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Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Augustin

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Éd. Garnier - Tome 17
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AUGUSTIN[1].

Ce n’est pas comme évêque, comme docteur, comme Père de l’Église, que je considère ici saint Augustin, natif de Tagaste ; c’est en qualité d’homme. Il s’agit ici d’un point de physique qui regarde le climat d’Afrique.

Il me semble que saint Augustin avait environ quatorze ans lorsque son père, qui était pauvre, le mena avec lui aux bains publics. On dit qu’il était contre l’usage et la bienséance qu’un père se baignât avec son fils[2] et Bayle même fait cette remarque[3]. Oui, les patriciens, à Rome, les chevaliers romains, ne se baignaient pas avec leurs enfants dans les étuves publiques ; mais croira-t-on que le pauvre peuple, qui allait au bain pour un liard, fût scrupuleux observateur des bienséances des riches ?

L’homme opulent couchait dans un lit d’ivoire et d’argent, sur des tapis de pourpre, sans draps, avec sa concubine ; sa femme, dans un autre appartement parfumé, couchait avec son amant. Les enfants, les précepteurs, les domestiques, avaient leurs chambres séparées ; mais le peuple couchait pêle-mêle dans des galetas. On ne faisait pas beaucoup de façons dans la ville de Tagaste en Afrique. Le père d’Augustin menait son fils au bain des pauvres.

Ce saint raconte que son père le vit dans un état de virilité qui lui causa une joie vraiment paternelle, et qui lui fit espérer d’avoir bientôt des petits-fils in ogni modo ; comme de fait il en eut.

Le bonhomme s’empressa même d’aller conter cette nouvelle à sainte Monique, sa femme.

Quant à cette puberté prématurée d’Augustin, ne peut-on pas l’attribuer à l’usage anticipé de l’organe de la génération ? Saint Jérôme parle d’un enfant de dix ans dont une femme abusait, et dont elle conçut un fils. (Épître ad Vitalem, tome III.)

Saint Augustin, qui était un enfant très-libertin, avait l’esprit aussi prompt que la chair. Il dit[4] qu’ayant à peine vingt ans, il apprit sans maître la géométrie, l’arithmétique et la musique.

Cela ne prouve-t-il pas deux choses, que dans l’Afrique, que nous nommons aujourd’hui la Barbarie, les corps et les esprits sont plus avancés que chez nous ?

Ces avantages précieux de saint Augustin conduisent à croire qu’Empédocle n’avait pas tant de tort de regarder le feu comme le principe de la nature. Il est aidé, mais par des subalternes : c’est un roi qui fait agir tous ses sujets. Il est vrai qu’il enflamme quelquefois un peu trop les imaginations de son peuple. Ce n’est pas sans raison que Syphax dit à Juba, dans le Caton d’Addison, que le soleil, qui roule son char sur les têtes africaines, met plus de couleur sur leurs joues, plus de feu dans leurs cœurs, et que les dames de Zama sont très-supérieures aux pâles beautés de l’Europe, que la nature n’a qu’à moitié pétries.

Où sont, à Paris, à Strasbourg, à Ratisbonne, à Vienne, les jeunes gens qui apprennent l’arithmétique, les mathématiques, la musique, sans aucun secours, et qui soient pères à quatorze ans ?

Ce n’est point sans doute une fable, qu’Atlas, prince de Mauritanie, appelé fils du Ciel par les Grecs, ait été un célèbre astronome, qu’il ait fait construire une sphère céleste comme il en est à la Chine depuis tant de siècles. Les anciens, qui exprimaient tout en allégories, comparèrent ce prince à la montagne qui porte son nom, parce qu’elle élève son sommet dans les nues ; et les nues ont été nommées le ciel par tous les hommes qui n’ont jugé des choses que sur le rapport de leurs yeux.

Ces mêmes Maures cultivèrent les sciences avec succès, et enseignèrent l’Espagne et l’Italie pendant plus de cinq siècles. Les choses sont bien changées. Le pays de saint Augustin n’est plus qu’un repaire de pirates. L’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, la France, qui étaient plongées dans la barbarie, cultivent les arts mieux que n’ont jamais fait les Arabes.

Nous ne voulons donc, dans cet article, que faire voir combien ce monde est un tableau changeant. Augustin, débauché, devient orateur et philosophe. Il se pousse dans le monde ; il est professeur de rhétorique ; il se fait manichéen ; du manichéisme il passe au christianisme. Il se fait baptiser avec un de ses bâtards nommé Deodatus ; il devient évêque ; il devient Père de l’Église. Son système sur la grâce est respecté onze cents ans comme un article de foi. Au bout d’onze cents ans, des jésuites trouvent moyen de faire anathématiser le système de saint Augustin mot pour mot, sous le nom de Jansénius, de Saint-Cyran, d’Arnauld, de Quesnel[5]. Nous demandons si cette révolution dans son genre n’est pas aussi grande que celle de l’Afrique, et s’il y a rien de permanent sur la terre.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, seconde partie, 1770. (B.)
  2. Valère Maxime, livre II, chapitre i, numéro 7. (Note de Voltaire.)
  3. Dans son Dictionnaire, au mot Augustin.
  4. Confessions, livre IV, chapitre xvi. (Note de Voltaire.)
  5. Voyez Grâce. (Note de Voltaire.)


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