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Doutes sur la religion/06

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Anonyme
(p. 22-24).


CHAPITRE VI.

Sur l’inſtruction de Jéſus-Chriſt.


Un Dieu vient inſtruire les hommes ; ce Dieu mene pendant 30. ans une vie obſcure & ignorée, perſonne ne le connoît pour ce qu’il eſt, pas même ſes Compatriotes de Nazareth ; au bout de ce tems il ſe montre & prêche une morale obſcure, qui n’a aucun avantage réel ſur celle des Philoſophes payens, qui avoient avant lui donné aux hommes des préceptes beaucoup plus clairs & tout auſſi sévères ; ce Dieu, prêche comme les Stoïciens la haine de ſoi-même ; il recommande l’amour du prochain, le pardon des injures ; il annonce ainſi que les Théologiens du Paganiſme des récompenſes pour les bons & des châtimens pour les méchans ; les Juifs ennuyés de ſa doctrine dont ils ne ſont rien moins que frappés, lui demandent s’il eſt le fils de Dieu, il leur répond : mond Pere & moi nous ne ſommes qu’un. Ce que je vous dis je ne le dis pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé : mes œuvres rendent témoignage pour moi. Cela ne s’appelle-t-il point biaiſer ? Les Juifs inſiſtent : comment peux-tu te dire plus vieux qu’Abraham ? nous t’avons vu naître, tu es de nos jours, à peine as-tu 40. ans. Au lieu de s’expliquer ſur ſa Divinité & ſur ſon éternité, il répond : Abraham a vu ma gloire, il s’eſt réjoui de ma venue. Les Juifs fatigués de ces détours veulent le lapider.

Jéſus-Chriſt ne dit pas un mot ni de ſa naiſſance, ni de la Trinité, ni des Sacremens, ni du péché originel, ni de l’immortalité de l’ame, ni des choſes qui font la baſe de la Religion des Chrétiens ; il paſſe ſon tems à faire des miracles, qui ſeuls ne ſignifient rien. Après avoir été mis à mort publiquement, il reſſuſcite en ſecret, & ſe tient caché ne ſe montrant qu’à ſes diſciples, tandis qu’en ſe montrant aux Juifs il eût fait ceſſer toute conteſtation ſur ſa miſſion & ſa Divinité.

Enfin après avoir endoctriné les ſiens, de la façon la moins intelligible, Jéſus-Chriſt remonte au ciel ; il diſparoît ſans avoir rempli aucun des objets de ſa miſſion, de ſon incarnation, de ſes ſouffrances : la Religion Chrétienne, qu’il n’avoit fait qu’ébaucher, n’a été perfectionnée qu’après ſon fondateur & par des hommes. Le Concile de Nicée a perfectionné la Divinité de Jéſus-Chriſt ; le Concile de Conſtantinople a perfectionné celle du St. Eſprit. L’unité des perſonnes a été décidée dans celui d’Epheſe : enfin les Sacremens ont été perfectionnés aux Conciles de Conſtance & de Trente. C’eſt dans ce dernier Concile qu’a été arrangé définitivement le dogme de la Tranſubſtantiation, c’eſt à-dire il a été décidé que dans la dernière Cene avec ſes Apôtres, Jéſus-Chriſt a pris ſon corps entre ſes deux mains & l’a donné à manger aux aſſiſtans. En un mot la Religion qui étoit ſortie brute & informe des mains de ſon fondateur, a été façonnée, polie, commentée, éclaircie, élaguée, augmentée par des génies ſublimes, & toujours par des Prêtres intéreſſés à la choſe, que l’on a décorés du titre pompeux de Peres de l’Egliſe.