs ont développé, sous des formes différentes, l’argument de Richard : Dieu, qui est amour, ne trouve pas dans le monde fini un objet digne de lui et qui le paie de retour. Cet objet de dilection, Dieu l’engendre, c’est le Fils qui, en conséquence, doit être éternel et Dieu comme le Père. Enfin, la communion ineffable du Père et du Fils se réalise en une troisième personne, lien vivant, éternel indissoluble des deux autres, le Saint-Esprit. Cf. J. Millier, Lehre von der Sùnde, 6e éd., t. ii, Brestau, 1877 ; Schôberlin, Die Grundlehren des Heils entwickelt aus dem Prinzip der Liebe, Gœttingue, 1848, p. 22 sq. ; Liebner, Die christliche Dogmatik aus dem christol. Prinzip, Gœttingue, 1849, 1. 1 (le seul paru), p. 108 sq. ; Sartorius, Die Lehre von der heiligen Liebe, Kônigsberg, 1861, p. 6-19 ; cf. Dorner, System der christlichen Glaubenslehre, Berlin, 1879, t. i, p. 391 sq.

D’autres théologiens adoptèrent la seconde manière et s’engagèrent à fond dans la critique historique : ce sont les théologiens de la première école de Tubingue. Mais leur entreprise, loin de consolider la foi, aboutit, en réalité, fréquemment du moins, à la ruiner. Tout en maintenant les formules, cette école détruit le dogme objectif de la Trinité et de l’incarnation. Flatt, Dôderlein, Tôllncr, professent le subordinatianisme et l’arianisme. Et, en christologic, en même temps que l’arianisme, ils enseignent le nestorianisme. Œuvre difficile pour des docteurs subordinatiens et ariens, que d’établir et de comprendre l’unité personnelle de deux êtres finis ! Cf. I.-A. Dorner, op. cit., p. 594-603.

3. La fin de l’orthodoxie. —

La décadence s’accentua par l’affirmation de la personnalité humaine du Christ (à partir surtout de 1750). Pour les unitaires, sabelliens modernes, un tel « progrès « simplifiait la question trinitaire. Plus n’était besoin de tenir compte d’un Verbe, personnellement distinct du Père. Aussi, de plus en plus, se répand une dogmatique nouvelle, la dogmatique pratique et populaire, qui écarte de l’enseignement pastoral les éléments spéculatifs, jugés inutiles pour la conduite morale de la vie. L’initiateur de cette dogmatique est J.-J. Spalding, dans son traité De l’utilité du ministère pastoral, Leipzig, 1772. Elle se retrouve chez J.-P. Miller, J.-J. Griesbach, G. Less, A.-J. Niemeyer et Ch.-F. von Ammon, tous de la fin du xviiie siècle. Du christianisme, doctrine populaire, le prédicateur a le devoir d’éliminer les éléments spéculatifs, jugés inutiles ; et sont rangés au nombre des dogmes embarrassants et secondaires les dogmes de la Trinité, des deux natures en Jésus-Christ, de la satisfaction vicaire, de la justification par la foi sans les œuvres. Plusieurs de ces auteurs se posent encore ri pendant comme des défenseurs de l’orthodoxie contre le rationalisme envahissant !

Lancée sur cette pente, la théologie en vint à vouloir corriger et compléter le christianisme : W.-A. Teller, professeur à Helmstedt et à Berlin, laisse de côté les dogmes de Dieu et de la Trinité et professe sa foi en la perfectibilité de la religion chrétienne. Bien plus, on veut justifier par la Bible de telles prétentions. Cf. H. -P. Henke, Lineamenta institulionum fidei christianæ, Helmstedt, 1794 ; Eckermann, Compendium theologiæ christianæ, 1791 ; Handbuch zum gelehrten und systematischen Studien der christlichen Glaubenslehren, 1811 ; Michælis, Compendium theologiee dogmatiese, Gœttingue, 1760 ; Semler, Einleitung zu Baumgarten’s Glaubenslehre, Halle, 1759 ; Spittler, dans son Abrégé de l’histoire de l’Église chrétienne, Gœttingue, 1782. Spittler et Henke attaquent violemment les dogmes fondamentaux de l’Église ; Planke leur témoigne une profonde indifférence et ce sentiment est partagé par les autres auteurs cités et la plupart des coryphées de la théologie négative de la fin du xviiie siècle, qu’on peut rattacher, pour leur tendance générale, aux idées de Semler.

Contre de tels excès, une réaction se dessine cependant, qu’inspire un réel sentiment religieux et chrétien. En ce sens, il faut citer Klopstock dans son poème religieux La Messiade ; Hamann, dont le langage sibyllin dépare souvent les nobles aspirations, théo* sophe plutôt que théologien ; Lavater, qui considère le christianisme comme une religion de l’humanité ; Claudius, qui a su opposer aux théories des novateurs les vérités d’un christianisme pratique mais respectueux du Rédempteur. Ces auteurs professent une réelle croyance en Jésus-Christ, en lequel Dieu s’est incarné pour se manifester à nous. Mais il serait exagéré de trouver en cette affirmation la moindre esquisse d’une restitution du dogme trinitaire. Leur christianisme est un christianisme vague, dégagé de toute « cristallisation » dogmatique.

Un seul auteur pourrait peut-être faire exception ; c’est Lessing (1729-1781). Le système religieux de Lessing est difficile à saisir. La révélation positive ne semble exister pour lui que dans les débuts de l’humanité et cette révélation primitive concerne l’ensemble des vérités rationnelles enveloppées sous une forme symbolique et sensible. Mais la seule révélation nécessaire à l’heure présente est une révélation intérieure, manifestation constante de la puissance de Dieu, dont la pensée créatrice agit sans cesse au dedans de nous ; de cette inspiration divine naît dans l’âme le sentiment religieux, sentiment qui peut se développer au point de nécessiter, exceptionnellement, d’autres révélations extérieures, miracles et prophéties par exemple, destinées à conduire l’homme aux principes spirituels. Lessing croit ainsi fermement à l’enseignement supérieur donné aux hommes par le Christ ; il croit non moins fermement en une intervention surnaturelle du Saint-Esprit dans la primitive Église. Mais, pour lui, l’essence de la religion se situe dans un ensemble de vérités éternelles, indépendantes de toutes circonstances historiques ou autres, de telle sorte qu’il peut y avoir une religion chrétienne qui ne soit pas la religion du Christ : l’abandon des preuves traditionnelles n’cntratne pas nécessairement la chute du christianisme lui-même. On ne s’étonnera donc pas que Lessing ne saisisse pas les liens qui rattachent le dogme de la Trinité à la christologic ; cet aspect essentiellement protestant du problème trinitaire l’intéresse peu : 1a Trinité est une de ces vérités éternelles qui existent par elles-mêmes. Elle n’est que l’évolution de la conscience que Dieu a de lui-même et Lessing conçoit cette évolution par analogie aux donne la connaissance que nous avons de nous-mêmes Le penser divin est un penser fécond et c’est par sa tééOB dite que le Fils est produit, image parfaite du l Entre l’image et le Père rèRnc l’harmonie la plus parfait.. * I a de harmonie est elle même Dieu : l’Esprit. Et elle est aussi nécessaire à la divinité que le l’ère (lie lils.Cf. Erziehung des Menschr.ngeschlr< hts, i 73 ; Das Christentum der Vernunft, § 1-12. (Luvres, Leipzig. 1858-1862, t. vi, p. 522 ; t. vii, p. 42. I bien là une réhabilitation de la Trinité ? N’est-ce pas plutôt, avec les formules traditionnelles reprises, un avant-goût des spéculations philosophiques du xixe siècle ? N’oublions pas que Harnack a qualifié certaines phrases de Lessing d’ « émancipatrices ».

En somme, dans cette période de transition, à la fin du xviiie siècle, tes protestants allemands, soit supranaturalistes (qui admettent encore une révélation), soit rationalistes (qui délaissent ou nient cette révélation), demeurent cependant encore d’accord sur un point : la foi en une vérité objective, tout au moins l’existence personnelle de Dieu.

Interprétations subjectives. —

Il est intéressant de constater que la philosophie de Kant a eu une répercussion considérable sur l’exposé du mystère de la Trinité. Kant n’a pas abordé lui-même ce problème. Mais Fichte, Schelling et Hegel, d’une manière plus ou moins directement dérivée de Kant, ont construit, chacun à leur manière, une doctrine philosophique de la Trinité.

