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Du Système électif en France

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DU
SYSTÈME ÉLECTIF
EN FRANCE.

Avant la révolution de 1830, la royauté, en France, disposait à peu près souverainement du pays. Elle nommait les pairs qui perpétuaient ensuite le titre dans leurs familles par l’hérédité ; elle choisissait, par l’intermédiaire des ministres ou des préfets, les membres des conseils généraux de département, les maires des communes et les membres des conseils municipaux. La chambre des députés était le seul pouvoir qui prît sa source dans l’élection ; encore la combinaison du double vote et la faculté réservée à la couronne de désigner les présidens des colléges électoraux devaient-elles, dans les circonstances ordinaires, annuler le vœu national. Ainsi le budget de l’état était soumis à un contrôle illusoire ; le contrôle populaire n’existait pas pour les budgets des localités.

Le mouvement de juillet a été la conquête par le pouvoir électif de toutes ces positions usurpées ou contestées. La chambre des députés s’est saisie de l’initiative que la Charte de 1814 lui avait refusée ; cette assemblée, qui n’avait pas la faculté de nommer son président ni de proposer des amendemens aux lois, investie par les circonstances d’un mandat constituant, a fait une charte, un roi, une dynastie. La nation entière s’est levée, s’est organisée en bataillons et s’est nommé des chefs pour veiller au maintien de l’ordre nouveau. Ce que la loi n’a pu accomplir sur-le-champ, elle a promis de le faire avec le temps. L’élection est devenue le droit commun. Le pouvoir exécutif a cessé d’être cette force propre qui ne relevait que de Dieu. Il a pris le sang qui lui appartient ; il s’est subordonné à l’opinion publique, cette puissance des sociétés modernes, qu’il représente par délégation.

Le système électif, institué en France par la révolution de 1830, n’est pas l’application rigoureuse du principe, et il ne donne pas satisfaction à tous les intérêts. Mais, tel qu’il est établi à tous les degrés de l’échelle politique, dans la garde nationale, dans les conseils de la commune et du département, enfin dans le corps électoral proprement dit, il forme le plus vaste ensemble d’institutions que jamais un peuple libre ait possédé.

GARDE NATIONALE

La garde nationale, c’est la démocratie armée, avec toutes ses forces et avec les habitudes de discipline qui donnent à ces forces toute leur autorité. Aux termes de la loi, tous les Français âgés de vingt à soixante ans sont appelés au service de la garde nationale dans le lieu de leur domicile réel ; le législateur a excepté de cette obligation les membres des deux chambres, les ministres des différens cultes reconnus par l’état, les militaires des armées de terre et de mer en activité de service, les magistrats qui ont le droit de requérir la force publique, les agens du pouvoir exécutif qui en dirigent l’emploi, les agens subalternes de la justice ou de la police, et les individus flétris par quelque arrêt des tribunaux.

La partie la plus turbulente de cette démocratie, celle qui paraît offrir moins de garanties, les journaliers, les ouvriers, les domestiques ne reçoivent ni armes ni organisation. Ils sont compris dans le cadre de réserve, et ne doivent être requis que dans les circonstances extraordinaires, en cas, par exemple, de guerre civile ou d’invasion. Tous les citoyens imposés à la contribution personnelle et leurs enfans, dès l’âge de vingt ans, sont portés sur le contrôle du service ordinaire ; l’état leur fournit des armes et les incorpore dans des compagnies dont on forme des bataillons, et, dans les grandes villes, des légions. C’est au patriotisme de cette armée civile que la garde de la Charte est confiée.

La garde nationale, étant l’assemblée armée des citoyens, devait élire ses officiers. Le système établi par la loi du 22 mars 1831 combine l’élection directe avec l’élection indirecte. Ainsi, les gardes nationaux de chaque compagnie se réunissent pour nommer directement tous leurs officiers, depuis le capitaine jusqu’aux caporaux ; pour nommer le chef de bataillon, chaque compagnie désigne un certain nombre de sous-officiers et de simples gardes, qui votent communément avec les officiers ; enfin, les chefs de légion et les lieutenans-colonels sont choisis par le roi sur une liste de dix candidats, présentés, à la majorité relative, par la réunion des officiers et des délégués des compagnies. Les grades inférieurs appartiennent, comme on voit, à l’élection directe ; l’élection indirecte concourt avec la nomination royale pour les grades supérieurs.

La loi n’a fait, du reste, que régulariser et confirmer l’organisation improvisée en 1830 par l’élan spontané des citoyens. L’effectif des gardes nationales qui avaient pris les armes était de 3,572,924 hommes avant le 22 mars 1831. Le recrutement de 1832, opéré en vertu de la loi, a constaté que 1,947,846 hommes étaient portés sur le contrôle de réserve, et 3,781,206 sur les contrôles du service ordinaire, ensemble 5,729,052 hommes. L’organisation de la garde nationale se trouvait alors suspendue dans plusieurs communes des départemens de l’ouest ; aujourd’hui le nombre des citoyens inscrits sur les contrôles peut être évalué à six millions[1].

Tous les trois ans, cette immense population, près de quatre millions de gardes nationaux en état de service ordinaire, enrégimentés par compagnies, par bataillons et par légions, se réunissent dans les trente-sept mille communes de la France pour procéder à la nomination de leurs officiers. La société tout entière entre en mouvement. Il y a là un moment d’épreuve où, l’autorité n’étant qu’une candidature et où le pouvoir s’humiliant devant l’élection, on pourrait craindre pour le maintien de la discipline. L’épreuve s’est déjà renouvelée deux fois, et hâtons-nous de dire qu’elle a tourné complètement à l’avantage de l’institution.

C’est assurément une des applications les plus remarquables du système représentatif que cet ordre parfait avec lequel une nation choisit les chefs de la force armée sur tous les points du territoire. Pour apprécier l’étendue des opérations électorales, il faudrait concevoir par la pensée autant d’assemblées qu’il y a de divisions et de subdivisions administratives. Les organisations purement communales représentaient en 1832, pour les villes, 86 légions, comprenant 229 bataillons ou escadrons, et 587 bataillons ou escadrons non réunis en légions ; pour les campagnes, 12,144 compagnies isolées, et 4,026 subdivisions de compagnies ; au total 1,871,073 hommes. Les organisations cantonales ou les associations de communes rurales avaient produit, à la même époque, 54 légions, comprenant 148 bataillons ou escadrons, et 2818 bataillons isolés ; au total 1,823,958 hommes.

En calculant, terme moyen, 20 officiers ou bas-officiers pour 100 hommes, on voit que les élections ont investi du commandement plus de 700,000 citoyens. 700,000 élus supposent au moins 2,000,000 d’éligibles ; or, il s’en faut que la capacité du commandement soit aussi répandue en France. La démocratie possède le pouvoir depuis trop peu de temps pour en avoir appliqué suffisamment les ressources aux progrès de sa propre éducation.

« La loi sur la garde nationale, dit M. d’Argout dans son compte rendu, comprend de si nombreux cadres, de si vastes organisations, qu’il a fallu reconnaître souvent que les capacités pour les grades manquaient en quelques lieux aux nécessités légales. Une institution militaire, qui s’étend à plusieurs millions de citoyens, semble supposer des ressources et une instruction extrêmement développées. Quels que soient les progrès dont le pays peut s’enorgueillir sous ce rapport, il compte des localités où les lumières n’ont pu encore pénétrer ; et s’il est vrai de dire que la bonne volonté n’a manqué nulle part, il n’est pas moins constant qu’il a fallu et qu’il faut encore retarder quelques organisations, à défaut de sujets propres à les compléter. »

On ne saurait contester que la loi n’ait ici devancé, à plusieurs égards, l’état social de la France. Mais la garde nationale est peut être l’institution où cette initiative donnée à la loi sur les mœurs a le plus d’avantage et le moins d’inconvéniens. D’abord, les grades supérieurs ne sont pas en nombre tel que les choix se trouvent forcés ; il y a partout, au contraire, affluence de concurrens. En second lieu, les grades inférieurs n’exigent pas une instruction tellement développée, que les intelligences moyennes n’y puissent parvenir. Or, avant dix ans, les deux tiers des hommes en état de porter les armes auront appris à lire, à écrire et à compter. En France, l’aptitude au commandement et le goût des armes sont à peu près universels ; une race aussi naturellement militaire, qui fournit tant et de si bons soldats, ne manquera pas long-temps de chefs capables et exercés.

La loi sur la garde nationale, qui fait un faisceau de toutes les classes et de tous les intérêts, qui a multiplié les moyens de défense pour le pays et les garanties de sécurité, doit encore devenir, entre les mains d’une administration prévoyante, un puissant instrument de civilisation. Elle continue, par la force des habitudes, cette œuvre d’unification que la conscription avait commencée brutalement sous l’empire ; elle rapproche les citoyens d’une commune, et les communes d’un canton. « Au premier rang des bienfaits de la loi, dit encore le compte-rendu, on doit compter surtout celui de former et de consolider, entre des communes souvent trop fractionnées, ces bonnes relations qui se perpétuent si heureusement parmi les habitans. Des antipathies traditionnelles, des mésintelligences également préjudiciables aux localités qui les subissent, ont déjà disparu dans les réunions militaires résultant des agrégations cantonales. »

Bien que la France soit l’agrégation d’hommes et l’agglomération de territoires la plus homogène du continent européen, le droit d’élection, attribué, dans la même proportion, aux variétés de races et de mœurs que renferme cette contrée, doit produire des résultats qui différent entre eux autant que les localités. La question d’ordre, dans ces multitudes armées, et qui raisonnent leur obéissance, se complique nécessairement de la question d’opinion.

