Eloge de Blaise Pascal n° 1 - haec scripsit cecinit Vates scripturus plura

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N°1

Éloge de

Blaise pascal



haec scripsit cecinit Vates scripturus plura, sed illum
in medio cursu jussit mors dira silere.

ci dessous est le nom de l’auteur[1].

Aux tems où la liberté faisait éclore le Génie, sous le ciel sans nuage de la Grèce qui sût unir aux exploits guerriers les beaux arts et la philosophie, l’on célébrait également la mémoire de ceux qui défendirent l’état, et celle des sages qui l’éclairèrent. Dans le céramique, au milieu des tombes des citoyens qui avaient servi la patrie, s’élevait une tribune d’où l’on vit Periclès et plus tard Démosthènes faire aux mânes des guerriers ces derniers adieux si touchans chez les anciens et leur promettre au nom de la gloire l’immortalité.

Avec moins d’appareil, les disciples des philosophes racontaient aux peuples l’histoires de leurs maîtres, et la vie de l’homme de bien devenait son plus bel éloge.

Dans nos états modernes, un usage si noble disparut. Lorsque les hommes ne savent que manier le fer, obéir à un maître, et opprimer des misérables, la force et la puissance furent seules demandées à l'esclavage, de fastueuses louanges. La flatterie s'empara même de la chaire évangélique, et pour satisfaire la vanité, le prêtre vint sans honte prostituer les vérités sévères de la religion sur le mausolée des grands, et promettre le ciel à celui que poursuivrait la malédiction de la terre.

Enfin sous un roi juste et bon malgré sa cour, grand dans les fers, chéri de son peuple, et massacré en son nom par leurs ennemis communs, sous louis 16, nos académies brisant les lâches entraves des préjugés, rendirent à nos héros, à nos bons citoyens, à nos auteurs, ce tribut d'éloges que réclamaient leurs cendres.

La patrie sourit à cette institution nouvelle. donnée par une admiration libre, la louange fit palpiter les cœurs généreux. en recommandant de grands hommes à la postérité, elle alluma un saint enthousiasme dans l'âme de la génération xxxxxxx naissante.

C'est pour entretenir ce feu sacré que je viens sous vos auspices rappeller le souvenir de pascal aux lieux qui le virent naître.

loin de moi l'appareil de l'éloquence! Il n'est bon qu'à flatter l'amour propre de l'orateur. je parle d'un homme de génie vertueux. je serai simple et vrai. je dirai quels furent ses travaux, ses opinions, ses amis, et il se montrera tout entier.

lorsque les élèves de Socrate voulurent mettre sa mémoire en honneur, ils se bornèrent à raconter sa vie et ses derniers instants.

première partie

Blaise pascal naquit à Clermont le dix sept juin 1613, à quoi bon dire qu'un roi avait jadis anobli sa famille. Louis xxxxxxx xxxxxxx xxxxxxx ces titres xxxxxxx xxxxxxx xxxxxxx xxxxxxxdont nous sommes si fiers, xxxxxxx xxxxxxx xxxxxxx, la renommée [n'en] tient aucun exemple, lorsqu'elle présente un grand homme à l'admiration de l'univers. mais ce que nous ne saurions passer sous silence, c'est qu'il tient du ciel le bien le plus précieux qu'on puisse demander à la bonté, un père juste et éclairé. ce fut lui qui [forma l'âme] de son fils, et féconda par la vertu le génie de ces talents vastes de ses pensées profondes. il l'avait conduit à Paris dès l'enfance ; là florissaient les arts et les sciences qu'avait fait revivre naguère françois Ier surnommé le père des lettres. alors négligés du trône, le sentiment d'une noble indépendance leur tenait lieu des encouragements de la faveur. on eut dit qu'au milieu de nos dissentions domestiques les âmes vertueuses cherchaient dans l'étude un azile contre la perversité d'un siècle, héritier de toute la corruption d'une cour qui avait joint aux atrocités de la St. barthélémi les infamies de l'isle de caprée.

Pascal se trouva bientôt lié avec ces sages séparés du reste des hommes, et connus du monde par leurs seuls bienfaits. à voir les grandes âmes se pénétrer et s'unir au moment où elles se rencontrent, il semble que créées les unes pour les autres, mais longtems séparées par les accidens de la vie, elles ne font que resserrer des liens que la nature avait formés de [tout] tems.