1. Fichte. —

Tout au moins dans une évolution ultérieure de sa philosophie, Fichte place à la base de tout mouvement de la pensée, non plus le moi humain — qui a cessé pour lui d’être un facteur primordial pour devenir un simple produit de la pensée — mais l’être absolu objectif, ou Dieu, dans lequel l’individu se perd, comme une vague disparaît au sein de l’océan infini. Ce principe absolu s’individualise, ne fût-ce qu’un instant, dans chaque âme et les intelligences humaines sont autant de milieux éphémères de ces manifestations éternelles. Dieu s’aime dans l’homme et l’homme réalise la vérité de sa destinée en se sacrifiant à Dieu. On voit par là comment Fichte peut se rapprocher du christianisme. Plus tard encore, lui qui, dans sa Critique de toutes les révélations avait minimisé le rôle du Christ, sur la fin de sa vie, dans ses Leçons sur la science politique, Berlin, 1813, il affirme nettement le christianisme et la personne historique du Christ, dans lequel la grâce de l’amour divin a fait épanouir les dons précieux d’une volonté supérieure, dont Jésus était l’instrument et qui, comme telle, lui donnait conscience de lui-même. Jésus est ainsi la religion ou la raison absolue parvenue à la puissance de la conscience intuitive du moi, l’exposition parfaite et profonde de la parole éternelle. Seule la pauvreté spirituelle des siècles postérieurs l’a transformé en un idéal inaccessible. Lui, il aurait voulu que ses disciples reproduisissent sa nature et ses dons sous une forme parfaite. Par là, ce qui importe pour le chrétien, c’est moins la personne historique du Christ que l’effort pour faire, à l’exemple du Christ, vivre Dieu en nous. De telle sorte que la question du salut apparaît, en soi, indépendante de la foi en la Trinité et en la personne du Christ. Sans doute, en réalité, personne ne vient au Père que par le Fils et par l’Esprit, mais le Fils et l’Esprit peuvent assurer le salut des rachetés sans que ceux-ci en aient nécessairement connaissance. La non-intelligence de la Trinité constitue un simple état d’ignorance, que l’éducation se charge de dissiper. On doit se contenter d’enseigner que Dieu s’est manifesté, non en paroles, mais par des faits, comme Père, Fils et Saint-Esprit. Conformément au système philosophique de Fichte (qui n’est qu’un panthéisme déguisé), Dieu est, de toute éternité, ce que sont et ce que font les âmes, qu’il pénètre de son esprit. Il est tout, et c’est en quoi il est Père, et il n’y a rien en dehors de lui. Le Fils réalise sous une forme parfaite et absolue, comme dans le Christ, la contemplation par l’âme du royaume de Dieu. En tant qu’Esprit, Dieu crée un cœur nouveau en tous ceux qui s’approchent de lui ; et c’est en cela qu’est constitué le miracle par excellence. Ainsi, la Trinité n’est qu’un aspect du système panthéiste de Fichte ; elle n’est que l’action d’une divinité, non pas abstraite, mais impersonnelle sur des âmes qui, pour réaliser leur propre perfection, doivent s’abîmer en elle, ne fût-ce qu’un instant. Cf. Dorner, op. cit., p. 658 sq.

2. Schelling. —

La Trinité de Schelling dépend d’un système philosophique empreint d’un panthéisme gnostique : c’est Dieu se contemplant lui-même et émanant de lui-même. Schelling est le fondateur de la philosophie de la nature, qui embrasse l’absolu au point de vue physique. L’univers forme un organisme absolu et parfait, dont Dieu constitue l’âme, trouvant en lui son éternelle actualité. Ainsi Dieu devient éternellement homme par l’éternelle évolution de la nature, et l’histoire du monde est l’histoire de Dieu lui-même.

Dans le Dieu éternel, il y a trois puissances rattachées entre elles par une unité primitive et indissoluble, la puissance de l’être sans limite, l’être pur, et l’immuable dans l’acte. C’est par l’évolution de Dieu dans l’humanité actuelle que ces trois puissances ont donné naissance aux personnes trinitaires. Pour créer le monde, il était nécessaire que Dieu produisît la matière d’un monde possible, avant que sa volonté créatrice pût réaliser sans obstacle et sans contrôle son plan éternel dans le monde idéal. Voici le monde créé ; mais l’homme primitif reflète en lui-même dans ce monde l’unité des puissances, éternelle en Dieu. Le devoir imposait à l’homme l’obligation de maintenir en lui l’harmonie des trois puissances. Il ne le fit point, détruisant l’unité indissoluble des puissances : ce fut le signal d’une usurpation sur les puissances d’ordre de la matière grossière et chaotique. Néanmoins le but final du monde n’en demeure pas moins ce qu’il était à l’origine, l’unité des puissances. « Pour rétablir l’harmonie primitive. Dieu laisse les deux autres puissances, unies éternellement en lui, se séparer et apparaître sous une forme distincte dans le développement historique de l’humanité… Le développement historique de la deuxième puissance divine au sein de l’humanité assure à notre race déchue la domination sur les forces de la nature, dont la chute avait coïncidé avec la sienne. Cette deuxième puissance, qui a reconquis la vertu de l’être, devient homme en Jésus de Nazareth, mais accomplit le sacrifice moral et volontaire de sa grandeur et de sa gloire, parce que la simple humanité, bien que bonne en elle-même, se trouve en dehors de l’essence divine et ne participe pas encore à la vie centrale et universelle. L’Homme-Dieu accomplit le sacrifice de sa gloire, de son être extra-divin, pour rentrer dans l’ordre harmonieux et primitif de la Divinité. Enfin, l’Esprit-Saint qui procède de lui, ramène à Dieu l’humanité déchue. À l’origine, les principes étaient unis en Dieu ; la chute de l’homme, qui a réagi jusqu’au sein de l’essence divine, soulève ces principes l’un contre l’autre. Il n’en est pas moins vrai que Dieu est resté éternellement maître des puissances qui sont en lui, bien qu’il les ait laissées se diviser et se combattre dans le développement de l’humanité historique… La puissance simultanée des principes en Dieu est remplacée par l’/iomoousie du second et du troisième principe, devenus personnes dans le cours du développement historique, et des personnes en communion avec le Père, qui est personnel de toute éternité. » I.-A. Dorner, op. cit., p. 682-683. Cf. Schelling, Vorlesung iiber die Metltode der acad. Studien, Iéna, 1803, p. 184, 192.

On voit, par cette analyse, l’effort accompli par Schelling pour adapter le dogme chrétien à son système philosophique. Il reste que le panthéisme qui est ici sous-jacent, l’évolutionnisme appliqué à Dieu et aux personnes divines sont deux points absolument inacceptables pour le catholicisme.

3. Hegel. —

Hegel, comme Schelling, affirme l’identité de l’être et de l’idée ; pour lui aussi, tous les phénomènes de notre univers sont l’évolution d’une seule et même substance infinie. Mais, tandis que Schelling l’étudié au point de vue physique, Hegel l’envisage au point de vue logique. Suivant Hegel, en effet, c’est l’idée qui, par son développement, fournit les cadres de la logique, tant qu’elle reste abstraite ; mais cette idée se revêt d’un caractère concret pour constituer le monde extérieur ; et, pour former le monde de l’esprit, elle prend conscience et libre possession d’elle-même. Ainsi l’idée, envisagée en elle-même, est quelque chose qui se retrouve en toutes choses, en ce qui est et en ce qui n’est pas ; elle est à la fois être et non être, c’est l’être universel, indéterminé.

L’idée ou l’esprit universel est ainsi la force productrice de toutes choses… Semblable à un germe, elle se développe progressivement, produisant successivement le règne minéral, le règne végétal, le règne animal, l’homme enfin qui termine le développement de la substance éternelle et devient l’organe des évolutions ultérieures de l’esprit universel. En sorte que toutes les religions sont une suite naturelle de l’évolution inhérente à l’être universel ; toutes sont divines, légitimes et vraies dans leur temps et leur lieu et chacune d’elle sert de base à la religion qui doit lui succéder, jusqu’au moment où se réalisera la dernière évolution du sentiment religieux, qui sera la religion universelle.

Cette théorie fondamentale sert de base à Hegel pour expliquer le dogme trinitaire en fonction du développement de l’idée. L’absolu, qui constitue cette idée pure, traverse, dans son développement, trois moments essentiels :

Celui de l’Idée en soi est le règne du Père, de Dieu encore considéré comme idée abstraite et antérieure au monde réel ; cependant l’Idée tend à sortir d’elle-même, à s’objectiver, à se réaliser à travers d’innombrables négations ; le second moment, celui du développement de l’Idée dans le monde, correspond à la seconde personne de la Trinité, au Fils ; enfin, de même quo l’Idée ne doit pas demeurer à l’état d’abstraction, mais se donner un contenu objectif, de même le monde est destiné à être de nouveau saisi et pénétré par l’Idée ; il en résulte que l’Idée et le monde tendent de nouveau à se rencontrer et à s’identifier ; cette synthèse de l’idéal et du réel, ce moment où l’absolu arrive à se connaître comme esprit absolu à travers l’épanouissement des choses finies correspond à ce que l’Église appelle le Saint-Esprit. Ainsi, Dieu, conçu comme sujet absolu, est le Père ; Dieu, s’opposant lui-même à lui-même comme objet, est le Fils ; Dieu s’opposant lui-même comme sujetobjet, est le Saint-Esprit.