Dans l’est de la France, où la population est plus exposée aux invasions, et où, jeunes et vieux, l’on a contracté des habitudes militaires dans le danger, il reste un levain de traditions révolutionnaires, un culte pour la mémoire de Napoléon, qui fait que, sous un gouvernement pacifique, ces départemens belliqueux seront toujours de l’opposition. Là, les élections ont mis à la tête de la garde nationale des hommes d’action, mal disposés à supporter l’autorité, pour peu qu’elle soit répressive et violente dans sa politique intérieure. Les grandes villes où le gouvernement a dissous la garde nationale appartenaient presque toutes à la frontière de l’est : Beaucaire, Grenoble, Lyon, Châlons-sur-Saône, Colmar[2].

Dans le midi, les opinions, exaltées par le climat, par l’opposition des religions et par des souvenirs de guerre civile, ne connaissent point de milieu. Entre les légitimistes et les républicains, le nombre des partisans du gouvernement actuel paraît comparativement fort restreint. Voici quelle est la distribution des opinions, et par conséquent des forces sociales : tous les grands propriétaires et la masse des prolétaires catholiques, dans les campagnes principalement, sont attachés à la dynastie déchue ; les négocians, les industriels, et généralement la moyenne propriété, appuient la royauté nouvelle ; tous les petits propriétaires, qui forment le noyau de la garde nationale, et avec eux les ouvriers des villes, se rapprochent plus ou moins des opinions républicaines. Il ne faut donc pas s’étonner si les élections de la garde nationale, dans ces départemens, ont porté sur des citoyens peu éclairés et sur des opinions hostiles à la monarchie. Ici encore, nous retrouvons des gardes nationales suspendues ou dissoutes, celles de Perpignan, de Carcassonne, de Castres et de Marseille.

L’ouest a été, pendant plusieurs années, le théâtre de la guerre civile ou plutôt de la chouannerie. On a dû circonscrire l’organisation de la garde nationale dans les villes, et la suspendre dans les campagnes, où l’autorité du gouvernement était imposée, mais non pas acceptée.

Dans les régions du centre et dans les contrées industrieuses du nord, où le système du 13 mars comptait ses plus nombreux et ses plus dévoués partisans, l’esprit de la garde nationale ne ressemble pas davantage à l’opinion des collèges électoraux. Il y a là plus de discipline, des mœurs plus paisibles et des habitudes moins républicaines que dans les départemens de l’est et du midi. Mais l’expression du suffrage démocratique est à peu près la même. La capitale seule fait exception.

La garde nationale de Paris, qui ne diffère pas, par son organisation, des gardes nationales des départemens, s’est élevée, par son caractère autant que par sa position, au rang d’un quatrième pouvoir de l’état. Cette force municipale se compose de quatre vingt mille hommes de toutes armes, équipés et exercés, qui manœuvrent comme des troupes de ligne, et que les émeutes ont aguerris. C’est la seule en France dont le zèle ne se soit pas démenti depuis six ans, celle qui, placée fréquemment entre son devoir et le danger, n’a jamais hésité à prêter main-forte à la loi.

La chambre des députés a fondé le gouvernement actuel, la garde nationale l’a défendu et l’a maintenu. Les hommes qu’elle s’est vue dans la pénible nécessité de combattre ont cherché à la tourner en ridicule ; ces braves citoyens qui, sans examiner de quel côté venait l’agression, accouraient sous les drapeaux de la charte, s’arrachant à leur famille, à leurs habitudes, à leurs intérêts, ont été affublés du sobriquet d’épiciers janissaires. Certes, l’influence de la garde parisienne est grande sur le gouvernement, et il ne tiendrait qu’à elle d’en abuser ; mais elle apporte la plus louable réserve dans ses relations avec le pouvoir. Celui-ci, à force de la craindre, s’étudie à la deviner. Son opposition connue, bien que tacite, a fait avorter plus d’un complot de cour ; et, par exemple, ne lui doit-on pas, en grande partie, le retrait de l’état de siége, ainsi que l’abandon du projet des forts détachés ?

Il faut le dire, la sagesse de la garde parisienne forme l’unique contrepoids de son pouvoir. Ce que le gouvernement est à la capitale, ce que la capitale est au reste de la France, la garde nationale de Paris l’est par rapport au gouvernement. Le jour où elle se prononcerait contre le ministère, le ministère ne pourrait pas tenir une heure ; car on sait désormais, par l’expérience des Bourbons, que le gouvernement qui oserait dissoudre ce corps, irait au-devant d’une révolution. Sans cette barrière inébranlable, le pouvoir exécutif, qui a besoin d’être fort en France, serait tenté de se faire oppresseur. La garde nationale parisienne est la seule réunion de citoyens assez imposante pour lutter contre un pouvoir qui dispose de l’armée.

Pendant que la démocratie des villes est républicaine ailleurs, à Lyon par exemple, à Grenoble, à Marseille, à Montpellier, d’où vient que cette garde parisienne qui comprend tous les contribuables, toutes les professions, toutes les influences, depuis le commerce et l’industrie de détail jusqu’aux artisans de la parole et aux maîtres de la pensée, s’est déclarée en masse non pas seulement pour le gouvernement établi, mais encore pour le système du juste-milieu ? D’où vient que les élections ont exclu les ennemis de la monarchie, et n’ont admis en majorité que les candidats d’opinion ministérielle, et en minorité ceux de l’opposition modérée ?

C’est que la démocratie parisienne, si l’on considère ses lumières et la grandeur de ses intérêts, est relativement au reste de la France une sorte d’aristocratie. Comme elle n’a pas autant de degrés à monter dans l’échelle sociale, elle met au premier rang les idées d’ordre, et subordonne les idées de liberté. Cette grande ville, que l’on regarde comme l’arsenal des révolutions, est bien plutôt un foyer de résistance. Clairvoyante comme elle est, et placée à l’avant garde de la civilisation, elle tient ferme contre toute oppression, soit que l’oppression se présente sous la forme du despotisme, soit qu’elle affecte celle de l’anarchie.

Ajoutons que la garde nationale de Paris, composée principalement de marchands, de chefs d’atelier, et pour trancher le mot, de boutiquiers, répond complètement à la mission qui lui est départie. Elle comprend un nombre d’hommes de parole et d’hommes de main, assez grand pour donner l’élan dans l’occasion ; elle renferme une telle masse d’intérêts et même d’égoïsmes, qu’il devient impossible de l’entraîner et de la passionner autrement que par la raison. La difficulté de l’émouvoir est proportionnée à son immense responsabilité.

CONSEILS MUNICIPAUX.

Après la garde nationale, la plus forte position de la démocratie en France est dans la loi qui organise les municipalités. Ces deux institutions portent la même date ; elles appartiennent à une époque où l’impulsion révolutionnaire de juillet dominait encore le gouvernement, au milieu de la réaction commencée le 13 mars. Le nombre des électeurs créés par la loi municipale égale presque celui des gardes nationaux en activité ; il est, suivant le Rapport au Roi de 2,872,089 citoyens. À ne considérer que la multitude des suffrages, on pourrait croire que le vice de l’organisation donnée aux communes consiste uniquement dans cette prépondérance excessive que doivent prendre les masses ignorantes sur le petit nombre d’hommes qui ont l’avantage de la fortune ou de l’éducation. Mais quand on examine de plus près la structure de la loi, il devient manifeste que, si elle fait descendre trop bas le droit de suffrage dans certains cas, dans certains autres, et comme par compensation, elle le limite à des régions trop élevées ; de sorte que tantôt la commune représente une démocratie brutale, et tantôt une aristocratie bourgeoise dont les intérêts ne se confondent pas entièrement avec l’intérêt général.

La commune est l’image de l’état. Elle a aussi des intérêts à régler et un ordre à maintenir ; une assemblée délibérante, le conseil municipal, qui fait les règlemens et vote le budget ; un pouvoir exécutif, le maire assisté de ses adjoints, qui dispose de la force publique et qui a l’emploi des fonds.

Le maire, magistrat municipal, en même temps qu’il représente la commune, est aussi le délégué de l’état. Il forme le dernier anneau de cette hiérarchie administrative qui s’échelonne du ministre au préfet, du préfet au sous-préfet, et du sous-préfet à l’autorité locale. La couronne nomme les maires, directement dans les communes qui ont 3,000 habitans, et par l’intermédiaire des préfets dans les communes d’une population inférieure ; mais ils doivent être choisis parmi les membres du conseil municipal, nommés eux mêmes par l’assemblée des électeurs. Ainsi la source de tout pouvoir dans la commune, c’est l’élection.

La base de l’élection communale, outre qu’elle est bien plus étendue que l’électorat politique, en diffère sensiblement par l’assiette même du droit. On est électeur parlementaire à l’âge de vingt-cinq ans, électeur communal à vingt-un. Le cens de 200 fr. confère seul le droit de prendre part à la nomination des députés ; en matière d’élections municipales, la capacité forme un titre distinct concurremment avec la richesse, et l’on a égard au nombre des habitans.

Dans quelle proportion le législateur a-t-il admis ces trois élémens ? Les citoyens, les plus imposés au rôle des contributions directes de la commune sont appelés à voter ; voilà le principe. Le nombre des plus imposés investis du droit de suffrage, doit être égal au dixième de la population dans les communes de 1,000 habitans et au-dessous ; voilà pour l’application. Ce nombre décroît proportionnellement dans les communes populeuses : il s’augmente de 5 électeurs par 100 habitans, au-dessus de 1,000 et jusqu’à 5,000 ; de 4 par 100 au-dessus de 5,000 et jusqu’à 15,000 ; au-dessus de 15,000, de 5 par 100 habitans.

