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Doutes sur la religion/14

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Anonyme
(p. 51-54).


CHAPITRE XIV.

De la néceſſité de la Religion Chrétienne.


Une Religion pour être admiſe doit être néceſſaire au bien de la Société ou à la probité de chaque individu io. Loin d’être néceſſaire à la ſociété elle y nuit.

Elle inſpire de la haine pour tous ceux qui ne penſent point comme nous.

Elle inſpire de la haine pour les richeſſes, ce qui tend à détruire le commerce ce bien commun des nations.

Elle fait conſiſter la perfection dans la virginité & par là détruit la population.

Elle ordonne de fuir les plaiſirs & de ſe rendre malheureux.

Elle ordonne de renoncer à ſes parens, amis &c. ce qui feroit de l’univers un vaſte déſert, peuplé par des hiboux.

En un mot la ſociété eſt fondée ſur la nature humaine telle qu’elle eſt ; or la Religion Chrétienne détruit notre nature telle qu’elle eſt ſans y ſubſtituer une meilleure pour le bien général, donc elle détruit la ſociété.

Si tous les hommes étoient de parfaits Chrétiens, ils ſeraient tous malheureux en cette vie pour être heureux dans l’autre ; or ſi tous les hommes en particulier étoient malheureux, toute la ſociété ſeroit malheureuſe. Il arrive de-là que les Chrétiens ne ſont pas aſſez inſensés pour obſerver leur Religion à la lettre. De-là le petit nombre des Elus, avoué par les Chrétiens mêmes.

Les Chrétiens ſont-ils plus honnêtes gens que d’autres ? non. Epiſtete, Socrate, Marc-Aurele &c. étoient des payens beaucoup plus honnêtes gens que St Jérôme, St. Bernard, St. Grégoire VII. ou St. Ignace.

Une Religion qui expie trop facilement les crimes des hommes eſt très-propre à leur en faire commettre. Le Chrétien a plus de reſſources qu’aucun autre pour appaiſer ſes remords & pour devenir innocent. Rien n’étoit plus facile aux premiers Chrétiens, que de mener impunément la vie la plus criminelle ; ſouvent ils attrapoient Dieu en différant le baptême qu’ils ne recevoient qu’à l’article de la mort. La confeſſion eſt une reſſource bien commode contre les déſordres que l’on a commis.

Si le baptême eût été néceſſaire au ſalut, Dieu eût du l’inſtituer auſſitôt après le péché d’Adam, ſon fils en avoit tout auſſi beſoin que moi. Pourquoi ne pas différer le baptême juſqu’à l’article de la mort, l’expédient n’eſt-il pas plus sûr que la confeſſion qui ne remet les péchés que ſous la condition d’un repentir incertain ?

La Religion Chrétienne nous donne une fauſſe idée de Dieu ; car la juſtice humaine eſt une émanation de la juſtice divine & doit être de la même nature. Or ſuivant la juſtice humaine nous devons blâmer Dieu de la conduite qu’il a tenue envers ſon fils, envers Adam, envers ſa poſtérité, envers les peuples qui n’ont jamais entendu parler de l’Evangile &c.

Les remords des mourans ne prouvent rien ni pour ni contre la Religion, ils ſont l’effet de l’affoibliſſement des organes & de la force des préjugés. Un Turc n’éprouvera aucun remord pour avoir foulé aux pieds la Bible, ni un Chrétien pour avoir profané l’Alcoran. Mettez les deux objets en raiſon inverſe des perſonnes & vous verrez deux hommes au déſeſpoir & également fous.