On reconnaît en ces formules la doctrine hégélienne, thèse, antithèse et synthèse. Voir surtout, dans les œuvres de Hegel, Religionsphilosophic, publié par Merheineke, Berlin, 1832 ; cf. J. Hessen, Hegels Trinitâtslehre, Fribourg-en-B., 1922.

4. Influence de Schelling et de Hegel. —

Plusieurs philosophes reprirent et développèrent les mêmes idées. On doit citer Daub, Einleitung in die Studien der Dogmalik, Heidelberg, 1810, p. 65 sq. ; Merheineke, Die Grundlehren der christlichen Dogmatik (influence prépondérante de Schelling), Berlin, 1819, p. 123 sq., 174 sq., 254 sq. Cet ouvrage eut, en 1827, une nouvelle édition, avec un titre modifié : Grundlehren der christlichen Dogmatik als W issenschaft (influence directe de Hegel). Dans le même sillage, avec certaines nuances : Conradi Selbstbeivusstsein und Offenbarung, Mayence, 1839 ; Kritik und Dogmen, Christus in der Vergangenhrit, Gegenwart und Zukunft ; Gôschel, Beitrûge zur speculalwen Philosophie von Gott, dem Menschen und drm Gotteimensch’n, Berlin, 1839 : C.-H. Weisse, Die Idée der GoUheit, I.’ipzig, 1832 ; Zur Vrrlheidigung des Begriffs der immanenlm Wrsenstrinilât, id., 1841 ; Pkllotophische Dogmatik, Id., 1855-1862. Pour donner une Idée de ces sortes de spéculations, disons que Merheineke se refuse à admettre une Trinité en dehors du monde. Le inonde > t Dieu dans son être en dehors de lui-même, et, sous sa forme objective, le h Dieu ; quant au Saint-Esprit, c’est l’humanité réconciliée avec Dieu par l’Église. Dieu est ainsi l’essence de l’homme et l’homme est la réalité de Dieu.

La « théologie hégélienne » sera défendue quelque temps encore par des partisans convaincus et sincères, comme Erdmann, Conradi, Gôschel et Rosenkrantz. D’autres auteurs continueront à donner aux formules de l’ancienne orthodoxie une portée philosophique et une signification spéculative qui n’a rien de commun avec le dogme : par exemple Fichte fils, Einige Bemerkungen ùberden U nterschied der immanenten und der Offenbarunstrinitàt, dans sa Zeitschrift fur Philosophie und spéculât. Théologie, 1841 ; Zukrigl, Wissenschaftliche Rechtfertigung der christlichen Trinilàts-Ichre gegen ihre neuesten Gegner (contre Strauss), Vienne, 1846 ; Ulrici, Ueber den Begriff der Trinitàt, dans Deutsche Zeitschrift fur christ. Wissenschaft und christ. Leben, 1853 ; Peip, art. Trinitàt. dans la Realencycl. de Herzog, 2e éd., t. xvi. Mais cette position paradoxale devait bientôt succomber sous les coups de Becker, de Jules Muller, de Feuerbach et surtout de Strauss, l’auteur de la Vie de Jésus. Ce dernier n’hésite pas à déclarer le dogme de la Trinité périmé et désormais sans valeur en regard des droits de la raison : Wcr das Symbolum Quicumgue beschworen hat, der hal den Gesetzen des Denkens abgeschwore.n. Der aile und neue Glauber, p. Il sq. Sur les ruines du dogme traditionnel, Schleiermacher tentera de construire un nouvel édifice.

IV. ADAPTATION MODERNISTE PROTESTANTE. —

On sait que Schleiermacher peut être à bon droit considéré comme l’initiateur de ce renouveau religieux du protestantisme contemporain, renouveau issu de l’expérience religieuse que chaque croyant doit éprouver en lui-même.

On a vu par les exposés précédents que, d’une part, le rationalisme antitrinitaire accepte en fait les arguments opposés au dogme par les sociniens et les unitaires ; que, d’autre part, les supranaturalistes n’ont jamais eu le courage (à part Leibniz) de défendre le dogme dans sa formule rigoureuse. Cette formule fut soumise par Schleiermacher à une critique serrée. Schleiermacher conserve la Trinité sans doute ; mais il ne l’envisage pas au point de vue de la théologie orthodoxe comme une vérité conçue en dehors de nous et de. nos expériences religieuses. Pour lui, la dogmatique ne saurait être que la description et l’explication des phénomènes de la conscience chrétienne ; le dogme trinitaire prend donc chez lui une place différente de celle que lui assignait le système orthodoxe. Notre conscience religieuse, ne dépassant pas le domaine de l’expérience immédiate, n’a ni la prétention ni le moyen d’affirmer quoi que ce soit touchant l’essence divine considérée en elle-même. C’est de l’impression que lui laisse la personne du Christ qu’elle conclut à l’union de Dieu avec l’humanité en Jésus-Christ. C’est des effets divins produits au sein de l’Église qu’elle peut remonter à leur causalité divine, c’est-à-dire à l’œuvre de Dieu accomplie dans l’humanité par l’Esprit de Dieu. La conscience religieuse allume don deux faits : union parfaite de Dieu avec Jésus-Christ ; action de l’Esprit de Dieu dam la communauté chrétienne. Mais elle ne saurail aller au-delà et transformer ces faits de l’expérience subjective en relation immanentes dans l’être divin, c’est-à-dire les ramener à dl s personnes distinctes constituant l’essence unique de Dieu. Franchir ainsi les limites Imposées par IV i rience à la connaissance, c’est substituer la spéculation et la métaphysique à la religion et à la foi. La Trinité née doit dune être sacrifiée à la Trinité d< la i latton, c’est-à-dire à la Trinité économique. Ainsi, tandis que la spéculation hégélienne pari da l’a priori "lu et fait du dogme trinitaire la fondement du me dogmatique, le dogme trinitaire. pour Schleiermacher, ne peut être envisagé que comme le couronnement de l’édifice : il ramène à l’unité et exprime dans leur ensemble les expériences religieuses faites par la conscience chrétienne sous l’impression de la rédemption et de la régénération. Cf. Schleiermacher, Glaubenslehre, § 170-172 ; Ueber den Gegensatz der sabellianischen und der athanasianischen Vorstellung von der Trinitàt, dans Theol. Zeilschrijt de Schleiermacher, 1822. Cette étude, dans laquelle l’auteur justifie historiquement sa préférence pour la Trinité économique, se trouve dans ses Œuvres complètes, Berlin, part. I, vol. ii, p. 485-574. Cf. Alex. Schweitzer, Christliche Glaubenslehre, Leipzig, 1872, § 102 ; Lobstein, Essai d’une introduction à la dogmatique protestante, Paris, 1896, p. 224-227. Voir aussi Hase, Evangelische protestantische Dogmatik (2e éd.), Stuttgart, 1870, p. 222-224 ; M.-H. Schultz, Theol. Literaturzeilung, 1879, p. 500 ; Die Lehre von der Gotlheit Christi, Gotha, 1881, p. 605 ; M. Bovon, Dogmatique chrétienne, Lausanne, 1893, t. i, p. 236 sq. ; t. ii, p. 389-408.

Cette perspective nouvelle, qui transforme totalement la nature du dogme en lui enlevant son caractère objectif pour en faire un simple couronnement ou mieux une traduction de nos expériences religieuses, a exercé, en France, une profonde influence sur le protestantisme contemporain. De Harnack, Das Wesen des Christentums, Leipzig, 1899 (tr. fr., Paris, 1902 et 1907), ce symbolo-fidéisme est passé chez A. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire, Paris (7e éd.), 1903 ; Les religions d’autorité et la religion de l’Esprit, Paris (2e éd.), 1904. Mais, de cette expérience religieuse, que peut-on déduire touchant la réalité objective du mystère ? En somme, c’est nous qui créons le dogme, ou tout au moins nous l’envisageons comme un postulat de notre vie religieuse. Pratiquement, certains auteurs, poussant à l’extrême logique le système, en viennent à nier purement et simplement la Trinité : « La piété chrétienne connaît un seul Dieu, personnel, saint et aimant, vraiment paternel. Elle connaît la personnalité de Jésus et l’action personnelle de l’Esprit au plus secret des cœurs… La théologie chrétienne doit examiner les problèmes qui en résultent et conclure à la divinité morale de Jésus sur la terre, à la divinité actuelle ( ?) du Christ, en écartant la divinité préhistorique de Jésus et la divinité personnelle de l’Esprit. Aussi, elle n’aboutit pas à une réelle Trinité, mais bien à l’unité de Dieu, à la paternité du Dieu unique, à la filialité non métaphysique, mais morale de Jésus ; à la communion filiale de Jésus avec son Père sur la terre, à la dualité de Dieu et du Christ dans la puissance céleste, à l’action de Dieu ou du Christ sous la forme de l’Esprit… La doctrine de la Trinité est une doctrine philosophique… parfaitement inutile à la vie religieuse. » G. Fulliquet, Précis de dogmatique, Genève-Paris, 1912, p. 219, 222. Cette conclusion d’un auteur protestant estimé est la meilleure critique qu’on puisse faire de la prétendue rénovation religieuse opérée par le modernisme de Schleiermacher et de ses innombrables disciples.