Aux électeurs censitaires sont adjoints des citoyens en faveur desquels leurs services ou leurs professions ont créé une présomption de capacité. Les officiers de la garde nationale, les officiers de terre et de mer jouissant d’une pension de retraite, les membres des tribunaux et des sociétés savantes, les médecins, les avoués, les notaires, les avocats, les employés retraités, sont compris dans cette liste d’adjonctions. Une autre exception est faite par la loi, à l’avantage des fermiers ou des métayers, qui entrent au rang des plus imposés, pour le tiers de la contribution du domaine exploité. Enfin, et comme une dernière concession à l’individualité communale, le nombre des électeurs ne peut être moindre de trente[3], bien qu’il y ait des communes au-dessous de 300 habitans.

On s’aperçoit, au premier coup-d’œil, que la loi est faite dans un esprit de défiance à l’égard des populations urbaines, tandis qu’elle traite les populations des campagnes avec une imprudente libéralité. Ces résultats seront rendus plus sensibles par les chiffres que fournit le rapport de M. Thiers, sur les élections municipales de 1834.

Le nombre total des électeurs municipaux a été, comme nous l’avons dit, de 2,872,089, dont 2,791,191 électeurs censitaires et 80,898 électeurs adjoins. L’adjonction des capacités non tarifées par le cens, qui fournit la dixième partie des électeurs départementaux et du jury en France, n’entre que pour un trente-troisième dans le corps électoral des municipalités.

La proportion entre le nombre des électeurs communaux et la population est de un onzième pour tout le royaume, et seulement de un vingt-deuxième pour toutes les communes au-dessus de 10,000 habitans. Mais, si l’on veut avoir une idée exacte des inégalités de suffrages que consacre la loi, il faut prendre les deux extrémités de l’échelle. Les communes de 500 ames et au-dessous, qui sont au nombre de 15,965[4], et qui renferment une population de 4,907,781 habitans (en moyenne 307 habitans par commune), comptent 600,000 électeurs, c’est-à-dire un électeur sur huit habitans (en moyenne 35 électeurs par commune). Les communes de 500 à 1,000 habitans, au nombre de 11,329, dont la population est de 7,989,153 habitans, ont 812,407 électeurs, ou un électeur sur dix habitans.

Les communes de 10 à 20 mille ames, qui sont au nombre de 66, renfermant 927,121 habitans, n’ont que 47,417 électeurs municipaux, ou un électeur sur dix-neuf habitans. La proportion n’est plus que de un sur vingt-deux dans les villes de 20 à 30 mille ames, et un sur vingt-sept dans les villes de 50 à 150 mille ames. Paris enfin, qui est soumis à une législation spéciale, ne compte qu’un électeur sur quarante-deux habitans. Ainsi, la plus misérable commune de France a proportionnellement trois fois plus d’électeurs que les grandes cités, et cinq fois plus que la capitale. La progression naturelle est renversée par la loi. Le droit de suffrage s’étend en raison inverse de la richesse et des lumières. Les départemens les plus pauvres, et, dans ceux-ci, les communes les moins riches, les moins éclairées, comptent le plus grand nombre d’électeurs.

Si la combinaison du cens domine exclusivement dans l’électorat politique, la loi municipale ne tient pas assez de compte de cet élément. N’est-il pas absurde qu’un cens de 15 centimes confère le droit de suffrage dans telle commune du département du Var, tandis qu’il faut payer 175 francs 28 centimes à Rouen et 200 francs à Paris pour être admis à élire le conseil municipal ? Il y a dix-neuf départemens en France où le cens communal descend au-dessous de 1 fr., et douze où il n’est pas de cinquante centimes. La moyenne du cens varie, suivant le rapport officiel :

Dans les communes de 500 hab. et au-dessous : de 2 f. 75 c. à 29 f. 55 c.
501 à 1,000 h. de 5 f. 60 c. à 31 f. 35 c.
1,001 à 1,500 h. de 5 f. 36 c. à 35 f. 32 c.
1,501 à 2,000 h. de 4 f. 20 c. à 38 f. 42 c.
2,001 à 2,500 h. de 4 f. 88 c. à 40 f. 70 c.
2,501 à 3,000 h. de 5 f. 50 c. à 46 f. 48 c.
3,001 à 3,500 h. de 6 f. 00 c. à 38 f. 23 c.
3,501 à 10,000 h. de 7 f. 15 c. à 59 f. 82 c.
10,000 à 20,000 h. de 7 f. 05 c. à 73 f. 16 c.
20,000 à 30,000 h. de 37 f. 87 c. à 82 f. 69 c.
30,000 à 50,000 h. de 42 f. 56 c. à 110 f. 91 c.
50,000 à 150,000 h. de 39 f. 10 c. à 175 f. 28 c.
À Paris le minimum du cens municipal est de — f. c. à 200 f. c.



La loi du 21 mars appelle les plus imposés de chaque commune à l’élection ; c’est le principe, c’est la mesure du droit. Mais, à l’application, il se trouve que tous ou presque tous les imposés votent dans les communes rurales, tandis que les plus imposés seulement, ou plutôt une partie des plus imposés exercent dans les villes la même faculté. L’électorat municipal admet ou exclut, selon les localités, les classes inférieures et les dernières régions de la classe moyenne ; l’ouvrier des campagnes a droit de cité ; l’ouvrier des villes est en dehors de la cité ainsi que de l’état.

Cette inégalité paraîtra d’autant plus choquante que les charges de l’impôt local, qui se répartissent dans les communes rurales proportionnellement à la richesse foncière, se mesurent dans les villes à la population. S’agit-il de fonder une école, de réparer le clocher ou le presbytère, d’entretenir les chemins ; on pourvoit à ces nécessités dans un village par des centimes additionnels à l’impôt direct, et que chaque contribuable acquitte, dans la mesure exacte de ses facultés. Mais une ville n’éclaire, ne pave et ne surveille ses rues qu’à l’aide des fonds prélevés sur l’octroi, de l’impôt sur les marchés et autres redevances dont les classes ouvrières et les petits propriétaires supportent la plus forte part. À Paris, la charge que l’octroi fait peser sur un ménage d’ouvrier ne saurait être évaluée à moins de 80 à 100 fr. ; et ces hommes ne sont pas entendus, n’ont pas de représentans dans le conseil d’une cité qui tire ses principaux revenus de leurs consommations !

À ne consulter que la justice distributive, le nombre des électeurs municipaux devrait donc être relativement plus considérable dans les villes que dans les campagnes. Si la loi dispose le contraire, c’est que le législateur a redouté l’esprit démocratique des grandes cités ; c’est qu’il a vu se dresser devant lui le souvenir menaçant de la Commune de Paris. Il a pu se flatter encore, en rendant le suffrage à peu près universel dans les communes rurales, de retenir facilement cette multitude ignorante et sans passions politiques, sous la dépendance de la moyenne ou de la grande propriété.

La loi municipale porte donc l’empreinte d’une double influence. Elle a été faite dans des circonstances démocratiques, mais avec l’arrière-pensée de limiter le suffrage partout où l’élection, en s’étendant, devait donner la parole à une démocratie vivante et éclairée. Comme il n’arrive que trop communément en France, on a considéré non l’intérêt des localités ni celui de l’état, mais bien l’intérêt de l’opinion qui disposait, pour le moment, de la majorité. On a violemment accouplé, on a fait passer sous le niveau de la même loi les villes et les campagnes, deux civilisations inégales, deux élémens d’un ordre différent.

S’il est une vérité d’observation en France, c’est l’inégalité de civilisation qui existe entre les populations urbaines et les habitans des campagnes. Les villes ont commencé la révolution par ambition des droits politiques ; les campagnes, en haine de la dîme et des droits féodaux. Celles-ci sont profondément révolutionnaires, surveillent d’un œil d’envie toutes les supériorités de fortune, de rang, d’éducation, et ont une soif d’égalité qui les mène quelquefois à l’anarchie ; celles-là mettent la liberté au premier rang, ont un esprit public et recherchent l’exercice des droits politiques, le maniement des affaires, le mouvement des opinions.

Malgré l’unité du système, cette différence éclate d’une manière tranchée dans les élections municipales de 1831 et de 1834 ; le caractère de ces élections a été, dans les villes, un principe d’opposition aux anciennes administrations et au système du gouvernement ; dans les communes rurales, une réaction très vive de la petite contre la grande propriété.

M. Thiers reconnaît ces faits, mais en les atténuant. « Un symptôme, dit-il, remarqué presque universellement, est l’affaiblissement des dispositions jalouses qui, en 1831, avaient éloigné des conseils les citoyens jouissant des avantages de la fortune ou de l’éducation. Sous ce point de vue, la composition des conseils municipaux s’est améliorée. » Et plus loin. « L’influence politique a été nulle dans les campagnes ; mais là, les rivalités locales se sont exercées avec une action assez étendue. »

M. Thiers affirme que, même dans les villes, les opinions n’ont que fort rarement déterminé les choix. La dissolution de plusieurs conseils municipaux, prononcée par le ministre, rend son assertion tout au moins suspecte. C’est ainsi que le conseil municipal de Thorigny (Manche) a été suspendu pour avoir fait à M. Odilon Barrot un accueil digne de son caractère et de sa réputation.

La loi s’est proposé l’impossible et l’absurde, en instituant dans chaque commune un conseil municipal. Au lieu d’organiser la cité rurale et de prendre le canton pour unité, elle a voulu que le moindre village eût son assemblée délibérante et qu’il se gouvernât à l’instar d’une cité. Or, les élémens d’une administration manquent dans la plupart des communes rurales ; elles n’ont ni des lumières suffisantes, ni à défendre d’assez puissans intérêts. La loi veut que tout hameau de 500 habitans et au-dessous nomme dix conseillers municipaux ; or, comment trouver une pareille réunion d’hommes capables d’entendre et d’appliquer les lois, lorsqu’il y a tel village où le maire et l’adjoint ne savent ni lire ni signer leur nom ? On pourrait citer telle commune rurale qui n’a pas dix francs de revenu ; cependant cette commune devra s’administrer sur le même principe que la ville de Paris, qui a 50,000,000 de revenu, richesse que n’égaleraient pas les revenus de toutes les communes rurales réunies.