Ainsi pascal vécut entouré de tous les savans de son époque. au milieu d'eux se formait sa jeunesse. tel platon bégayait ses premières pensées dans le temple d'apollon, ou en se [jouant ?] sur les genoux de socrate.

L'enfance n'existe pas pour le génie. tandis que son père suivant la marche indécise et lente de nos éducations modernes, accablait sa raison sous le poids d'une érudition bavarde, la nature le faisait géomètre et lui révélait ses secrets. à peine Blaise compte-t-il onze ans ; pour contenter une impatiente curiosité, on lui dit que la géométrie considère dans les corps l'étendue, la solidité et le mouvement : dès lors pour lui plus de repos. seul, il médite. une science nouvelle se découvre à pensée ; et comme adam, au jour de la création, imposait des noms aux êtres soumis à son domaine, ainsi le jeune pascal crée la langue destinée à fixer les résultats de ses travaux.

Rival d'euclide, déjà sans le savoir il partageait la gloire de ses plus belles découvertes. lorsque son père est venu le surprendre au milieu de ses travaux, entourée de figures qu'il avait tracées sur le plancher de sa chambre, il achevait de se démontrer la trente deuxième proposition du géomètre grec. à ce spectacle son père s'étonna. osant à peine en croire ses yeux, il a rassemblé ses amis : tous restent confondus. dès lors blaise est admis à leurs assemblées, et ces vieillards respectent dans un enfant un de ces modèles extraordinaires destinés à éclairer la terre, et qui n'apparaissent que de loin en loin dans la suite des siècles.

Adopté par eux, il dressait son âme sur la leur; et chaque jour leur soumettait des idées vastes, des théories neuves, qu'il semblait trouver comme d'inspiration, et que l'expérience démontrait justes.

ainsi ils le virent tout à tour leur offrir une théorie des sons, un traité des coniques qui étonna Descartes lui-même. plus tard parut cette machine arithmétique dont la conception seule effraie l'intelligence.

Tandis que les métaphysiciens cherchent dans les rapports des nombres, ces idées purement intellectuelles, qui leur semblent l'évidente démonstration d'une substance immatérielle qui réside en nous; tandis que fâchés en quelque sorte de voir les animaux raisonnables dans leurs instincts sensibles dans leurs affections; ils considèrent comme l'apanage exclusif de l'homme, une science dont les combinaisons vont se perdre dans l'infini; pascal a formé le projet de commettre à une machine le soin de ces opérations pénibles, dans lesquelles échouent souvent la sagacité et la contention de l'esprit. ô merveille! la disposition de quelques cylindres, déterminée par un certain nombre de tours donnés à une manivelle, offre les résultats du travail opiniâtre de la pensée.

Et cependant loin que l'impie pûsse triompher de cette invention extraordinaire qui semble donner l'intelligence à la matière, elle ne sert qu'à augmenter ce respect religieux que l'homme doit avoir pour lui-même. cette machine si belle est inerte et vaine sans la main qui met en jeu ses rouages, en sorte qu'elle n'offre qu'en mouvement la [pensée] de cette puissance de la volonté humaine à qui dieu semble avoir remis une partie de son empire sur le monde. par la haute idée de ce qu'il peut, elle ramène l'homme au souvenir de sa céleste origine.

La belle table des multiplications connue sous le nom d'abaque, d'une simplicité grande, d'une utilité générale, des travaux immenses du philosophe de crotone seul débris que le torrent des âges ait porté jusqu'à nous, servit de base à l'invention de la machine arithmétique. et sans doute ce doit être aux yeux des hommes une belle association de gloire que celle de pittagore et de pascal.

Cette découverte porte sa réputation dans toutes les parties du monde civilisé. à cette époque de grands malheurs des découvertes sans nombre, la communication rapide de la pensée par le xxxxxxxsecours de l'imprimerie, répandait dans les esprits cette inquiétude vague, cette indépendance de l'opinion, qui déterminent les grandes époques de l'esprit humain. déjà bacon renversant l'édifice informe de nos sciences indiquait comme seuls moyens de le rétablir sur des bases certaines, l'observation, le calcul, l'expérience. marchant sur les traces de copernic, qui avait fait revivre l'ancien système des chaldéens, galilée prouva le mouvement de la Terre; et prêt à descendre dans la tombe, se vit traîner dans les fers, pour avoir dit aux hommes une vérité qui choquait leurs préjugés.