Conclusion. —

On voit par ce qui précède la courbe suivie par le protestantisme. Finalement, avec des nuances diverses — sauf chez un petit nombre d’auteurs fidèles à l’orthodoxie — c’est un rationalisme explicite ou déguisé qu’on trouve sous les formules traditionnelles, conservées peut-être uniquement parce qu’il est difficile de les récuser devant les simples fidèles. Sans doute, la plupart des protestants, même libéraux, s’élèvent contre l’appellation d’antitrinitaires. Pfleidcrer, par exemple, considère que l’unitarisme, loin d’être un progrès, constitue au contraire un retour à la théologie inférieure des Juifs. Et pour tant le dogme officiel n’a, pour lui, qu’une valeur symbolique et c’est en ce sens seulement qu’il peut justifier l’adoration due au Christ. Cf. Grundriss der christlichen Glaubenslehre, Berlin, 1880, p. 118-123. On retrouve les mêmes idées, quant au fond, chez É. Saisset, Michel Servet, dans la Revue des deux mondes, 1848, t. xxi a, p. 606, et chez Vacherot, Histoire critique de l’École d’Alexandrie, t. i, Paris, 1846, p. 290-293.

Il suffit d’ailleurs de lire l’article de Lobstein, Trinité, dans l’Encyclopédie de Lichtenberger, pour se rendre compte de cette tendance. Nous en avons cité plus haut, voir col. 1772, un passage se rapportant à l’interprétation des données scripturaires. D’après cet auteur, l’Écriture ne nous donnerait que les éléments d’une trinité économique et non « de la trinité toute spéculative de la métaphysique ecclésiastique ». Il ajoute que « l’histoire de la lente et laborieuse formation du dogme est, en outre, alléguée comme un critique décisive de celui-ci ; il suffit, dit par exemple Strauss, d’en décomposer et d’en examiner les facteurs pour en achever la ruine : solidaire de la christologie, il tombe avec elle et les indécisions qui enveloppèrent longtemps des points essentiels de la doctrine prouvent combien peu celle-ci est autorisée à en appeler au consensus de l’Église… » Enfin, le dogme en lui-même présente, dit-on, d’inextricables difficultés. Et l’on conclut par la condamnation des méthodes et des procédés de l’orthodoxie, laquelle, abandonnante terrain de la révélation historique et de l’expérience chrétienne, a eu la prétention de nous initier aux mystères de la vie divine, d’en fixer les relations essentielles, d’en préciser les modalités internes. N’est-ce pas méconnaître entièrement le caractère moral et religieux de l’œuvre du salut que de faire dépendre ce salut de l’admission d’une doctrine qui, dans la formule précise qu’on veut imposer à l’intelligence, relève exclusivement de la théologie et non de la religion ? » Art. cit., p. 228. Et comme conclusion dernière : « il ne nous est pas permis de transformer les affirmations de la conscience chrétienne en axiomes métaphysiques exprimant des relations essentielles et immanentes en Dieu », p. 230. Voir en ce sens, Baur, Entwickelungsgeschichle von der Menschwerdung Gottes und der Trinitàt, 3 vol., Tubingue, 1841-1843 ; W. Meyer, Die Lehre von der Trinilât in ihrer historischen Entwickelung, Gœttingue, 1844 ; F. Strauss, Die christliche Glaubenslehre, § 32, Tubingue, 1840-1841 : A.-E. Biedermann, Christliche Dogmatik, Zurich, 1869, p. 412-417 ; 611-616 ; Chenevière, Du système théologique de la Trinité, Genève-Paris, 1831 sq.

V. LE SEMIRATIONALISME CATHOLIQUE ET LES INTERVENTIONS DE L’ÉGLISE. —

Caractères généraux du semirationalisme catholique (Voir Semirationalistes, t. xi v, col. 1850). —

L’exposé qui précède était indispensable pour montrer comment la position adoptée par nos théologiens catholiques catalogués « semirationalistes » s’explique en raison des erreurs qu’ils avaient la prétention de combattre, tout en s’inspirant des principes qui les avaient engendrées chez les protestants.- Hermès tient de Kant la distinction entre raison théorique et raison pratique ; Gûnther adopte l’évolutionnisme hégélien ; Frohschammer ne recule pas devant le rationalisme appliqué aux mystères : essais qui pouvaient paraître séduisants à leurs auteurs, essais cependant d’avance voués à l’échec : tels principes, telles conclusions.

1. Hermès, le premier, a voulu faire de la foi un assentiment de la raison comme telle à des vérités qui s’imposent nécessairement à elle. C’est ainsi que le concile du Vatican a compris son système et l’a rangé parmi les erreurs semirationalistes. La foi dont Hermès s’est fait le protagoniste n’est pas la foi qui adhère à la vérité propter audoritatem Dei loquentis ; mais la vérité est acceptée et crue solummodo propter perspectum intrinsecum nexum idearum. Schéma sur la doctrine catholique, note 14, dans Coll. Lacensis, t. vii, col. 527 d ; cf. Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. i, p. 591. Pour Hermès, « la foi est en nous un état de certitude ou de persuasion de la vérité de la chose connue ; et nous sommes amenés à cet état par un assentiment nécessaire de la raison théorique eu par un consentement nécessaire de la raison pratique ». Introduction philosophique à la théologie, 2e éd., Munster, 1831, p. 259. Si l’autorité seule était le motif de l’assentiment de foi, il n’y aurait plus, ajoute Hermès, aucune certitude danslafoi. Ibid., p. 265. C’est doncàjuste titre que déjà Grégoire XVI reprochait à Hermès de considérer « la raison comme la règle première et le moyen unique qui puissent permettre à l’homme de parvenir à la connaissance des vérités surnaturelles ». Bref Dum acerbissimas, 26 sept. 1835, Denz.-Bannw., n. 1619.

2. Günther considère que la question mère de la philosophie est la théorie de la connaissance ; cette théorie doit chercher ses bases dans la conscience du moi. S’inspirant de la méthode de Descartes, Gùnther s’applique à déterminer comment, des phénomènes de la conscience, nous passons à la connaissance de nous-mêmes, du monde extérieur et de Dieu. Nous avons entendu Schelling et Hegel affirmer l’identité de l’être et de l’idée : pour eux, tous les phénomènes de l’univers sont le résultat de l’évolution d’une seule et même substance infinie. Sans doute, Gùnther ne se rallie pas complètement à cette métaphysique : il rejette le panthéisme et maintient une distinction entre la substance divine et la substance du monde ; il admet néanmoins que tous les êtres créés sont des manifestations diverses d’une seule et même substance, la nature. Inconsciente dans les êtres inférieurs, la nature devient consciente dans l’homme. Cette conscience du moi est pour l’homme le principe même de sa personnalité. Cette définition de la personnalité dérive en ligne directe de Descartes ; mais on la trouve déjà appliquée à la Trinité chez un théologien anglican du xviie siècle, Sherlock. Voir Leibniz, / » epist., Defmitiones. .. etc., dans le Cursus theologicus de Migne, t. viii, col. 759. Sur la portée de cette notion dans la théologie catholique, voir Hypostatique (Union), t. vu. col. 554. C’est en partant de cette notion de la conscience du moi, que GOnther prétend apporter une démonstration véritable du mystère de la Trinité. Voir plus loin. La possibilité de cette démonstration repose sur un autre principe, connexe au principe de l’évolution de Hegel. Il y a aussi une évolution dans la connaissance : la raison doit connaître de mieux en mieux toutes les vérités, y compris celles qu’on appelle mystères. Il y a plusieurs étapes dans la connaissance de ces mystères. La foi aveugle qui adhère à une vérité sur le seul témoignage de Dieu est une première étape ; la dernière étape sera la parfaite intelligence de cette vérité. L’intelligence des vérités divines devient, au cours des âges, de plus en plus parfaite, par suite du progrès des sciences et de la philosophie. Ainsi les jugements doctrinaux de l’Église n’ont rien de définitif ; formules provisoires, opportunes pour certaines époques, elles feront un jour place à d’autres formules et à d’autres définitions dans lesquelles apparaîtra une meilleure intelligence des dogmes. C’est à cause de ces prétentions que Pie IX reproche a GOnther d’introduire dans la théologie le système déjà réprouvé du rritionalisme et de donner à la raison une place prépondérante, qu’elle ne devrait pas avoir en regard de la foi. Bref Fximiam tuam, 15 juin 1857, Denz, Baumv., n. 1055, 1656. Sur la théorie générale de GOnther relativement au progrès rationnel de la vérité chrétienne. voir Franzelin, De Traditione, 2e éd., p. 309 ; Kirchenlexicon, art. Gùnther, t. v, p. 1324 ; Vacant, op. cit., t. ii, n. 839 sq. ; et ici art. Gùnther, t. vi, col. 1992.