Précisons ces différences par des faits.

Il y a en France 1,093 communes au-dessus de 3,000 habitans, qui doivent élire, tous les trois ans, 13,000 conseillers municipaux. Ces villes ont une population de plus de 7,000,000 d’hommes, le quart de la population totale ; et ce n’est point exagérer que d’admettre qu’elles sont autant de foyers hors desquels les lumières n’étendent guère leurs rayons. On conçoit que les choix y soient faciles et qu’il y ait presque autant d’éligibles que d’électeurs.

Les 36,000 communes au-dessous de 3,000 habitans nomment, à chaque renouvellement triennal, 207,000 conseillers, ce qui suppose un total de 414,000 membres, et dans le nombre plus de 72,000 maires et adjoins. Si l’on réfléchit que le commerce, l’industrie manufacturière et les professions savantes sont presque entièrement concentrés dans les villes, il devient évident que la loi demande aux campagnes plus qu’elles ne peuvent donner, en les appelant à fournir le personnel représentatif de 35,000 assemblées.

Veut-on connaître l’esprit de leurs délibérations ? Le dernier rapport de M. Guizot sur l’instruction primaire constatait que 13,000 conseils, soit insuffisance de ressources, soit défaut de volonté, avaient refusé de contribuer à l’établissement des écoles communales. La feuille de Cambrai signalait tout récemment plusieurs communes du département du Nord, un des plus riches, des plus peuplés et des plus éclairés, où les conseils municipaux se refusaient à voter des fonds pour l’amélioration des voies vicinales, par la raison que leurs aïeux s’étaient bien passé de routes et de chaussées.

Quant à l’intérêt que les petites communes peuvent avoir à délibérer sur la gestion de leurs revenus, voici un document inédit qui nous paraît propre à éclaircir cette question.

Il y a en France :

3,528 comm. ayant moins de 100  fr. de revenu ordinaire.
6,196 de 100 à 200 fr.
10,091 de 200 à 500 fr.
16,742 de 500 à 10,000 fr.
386 de 10,000 à 30,000 fr.
173 de 30,000 à 100,000 fr.
87 de 100,000 et au-dessus

Que signifie cet appareil de droits électoraux, d’élections, d’assemblées, de délibérations dans les 10,000 communes qui n’ont pas de quoi subvenir au traitement d’un garde champêtre ni aux frais d’un abonnement au Bulletin des Lois ? Et, dans le plus grand nombre des autres, n’y a-t-il pas encore une énorme disproportion entre le but qu’on veut atteindre et les moyens que l’on déploie ? C’est faire jouer un levier pour soulever une paille ; c’est employer toute la science d’Archimède pour déplacer la cage d’un oiseau.

Ce que les villes sont aux campagnes, Paris l’est aux villes des départemens. En fait de richesse et d’intelligence, c’est la même différence de niveau. Dans la discussion de la loi sur les attributions municipales, M. Thiers citait (6 mai 1833) quelques exemples de ce despotisme ignorant auquel mènent, dans certaines localités, les meilleures intentions : « Il est, dans telles communes, des réglemens qui interdisent de vendre du poisson autre part que dans les marchés obligés ; il en est une où la faculté de vendre et d’acheter appartenait exclusivement à 22 familles, et l’administration a dû lutter long-temps avant de parvenir à réformer cet absurde privilége. Dans une des premières villes de France, on interdit à tout individu d’avoir des volailles chez lui le dimanche ; dans une autre, on confisque tout ce qui est vendu hors du marché. Il y a une ville qui a la tyrannie d’exiger que tous ceux qui vendent la viande, soient logés, eux et leurs familles, dans l’abattoir. Sous la législation actuelle, avec notre unité administrative, ces derniers vestiges de la féodalité apparaissent encore ; avec combien de puissance ils renaîtraient de ce système de morcellement ! »

La loi de l’an viii, qui règle encore les attributions des communes, les a placées dans une dépendance complète du pouvoir central. Budgets, emprunts, aliénations, procès, la commune ne peut rien décider par elle-même et sans le concours du gouvernement. Cette centralisation étroite, absolue, annulerait les conséquences de l’élection, si elle devait se perpétuer. Mais en émancipant les communes, il ne faut pas rompre leurs liens avec l’état ; il faut placer auprès d’elles et à leur portée, un pouvoir indépendant qui partage leur tutelle avec l’administration. C’est ce que l’on paraît vouloir faire en ce moment. Déjà la loi sur l’instruction primaire institue des comités d’arrondissement, qui vivifieront l’enseignement dans les communes, et lui imprimeront une salutaire unité. Dans la loi sur les chemins vicinaux, la chambre des députés a introduit une disposition qui donne aux conseils généraux la faculté de désigner les chemins de vicinalité ainsi que les communes qui devront contribuer à les entretenir. En outre, il paraît que la commission qui prépare la loi sur les attributions municipales proposera d’établir des réunions cantonales formées par les délégués des conseils municipaux. Ainsi au-dessus du conseil de la commune, on établit comme des tribunaux d’appel, pensée féconde et qui, si elle était suivie dans ses conséquences, conduirait à organiser la hiérarchie des pouvoirs législatifs.

CONSEILS GÉNÉRAUX.

Jusqu’ici nous avons vu la démocratie maîtresse des avenues de l’état. Nous abordons maintenant les hautes positions du système électif, où le législateur semble s’être proposé de constituer une sorte d’aristocratie. La loi départementale en est la partie administrative, et la loi électorale la partie politique.

La loi qui organise les conseils généraux de département ne porte pas la même date que les autres branches de la hiérarchie élective ; elle n’est pas le produit de la même initiative qui a posé, après juillet, les bases du nouveau gouvernement : à la chambre des députés appartiennent la loi sur la garde nationale, la loi municipale, la loi électorale, la loi sur la pairie ; la chambre des pairs, condamnée à contresigner, par un vote passif, toutes ces conquêtes de la démocratie, s’est réservé de régler, à son image et dans l’intérêt de son influence, l’organisation des conseils généraux.

Dans le projet de loi présenté par le gouvernement, sur cette matière, en 1831, on proposait d’appeler à l’élection des conseils de département : 1o les citoyens inscrits sur la deuxième liste du jury, à raison de diverses capacités admises par la loi ; 2o les plus imposés jusqu’à concurrence du deux-centième de la population, et du centième pour la nomination des conseils d’arrondissement ; 3o les électeurs, payant 200 francs d’impôts dans les départemens où ils se trouveraient en dehors de la liste des plus imposés.

La commission de la chambre des députés introduisit dans le projet plusieurs amendemens qui en modifiaient largement l’économie. Les plus imposés, au lieu de former la liste principale, n’étaient plus qu’une liste additionnelle à celle des électeurs et des jurés. Dans le premier système, le nombre des électeurs départementaux était évalué à 210,000, et à 347,000 dans le second[5]

Le projet du gouvernement voulait que les élections se fissent dans des assemblées cantonales, pour les conseils généraux, comme pour les conseils d’arrondissement. Le projet de la commission établissait des assemblées d’arrondissement pour l’élection des conseils généraux, et pour celle des conseils d’arrondissement des assemblées de canton, qui comprenaient 500,000 électeurs. Dans l’un et l’autre, le mandat devait durer six ans, et les conseils se renouveler par moitié, tous les trois ans.

La chambre des pairs a suivi le système du gouvernement, en l’aggravant. Aux termes de la loi, le conseil général est composé d’autant de membres qu’il y a de cantons dans le département ; l’élection se fait au chef-lieu du canton ; et l’assemblée électorale se compose : 1o des électeurs payant 200 francs de contributions ; 2o des citoyens portés sur la deuxième liste du jury ; 3o des plus imposés dans les cantons qui ont moins de 50 électeurs et jusqu’à concurrence de ce nombre[6]. Suivant les calculs de la chambre des pairs, ce système devait donner 227,000 électeurs[7]. Il y a lieu de croire que le nombre réel des électeurs départementaux est aujourd’hui de 235 à 240,000.

Le corps électoral qui nomme les conseils de département, élit aussi les conseils d’arrondissement. Ceux-ci ont, du reste, une faible importance, et leur seule mission consiste à répartir l’impôt.

Une autre aggravation apportée au projet, c’est la durée du mandat. Des conseils généraux, nommés pour neuf ans, deviennent autant de chambres des pairs au petit pied. Le mandat dure autant que l’homme, et l’élection, dans ce système, est un bail à vie avec l’élu. Ajoutez que, le renouvellement s’opérant par tiers, la majorité ne peut jamais être rompue, et demeure immuable au milieu des mutations incessantes qui renouvellent le corps électoral, ainsi que l’opinion.

Dans le département de la Seine, les listes électorales, soit par le mouvement de la population, soit par la mobilité et la division des fortunes, se renouvellent intégralement tous les dix ans. Chaque année, un dixième des électeurs disparaît, pour faire place à un dixième nouveau. En admettant que la proportion ne soit pas la même pour toute la France, et que le corps électoral, dans les départemens, ne se renouvelle que tous les quinze ans, c’en est assez pour qu’il arrive qu’un conseiller élu, à l’expiration du mandat, ne se retrouve plus en face des électeurs qui l’avaient nommé. Dès lors, le contrôle cesse d’être possible, la responsabilité n’est plus qu’une fiction de la loi.