À sa suite s'avançaient roberval, toricelli, kléper, huygens, vassis/vallis, néper qui dressa le premier ces tables logarithmiques destinées à faire oublier la belle découverte de Pascal, tout en la faisant apprécier davantage. dans leurs investigations profondes ils semblaient prêts à ravir à dieu le secret des lois à l'aide desquelles il gouverne le monde.

Parmi eux l'on remarquait descartes, célèbre aujourd'hui par ses erreurs; mais qui par sa méthode hardie, renversait les vaines doctrines fondées sur l'autorité, rendait à la raison de l'homme ses droits, et changeait des dogmatistes obscurs en observateurs exacts de la nature. les liens d'une estime mutuelle unissaient ces grands hommes. par leurs correspondances, ils mettaient en commun le résultat de leurs recherches, afin de hâter la marche des sciences qu'ils exhumaient des ruines savantes qu'avait laissées l'antiquité. pascal par ses travaux, venait de se placer parmi eux; ils surent l'apprécier; c'est à dire aussi qu'ils l'aimèrent, car dans les grands cœurs l'amitié est toujours sœur fille de l'estime.

De même que dans cette grèce, source éternelle de souvenirs pour l'homme sensible qui étudie l'histoire de l'esprit humain, l'on avait vu le génie voyageur venir demander une hospitalité sainte aux solon, aux thalès, et chercher dans la société de ces mortels illustres les inspirations subites, les idées sublimes que de grandes âmes, mises en présence, réveillent les unes dans les autres; ainsi des hommes qui par leur renommée n'étaient étrangers à aucuns lieux du globe, se réunirent bientôt à paris, désireux de s'asseoir au milieu de la réunion

imposante de sages qu'offrait alors cette cité. ils venaient apprendre à aimer ceux auxquels ils avaient déjà voué cette admiration franche que la médiocrité seule refuse aux génies. ce rassemblement n'est point une fiction. voyez les tablettes chronologiques de lenglet du fresnoy

Quel spectacle majestueux! hobbes, boyle, stenon, [oldembourg], leibniz, descartes, entourés des fermat, des mersenne, des pascal.

leibniz parlant d'enthousiasme, et comme cédant à une impulsion céleste, semble dévoiler les conseils de l'éternel. l'on dirait que platon lui a légué son génie. il y a du dieu et dans la doctrine et dans ses expressions au dessin de l'homme.

Plus calme dans ses discours, descartes apprend à ceux qui l'écoutent, comment il fut effrayé des ruines de l'intelligence humaine et comment il se proposa de la reconstruire. il leur dit sa joie, lorsque les premières études qu'il fit de la nature à l'aide de son doute méthodique lui révélèrent l'éternelle existence de dieu; et lorsque venant à s'étudier lui-même, la pensée l'avertit de la présence de l'âme et de son immortalité.

Hobbes voulut aussi soumettre ses opinions à ces hommes vénérables. sappant les fondemens de la morale universelle, il sembla borner nos espérances à cette vie. il voulut substituer aux remords vengeurs qui assiègent la conscience du méchant la seule crainte des lois humaines qui laissent en repos le scélérat caché. exilant cette justice immuable que le ciel envoya sur la terre pour rassurer la vertu contre les iniquités de la force, il mit à sa place la volonté des puissans. il parlait en triomphateur. ses vertueux auditeurs furent consternés, et gémirent de voir le talent préconiser l'immoralité.