3. Frohschammer céda à la même tendance qu’Hermès et que Gùnther. Toutefois, il admet que, si la révélation est nécessaire pour nous manifester les mystères, nous pouvons néanmoins par les principes de la raison, en avoir, après leur révélation, une certitude naturelle et scientifique. Frohschammer appliquait cette doctrine à tous les mystères sans exception, même à ceux qui, comme l’incarnation, sont fondés sur la libre volonté de Dieu. Pie IX, Lettre Gravissimas inter, Il décembre 1862, Denz.-Bannw., n. 1668. Il rejoignait ici Gùnther qui, tenant toutes les œuvres de Dieu ad extra pour des effets nécessaires de la bonté divine, se voyait obligé de confondre les mystères que la théologie considère comme des effets libres de la volonté de Dieu et ceux qui, en Dieu, ont une existence nécessaire, tel le mystère de la Trinité.

D’autres semirationalistes cependant maintenaient cette distinction et, tout en reconnaissant l’impuissance de la raison à connaître les mystères libres, refusaient de ranger la Trinité et les dogmes relatifs à l’essence nécessaire des choses, parmi les objets excédant la connaissance naturelle de la raison. Nous n’avons sur ce point aucun nom propre cité dans les Acta du concile du Vatican ; mais la distinction entre ces deux sortes de semirationalistes est expressément proposée à la note 12 du schéma de la constitution De doctrina catholica. Coll. Lac, t. vii, col. 525 be ; cf. Vacant, op. cit., p. 589.

4. L’ontologisme, qui affirme pour l’homme la nécessité de connaître toutes choses en Dieu devait, chez quelques-uns de ses partisans, aboutir à des théories analogues. Ce fut le cas de Rosmini. Comme Gùnther, Rosmini se ressent d’une influence profonde de Hegel. Voir ici t. xiii, col. 2926. La théorie de la connaissance d’après Rosmini semble confondre connaissance de l’ordre naturel et connaissance de l’ordre surnaturel. Voir prop. 36 et 37, art. cit., col. 2947-2948. De sorte que, comme Frohschammer, le philosophe italien admet, pour la raison humaine, la possibilité de démontrer l’existence de la Trinité, prop. 25, 26, art. cit., col. 2941.

Explications positives du mystère de la Trinité.

1. Au début du xixe siècle, un auteur, aujourd’hui bien oublié, a présenté trois démonstrations de la Trinité : c’est Mastroflni (1845), Metaphysica sublimior, t. III, IV, V. La première part de l’idée de raison suffisante de l’existence propre, qui suppose, d’un côté, un principe d’existence, le Père, de l’autre, une hypostase procédant de ce principe, le Fils. La commune action de ces deux hypostases crée entre elles un troisième principe, le Saint Esprit. La deuxième démonstration s’appuie sur « la quantité de la force créatrice que Dieu contient en lui » (sic) : puissance créatrice des substances, des espèces et des individus, ce qui, d’après l’auteur, poserait en Dieu trois puissances créatrices infinies, trois personnes. Enfin, la manifestation de la gloire divine exige une deuxième personne, distincte de la première, et qui en soit l’Image manifestant la splendeur de la gloire du Père. Une troisième personne est nécessaire, distincte de la première et de la seconde, pour connaître la manifestation de la gloire divine. Sur ces singulières « démonstrations », voir Franzelin. De Dro trino. th. xviii, p. 281-285. Il semble que Mastroflni ait emprunté certaines idées de son système a Peutinger, lirliqiôse Ofjenbarung und Kirche, Salzbourg, 1785, p. : <78. Cf. Schwetz, Theologta dogmatica, t. i, p. 502.

Encore en Italie, il faut signaler la démonstration * présentée par liosmini. Se reporter à Rosmini. t. m. col. 2941, prop. 25, 26.


2. Günther est expressément indiqué dans le bref Eximiam de Pie IX comme ayant construit une explication erronée de la Trinité. Denz.-Bannw., n. 1655. Voici cette explication, toute a priori comme celle de Hegel :

Dieu n’a pas conscience de lui même par son essence, car ce serait admettre en lui une seule conscience de soi, donc une seule personne. Si Dieu se connaît, ce ne peut être que par les trois personnes qui sont en lui ; c’est en s’opposant lui-même comme sujet à lui même comme objet et en affirmant en même temps l’égalité de ce sujet et de cet objet. Le sujet ayant conscience de lui-même est la première personne ; l’objet ayant conscience de lui-même est la seconde personne ; la conscience de l’égalité de ce sujet et de cet objet constitue la troisième personne. La substance divine se trouve ainsi « triplée ».

Et voici comment cette Trinité nécessaire se relie à une création nécessaire. En se distinguant des deux autres, chaque personne nie qu’elle soit une autre personne et c’est précisément cette négation d’une chose infinie et absolue qui fait naître en Dieu la conception du fini et du relatif. Cette connaissance des êtres finis une fois posée, la bonté de Dieu exige qu’il donne l’existence à ces êtres non divins. Ainsi la création, suite de la Trinité nécessaire, est elle-même nécessaire. Nécessité qui se répercute sur la création de l’homme, son élévation à l’état de justice originelle, et, ensuite de la faute d’Adam, sur la rédemption. Sur la théorie trinitaire de Gùnther, voir Franzelin, op. cit., p. 285. Cf. Gùnther, Vorschule zur speculativen Théologie des posiliven Christenlhums, 1828-1829, 1. 1, p. 104 sq. ; 119 sq., 352 ; t. ii, p. 291 sq., 535 539, 553 sq. Voir aussi Peregrins Gastmahl, 1830, p. 149, 565 ; Thomas a scrupulis, 1835, p. 177-181, 188, 193-197 ; Janus Kôpfe fur Philosophie und Théologie, 1833, part. II, p. 272-279, 334-340 ; Eurysleus und Héraclès, p. 449 sq., 508 sq., 512 sq., et les Annales Ludia, 1849, p. 245 sq… 331-333 ; 1851, p. 166 sq., 310 sq. ; 1852, p. 260, etc. Voir aussi Kleutgen, De ipso Deo, n. 939 ; Théologie der Vorzeit (2e édit.), t. i, p. 339 ; Piccirelli, De Deo uno et trino, n. 1130 sq.

Les théologiens catholiques font observer qu’en Dieu la triple conscience triplant les personnes (ce que Günther appelle le processus théogonique) aboutit à un véritable trithéisme. En effet « entre les personnes envisagées de cette manière, il n’y aurait pas unité numérique de nature et de substance, mais seulement égalité de nature et concours de chaque personne à la formation des deux autres ? Les trois personnes ainsi comprises seraient donc trois dieux : ce qui est absolument contraire à la conception catholique de la Trinité ». Vacant, op. cit., p. 131 ; cf. Katschthaler, Zwei Thesen fur das allgemeine Konzil : die numerische Wesenseinhcit der drei gôltlichen Personen, Ratisbonne, 1868.

3. Plus près de nous, H. Schell, s’inspirant sans doute du même point de vue que Frohschammer, estime qu’après la révélation du mystère il est possible d’en fournir une explication convaincante, positive et scientifique. Ce fut là sa première préoccupation dans l’enseignement théologique, sa thèse doctorale à Tubingue étant Das XVirken des Dreieinigen Gottes. Voir ici, t. xiv, col. 1276. Cette activité essentielle de Dieu, où se retrouve le dynamisme platonicien mêlé aux conceptions intellectualistes de saint Thomas, se retrouve dans son enseignement : Katholische Dogmatik, Paderborn, 1890, t. ii, p. 21 sq. Cf. Chr. Pesch, Ende der Schell-Frage, dans Slimmen aus Maria Laach, t. lxxiii, p. 550 sq. ; De Deo uno et trino, n. 495, note 1. Voir un exposé détaillé de la doctrine trinitaire de Schell dans L. Janssens, op. cit., p. 417429.

Dans cette « démonstration » fort obscure, Schell envisage l’essence divine comme une pensée active, produisant par nécessité logique une lumière spirituelle, qui est la parfaite intelligence de soi-même. En tant que Dieu pense et dit cette logique nécessité et la parfaite intelligence qui en résulte, il est le Père ; en tant qu’il exprime cette nécessité logique et l’intelligence qui en résulte, il procède du Père et en tire son origine ; c’est le Fils. Tout s’achève en une nécessité éthique, laquelle complète la nécessité logique : l’existence divine devient alors un effet de la volonté infiniment active en même temps que de la vérité essentielle à Dieu. Par cet acte de volonté éternelle, Dieu est principe de spiration et le Saint-Espiit s’origine nécessairement à ce principe.

