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Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aguirre

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AGUIRRE. La Bibliothéque des écrivains espagnols fournit cinq ou six auteurs qui ont ce nom-là. Le plus considérable de tous est, ce me semble, Michel de Aguirre, natif d’Aspeitia, au diocèse de Pampelonne, dans la province de Guipuscoa. C’était un jurisconsulte qui, pendant qu’il était membre du collége de Saint-Clément, à Bologne, écrivit pour les prétentions du roi d’Espagne Philippe II sur la couronne de Portugal (A). Il exerça la charge de juge en divers tribunaux du royaume de Naples, et puis il eut en Espagne la charge de conseiller au conseil de Grenade. Il mourut en 1588[a]. Ceux qui continueront l’ouvrage de don Nicolas Antonio auront un Aguirre infiniment plus célèbre à y placer. Je parle de Joseph Saenz de Aguirre[* 1], bénédictin, l’un des savans hommes du dix-septième siècle. Il était censeur et secrétaire du conseil suprême de l’inquisition en Espagne, premier interprète de l’Écriture dans l’université de Salamanque, et avait été plus d’une fois abbé du collége de Saint-Vincent, lorsqu’en 1685 il fut honoré du chapeau de cardinal par le pape Innocent XI. Il avait entrepris un très-grand ouvrage [b], et il n’a pas laissé de s’y appliquer tout de bon depuis son cardinalat. Ceux qui voudront s’en former une juste idée doivent lire le Prodrome qu’il publia à Salamanque, l’an 1686, ou, s’ils ne l’ont pas, les extraits qu’en donnèrent les journalistes (C). On l’a cru pendant quelque temps l’auteur d’un ouvrage fort docte contre les décisions du clergé de France de l’an 1682 (D) ; mais on a su enfin le contraire[c]. Les conjectures n’étaient pas sans apparence, vu l’attachement de ce cardinal aux doctrines des ultramontains, et l’ardeur qu’il a fait paraître pour éloigner l’accommodement de la cour de Rome avec la France, qui fut néanmoins conclu au mois d’octobre 1693. La dépense qu’il a faite pour l’impression de deux volumes de don Nicolas Antonio, son ancien ami, est fort louable. J’en parlerai dans l’article Antonio.

  1. * Ce Joseph Saenz d’Aguirre, né, dit Leclerc, à Logrogno, le 24 mars 1630, mourut le 19 août 1699. Nicéron lui a donné un fort bon article dans le tome III de ses Memoires. Chaufepié lui a aussi donné place dans son dictionnaire.
  1. Ex N. Antonii Bibliothecâ Scriptorum Hispaniæ, tom II, pag. 102.
  2. L’édition de tous les conciles tenus en Espagne.
  3. Voyez la remarque (D).

(A) Il écrivit pour les prétentions du roi d’Espagne... sur la couronne de Portugal. ] Son livre fut imprimé à Venise, l’an 1581, sous ce titre : Responsum. pro successione regni Portugalliæ pro Philippo Hispaniarum Rege, adversus Bononiensium, Patavinorum et Perusinorum collegia. Besoldus l’a inséré dans son recueil de Conseils.

(B) Le Prodrome qu’il publia à Salamanque, en 1686. ] En voici le titre : Notitia conciliorum Hispaniæ atque novi Orbis, Epistolarum decretalium et aliorum Monumentorum sacræ antiquitatis ad ipsam spectantiun, magnâ ex parte hactenùs ineditorum, quorum editio paratur Salmanticæ cum Notis et Dissertationibus, sub auspiciis Catholici Monarchæ Caroli II : studio et vigiliis M. Fr. Josephi Saenz de Aguirre. Salmanticæ, apud Lucam Perez, Universitatis Typographum, 1686, in-8°.

Notez que ce cardinal n’a pas suivi en toutes choses dans l’exécution les idées de son projet. Ceux qui n’auront point les quatre tomes in-folio, qu’il a publiés à Rome, sous le titre de Collectio maxima Conciliorum omnium Hispaniæ et novi Orbis, etc., n’auront qu’à lire les extraits que les journalistes de Leipsick en donnent dans leurs Acta Eruditorum de l’an 1696.

(C) Les extraits qu’en donnèrent les journalistes. ] Messieurs de Leipsick en parlèrent dans leurs Acta du mois de février 1688. L’abbé de la Roque en donna un extrait dans son journal du 13 de janvier 1687. Je m’étonne que ce journal n’ait point paru dans les éditions de Hollande. L’article qui concerne l’ouvrage dont je parle ici est très-curieux : l’on y donne des avis fort adroitement à M. le cardinal de Aguirre, sur ce qu’il a déclaré qu’il voulait garantir pour bonnes plusieurs décrétales que tous les savans jugent supposées.