Pascal, jeune encore, s'indigna, et se promit d'être un jour le vainqueur des doctrines saintes qu'avaient attaquées le philosophe anglais. mais alors entraîné par la soif de cette gloire que lui prophétisaient les sciences, il remit ce projet à d'autres tems, et offrit à l'admiration de ses illustres amis un résultat nouveau de ses doctes combinaisons, son triangle arithmétique. ce serait à cet homme divin qui jadis chanta d'une voix si mélodieuse les harmonies des nombres, à nous enseigner les propriétés admirables de ce triangle. par lui la solution d'une foule de problèmes, que l'on avait cru jusqu'ici presqu'inaccessible à notre intelligence, se présente comme d'elle-même. tandis que les savans vérifiaient ces calculs, étudiaient ces progressions, et les rapports infinis que leur avait dévoilé pascal; impatient celui-ci reprenait sa course, et poursuivait déjà des vérités nouvelles.

Une seule idée vint l'occuper, qui fécondée par ses méditations, allait agrandir la sphère de nos connaissances.

Naguères pendant que galilée devenu l'oracle de l'italie, vivait paisible à florence entouré de respect et d'amour, on s'était aperçu que l'eau refusait de s'élever dans les pompes au-dessus de trente-deux pieds. aussitôt, l'explication de ce phénomène fut demandée à l'illustre vieillard. croyant l'honneur de la philosophie intéressé à une solution prompte, il répondit à regret avec l'école, que la nature n'abhorre le vuide que jusqu'à ce degré d'élévation; et mécontent de sa réponse, il mourut en recommandant à Torricelli son disciple d'en demander une plus exacte à la nature. celui-ci s'étayant de l'expérience parvint à soupconner la pesanteur de l'air, mais la mort le rejoignit à son maître avant qu'il eût pu fixer sa découverte, et la prouver.

pascal succéda à sa pensée; toutefois il lui fut donné d'y ajouter encore, et de se l'approprier en quelque sorte, par l'ordre de chose auquel il l'appliqua.

Torricelli en voyant deux liqueurs de pesanteur inégale, s'élever à des hauteurs inégales dans deux tubes de même proportion, en avait conclu la pesanteur de l'air. pascal supposa l'air divisé par tranches, de telle manière, que la densité allât en diminuant de tranche en tranche, jusqu'à une hauteur qu'il ne pouvait encore que soupçonner, et ou devait finir l'atmosphère.

Les lieux où s'écoulèrent ses premières années offraient un champ propre aux expériences qui allaient répondre à tous ses doutes. il écrit à perrier son beaufrère. par son ordre celui-ci gravit sur nos montagne un tube garni de mercure, voilà le seul instrument avec lequel il marche à une des conquêtes les plus importantes que l'homme ait faites sur les obscurités de la nature. étalez guerriers la pompe homicide de vos années, des combats nouveaux feront oublier les vôtres. les misères, le meurtre, l'incendie, vous ont fait l'effroi de votre siècle, et ont semé le bruit de votre nom au sein des peuples désolés: mais la tombe engloutit et vous et vos triomphes; et voilà que la victoire paisible d'un savant ami de l'humanité, lui assure à jamais une place dans l'estime et la reconnaissance de la postérité.

Aujourd'hui le monde entier lui rend justice. tel est l'éclat de sa renommée, qu'il s'est répandu même sur le lieu, témoin de ses expériences, et lorsque des considérations politiques firent perdre à son pays natal cet antique nom d'auvergne auquel se rattachaient de si grands souvenirs, on ne crut pouvoir mieux le consoler, qu'en lui donnant celui d'une montagne destinée à perpétuer la mémoire d'une de ces tentatives glorieuses par lesquelles le génie s'associe au secret de la divinité.

quels immenses résultats offrait à l'homme la connaissance qu'il venait d'acquérir. déjà on eut pu entrevoir cette théorie des aérostats qui devait nous faire entrer en partage des domaines de l'aigle, et ouvrir dans les airs, un champ nouveau à la navigation. l'invention du baromètre, le sistème raisonné de l'équilibre des liqueurs se présentaient comme conséquences du grand principe de la pesanteur de l'air.

pascal les approfondit. il semblait prêt à explorer toutes les branches de sa découverte, lorsque tout à coup il s'arrêta.