On reconnaît ici une excellente intention de « catholiciser » Hegel et Gùnther. Il est difficile d’affirmer que l’auteur y ait réussi. On comprend cependant le succès obtenu en Allemagne par sa thèse. Au point de vue de l’orthodoxie, on doit cependant lui faire un reproche sérieux, celui d’avoir voulu introduire un élément de nécessité logique dans l’explication. Même révélé, le mystère ne saurait être expliqué. La théorie psychologique d’Augustin et de Thomas d’Aquin est une comparaison, non une explication scientifique du mystère. C’est ce qu’oublient les théologiens, rationalistes ou semirationalistes, qui, reprenant les erreurs signalées au Moyen Age, tombent dans le même défaut que leurs lointains devanciers.

Les condamnations de l’Église. —

Explicites s’il s’agit des tentatives de démonstration rationnelle des mystères en général, elles sont implicites à l’égard de la démonstration rationnelle du mystère de la Trinité. On se souviendra cependant que le concile du Vatican se préparait à promulguer, sur ce point, une doctrine officielle.

1. Réprobations explicites. —

Elles sont indiquées ici à Mystère, t. x, col. 2585, 2587. Cf. Notes au schéma de la constitution De doctrina christiana, n. 12 et 24, dans Collectio Lacensis, t. vii, col. 525, 537. Les principales sont : Grégoire XVI, Encycl. Mirari vos, Denz.-Bannw., n. 1616 ; Dum acerbissimas, ibid., n. 1619 ; Pie IX, Qui pluribus. ibid., n. 1639 ; Singulari quadam, ibid., n. 1642, 1645 ; Eximiam tuam, ibid., n. 1656 ; Gravissimas inter, ibid., n. 1669, 1671, 1672, 1673 ; Tuas libenter, ibid., n. 1682 ; Sgllabus, prop. 9, ibid., n. 1709 ; Concile du Vatican, sess. iii, c. iv, § 2, ibid., n. 1796 ; De fide et ratione, can. 1, ibid., n. 1816.

2. Réprobation des tentatives de démonstration du mystère de la Trinité. —

Dans le bref Eximiam, Pie IX déclare qu’ « on lit dans les ouvrages de Günther des doctrines qui s’éloignent considérablement (non minimum aberrant) de la véritable foi et explication catholique en ce qui concerne l’unité de la substance divine en trois personnes distinctes et éternelles ». Denz.-Bannw., n. 1655. Cette déclaration n’indique pas sur quel objet précis elle porte. Mais, à coup sûr, elle vise tout au moins la façon dont Günther entend démontrer l’existence de la Trinité, sinon également l’explication qu’il en donne, vraisemblablement les deux aspects du problème.

Au concile du Vatican, sans doute, la constitution Dei Filius se tait sur la question de savoir si la Trinité rentre dans les mystères inaccessibles à la raison, même après la révélation qui en peut être faite par Dieu. Toutefois, des indices non équivoques nous obligent à considérer comme atteintes implicitement par la condamnation formulée au concile les tentatives du rationalisme et du semirationalisme concernant la Trinité.

Un indice général se trouve dans le schéma primitif de la constitution, c. i, où se trouvaient condamnés le matérialisme et le panthéisme, non seulement en raison de leurs « opinions monstrueuses >, mais parce qu’on avait voulu « adapter ces opinions à l’exposé des mystères de la religion chrétienne, de sorte qu’en retenant encore les noms de la Trinité, de l’incarnation, de la rédemption, de la résurrection, on s’est efforcé de corrompre ces dogmes vénérables de la vraie religion en les interprétant en des sens détestables », dum Trinitatem, incarnationem, redempiionem, resurrectionem nominant, id assequi student… ipsa veneranda mysteria verse religionis ad pervers issimos sensus detorqucant aique dépravent. Coll. Lac., t. vii, col. 507 c.

Ce schéma n’a pas eu de suite, tout au moins dans le c. i de la constitution, mais les notes ajoutées au schéma définitif indiquent, parmi les erreurs frappées par la constitution, celle qui refuse le caractère de mystère aux vérités considérées comme nécessaires et tout particulièrement au mystère de la Trinité. Note 12. ibid., col. 525 bc. Cf. Vacant, op. cit., t. i, p. 589.

Mais si, au xixe siècle, le magistère extraordinaire ne s’est pas explicitement prononcé, il s’en faut de beaucoup que le magistère ordinaire soit resté silencieux. Les déclarations des conciles provinciaux de Paris (1849), Bordeaux (1850), Cologne (1860) sont une preuve non équivoque de la pensée de l’Église. Le premier déclare « détester l’erreur de certains philosophes qui, affectant de conserver le nom de la très sainte Trinité, expliquent l’ineffable unité de la divine nature en trois personnes à la manière de cel’e qui unit le Créateur à la créature, l’infini au fini et donnent ainsi de leurs relations une notion inadmissible ». Tit. ii, n. 4, Coll. Lac, t. iv, col. 16 b. Le second « condamne et réprouve l’erreur sacrilège de ceux qui exposent le mystère de la très sainte Trinité par l’infini et le fini et leur mutuelle relation ». Tit. i, c. ii, n. 3, ibid., col. 550 d. Sans doute, c’est le pur rationalisme qui est ici condamné ; mais sa condamnation même montre que les évêques tiennent le mystère de la Trinité pour indémontrable par la raison. Le concile de Cologne le dit expressément : « Bien que les saints Pères et les docteurs de l’Église se soient efforcés, pour l’instruction des fidèles, de chercher des images du très auguste mystère de la Sainte Trinité, néanmoins ils le proclament ineffable et incompréhensible d’une voix à peu près unanime ; et cela avec raison. » Part. II, tit. ii, c. tx, ibid., t. v, col. 285 a.

3. Le projet d’une constitution dogmatique sur la Trinité. —

Il s’agissait de donner une suite à la constitution De fide catholica, en y ajoutant une constitution De præcipuis mysteriis fidei. Le mystère de la Trinité était l’objet du c. i. Coll. Lac, t. vii, col. 553-554. Nous donnons les quatre paragraphes de ce chapitre avec les annotations afférentes.

I. Mysteriorum, quæ flde (Dominât ! profltemur, omnium supremum ipse Deus est, unus in essentia, trinus in personis, Pater et Filius et Spiritus s inctus. Hæc beata Trinitas secunduni sini cath » lle « B fldel veritatem unus est f)eus, propterea quod essentia seu substantia tribus communis re et numéro una est.

Des mystères que la lumière de la foi nous fait professer, le plus profond de tous est Dieu lui-même, un dans son essence, Irine dans les personnes, le Père, le Fils et le S lint-Ksprit. Selon la vérité authentique de la foi catholique, cette bienheureuse Trinité Ml un seul Dieu, parc qu l’essence ou substance commune aux trois personnes est réellement et numériquement une.

Explications : « Beaucoup d’auteurs, a notre époque, ont voulu avec la seule lumièn de la raison ou démontrer ou cnmpr -ndre entièrement le mystère de la Trinité : ils se sont parla plus ou moins détournés du droil chemin de la foi. Certains ne reconnaissent même plus niable et réelle de 1 met ion <l’personnes ; la plupart cependant font erreur en exposant leur senti ment sur l’unité divine. Ils expliquent l’origine des personnes de façon à multiplier, en même temps que les personnes, la nature ou substance divine. Et ils ne reconnaissent plus en Dieu qu’une unité d’espèce ou de rapport, et ils l’appellent qualitative ou dynamique. Trois personnes, disent-ils, sont autant de substances entre elles tout à fait égales mais inséparablement unies tant en raison de leur origine que de leur communauté de vie ou de conscience. »

C’est pourquoi le chapitre déclare que l’unité divine n’est ni dynamique, ni virtuelle, mais réelle, et qu’on doit l’appeler non qualitative, mais numérique. Les annotateurs se réfèrent au IV « concile du Latran. cap. Damnamus, voir col. 1727 ; au symbole d’Athanase ; au concile de Florence, décret pour les Jacobites, voir col. 1764 et à la lettre de saint Agathon au VI » concile : Quidquid de eadem sanctissima Trinitate essentialiter dicitur, singulari numéro tanquam de una natura trium consubstantialium personarum comprehendamus. Mansi, Concil., t. xi, col. 238.

II. Pater enim ab aeterno Filium générât, non aliam su » aequalem essentiam emanatione producendo, sed ipsam suam simplicissimam essentiam communicando ; pariterque Spiritus sanctus non multiplicatione essentiæ sed ejusdem essentiae singularis communicatione a Pâtre et Filio tanquam ab uno principio una spirationo aeterna procedit.

Car le Père engendre le Fils de toute éternité, non en produisant une autre essence égale à la sienne par voie d’émanation, mais en communiquant sa propre essence elle-même, parfaitement simple ; de même le Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme d’un principe unique par une unique spiration, non par multiplication de l’essence, mais par communication de la même essence singulière.