Pour justifier cette innovation sans exemple d’un mandat de neuf années, le rapporteur de la loi, M. de Barante, disait à la chambre des pairs : « Convaincus qu’il importe surtout de donner au conseil général le caractère d’une institution administrative, nous avons pensé qu’il devait avoir un esprit de suite et de tradition ; qu’il avait à continuer des affaires commencées, des travaux entrepris, des dépenses entamées ; qu’on devait éviter les variations et la vieille habitude française de ne pas finir ce qu’on a commencé, de se dégoûter des projets adoptés avec le plus d’engouement. Il ne s’agit point ici de représenter l’opinion politique d’un département ; l’élection des députés y suffit. »

Sans doute le conseil général d’un département n’est pas une chambre des députés, il ne fait pas les lois ni les ministres ; mais il vote un budget, il prononce sur certains intérêts en vertu du droit que lui ont donné ses commettans. Ceux-ci, qui contrôlent par leurs représentans la conduite de l’administration, ont intérêt à porter le même contrôle sur leurs représentans ; et la réalité du contrôle dépend de la durée du mandat.

Il est difficile de séparer, comme le fait M. de Barante, les opinions politiques des opinions administratives. La chambre des députés s’ingère nécessairement dans certains détails d’administration ; et les conseils généraux, même dans les détails administratifs qui les préoccupent, touchent aux questions politiques par quelques points. L’esprit de suite est nécessaire sans contredit aux conseils de département comme à toute assemblée. Mais on ne voit pas pourquoi cette nécessité se ferait sentir dans le budget d’une province plus que dans celui de l’état ? Et dans tous les cas le gouvernement avait tenu compte suffisamment de ce besoin de traditions en fixant à six années la durée du mandat, et en proposant le renouvellement des conseils par moitié tous les trois ans.

Dans un pays de civilisation récente, tel que la France, où la diffusion des lumières est à peine commencée, il importe de soustraire les élections à l’influence étroite des localités[8]. L’égoïsme de clocher a le champ libre dans ces réunions de famille, pour ainsi dire, où l’on s’élève rarement aux considérations d’intérêt général. Les assemblées de canton présentent les mêmes inconvéniens pour l’élection des conseils généraux que les colléges d’arrondissement pour la nomination des députés. Elles font surnager les notabilités de village, elles placent le représentant du canton en contact avec des passions locales, elles mettent l’élection à la merci tantôt des grands propriétaires et tantôt d’une coalition haineuse contre la grande propriété.

On avait espéré que l’adjonction des capacités vivifierait le corps électoral qui nomme les conseillers de département. Mais le fractionnement des assemblées a neutralisé ce principe de vie. Sous le rapport politique, les conseils généraux sont moins avancés, ou, si l’on veut, moins prononcés que la chambre des députés. Les diverses oppositions y comptent très peu d’organes. Le département de la Seine est peut-être le seul où la majorité des conseillers se trouve plus fortement nuancée que celle des députés. Sur presque tous les points la grande propriété, ministérielle quand elle n’est pas légitimiste, a dicté les choix. D’ailleurs, 17,000 électeurs adjoints sur 235,000 ne donnent qu’un adjoint contre douze censitaires ; et cette proposition n’est pas assez forte pour renverser ou pour modifier les chances des diverses opinions.

À défaut d’une pensée politique ce système électoral a-t-il produit des instrumens administratifs ? Si l’on jugeait les conseils généraux sur l’analyse officielle de leurs votes, on ne concevrait pas une haute opinion de l’institution. Il n’y est question en effet ni des fonds qu’ils ont votés ni de l’attribution de ces fonds ; les documens que publie le ministère de l’intérieur se bornent à indiquer les vœux exprimés par les conseils. Ces vœux embrassent une infinie variété de questions ; bien peu d’assemblées se rencontrent dans les mêmes résultats. Les unes font des représentations sur les dépenses des enfans trouvés, qui vont croissant ; les autres sollicitent la révision de nos tarifs commerciaux ou la réforme de notre code électoral ; celles-ci demandent que l’armée soit employée aux travaux publics ; celles-là réclament des lois d’attributions pour les conseils de la commune et du département ; plusieurs insistent sur la réduction des gros traitemens, sur la réforme des prisons, sur l’amélioration des voies de communication.

Il n’y qu’une chose sur laquelle s’accordent tous ces conseils, c’est à solliciter, chacun pour son département, une plus large part au fonds commun, soit pour achever son cadastre, soit pour réparer ses routes, soit pour améliorer le régime de ses rivières ; en sorte que nul ne voudrait payer au-delà de sa part d’impôts, et que pourtant chacun s’efforce d’obtenir, aux dépens de tout le monde, des largesses plus abondantes du Trésor.

À mesure que les conseils généraux prennent de l’expérience, les vœux tiennent moins de place dans leurs délibérations. Dès 1835, tout ce qu’ils ont pu faire par eux-mêmes, ils ne l’ont renvoyé ni aux chambres ni au ministère ; à la manière des assemblées anglaises, ils ont paru animés d’un esprit pratique, et déterminés à donner satisfaction aux intérêts.

Sous la restauration, les fonds départementaux étaient absorbés par de somptueuses et inutiles constructions ; on bâtissait des séminaires, des palais de justice, des hôtels de préfecture ; les capitaux n’avaient qu’un emploi improductif. Aujourd’hui, un petit nombre de départemens et les moins éclairés conservent seuls cette manie stérile ; la grande majorité des conseils a employé les centimes variables et les centimes facultatifs, en allocations aux routes, au cadastre, à l’instruction primaire. Au-delà des 49 centimes 1/2, alloués par le budget, plusieurs ont voté des contributions extraordinaires pour créer ou pour achever les lignes de grande vicinalité.

Nous ne ferons pas le même éloge des idées économiques qui ont prévalu dans ces assemblés. Pour subvenir aux frais des grands travaux, on a préféré généralement une surcharge d’impositions à un emprunt, bien que ce dernier mode eût l’avantage d’appeler les capitaux étrangers à l’amélioration du sol. On s’est trop préoccupé de la situation fâcheuse de quelques grandes villes qui ne souffrent pas, comme on le croit, pour avoir trop emprunté, mais pour avoir follement dissipé le produit de ces emprunts.

Le caractère des conseils généraux, c’est donc la prudence administrative avec une grande sollicitude pour l’amélioration des intérêts matériels. Ces assemblées ajouteront à la prospérité de la France ; elles feront peu de chose pour sa grandeur. Rien n’égale la défaveur dont les arts et les lettres y sont l’objet. Les conseils agissent comme ces parvenus qui, tout le temps qu’ils amassent péniblement des ressources pour l’avenir, ne songent point à élever des palais ni à les décorer de statues, de tableaux et de meubles précieux.

Entre cent exemples, nous choisirons celui-ci. Dans un département du midi, le président, homme de science et d’honneur, également considéré de tous les partis, avait demandé une subvention de 3,000 francs pour augmenter la bibliothèque publique du chef-lieu. La proposition fut mal accueillie. « Que nous en reviendra-t-il, disaient les représentans des cantons éloignés, à nous qui ne venons à la ville qu’une ou deux fois par an ? » Après de longs débats, le conseil alloua la subvention, mais à la condition expresse que ce vote serait regardé comme une marque de déférence pour le président, et qu’il n’engagerait point l’avenir.

Partout où il existe une assemblée élective, il naît en même temps un journal. La presse et la tribune se répondent ; ce sont les deux termes d’une même nécessité. En instituant les conseils généraux dans tous les départemens, la loi avait interdit la publicité des séances. Les conseils éludent la prohibition en publiant les procès verbaux de leurs délibérations. On tenterait vainement de s’y opposer. Cette publicité est déjà plus qu’un fait ; elle a passé dans les habitudes et a pris racine dans les intérêts. Comment empêcher d’ailleurs les communications qui s’établissent naturellement entre les élus et les électeurs, lorsque ceux-ci ont à demander, et ceux là à rendre compte du mandat ? La publicité est de l’essence des assemblées délibérantes, par cela seul qu’elles ont une responsabilité. Ici, la fermeté des consuls généraux s’est donc exercée à l’avantage du principe ; ils ont fondé la presse départementale qui n’avait auparavant ni mouvement propre ni individualité.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Nous touchons au point culminant du système électif, à cette question qui partage en France les meilleurs esprits : la loi électorale est-elle en rapport avec l’état du pays ? un observateur étranger, M. Bulwer, se prononce pour la négative ; ce qui le frappe, c’est le contraste qu’offre le petit nombre des électeurs, comparé à l’immensité de la population. M. Jollivet, dans un écrit où il compare le système électoral de la France à celui de l’Angleterre, se rejette sur la qualité des électeurs qui lui paraît une meilleure garantie que la quantité. 184,000 électeurs, ce sont, suivant lui, 184,000 votes indépendans, et il insinue, avec une assurance fort peu patriotique, à notre avis, que l’indépendance du suffrage est limitée aux censiaires qui paient 200 francs d’impôt. Examinons :

C’est la Charte de 1814 qui a introduit en France l’élection directe. De 1789 à 1814, l’élection indirecte avait prévalu dans le droit public. Les citoyens actifs[9] réunis en assemblées primaires, désignaient des électeurs qui nommaient à leur tour les députés. La perfection idéale du système se trouve réalisée dans les constitutions du consulat et de l’empire, qui décrétèrent que les électeurs seraient nommés à vie, et qu’ils ne choisiraient plus que des candidats à la députation.

L’élection directe fut un progès[10] ; elle donna au pays la réalité du gouvernement représentatif, dont il avait embrassé l’ombre pendant vingt-cinq ans. Malheureusement, la Charte constitutionnelle posait la limite en même temps que le principe ; pour étendre l’électorat, il fallait briser la Charte et faire une révolution. La fortune de la restauration était attachée à la durée du contrat ; elle ne le comprit pas.

La combinaison du cens à 300 francs avait été calculée pour donner 120,000 électeurs ; mais les dégrèvemens de 1818, 1820 et 1821, ainsi que le morcellement des propriétés, en réduisirent bientôt le nombre. En 1830, l’on ne comptait plus que 94,000 électeurs ; et M. Bérenger, dans son rapport sur la loi électorale, votée en 1831, constatait que, le cens demeurant à 300 francs, 170 colléges ne pourraient pas réunir 150 électeurs.