Averti par les souffrances que son corps s'en allait en ruines, qu'il faudrait bientôt quitter cette vie, et ces occupations vaines, il considéra la science, et elle lui parut bien peu de choses, lorsqu'elle ne s'applique pas aux besoins des hommes, et à l'allégement de leurs peines, et il n'y vit plus qu'une de ces pompeuses chimères dont se berce un esprit malade, qui croit, à force d'orgueil se faire illusion sur le vuide de ses œuvres. plus qu'aucun autre il le sentait, lui qui rabaissait au néant toutes les plus belles pensées de l'esprit devant une bonne action du cœur. alors popularisant son génie, il devint l'inventeur de deux machines également utiles aux pauvres, la brouette du vinaigrier, et le bacquet qui dans les chargemens épargne à l'ouvrier des opérations pénibles et souvent dangereuses.

Heureux de s'être acquitté envers la société, en lui présentant un résultat de ses travaux utiles aux misérables, il employait les derniers efforts d'une ardeur prête à s'éteindre, à sonder les abysses de l'éternité, et cherchait à se faire oublier du monde, lorsque les savans attribuèrent sa piété à l'affaiblissement de son esprit. pascal l'apprend, les défie, trouve comme en se jouant la solution du problème célèbre de la cicloïde; après avoir partagé la gloire des plus belles découvertes de son siècle, pose la borne où ses contemporains s'arrêteront dans la carrière des sciences, et ne se console de son triomphe qu'en pensant qu'il honore la religion.

Héritier des tems qui ne sont plus, en s'écoulant son âge légua au nôtre des principes féconds et nous en avons fait jaillir d'immenses résultats. on ne s'est plus borné à explorer la nature, on a plié les élémens à l'esclavage de l'homme. que tant de puissance ne nous fasse pas oublier ceux qui en jettèrent les fondemens, un archimède, un descartes, un newton, un pascal!

Lorsque le citoyen heureux d'un grand empire, parcourt ces galeries où la magnificence des rois a rassemblé les statues de tous ceux qui furent utiles au genre humain, il s'incline devant antonin, marc-aurèle, henri IV, louis XVI; mais si le buste des orphée, des cécrops, vient à frapper ses regards, il s'agenouille devant eux, et rapporte à ces hommes divins, qui les premiers apprirent aux mortels à connaître les lois, tout le bonheur que de bons princes ont fait goûter à leurs peuples.


Seconde partie.


Il nous reste à considérer pascal comme littérateur. ⁁et comme moraliste. mais qu'il nous soit permis d'abord de jetter un coup d'œil sur l'histoire de la langue qu'il perfectionna. c'est le seul moyen de bien apprécier et ses travaux et l'influence qu'il eut sur son siècle.

Mélange de tous les dialectes des conquérants de la gaule avec le langage des vaincus, le français suivit la fortune de ses créateurs. banni du domaine de la science par l'église, qui longtems conserva seule le dépôt des connaissances humaines, il prit les formes naïves, la franchise et la précision qui conviennent à l'idiôme d'un peuple partiellement loyal. ce caractère s'altérait-il? la langue s'en ressentait. ainsi noble et ingénue dans la bouche des preux qui conquirent la palestine, elle fut raide et farouche sous louis XI.

La cour de françois premier lui donna le ton de l'aisance et de l'urbanité. alors calvin dans son livre de l'institution chrétienne sembla prêt à la fixer. sa manière est correcte, sa phrase court toujours au but, point de mots affectés; souvent même il invite l'onction touchante des écritures. nos guerres civiles arrêtèrent ces progrès.

Un certain air d'originalité, des saillies, un abandon tout naturel, des tournures bizarres qui paraissent autant de bonnes fortunes de l'esprit, du style de chaque auteur de ce tems, comme un langage à part dû à l'inspiration de l'âme, mais affranchi de toute règle ce fut ce qui distingua montaigne, qui se laissant aller à la pensée, appelait à lui le langage, et le traitait comme un valet qui se doit plier à tous les caprices du maître.

Amyot au même tems montra dans tout son lustre la naïveté gauloise, et dans sa traduction de plutarque, sembla un bonhomme qui s'étudie à égayer la gravité d'un autre bonhomme.

La poésie fit reparaître la première ces formes élégantes et pures négligées depuis le réformateur calvin.

Malherbe soumettant toutes ses inspirations aux règles les plus rigoureuses de la sintaxe, sembla en quelque sorte le poète de la grammaire, et amena une révolution dans la langue.