La note indique simplement qu’on veut arracher la racine de l’erreur : « L’origine des personnes est ici exposée : on doit la concevoir, non par la multiplication, mais par la communication de l’essence, numériquement la même. » Et l’on renvoie au IVe concile du Latran, cap. Damnamus.

III. Hæc igitur una numéro essentia seu natura veraciter est Pater, Filius et Spiritus sanctus, très simul personae et singillatim quælibet carumdem ; ita ut persoiur inter se rcaliter distincts ; [sintl, natura autem seu essentia unum idemque sint. Cf. Lat. IV, cap. Damnamus.

Cette essence ou nature, numériquement une est donc vraiment le Père, le Fils et le Saint-Esprit, les trois personnes ensemble et chacune d’elles séparément ; de sorte que les personnes sont entre elles distinctes réellement, la nature ou essence demeure unique et ident ique.

« On définit ici la véritable relation de l’essence aux

personnes : l’essence, la même numériquement, est en chacune d ; ’s trois personnes et, partant, ne se distingue d’elles que virtuellement, tandis que les personnes se distinguent réellement entre elles. » Le texte projeté de la constitution renvoie au IVe concile du Latran, dans sa condamnation de l’erreur de l’abbé Joachim. Denz.-Bannw., n. 431-432.

IV. Et quoniam in Deo omnia unum sont ubi non obviât relationis oppositio (Conc. Florent. Dccr. pra Jacob, ), una est viiluutas I Operatio, qua Trinitas snerosanota cuncta extra se condldit, disponit et gubarnat. enim personie divlnse extra se secunduni originis relatlonei, quibui distinguant ! , indiirn quod sunt iiiiuui et ilngulare prlnclplum, opernntur.

En Dieu, tout est un là où il n’y a pas opposition des relations, comme l’a déclaré le concile do Florence (décret pour les Jacobites). Aussi, il n’y a qu’une volonté et une opération de la Trinité sainte dans la création, la disposition "l le gouvernement de toutes choses en dehors d’elle. Car les personnes divines n’agissent pas au dehors d’après les relations, d’origine qui les distinguent, mais en tant qu’elles constituent un principe unique et singulier d’opération.

« Il s’agit enfin de l’opération de Dieu ad extra. De

même qu’il n’y a qu’une nature, par laquelle les personnes opèrent, ainsi il n’existe qu’une opération, bien qu’il y ait trois opérants. Dans le Christ, c’est le contraire : un seul opérant et deux opérations. Cette vérité est définie depuis longtemps ; il a paru opportun cependant de la proposer à nouveau parce qu’elle est niée de nos jours par les mêmes qui placent en Dieu trois essences. On la propose à peu près dans les mêmes termes que dans la confession de foi de saint Agathon et du synode romain, confession reçue par le VIe concile œcuménique : (Patris, Filii et Spiritus sancti) una est essentia sive substantia, vel natura, idest una deitas, una selernitas… una essenlialis ejusdem sanctm et inseparabilis Trinitatis voluntas et operatio, quæ omnia condidil, dispensât et coniinet. » (Mansi, Concil., t. xi, col. 290.)

Ce texte est intégralement conservé sauf un mot (mis entre parenthèses) dans la correction proposée, col. 1632 d-1633 a.

Quatre canons étaient préparés, qui condensaient cette doctrine :

Can. 1. Si quls dixerit, sicut très personas, ita très essentias seu substanlias in Deo esse, A. S.

Si quelqu’un dit qu’en et Dieu, il y a trois essences ou substances, comme il y a trois personnes ; qu’il soit anathème.

Can. 2. — S. q. d., divinam substantiam non numéro, sed specie seu qualitate trium personarum unam esse, A. S.

Si quelqu’un dit que la substance divine des trois personnes est une et la même, non pas numériqueeandemque ment, mais spécifiquement ou qualitativement ; qu’il soit anathème.

Can. 3. — S. q. d., Trinitatem uiium esse non propter unius substantia ; singularitatem, sed propter Dei trium substantiarum sequalitatem et personarum ad se relationem, A. S.

Si quelqu’un dit que la Trinité est un seul Dieu, non en raison de la singularité de sa substance unique, mais à cause de l’égalité des trois substances et du rapport que les personnes ont entre elles ; qu’il soit anathème.

Can. 4. — Si quis, créationem aut quamvis aliam operationem ad extra uni personæ divinse ita propriam esse dixerit, ut non sit omnibus commuais, una indivisa, A. S.

Coll. Lac., t.vn, col.565B.

Si quelqu’un dit que la création ou tout autre opération ad extra est tellement propre à une des personnes divines qu’elle n’est pas à toutes commune, une et indivise ; qu’il soit anathème.

A propos de l’incarnation, un projet de définition existait touchant la notion de personne et visant la notion qu’en avait donnée Gunther ; cf. ici Hypostatique ( Union), t. vii, col. 556-557. Voir Coll. Lac., t. vii, col. 559 b ; can. 4, col. 566 c ; ainsi que le projet révisé, col. 1634 b et 1637 c.

VI. LE MODERNISME CATHOLIQUE ET LA CONDAMNATION DE PIE X. —

Indications générales. —

Le modernisme chez les catholiques est une infiltration du modernisme qui, après Schleiermacher, envahit le protestantisme libéral. Voir Modernisme, t. x, col. 2014 sq. C’est en raison de sa conception évolutionniste de la vérité religieuse, conception héritée du postulat philosophique de Hegel, que le modernisme a bouleversé la notion catholique du dogme. Les dogmes ne sont plus « des vérités tombées du ciel, mais une certaine interprétation des faits religieux (de l’expérience religieuse), interprétation que l’esprit humain s’est acquise par un laborieux effort ». Décret Lamentabili, prop. 22, Denz.-Bannw., n. 2022. Le progrès religieux est donc essentiellement immanent, au sens le plus strict du mot, et doit s’opérer dans l’humanité sans intervention extérieure. C’est, on le voit, la condamnation d’une révélation objective.

Quelle est donc la valeur des dogmes que l’Église propose à notre croyance ? Ces dogmes doivent être acceptés, certes, répondent les modernistes, mais « seulement dans un sens pratique, c’est-à-dire comme une règle commandant l’agir et non comme la règle du croire ». Prop. 26, ibid., n. 2026. Cette proposition, si elle ne présentait pas un sens exclusif, pourrait être interprétée en bonne part ; car le dogme, sans contestation possible, doit avoir une portée pratique et diriger notre conduite : « La foi qui n’agit pas, est-ce une foi sincère ? » De grands théologiens, comme Scot et Bossuet, sans oublier le protestant Leibniz, ont pu enseigner que la théologie est une science plutôt pratique que spéculative. La notion catholique du dogme n’entend pas supprimer ce qu’il y a de vrai dans la doctrine de l’expérience religieuse. Voir ici Expérience religieuse, t. v, col. 1814 sq. Mais le sens exclusif de la proposition moderniste modifie du tout au tout la question. Ce qui, chez les catholiques, est valeur d’application devient, pour les modernistes, valeur ou mieux pur symbolisme d’action. Et, en dehors de cette interprétation purement pratique, les représentations spéculatives que nous pouvons nous faire des vérités dogmatiques sont purement libres. Le catholique « n’est astreint par eux (les dogmes) qu’à des règles de conduite, non pas à des conceptions particulières ». Ed. Le Roy, Dogme et critique, p. 32.

Aussi les dogmes (et les modernistes y ajoutent les sacrements et la hiérarchie) « soit quant à leur notion, soit quant à leur réalité, ne sont que des interprétations et des évolutions de la pensée chrétienne qui, par des apports venus du dehors, ont accru et perfectionné le petit germe caché dans l’Évangile ». Prop. 54, Denz.-Bannw. , n. 2054. « Venus du dehors » ne signifie pas ici une révélation extérieure, mais un apport philosophique ou social. Pour plus de détails sur la foi et le dogme d’après les modernistes, voir M. Chossat, art. Modernisme, Foi et dogme, dans le Dict. apol. de la foi cath., t. iii, col. 618 sq.

Application de ces principes au mystère de la Trinité.

Puisqu’il s’agit, dans la pensée moderniste, de tous les dogmes sans exception, le dogme trinitaire ne saurait échapper à la double loi d’un évolutionnisme dû à des expériences religieuses sans cesse renouvelées et d’une interprétation purement pragmatique.

1. Loisy a présenté la théorie moderniste appliquée à la formation du dogme de la Trinité dans L’Évangile et l’Église et dans Autour d’un petit livre. C’est l’adaptation de la métaphysique de Platon et de Philon qui est, dit-il, à l’origine de ce dogme : « Dieu ne cesse pas d’être un et Jésus reste Christ ; mais Dieu est triple sans se multiplier ; Jésus est Dieu sans cesser d’être homme, le Verbe devient homme sans se dédoubler… On peut soutenir, au point de vue de l’histoire, que la Trinité, l’Incarnation sont des dogmes grecs… Il n’est pas étonnant que le résultat d’un travail si particulier semble manquer de logique et de consistance rationnelle. Cependant il se trouve que ce défaut, qui serait mortel à un système philosophique, est, en théologie, un principe de durée et de stabilité… L’orthodoxie paraît suivre une sorte de ligne politique, moyenne et obstinément conciliante, entre les conclusions extrêmes que l’on peut tirer des données qu’elle a en dépôt. Quand elle cesse de percevoir l’accord logique des assertions qu’elle semble opposer l’une à l’autre, elle proclame le mystère et n’achète pas l’unité de sa théorie par le sacrifice d’un élément important de sa tradition. Ainsi a-t-elle fait pour la Trinité, quand la consubstantialité des trois personnes divines eut triomphé définitivement. » L’Évangile et l’Eglise, p. 140-143.

