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Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Oraison

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Éd. Garnier - Tome 20
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ORAISON, PRIÈRE PUBLIQUE, ACTION DE GRÂCES[1], etc.

Il reste très-peu de formules de prières publiques des peuples anciens.

Nous n’avons que la belle hymne d’Horace pour les jeux séculaires des anciens Romains. Cette prière est du rhythme et de la mesure que les autres Romains ont imités longtemps après dans l’hymne Ut queant laxis resonare fibris.

Le Pervigilium Veneris est dans un goût recherché, et n’est pas peut-être digne de la noble simplicité du règne d’Auguste. Il se peut que cette hymne à Vénus ait été chantée dans les fêtes de la déesse ; mais on ne doute pas qu’on n’ait chanté le poëme d’Horace avec la plus grande solennité.

Il faut avouer que le poëme séculaire d’Horace est un des plus beaux morceaux de l’antiquité, et que l’hymne Ut queant laxis est un des plus plats ouvrages que nous ayons eus dans les temps barbares de la décadence de la langue latine. L’Église catholique, dans ces temps-là, cultivait mal l’éloquence et la poésie. On sait bien que Dieu préfère de mauvais vers récités avec un cœur pur, aux plus beaux vers du monde bien chantés par des impies ; mais enfin de bons vers n’ont jamais rien gâté, toutes choses étant d’ailleurs égales.

Rien n’approcha jamais parmi nous des jeux séculaires qu’on célébrait de cent dix ans en cent dix ans ; notre jubilé n’en est qu’une bien faible copie. On dressait trois autels magnifiques sur les bords du Tibre ; Rome entière était illuminée pendant trois nuits ; quinze prêtres distribuaient l’eau lustrale et des cierges aux Romains et aux Romaines qui devaient chanter les prières. On sacrifiait d’abord à Jupiter comme au grand dieu, au maître des dieux, et ensuite à Junon, à Apollon, à Latone, à Diane, à Cérès, à Pluton, à Proserpine, aux Parques, comme à des puissances subalternes. Chacune de ces divinités avait son hymne et ses cérémonies. Il y avait deux chœurs, l’un de vingt-sept garçons, l’autre de vingt-sept filles, pour chacun des dieux. Enfin le dernier jour les garçons et les filles couronnés de fleurs chantaient l’ode d’Horace.

Il est vrai que dans les maisons on chantait à table ses autres odes pour le petit Ligurinus, pour Lyciscus, et pour d’autres petits fripons, lesquels n’inspiraient pas la plus grande dévotion ; mais il y a temps pour tout : pictoribus atque poetis[2]. Le Carrache, qui dessina les figures de l’Arétin, peignit aussi des saints ; et dans tous nos colléges nous avons passé à Horace ce que les maîtres de l’empire romain lui passaient sans difficulté.

Pour des formules de prières, nous n’avons que de très-légers fragments de celle qu’on récitait aux mystères d’Isis. Nous l’avons citée ailleurs[3], nous la rapporterons encore ici, parce qu’elle n’est pas longue et qu’elle est belle.

« Les puissances célestes te servent, les enfers te sont soumis, l’univers tourne sous ta main, tes pieds foulent le Tartare, les astres répondent à ta voix, les saisons reviennent à tes ordres, les éléments t’obéissent. »

Nous répéterons aussi la formule qu’on attribue à l’ancien Orphée, laquelle nous paraît encore supérieure à celle d’Isis :

« Marchez dans la voie de la justice, adorez le seul maître de l’univers : il est un, il est seul par lui-même ; tous les êtres lui doivent leur existence ; il agit dans eux et par eux ; il voit tout, et jamais il n’a été vu des yeux mortels. »

Ce qui est fort extraordinaire, c’est que dans le Lévitique, dans le Deutéronome des Juifs, il n’y a pas une seule prière publique, pas une seule formule. Il semble que les lévites ne fussent occupés qu’à partager les viandes qu’on leur offrait. On ne voit pas même une seule prière instituée pour leurs grandes fêtes de la pâque, de la pentecôte, des trompettes, des tabernacles, de l’expiation générale, et des néoménies.

Les savants conviennent assez unanimement qu’il n’y eut de prières réglées chez les Juifs, que lorsque étant esclaves à Babylone ils en prirent un peu les mœurs, et qu’ils apprirent quelques sciences de ce peuple si policé et si puissant. Ils empruntèrent tout des Chaldéens-Persans, jusqu’à leur langue, leurs caractères, leurs chiffres ; et, joignant quelques coutumes nouvelles à leurs anciens rites égyptiaques, ils devinrent un peuple nouveau, qui fut d’autant plus superstitieux qu’au sortir d’un long esclavage ils furent toujours encore dans la dépendance de leurs voisins.