Bientôt balzac donna du nombre et de la cadence à la parole. doué d'une oreille délicate et sensible, il sacrifia tout à l'harmonie, jusqu'au convenances de son sujet. et toutefois telle était la douceur de son style que son siècle s'y laissa entraîner, et porta jusqu'aux nues l'homme qui venait de découvrir une source de voluptés nouvelles. il parlait si bien, sa voix était si mélodieuse qu'il n'est pas étonnant que l'on n'ait pu en le lisant, récuser ce jugement de l'oreille que quintilien appelle le plus superbe de tous.

Voiture montra bientôt après comment sans se dégrader, la langue pourrait descendre de cette pompe majestueuse à l'[enjouement] et à la familiarité.

Malgré ces progrès, il était à craindre que des accidens imprévus ne la fassent rétrograder. car ce n'était après tout que des bagatelles brillantes que Balzac et Voiture offraient à leurs contemporains; et pour fixer le sort d'une langue, il faut qu'elle soit clouée aux ouvrages d'un homme de génie.

Heureusement, pascal avait déjà conçu le plan de ses Provinciales immortelles. là devaient se rencontrer tous les genres de styles, et surtout cette élégante simplicité qui porte la clarté dans tous les sujets qu'elle traite. son ouvrage en devint le plus parfait modèle, et donna la première idée de cette manière de dire tout à la fois noble et familière, qu'aucune nation n'avait pu saisir depuis les athéniens et que j'appellerai volontiers l'atticisme français.

ô vous que vénère le monde, vous qui sûtes prêter à la vertu les doux accents de l'éloquence; génies heureux de la grèce et de rome, cicéron, socrate, interprètes des doctrines d'une philosophie sainte chez les deux nations les plus sages qu'ait encore admiré la terre, du sein de la tombe, prêtez l'oreille! un genre homme s'élève qui mêlant ainsi que vous dans des discours le sel de la raillerie à l'expression forte de la vérité; rappelle son siècle à la vertu, en empruntant aux vices les armes avec lesquelles il le combat. à en juger par son style tour à tour sévère et plein
caustique et léger, par les questions qu'il adresse à ses adversaires, et les concessions qu'il leur fait pour les enchaîner ensuite par la force et le nombre des conséquences qu'il tirera de leurs réponses, et les réduira ainsi au silence, il est un de vos disciples.
Mais comme je me félicitais de voir naître en lui un successeur de l'académie il a pris une direction nouvelle. jadis vous enseignâtes à l'homme toute la sagesse de l'homme, et par le poids de vos peuples vous fîtes disparaître son insuffisance aux yeux du vulgaire. aujourd'hui c'est au nom de l'éternel que parle pascal. appuyé sur cet évêque célèbre d'hippone dont le cœur était tout amour, et sur le démosthènes de l'[afrique], tertullien; ses paroles semblent une continuation de leurs enseignemens sublimes.
Avec quel profond dédain, quelle dérision amère, il foule aux pieds cette
morale humaine, qu'on a voulu déguiser sous les formes sévères de la morale évangélique. s'il a excité le rire de l'indignation et du mépris, en signalant les turpitudes de ces chrétiens pusillanimes, qui croient pouvoir sacrifier sans crime à l'idole du monde, sur les autels même du dieu vivant, à quelle hauteur n'élève-t-il pas ensuite l'âme; lorsque l'ayant dégagé de ces liens misérables qui l'attachaient aux choses humaines et la laissaient indécise et flétrie au milieu des tribulations; il lui montra au sein de dieu, l'éternelle vérité source de tout bien, de toute paix, et destinée à être à jamais l'objet de ses contemplations. de quelle force nouvelle il entoure le cœur du chrétien, comme il l'anime à la défense de la vertu en brisant toutes ses hésitations contre l'espérance d'une autre vie.


Pourquoi faut-il que ce chef d'œuvre de pascal nous rappelle de tristes souvenirs. ah! sans doute on ne demandera point ici l'histoire de ces longues distractions auxquelles les ouvrages d'un homme humble d'esprit et de cœur servirent de prétexte. on accusait pascal et ses amis de voiler du manteau du christianisme, une doctrine qui aurait eu quelque chose de cette croyance déplorable d'un destin de fer que s'étaient infligée les stoïciens sans décider de la vérité de cette imputation. qu'il nous soit permis de remarquer que les défenseurs de jansen, ainsi que les disciples de Zénon, semblèrent vouloir expier à force de vertus, les conséquences désespérantes de leur système.

