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Discours sur la religion/Avertissement du traducteur

La bibliothèque libre.
Traduction par Isaac-Julien Rouge.
Aubier-Montaigne (p. 108-110).

AVERTISSEMENT
sur la traduction et les notes qui l’accompagnent

La traduction vise à être un décalque aussi exact que possible du texte. Ce texte exprime la pensée d’un esprit vif, plus pressé de communiquer ses idées que soucieux de les mettre au met en leur donnant une forme rigoureusement arrêtée.

Il y a dans le vocabulaire bien des à peu près, allant jusqu’à l’ambiguïté, dans la syntaxe bien des négligences, allant jusqu’à l’obscurité, et dans les développements, tantôt des longueurs, tantôt des raccourcis, d’où résulte que précision et clarté laissent souvent à désirer. Le traducteur français est tenté d’atténuer ces défauts, et de mieux mettre en valeur les qualités d’un style souvent diffus et confus, mais en général expressif, d’accent personnel, parfois éloquent. Ce serait agir selon l’esprit de l’auteur, qui a lui-même senti les défauts d’une rédaction trop peu méditée. Le texte, tel qu’il le réédite sept ans plus tard, en 1806, est très profondément remanié, en grande partie complètement refait. Les modifications correspondent le plus souvent, il est vrai, à des changements de nuances dans la pensée elle-même, mais souvent aussi à de simples repentirs de l’écrivain : dans le premier alinéa, de 31 lignes, il y a 18 corrections de cette dernière nature. À noter en particulier, comme effet d’un propos délibéré, le remplacement d’un grand nombre de mots d’origine ou de physionomie étrangère par des mots allemands ; patriotisme ou purisme, le fait est intéressant pour l’histoire de son esprit comme pour celle de la langue.

Cette première rédaction n’en garde pas moins une exceptionnelle valeur, celle que lui donne sa nature d’expression toute spontanée du jeune génie religieux de Schleiermacher. C’est là que celui-ci prend conscience, en les méditant et les formulant, d’idées et de sentiments qui vont renouveler et enrichir dans bien des âmes et des intelligences la conception même de la religion. Il importe en conséquence, non seulement pour l’histoire, mais aussi pour l’étude de l’esprit humain en soi, en particulier de l’esprit religieux, de suivre cette prise de conscience dans ses péripéties, de saisir l’activité de ce jeune génie dans ses hésitations, ses tâtonnements, ses gaucheries, ses répétitions, ses illogismes, ses contradictions, comme dans la vigoureuse affirmation de ses certitudes déjà acquises. Il s’agit donc de ne clarifier et préciser sa pensée et ses sentiments que dans la mesure où c’est possible sans altérer l’ondoiement de leur fluidité, en respectant jusqu’à certaines défaillances de l’expression quand elles trahissent un relâchement de l’effort d’analyse, avec un égal et constant souci de ne pas faire dire à l’écrivain une syllabe de moins, ni de plus, que ce qu’il a su et voulu exprimer. Il m’a semblé bon que, par la citation en note du terme allemand, le lecteur soit averti de l’hésitation possible à l’égard de la signification de certains tours vagues, ou parfois de mois à sens complexe tels que Vernunft, Verstand, Gemüt, Phantasie, Willkür, Gesellschaft.

En somme, l’effet recherché a été que la lecture de cette traduction, très discrètement francisée, autrement dit clarifiée, donne aussi exactement que possible la même connaissance de la pensée de Schleiermacher que l’étude du texte allemand dans une édition critique.

C’est toujours le texte original que j’ai traduit, sauf dans les passages où la négligence va jusqu’à l’incompréhensibilité. Dans ces cas, je me suis conformé à la version préférée, après réflexion, par l’auteur lui-même, mais en prenant soin de toujours prévenir en note de ces substitutions. Très souvent, quand la modification permet de mieux comprendre l’idée ou le sentiment, je la signale également en note. Je le fais assez régulièrement, quand il s’agit de courts remaniements, s’ils correspondent à une autre nuance de la pensée, résultant soit de son approfondissement, soit de son évolution, dont le lecteur meut ainsi se rendre compte.

Le texte que j’ai traduit est celui de l’édition critique publiée par Pünjer en 1879, contrôlée, et parfois corrigée, à l’aide de celle publiée en 1899 par Rudolf Otto, d’après sa reproduction parue en 1913.

C’est d’après l’édition critique de Pünjer, qui donne toutes les variantes, que je cite les modifications les plus significatives apportées par Schleiermacher au texte primitif dans les rééditions de 1806 et 1821. Dans mes notes, a représente l’édition princeps de 1799, b la seconde, de 1806, c la troisième, de 1821.

J’ajoute que si j’ai coupé assez souvent des phrases longues et traînantes, exemple celle de 25 lignes, pages 266-267, j’ai procédé systématiquement de même pour les alinéas, que l’auteur étend volontiers jusqu’à 5 et 6 pages et même jusqu’à 32, cf. pages 55 à 87. L’interlignage n’est pas de lui, je l’ai introduit dans l’intérêt de la clarté de la présentation.

La pagination de l’édition originale est indiquée entre crochets, au commencement de la ligne, approximativement correspondante, de la traduction.

C’est toujours à cette pagination que se rapportent les références au texte. Cela facilitera le travail de ceux qui voudraient pouvoir recourir à la version primitive, dont la pagination, indiquée de la même manière dans les éditions Pünjer et Otto, est celle à laquelle renvoient parfois les exégètes.

Les notes signalent, outre les variantes intéressantes, bien des rapprochements et des faits de nature à guider dans la compréhension et l’interprétation de ces Discours.