Dans Autour d’un petit livre, le même auteur expose comment l’expérience religieuse est au début de ces évolutions :

Chaque étape de la foi est comme une épreuve et mi obstacle qu’elle surmonte par la force divine de son principe intérieur. La première de ces épreuves fut la mort ignominieuse de Jésus. Elle fut surmontée par la foi à la résurrection, qui fut dès l’abord la foi à la vie immortelle du crucifié, bien plus qu’au fait initial qui est suggéré à notre esprit par le mot de résurrection… La seconde épreuve fut l’entrée de la foi nouvelle dans le monde païen… S’inspirant de l’esprit bien plus que de la lettre (de l’Évangile), Paul trouve à l’Évangile un rôle, et à la personne de Jésus une signification universelle… Une nouvelle épreuve de la foi se présentait : quel était le rapport du Christ sauveur avec le Dieu éternel et l’économie de l’univers ? La spéculation judéo-alexandrine avait identifié le Dieu des Juifs au Dieu des philosophes grecs. Philon identifia le Logos, suprême raison et idées éternelles, à la Sagesse de l’Ancien Testament qui assistait le Créateur dans toutes ses œuvres. Paul assigne hardiment cette place au Christ éternel, image du Dieu invisible, par qui et pour qui tout a été fait, etc. L’auteur de l’épître aux Hébreux complète l’idée de Paul. Pour lui aussi, le Fils est la splendeur de la gloire divine, mais, dans sa mission terrestre, il est le grand-prêtre qui s’est fait semblable aux hommes ses frères, accomplissant finalement par une seule immolation, qui était sa propre mort, l’expiation de tous les péchés… Mais la vie de Jésus n’a-t-elle que cette importance morale ? L’auteur du quatrième évangile y découvre la révélation même du Logos, du Verbe divin, etc. P. 120-127, passim.

Mais le dogme de la Trinité n’est encore qu’esquissé. Loisy se demande si "le Verbe et l’Esprit, qui sont de Dieu, sont des personnalités distinctes du Père créateur » ?

Ce problème, répond-il, était assez ardu : le sens chrétien finit par le trancher dans le sens de l’affirmative. Mais aussitôt se posa la question du rapport entre le Père et les autres personnes divines, surtout celle du Verbe-Christ. Le Verbe est de Dieu et personnellement distinct du Père ; est-il Dieu absolument et, s’il est le premier-né de la création, comme l’a dit saint Paul, ne serait-il que la première des créatures ? Arius dit oui. Athanase et le concile de Nicée répondent non. Le Verbe devait être consubstantiel au Père, etc. Ibid., p. 127.

On voit comment, sous la poussée d’expériences religieuses éprouvées par divers auteurs et, par contre coup, par l’Église enseignante elle-même, s’est constitué peu à peu le dogme d’un Dieu unique en trois personnes. Mais la solution trouvée n’est pas définitive :

Le problème qui a passionné durant des siècles les penseurs chrétiens, se pose maintenant de nouveau. C’est beaucoup moins parce que l’histoire en est mieux connue, que par suite du renouvellement intégral qui s’est produit et qui se continue dans la philosophie moderne… N’est-il pas vrai que la notion théologique de la personne est métaphysique et abstraite, tandis que cette notion est devenue, dans la philosophie contemporaine, réelle et psychologique ? Ce qu’on a dit d’après la définition de l’ancienne philosophie, n’a-t-il pas besoin d’être expliqué par rapport à la philosophie d’aujourd’hui ? Ibld., >. 128.

2. Cette conception du dogme entraîne le second point de vue auquel s’arrêtent les modernistes : la valeur exclusivement pragmatique du dogme : Un Dieu en trois personnes, déclare G. Tyrrel — Père, Fils, Esprit — est une formule qui serait contradictoire si elle avait une valeur métaphysique et non purement prophétique et symbolique ; cette formule a une valeur d’imagination, de dévotion, et pratique ; elle indique d’une manière obscure une vérité qui ne peut se définir et qui cependant exclut l’unitarianisme l’arianisme, le trithéisme, le sabellianisme et toute autre impertinence de curiosité métaphysique. Trough Scylla and Charybdis, p. 343. La question serait de savoir si la valeur pratique accordée au dogme trinitaire n’exclut pas aussi d’autres « impertinences de curiosité métaphysique », telles, par exemple, que les définitions du concile de Nicée ? Ainsi, d’après Tyrrel, qui complète bien ici la pensée de Loisy, les formules religieuses n’expriment que les diverses réactions produites dans la conduite religieuse des hommes par l’idée des réalités divines :

A saint Pierre, le Christ s’est présenté tout à coup sous l’idée de Messie, de Fils du Dieu vivant. À l’auteur du quatrième évangile, comme Logos éternel… Dans chacun de ces cas le même ébranlement d’expérience religieuse donne une réaction mentale différente… Le théologien observera que le Christ en toutes circonstances a été placé dans la plus haute catégorie de glorification dont chaque intelligence se trouvait meublée… C’est parce que les hommes ont senti et éprouvé que le Christ était leur Dieu, leur Sauveur, leur pain spirituel, leur vie, leur voie, leur vérité, qu’ils l’ont conçu sous toutes ces formes et ces images, dont les unes sont plus adaptées que les autres à satisfaire le besoin qu’éprouve l’âme d’exprimer sa plénitude. » Ibid., p. 289.

Mais ces conceptions elles-mêmes, « en tant que révélées, n’ont pas de valeur théologique directe ; elles ne sont qu’une partie de l’expérience dont elles aident à déterminer le caractère ». Ibid. Ainsi donc, les formules religieuses, la formule trinitaire comme les autres, ne peuvent traduire la réalité que « par ce que nous devons être à l’égard de cette réalité ». Nous devons considérer en Dieu un Père, en Jésus-Christ un Fils de Dieu, dans le Saint-Esprit, l’esprit divin envoyé aux hommes pour leur sanctification. Mais nous ne sommes aucunement assurés que cette attitude prise par nous garantisse la vérité ontologique du mystère d’un Dieu à la fois un et trine.

Condamnations de l’Église. —

Ce sont des condamnations générales, formulées soit dans le décret Lamentabili dans les propositions condamnées et rapportées plus haut, soit surtout dans l’encyclique Pascendi. Résumant la doctrine de l’évolutionnisme doctrinal purement humain qui est à la base du système moderniste, Pie X conclut : « Ainsi la doctrine des modernistes, comme l’objet de leurs efforts, c’est qu’il n’y a rien de stable, rien d’immuable dans l’Église. » Et le pape indique que les modernistes ont eu des précurseurs, dont il suffit de rappeler les condamnations. « Dans l’encyclique Qui pluribus, Pic IX écrivait : « Ces ennemis de la révélation divine exaltent le progrès humain et prétendent, avec une témérité et une audace vraiment sacrilèges, l’introduire dans la religion catholique, comme si cette religion n’était pas « l’œuvre de Dieu, mais l’œuvre des hommes, une « invention philosophique quelconque, susceptible « de perfectionnements humains. » Denz.-Bannw., n. 1636. Sur la révélation et le dogme en particulier, la doctrine des modernistes n’offre rien de nouveau : nous la trouvons condamnée dans le Syllabus de Pie IX, où elle est énoncée en ces termes : « La révélation divine est imparfaite, sujette par conséquent à un progrès continu et indéfini, en rapport avec le progrès de la raison humaine. » Prop. 5, ibid., n. 1705. Plus solennellement encore, dans le concile du Vatican : « La doctrine de foi que Dieu a révélée n’a pas été proposée aux intelligences comme une invention philosophique qu’elles eussent à perfectionner, mais elle a été confiée comme un dépôt divin à l’Épouse de Jésus-Christ pour être par elle fidèlement gardée et infailliblement interprétée. C’est pourquoi aussi le sens des dogmes doit être retenu tel que notre Sainte Mère l’Église l’a une fois défini, et il ne faut jamais s’écarter de ce sens, sous le prétexte et le nom d’une plus profonde intelligence > C.onst. Dei Filins, c. iv, ibid., n. 1800. Et Pie X rappelle en terminant que c’est là le principe même du vrai développement du dogme, selon la formule de Vincent de Lér/bV par laquelle le concile lui-même conclut sn déclaration.