Il est certain qu’en France la richesse ne s’accroît pas dans la proportion de sa diffusion. La division des propriétés marche plus vite que leur recomposition. C’est ce qui fait que la loi électorale, reposant sur la base d’un cens fixe, a besoin d’être révisée de temps en temps, quand on ne voudrait pas augmenter le nombre des électeurs, et pour prévenir le déclassement des censitaires inscrits.

En 1826, M. de Villèle produisit à la chambre des pairs des calculs faits sur les rôles de plusieurs départemens et sur une population moyenne de 363,560 individus. C’est le seul document exact que l’on possède pour éclaircir cette question. Nous citons textuellement :

« Sur cette population moyenne de 363,560 individus, les rôles de 1815 présentaient 149,311 contribuables ainsi distribués : 116,433 payant moins de 20 francs d’impôt ; 9,616 de 20 à 30 francs ; 9,243 de 30 à 50 francs ; 7,519 de 50 à 100 francs ; 5,625 de 100 à 500 francs ; 578 de 500 à 1,000 francs ; et 302 à 1000 francs et au-dessus.

« Voici le résultat que donnent les mêmes rôles en 1826 : 161,739 contribuables, dont 133,903 paient moins de 20 francs ; 8,985 de 20 à 30 francs ; 7,915 de 30 à 50 francs ; 6,083 de 50 à 100 francs ; 3,649 de 100 à 300 francs ; 580 de 300 à 500 francs ; 411 de 500 à 1,000 francs ; et 206 payant 1,000 francs et au-dessus. »

En dix ans, la diminution des électeurs de chaque classe avait été d’un tiers pour les cotes au-dessus de 1,000 francs, d’un quart pour les cotes au-dessus de 500 francs, et d’un cinquième pour les cotes de 100 francs à 500.

En 1827, il n’y avait plus dans tout le royaume que 40,000 électeurs payant 500 francs d’impôt et au-dessus. Le choix des éligibles au cens de 1,000 francs était circonscrit dans une classe de 15,000 citoyens[11]. Les fonctionnaires de tout ordre formaient le sixième du corps électoral.

10,000,000 de cotes et 123,000,000 de parcelles, tel était le cadastre de la propriété ; 94,000 électeurs composaient toute la nation politique. La plus extrême division était d’un côté, et de l’autre la plus ridicule concentration. Un pareil état de choses appelait une réforme ou une révolution ; c’est la révolution qui est venue.

En 1830, la chambre mit prudemment en dehors de la charte les conditions du droit électoral. Par là, cette question cessa d’être révolutionnaire, et devint une pure affaire de majorité. L’abaissement du cens à 200 francs fut un autre progrès ; progrès incontestable, et qui satisfit d’abord les organes les plus impatiens de la démocratie. Reportons-nous aux circonstances de cette délibération.

Après l’établissement du 7 août, une partie de la majorité législative, préoccupée des services importans que le corps électoral de la restauration avait rendus à la liberté, voulait le conserver tel quel, en le dégageant seulement de la superfétation du double vote, de ce privilége créé en 1820 pour l’aristocratie des plus imposés. Un autre côté de la chambre, plus frappé des difficultés que ce petit nombre de citoyens actifs avait rencontrées et surmontées avec tant de peine dans sa résistance au pouvoir, regardait comme une nécessité démontrée par la révolution de juillet, d’agrandir en France le cercle de l’élection. De ces deux opinions, celle-ci avait pour elle la presse ; celle-là était en faveur à la cour. Pour déterminer l’abaissement du cens, M. Laffitte, alors président du conseil, se vit obligé de déclarer qu’il se retirerait sur-le-champ si le vœu de l’opinion n’était point accueilli. On avait besoin de sa popularité ; le projet de loi fut présenté quelques jours après par M. de Montalivet à la chambre des députés.

Dans le système du projet, la propriété et l’industrie n’étaient plus les seuls indices légaux de la capacité d’élire. Il créait de nouvelles capacités dont il plaçait le signe dans certaines fonctions gratuites et électives, ou dans les professions libérales qui supposaient l’étude et l’instruction ; il substituait le cens relatif ou la combinaison des plus imposés au cens fixe ; et, en l’abaissant progressivement, il doublait le nombre des électeurs. Le cens de l’éligibilité était réduit à 500 francs.

En proposant l’adjonction des capacités, ou de la deuxième liste du jury, le ministre s’exprimait ainsi : « Il y avait, il faut en convenir, quelque chose de trop peu rationnel dans cette faculté donnée par la loi du jury à tous les citoyens éclairés, de pouvoir juger de la vie des hommes, et qui n’allait pas jusqu’à concourir à la nomination de ceux qui font les lois. »

La commission nommée pour examiner le projet n’adopta pas cette combinaison des plus imposés, jusqu’à concurrence du deux-centième de la population ; elle proposa un cens fixe de 240 francs, que l’on présumait devoir donner 191,000 électeurs.

La chambre préféra le cens fixe au système des plus imposés ; mais il fut réduit à 200 francs. Chose remarquable, dans l’ignorance où l’on était des élémens réels d’une telle discussion, la majorité supposait que le cens de 200 francs devait produire 230,000 électeurs. Dans le cas où le nombre des électeurs d’un arrondissement ne s’élèverait pas à 150, la loi appelait pour le compléter les citoyens les plus imposés au-dessous de 200 francs. C’est ainsi qu’il a fallu descendre, dans l’arrondissement d’Argelès (Hautes-Pyrénées), jusqu’au cens de 148 francs, dans celui de Briançon (Hautes Alpes), jusqu’à 128 francs ; et jusqu’à 77 francs dans les arrondissemens de Sartène et d’Ajaccio (Corse).

Aujourd’hui l’adjonction des capacités aux électeurs censitaires serait vivement contestée dans les deux chambres ; mais on ne songeait pas alors à les exclure, et cette exclusion fut le résultat d’un malentendu. L’opposition ayant voté pour l’épuration de la liste, où elle voyait avec regret certaines catégorie de fonctionnaires, la majorité se vengea en rejetant la liste tout entière, à ce cri de ralliement brutal, mais historique : « Enfoncées les capacités. » On ne fit d’exception que pour les membres et correspondans de l’institut, ainsi que pour les officiers en retraite, qui furent admis au droit de suffrage, moyennant un cens supplémentaire de 100 francs.

Depuis cinq ans que la loi du 19 avril 1831 est en vigueur, deux élections générales ont eu lieu ; on peut désormais la juger par ses résultats.

Les listes électorales de 1834 comprenaient 184,216 électeurs. Il ne paraît pas que le nombre des inscriptions ait sensiblement varié en 1835. C’est un peu plus du deux-centième de la population. On remarque une grande inégalité entre les départemens, pour le nombre des électeurs. Ainsi le département de la Seine réunit 16,000 électeurs, la douzième partie du corps électoral, tandis que celui des Hautes-Alpes n’en comprend que 386, la Corse 305, les Hautes-Pyrénées 494, et la Lozère 588. Cette différence n’est nullement proportionnée à celle de la population ; car le département du Nord, par exemple, qui a 6,452 électeurs sur 989,938  habitans, renferme un électeur pour 153 habitans ; pendant que le département du Doubs, qui a 1041 électeurs sur 265,535 habitans, ne donne qu’un électeur pour 255 habitans ; le département de l’Indre a 1092 électeurs sur 245,289 habitans, ou un électeur pour 224 habitans, et le département limitrophe, l’Indre-et-Loire, qui réunit 2,128 électeurs sur 297,016 habitans, compte un électeur pour 138 habitans. Ainsi le corps électoral, tel qu’il est constitué, prend pour base non la population, mais la richesse ; le nombre des députés est calculé au contraire sur la population, de là une contradiction singulière entre les élémens de l’élection. Une grande partie du corps électoral se trouve neutralisée par l’agglomération même des électeurs ; le nombre des nominations est en raison inverse de la richesse qui confère pourtant le droit de nommer. Le département de la Corse a deux députés ; le département de la Seine n’en a que quatorze, bien qu’il renferme cinquante-trois fois autant d’électeurs. Ainsi les villes, favorisées en apparence, sont en réalité sacrifiées aux campagnes ; les lumières et la richesse à la force du nombre, à la population.

Les électeurs ne se montrent pas généralement très jaloux de leurs droits. Soit négligence, soit crainte d’être appelés aux fonctions de jurés, un grand nombre répugnent à se faire inscrire ; et, à Paris seulement, ce nombre est évalué de 5,000 à 6,000, le tiers du corps électoral. Sous la restauration, c’était l’administration qui contestait les droits des électeurs ; ce sont les électeurs qui abandonnent ces droits aujourd’hui, et, sans le zèle de l’administration qui les inscrit d’office sur les listes, le suffrage tomberait par déshérence aux mains du pouvoir.

En 1824 et en 1827, les dix-sept vingtièmes des électeurs inscrits ont pris part aux opérations électorales ; en 1830, au moment où allait se décider la lutte entre la nation et la dynastie, les neuf dixièmes des électeurs ont voté. Suivant un document cité par M. Jollivet, les trois quarts des inscrits se sont présentés en 1834 aux élections. La proportion exacte est celle-ci : 126,333 votans sur 173,165 électeurs inscrits ; 46,832 électeurs n’ont pas donné leurs suffrages, ou 27 sur 100.

Cette différence tient d’abord à ce que, dans un certain nombre de départemens, les électeurs légitimistes s’abstiennent de voter. Quant à l’apathie du corps électoral, elle s’explique par l’homogénéité des élémens qui le composent. La nation politique doit être comme le corps humain, la réunion de plusieurs principes qui se combattent ; partout où un seul principe domine trop exclusivement, il n’y a ni énergie, ni vitalité.

