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Du vert au violet/La Chevelure

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Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 19-20).

LA CHEVELURE



J’aime la Chevelure d’un amour où se mêle un peu d’effroi. Car elle possède une existence à part, une existence étrange et presque terrible. J’ai connu des femmes d’une fragilité inquiétante, dont l’excessive chevelure épuisait toutes les forces, et qui mouraient du poids de leurs cheveux. Et l’on a vu les chevelures des Mortes vivre et s’allonger au profond du tombeau…

Une princesse de légende expira, jadis, dans la fleur pâle de sa virginité. Le roi son père fit ensevelir, en un tombeau de marbre noir, ce divin corps intact qui semblait pétri de reflets de perles et de parfums de roses blanches. Elle y dormit pendant cent ans. Mais un roi poète ceignit la couronne, et, après avoir recueilli les anciennes ballades qui glorifiaient les cheveux ondoyants de la princesse de légende, il fit ouvrir le tombeau de marbre noir, afin d’y retrouver un suprême vestige de toute cette beauté dont le souvenir chantait encore sur les lèvres des hommes.

Ayant pénétré dans le mausolée, il recula, épouvanté et ravi. Car la chevelure de la Morte ruisselait comme un clair de lune merveilleux et illuminait les ténèbres sépulcrales de ses lueurs de cristal et d’argent. Ses blonds froids se composaient de tous les bleus du soir, de tous les verts de la nuit, de tout l’or irréel des étoiles. Et la chevelure enveloppait le squelette d’un réseau fin comme les fils ténus de l’araignée tendus sur la rosée… À travers les âges, la Chevelure immortelle survivait à la vierge dont elle fut la joie et l’orgueil.