(D) On l’a cru l’auteur d’un ouvrage fort docte[1] contre les décisions du clergé de France de l’an 1682. ] En voici le titre : Tractatus de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ, continens amplam discussionem Declarationis factæ ab Illustrissimis Archiepiscopis et Episcopis, Parisiis mandato regio congregatis, anno 1682 : Auctore M. C. S. Theolog. Doctore. Leodii, apud Matthiam Hovium, 1684, Superiorum permissu. J’ai lu une préface de l’Abbé Faydit[2], où, entre autres choses, il fait espérer la réfutation des principales maximes du Traité de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ adversùs quatuor propositiones Cleri, imprimé à Liége, et attribué à monsieur le cardinal d’Aguirre, et à monsignor Cazzoni. Et voici comment il parle dans la page 184 : L’auteur du Traité de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ, ou plutôt les auteurs ; car j’apprends qu’ils sont plusieurs qui ont travaillé à cet ouvrage, et que tous les docteurs romains y ont épuisé toute leur science, quoique ce soit un très-médiocre ouvrage : ces auteurs, dis-je, soutiennent, etc. Mais voyons un peu ce que dit l’auteur de la Lettre d’un abbé à un prélat de la cour de Rome sur le décret de l’inquisition du 7 décembre 1690, contre trente-une propositions. « Nous-mêmes[3], dans nos assemblées, nous n’avons pas seulement la liberté de proposer ce que nous jugerions d’avantageux pour notre cause. Vous savez à qui il tient. C’est ce qui a fait qu’un des livres qui aurait dû être plus fortement réfuté par nos théologiens, et même flétri par une censure épiscopale, court la France impunément, et que ceux qui en suivent les sentimens le répandent et en font partout l’éloge, se vantant qu’on n’a osé y répondre. Il me nomma aussitôt le livre de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ, qui est un in-4o., dont l’auteur n’est pas si inconnu qu’il s’imagine. C’est une chose honteuse, continua-t-il, que le clergé de France souffre, sans dire mot, que cet auteur, qui est un religieux Français, enseigne une doctrine que nous tenons tous comme hérétique ; car il soutient tout franc que nous n’avons pas de droit divin notre juridiction épiscopale. » L’anatomie de la sentence contre le père Quesnel m’apprend[4] que le livre de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ fut composé à Rome, à l’instance des ministres du saint siége, et imprimé par leur ordre et par les soins de M. l’internonce de Bruxelles, dans Bruxelles même, quoique sous le nom de Liége. Mais, si le cardinal d’Aguirre n’est pas l’auteur de ce traité-là, il est toujours vrai qu’il a écrit contre les décisions de l’assemblée de 1682. La lettre qu’on vient de citer, me l’apprend d’une manière qui mérite d’être rapportée, afin que mon lecteur sache le jugement que l’on fait en France du livre de ce cardinal : « À peine nos quatre articles eurent-ils paru, ajoute-t-on[5], qu’une foule d’écrivains s’élevèrent pour les combattre ; et à peine s’est-il trouvé quelqu’un en France qui ait pris la plume pour les défendre. Je ne dis pas que les ouvrages qui les combattent soient formidables. Ils font pitié la plupart ; mais ils ne laissent pas de faire du mal dans les pays où l’on est déjà disposé en faveur de la doctrine qu’ils défendent... Et enfin, les récompenses éclatantes dont la cour de Rome sait payer le zèle de ceux qui se déclarent pour elle, donnent du prix et du lustre aux ouvrages les moins considérables et les plus obscurs. N’est-ce pas par-là que le cardinal d’Aguirre est devenu ce qu’il est, de moine espagnol qu’il était auparavant ? L’abbé de Saint-Gal n’avait-il pas été nommé à un évêché, et n’avait-on pas dessein de le faire cardinal[6], pour récompense d’un ouvrage fait contre les quatre articles, aussi-bien que celui du cardinal d’Aguirre ? Au reste, trois ans avant que la lettre d’où ce passage est tiré fût imprimée, on s’était plaint publiquement[7] de ce que les pensionnaires du clergé laissaient le Tractatus de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ sans y répondre. L’Histoire des Ouvrages des Savans nous a appris[8], que l’auteur de ce Tractatus est un prêtre français, nommé Antoine Charlus, réfugié à Rome à cause de la régale. Peut-être le faudrait-il appeler Charlas[* 1] ; car apparemment, il est de la même famille qu’un religieux de ce nom, natif de l’Ile-en-Jourdain[9], mort dans son exil, après avoir souffert plusieurs disgrâces pour les affaires de l’évêque de Pamiers[10].

  1. * La conjecture de Bayle sur ce nom est juste. Joly dit que ce prêtre s’appelait Antoine Charlas ; qu’il était prébendier à Conserans, et mourut en 1698.
  1. Voyez ce qui en fut dit dans les Nouvelles de la République des Lettres, mois de juillet 1685, article I.
  2. Voyez l’extrait d’un sermon prêché le jour de saint Polycarpe à Saint-Jean en Grève, à Paris, imprimé à Liége, en 1689.
  3. C’est un évêque que l’on fait parler, p. 59.
  4. Pages 76, 77.
  5. Lettre d’un Abbé à un Prélat, pag. 55, 56.
  6. Il le fut fait l’an 1696. Il s’appelait Sfondrate. Il mourut quelque temps après.
  7. Dans les Sentimens d’Érasme, publiés à Cologne, l’an 1688, pag. 155.
  8. Dans le mois de mai 1696, pag. 426.
  9. Au diocèse de Toulouse.
  10. François de Caulet.
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