Avant la révolution de juillet, la lutte se passait dans les chambres et dans le corps électoral ; là, les deux partis étaient en présence, l’avenir et le passé : l’un avec les forces du pouvoir, l’autre avec celles du pays. Depuis la charte de 1830, l’ascendant de la bourgeoisie victorieuse est tel dans les chambres et dans le corps électoral, qu’il n’y a pas même la place ni l’occasion d’un conflit ; aussi est-ce dans les rues de Paris ou dans les campagnes de l’ouest que les partis ont livré bataille au pouvoir ? La lutte a été parlementaire sous la restauration, extra-parlementaire depuis la révolution ; ainsi, ce que le gouvernement a gagné en force, le régime représentatif l’a perdu.

Le parti doctrinaire, qui a repoussé les électeurs à 200 fr. tant qu’il lui a été permis d’espérer que le pouvoir continuerait à résider dans la classe des électeurs à 100 écus, et qui, chassé de cette position, défend maintenant contre l’opposition le cens fixé par la loi de 1831, prend avantage de l’incurie politique des électeurs. Suivant lui, la législation a devancé le progrès des esprits, et la France est moins libérale que ses lois. « Quels sont, dit-il, en grande majorité, les électeurs ? De petits propriétaires, des marchands, des cultivateurs, pour qui une journée de travail est une grosse perte ; pour de telles gens, l’exercice des droits électoraux se convertit en un véritable impôt. Le gouvernement n’appartient qu’aux hommes de loisir. »

Il est très vrai que l’exercice des droits politiques, cette participation au pouvoir, impose, comme compensation, une perte de temps et d’argent à ceux qui en sont investis. Mais nous ne voyons pas qu’une telle considération ait affaibli l’ambition de les posséder. Tout le monde sait aujourd’hui qu’il n’y a point de bénéfice qui n’ait sa charge ; les aristocraties du moyen-âge, qui ressemblaient fort peu à ce que l’on appelle les hommes de loisir, payaient en protection, à la société, et de leur propre sang, le pouvoir dont elles jouissaient.

L’ancien régime, en France, enlevait au travail, sous forme de fêtes religieuses, une bonne partie des jours de chaque année. L’exercice des droits politiques, y compris les devoirs de garde national et de juré, est loin d’exiger les mêmes sacrifices ; et d’ailleurs ne faut-il pas des lacunes, du repos dans le travail ? L’homme est-il une machine qui puisse fonctionner sans interruption ?

L’expérience prouve que le dévouement, dans le corps électoral, ne vient ni des plus riches ni des moins occupés. Si l’on se hâte aujourd’hui de faire fortune, ce n’est pas pour avoir le temps ni le droit de veiller au bien de l’état. Les enrichis tendent au repos. Ils veulent jouir en paix de leurs revenus, et échangent rarement, de gaîté de cœur, les soins domestiques contre les soucis du pouvoir.

Il ne faut pas repousser, il faut même appeler l’intervention des gens riches dans l’état. Mais qu’il soit bien entendu que, loin de posséder en propre quelque supériorité dans le maniement des affaires, ils se trouvent généralement destitués de cette force d’ascension qui est le grand titre de la démocratie.

La démocratie en France est maintenant une force régulière également propre à la guerre et à la paix. Elle est initiée aux vertus du gouvernement comme aux mystères de la science ; tout cela est tombé dans le domaine public, au moyen de la liberté de la presse et de l’égale admissibilité aux emplois. Pourvu que l’on ne descende pas au-delà des limites où se sont arrêtées les lumières, on peut donc étendre sans inconvénient le droit électoral.

Une bonne loi électorale est une question de statistique à résoudre. Elle se réduit à savoir combien il y a d’hommes dans le pays, capables de savoir ce qu’ils font en nommant un député. Mais comme la capacité politique n’est pas directement saisissable, on la présume à quelques signes ou garanties, de moralité et d’instruction. La propriété, l’industrie, les professions libérales, voilà les signes de la capacité dans le monde moderne ; et tout système d’élection qui ne les réunira point, péchera par sa base, quel que soit, d’ailleurs le nombre des électeurs. En n’admettant qu’une seule classe dans le corps électoral, l’on crée une nation officielle, une nation dans la nation ; l’on n’obtient, en aucune façon, l’expression politique de l’époque et du pays.

La loi de 1831 est mauvaise parce qu’elle est exclusive. La majorité abaisserait le cens à 150 francs ou à 100 francs, qu’elle ne rendrait pas le système meilleur ; ce serait toujours le même élément. À voir la France de sang-froid, on demeure convaincu que l’opinion des électeurs à 100 francs ressemblerait autant à celle des électeurs à 200 francs, que l’opinion de ceux-ci s’est trouvée ressembler à celle des électeurs à 100 écus. Les intérêts sont les mêmes, ainsi que l’éducation. Étendre le suffrage dans cette direction, ce serait seulement retrancher une injustice de la loi.

La véritable question, la difficulté de la réforme électorale, consiste dans l’adjonction des capacités et dans la proportion de cette adjonction. C’est un nouveau progrès à faire, et qui peut se faire sans révolution ; une éventualité aujourd’hui, et demain une nécessité.

Si l’accession des capacités se bornait à la deuxième liste du jury, on aurait peu gagné à la réforme, on aurait appelé les avocats au pouvoir, et cette classe d’hommes ne l’a que trop envahie. Le véritable signe de la capacité aujourd’hui, c’est l’élection, ce sont aussi les services rendus. Que l’on fasse une conscription électorale des officiers en retraite, des officiers de la garde nationale et des membres des conseils municipaux ; ceux-là concourront utilement avec les censitaires à 100 fr. d’impôt. Le cadre des adjonctions admises par la loi municipale pourrait encore servir de base à la réforme de notre loi d’élection.

Peut-être le moment n’est-il pas venu d’une réforme aussi large. La chambre actuelle ; élue sous l’influence exclusive de la propriété, et qui en reproduit fidèlement les préjugés, voit avec envie les supériorités intellectuelles ; elle les déteste par instinct comme des influences rivales ; elle les redoute dans la personne de la presse comme un quatrième pouvoir. On ne s’aperçoit pas cependant qu’en les mettant ou en les laissant en dehors de l’état, on les rend bien plus redoutables. On ne veut pas les avoir pour concurrens, et l’on s’en fait des ennemis ; en leur interdisant l’ambition légitime de gouverner, on ne leur ouvre d’autre issue que l’anarchie. Ainsi s’explique pour nous l’histoire orageuse des cinq dernières années.

Tel qu’il est, nous le savons, le corps électoral représente encore assez exactement l’opinion de la majorité. La France incline au centre gauche, position vers laquelle gravite le gouvernement. Mais cette harmonie d’opinion entre la majorité des électeurs et celle de la nation n’est qu’un accident révolutionnaire ; ce n’est pas un fait normal. À la suite, comme à la veille de toutes les révolutions, il se forme un courant d’idées irrésistible dans lequel disparaissent les nuances et l’individualité des partis ; peu importe alors le nombre des organes chargés de les traduire et de les faire passer dans les actes du gouvernement.

Mais à mesure que l’on s’éloigne des circonstances impulsives, l’opinion publique émigre sur un autre terrain. Elle prend une assiette plus calme ; son mouvement se ralentit ; elle se répand moins en dehors ; pour la connaître, il faut désormais la chercher et la sonder. De là, la nécessité de constituer un corps électoral assez vaste pour y recueillir toutes ces voix perdues de la foule ; de là aussi l’impossibilité qu’un corps d’électeurs peu nombreux ne se trouve pas lancé tôt ou tard hors de la route suivie par la nation. Or, ce moment arrivera pour la France plus tôt qu’on ne le prévoit, à cause du rôle d’initiative que sa nature sociale la porte à remplir dans les affaires du continent. La majorité ne saurait y persévérer long-temps dans les mêmes traditions ; il lui faut la mobilité d’un gouvernement démocratique ; le gouvernement d’une classe, quelle qu’elle soit, moyenne ou élevée, noblesse ou bourgeoisie, ne lui convient pas.

Sous la restauration, le corps électoral était une espèce de pouvoir intermédiaire entre le peuple et la royauté[12]. La charte l’avait institué pour tenir l’équilibre et pour éloigner tout contact entre ces deux forces qui avaient l’une et l’autre la fierté, disons mieux, la férocité de leur origine exclusive. Mais aujourd’hui que la royauté elle-même est l’expression du suffrage populaire, il n’y a qu’une seule force dans le pays, l’élection. Le corps électoral perd son caractère de neutralité armée ; et dès lors il faut qu’il s’annulle ou qu’il se retrempe largement à la source commune des pouvoirs.

Le plus grand danger qui ressorte de l’état actuel en France, c’est la décadence progressive de l’influence des électeurs. Le corps électoral reçoit l’impulsion, il ne la donne plus. L’époque présente ressemble, par plus d’un côté, au temps du directoire ; on dirait que la partie active de la nation attend un maître, tant elle paraît avoir la conscience de sa nullité. Et, comme le gouvernement ne sent pas en lui ce qui manque à la majorité officielle, il en résulte des oscillations sans fin. Le pouvoir va de la chambre au ministère et du ministère à la chambre, flottant sans se fixer.

La composition de la chambre est l’indice le plus frappant de cette absence d’opinion dans le corps électoral. Elle renferme un bataillon de fonctionnaires publics, en plus grand nombre qu’ils ne se trouvaient du temps de M. de Villèle, dans l’armée des trois cents. On compte dans la chambre 96 magistrats, dont 38 n’ont pas une position inamovible et dépendent du ministère ; 50 membres de l’administration, dont 40 maires ; 47 officiers-généraux, ou officiers de terre et de mer ; 9 aides-de-camp du roi, ou employés de la liste civile ; et 4 membres de la diplomatie. Total : 206 députés, sur lesquels peut s’exercer l’influence de la couronne.