. . . . . . . . . . . . . . . . . In rebus acerbis
Acrius advertunt animos ad relligionem.

(Lucrèce, III, 53-54.)

Pour les dix autres tribus qui avaient été dispersées auparavant, il est à croire qu’elles n’avaient pas plus de prières publiques que les deux autres, et qu’elles n’avaient pas même encore une religion bien fixe et bien déterminée, puisqu’elles l’abandonnèrent si facilement et qu’elles oublièrent jusqu’à leur nom ; ce que ne fit pas le petit nombre de pauvres infortunés qui vinrent rebâtir Jérusalem.

C’est donc alors que ces deux tribus, ou plutôt ces deux tribus et demie, semblèrent s’attacher à des rites invariables qu’ils écrivirent, qu’ils eurent des prières réglées. C’est alors seulement que nous commençons à voir chez eux des formules de prières. Esdras ordonna deux prières par jour, et il en ajouta une troisième pour le jour du sabbat : on dit même qu’il institua dix-huit prières (afin qu’on pût choisir), dont la première commence ainsi :

« Sois béni, Seigneur Dieu de nos pères, Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, le grand Dieu, le puissant, le terrible, le haut élevé, le distributeur libéral des biens, le plasmateur et le possesseur du monde, qui te souviens des bonnes actions, et qui envoies un libérateur à leurs descendants pour l’amour de ton nom. Ô roi, notre secours, notre sauveur, notre bouclier, sois béni, Seigneur, bouclier d’Abraham ! »

On assure que Gamaliel, qui vivait du temps de Jésus-Christ, et qui eut de si grands démêlés avec saint Paul, institua une dix-neuvième prière, que voici :

« Accorde la paix, les bienfaits, la bénédiction, la grâce, la bénignité et la piété à nous et à Israël ton peuple. Bénis-nous, ô notre père ! bénis-nous tous ensemble par la lumière de ta face ; car par la lumière de ta face tu nous as donné, Seigneur notre Dieu, la loi de vie, l’amour, la bénignité, l’équité, la bénédiction, la piété, la vie, et la paix. Qu’il te plaise de bénir en tout temps et à tout moment ton peuple d’Israël en lui accordant la paix. Béni sois-tu Seigneur, qui bénis ton peuple d’Israël en lui donnant la paix. Amen[4]. »

Il y a une chose assez importante à observer dans plusieurs prières, c’est que chaque peuple a toujours demandé tout le contraire de ce que demandait son voisin.

Les Juifs priaient Dieu, par exemple, d’exterminer les Syriens, Babyloniens, Égyptiens ; et ceux-ci priaient Dieu d’exterminer les Juifs : aussi le furent-ils, comme les dix tribus qui avaient été confondues parmi tant de nations ; et ceux-ci furent plus malheureux, car s’étant obstinés à demeurer séparés de tous les autres peuples, étant au milieu des peuples, ils n’ont pu jouir d’aucun avantage de la société humaine.

De nos jours, dans nos guerres si souvent entreprises pour quelques villes ou pour quelques villages, les Allemands et les Espagnols, quand ils étaient les ennemis des Français, priaient la sainte Vierge du fond de leur cœur de bien battre les Welches et les Gavaches[5], lesquels de leur côté suppliaient la sainte Vierge de détruire les Maranes[6] et les Teutons.

En Angleterre, la Rose rouge faisait les plus ardentes prières à saint George pour obtenir que tous les partisans de la Rose blanche fussent jetés au fond de la mer ; la Rose blanche répondait par de pareilles supplications. On sent combien saint George devait être embarrassé ; et si Henri VII n’était pas venu à son secours, George ne se serait jamais tiré de là.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie. 1771. (B.)
  2. Horace. Art poét., 9.
  3. Philosophie de l’histoire, tome XI, page 69.
  4. Consultez sur cela les premier et second volumes de la Mishna, et l’article Prière, ci-après.
  5. M. Louis du Bois dit que le nom de Gavaches (Gavachos) est un sobriquet donné par les Espagnols aux habitants du Gévaudan, qui vont exercer en Espagne des professions regardées comme viles.
  6. M. Louis du Bois croit que Maranes est connue qui dirait Moresques.


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