Les avocats et hommes de lettres sont au nombre de 155, les manufacturiers, banquiers, notaires, commerçans, etc., réunissent 45 voix ; il y a 153 propriétaires ou rentiers. Total : 253 membres indépendans par leur position.

Quand les opinions sont classées, et que la majorité sait ce qu’elle veut, ce n’est pas la position des candidats, c’est l’homme que l’on choisit. Mais lorsque les opinions sont incertaines, on se rattache à la position comme à un drapeau. De là l’influence du ministère sur les élections, bien que la majorité des électeurs n’ait pour lui ni haine ni sympathie prononcée.

Indépendamment de cette cause temporaire, la présence d’un certain nombre de fonctionnaires est à peu près inévitable dans une chambre française. En Angleterre, où l’aristocratie des deux couleurs, whigs ou tories, dispose des élections, l’on a compté, dans la chambre des communes : 50 fils de pairs, 52 fils ou frères de pairs, 75 parens ou alliés de pairs, et 82 baronnets. En France, l’aristocratie n’ayant plus de racines dans le sol, l’influence appartient naturellement aux agens du pouvoir ; et qu’importe, si le pouvoir gouverne selon le vœu de la majorité ? Ajoutez que le ministère n’est pas libre de destituer un fonctionnaire député qui aurait voté contre lui. La chambre regarderait cette mesure comme une atteinte portée à son indépendance. Ce sont de ces choses que l’on n’ose qu’une fois.

Allons plus loin, si les fonctionnaires étaient exclus de la chambre, il deviendrait fort difficile de discuter pertinemment certaines questions. Dans un pays organisé démocratiquement, les fonctionnaires ont nécessairement l’avantage des lumières et de l’éducation. On les envoie dans les localités comme des missionnaires de la civilisation ; faut-il s’étonner si les localités les renvoient à la chambre pour défendre les intérêts qu’ils étaient venus étudier, ou régler ?

Il n’y a, selon nous, qu’un intérêt de curiosité à rechercher le nombre des fonctionnaires députés. C’est dans la composition du corps électoral que l’on doit placer les garanties ; les choix seront bons, si les électeurs sont indépendans. Plus le gouvernement a d’emplois et de faveurs à distribuer, plus il est nécessaire d’étendre le droit de suffrage, pour le mettre à l’abri de la corruption et de l’intimidation.

Le gouvernement dispose, en France, de 200,000 emplois, soit dans les administrations, soit dans la magistrature, soit dans l’armée ; et l’on ne compte pas 200,000 électeurs ! Il n’y a qu’un seul acheteur possible dans les élections ; mais cet acheteur a d’immenses moyens de corruption. Dans un pays plus naturellement commerçant, et où la vénalité ferait depuis plus long-temps partie des mœurs publiques, une telle situation serait la ruine du système représentatif. En France, ces trafics d’opinion sont impossibles par un temps de crise ; le patriotisme s’exalte alors, tout électeur devient soldat, et personne, au moment de la mêlée, ne passe à l’ennemi. Mais par un temps de calme, on se laisse tenter ; on se donne plus qu’on ne se vend ; une promesse, une faveur faite à une localité, peut décider alors une élection. Ainsi la corruption ne devient possible que lorsqu’elle cesse d’être un danger public.

Ces capitulations de conscience, quoi qu’il arrive, sont toujours un mal. Elles outragent la morale, et déconsidèrent l’autorité ; or, le gouvernement représentatif ne vit pas de l’obéissance des peuples, mais de leur foi ; et l’on ne croit qu’à la vertu.

Arrêtons-nous à ces dernières conséquences. Nous avons passé en revue toutes les divisions du système électif. Si nous l’avons bien jugé, la démocratie est à la base, et l’aristocratie au sommet. La loi sur la garde nationale et la loi municipale, devancent, à quelques égards, la civilisation de la France ; la loi départementale et la loi électorale sont des mesures d’exclusion, des précautions injurieuses contre lesquelles protestent et l’état des lumières et la division des propriétés. Dans ce système bicéphale, quel est le principe qui l’emportera ? Nous pouvons prévoir le succès ; mais Dieu seul en sait la date et le lieu.

(British and Foreign Review[13]).
  1. L’organisation de la garde nationale avait été d’abord suspendue dans 2,490 communes appartenant à 17 départemens, sur lesquelles 390 étaient autorisées au 25 novembre 1832.
  2. Pendant dix-huit mois, à partir de la promulgation de la loi, 40 ordonnances de dissolution ont été rendues, 11 desquelles ont porté, non pas sur des corps entiers, mais seulement sur une ou plusieurs compagnies d’une commune.
  3. Sauf le cas où il ne se trouverait pas un nombre suffisant de citoyens payant une contribution personnelle. Or, la propriété est tellement divisée en France, que ce cas se présente rarement.
  4. Dans ce nombre sont comprises 7,500 communes, qui comptent, chacune, moins de 300 habitans.
  5. SYSTÈME DU GOUVERNEMENT.

    1o Plus imposés dans la proportion du 1/200 de la population 
    162,000 élect.
    2o Électeurs qui, dans 33 départemens, ne sont pas compris dans la population de 1/200 
    31,000
    3o Jurés non-électeurs 
    17,000
    Total 
    210,000 élect.

    SYSTÈME DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

    1o Électeurs à 200 fr., y compris les électeurs complémentaires 
    168,000 élect.
    2o Jurés non-électeurs 
    17,000
    3o Plus imposés dans la proportion du 1/200 de la population 
    162,000
    Total 
    347,000 élect.

  6. Sur les 2,845 cantons, 1,776 ont moins de 50 électeurs. En voici la nomenclature arithmétique :

    69 cantons n’ont pas 1 électeur.
    97 cantons ont de 1 à 4 électeurs.
    134 de 5 à 9
    159 de 10 à 14
    206 de 15 à 19
    198 de 20 à 24
    217 de 25 à 29
    383 de 30 à 39
    313 de 40 à 49

    Le nombre des cantons qui ont plus de 100 électeurs à 200 fr. n’est que de 255.

  7. SYSTÉME DE LA CHAMBRE DES PAIRS.

    (Rapport de M. de Barante.)

    Électeurs à 200 fr. 
    168,000 élect.
    Jurés non-électeurs 
    17,000 élect.
    Plus imposés 
    42,000 élect.
    Total 
    227,000 élect.

  8. Cette influence de l’esprit de localité est précisément celle que la chambre des pairs a voulu fonder. Le rapport de M. de Barante ne laisse aucun doute à cet égard. « Il nous a semblé que de cette sorte l’esprit de localité, les intérêts communaux avaient plus de chances pour déterminer les suffrages ; que les réunions d’électeurs, étant moins nombreuses, briseraient les combinaisons de majorité et de minorité, les divisions d’opinion qui se seraient formées pour les élections politiques ; la domination des villes ne priverait pas la population rurale de représentans et de défenseurs. »
  9. C’est-à-dire ceux qui payaient une contribution directe de trois journées de travail.
  10. « L’élection directe établit entre les électeurs et les députés des rapports immédiats qui donnent aux premiers plus de confiance dans leurs mandataires, et aux seconds plus d’autorité dans l’exercice de leurs fonctions. Aucun électeur n’a le droit de se plaindre d’une élection à laquelle ils ont tous concouru par leurs suffrages ; aucun éligible n’a le droit de prétendre que, si tous les électeurs avaient été appelés, il aurait été élu. Vainement dira-t-on qu’en faisant choisir par la totalité des électeurs, et dans leur sein, un certain nombre d’électeurs d’élite, qui nommeraient ensuite les députés, on aurait également l’expression de l’opinion et du vœu de tous les électeurs. La confiance et l’approbation ne s’accordent point d’une manière si absolue. Le député élu de la sorte n’aurait obtenu en fait que les suffrages des électeurs qui auraient concouru directement à la nomination ; il ne serait pas le délégué spécial des électeurs qui n’auraient pas été appelés à lui donner leurs suffrages. L’élection directe peut seule faire naître entre les électeurs et les députés cette sorte de responsabilité morale qui garantit la bonté des choix, et dont l’influence va croissant à mesure que ces deux classes d’hommes se connaissent et se lient davantage. » (Manifeste du ministère, Moniteur du 30 novembre 1816).
  11. Division des électeurs suivant le cens en 1827.
    De 300 à 400
    fr. 
    34,594 électeurs.
    400 à 500 17,028
    600 à 600 9,997
    600 à 700 6,379
    700 à 800 4254
    800 à 900 3044
    900 à 1,000 3495
    1,000 à 1,500 8,634
    1,500 à 2,000 3,313
    2,000 à 2,500 1,561
    2,500 à 3,000 832
    3,000 à 4,000 861
    4,000 à 5,000 939
  12. « La société se présente maintenant comme divisée en deux classes, dont l’une, livrée au commerce, à l’industrie, au travail manuel, penche vers les idées républicaines ; et l’autre, en possession des places, des emplois, des dignités, se laisse entraîner vers les principes du pouvoir absolu. Dans cet état de choses, il est évident que, pour éviter un choc et maintenir l’équilibre, la forme de notre gouvernement exige qu’il y ait une classe intermédiaire, une classe politique. » (Discours de M. de Montalembert à la chambre des pairs, 30 mars 1826.)
  13. Il faut louer le British and Foreign Review de la haute impartialité qu’il montre à l’égard de la France, et du soin qu’il met à s’entourer des autorités les plus compétentes, lorsqu’il s’agit de traiter des questions politiques ou littéraires en dehors des mœurs et des habitudes de l’Angleterre. Il serait à désirer que la presse tory montrât la même modération et le même discernement. Bien différent en ceci du Quarterly Review, auquel nous répondons plus bas, le British and Foreign Review s’est adressé, pour les questions françaises, à des écrivains aptes à traiter ces matières, et dont les travaux pourront paraître simultanément à Londres et à Paris.

    (N. du D.)