Amis de dieu et des hommes, ils vivaient soumis à l'église, fidèles à leur roi, connu du pauvre par leurs charité, de la jeune foi par leurs doctes et sages leçons, du monde par des talens consacrés à la défense de la religion. Cette douce paix fut troublée.

Un ministre auquel la finesse de vue tenait lieu de génie, flexible à tout, mais prompt à se redresser après l'orage, habile à dissimuler, toujours prêt à la vengeance, lorsqu'il se crut sans péril, dans le fond de son cœur faisait un crime à port royal, de conserver de l'amitié pour un proscrit malheureux et répentant, mais jadis son rival fortuné, le cardinal de retz. il eut l'air de se laisser aller aux sollicitations des jésuites, prêta à l'intolérance le glaive de la loi, rendit pascal malheureux, et arracha à son indignation les provinciales, fit célèbre et puissante une querelle qui sans l'intervention du pouvoir, se fut ensevelie dans la poussière des écoles.

Triste spectacle, qui eut arraché des larmes à ceux même qui dans leur cœur souhaitaient la ruine de la religion. des vieillards vertueux proclamés son appui, étaient traînés dans les fers, exilés aux terres étrangères; le sanctuaire des consciences était violé; l'homme voulait ravir à l'homme, cette liberté de la pensée, seul bien que nous puissions dire vraiment notre ici bas. des vierges timides furent arrachées à leur azyle; pascal vit ses ouvrages brulés par la main du bourreau. je m'arrête le cœur serré de douleur.

À dieu ne plaise que je veuille accuser ici des religieux célèbres aujourd'hui proscrits. j'aime à penser qu'ils ne peuvent plus inspirer d'effroi. je respecterai leur infortune. j'admirerai même la grandeur imposante de leurs projets, leurs concerts dans les moyens, leur direction constante vers un même but. capables de tout par une volonté ferme et de grands labeurs ils eussent tout fait pour l'état, si l'état eût put être incorporé à leur ordre. longtems les rois les craignirent, et furent gouvernés par eux.

Le moment devait venir où ce joug qu'ils faisaient peser sur les peuples, dont ils tenaient les maîtres à leurs pieds, serait brisé et pascal semblait l'annoncer. en les flétrissant, il les poussait à leur décadence. L'opinion publique, seul soutien des institutions se retirait d'eux, depuis qu'ils étaient cités à ce tribunal du ridicule et du mépris dont les arrêts sont irrévocables en france. ils ne furent pas assez grands pour pardonner, et faire oublier par leurs mœurs le prophète éloquent de leur ruine. ils le persécutèrent.

Mais aujourd'hui, que réunis par la tombe, ils ont pu reconnaître la vanité de ces haines déplorables, il me semble que du sein des morts pascal et bourdaloue s'unissent et nous crient : o ne triomphez pas de nos égaremens, mais imitez l'orthodoxie des jésuites, et la vertu du solitaire de port royal.

Nul d'entr'eux ne la poussait plus loin que pascal. son impassible austérité étonne et effraie même les âmes pieuses. ce fut le calvin du chritiasnisme. grand dans ses pensées, sévère dans ses mœurs, il semblait voir l'homme et ses attachemens en pitié. même dans ces âges heureux où tout est sentiment parce qu'on ignore encore le monde et ses illusions trompeuses, une mélancolie profonde dominait son être. la nature lui avait donné un bon cœur; la religion l'avait rempli d'une charité toute divine. il ne se souvint jamais qu'il était pauvre en voyant un malheureux; et cependant il redoutait de se montrer sensible à cette volupté si pure que versent dans l'âme les bénédictions de l'infortuné qu'on soulage.

Plein de l'idée des misères humaines, les plaisirs même de la vertu l'effrayaient. il rapportait tout à cette patrie céleste dont il se regardait exilé. Au chevet d'un père mourant, ses yeux ne trouvèrent pas une larme; il regarda le ciel, soupira et bénit don dieu de ce qu'une mort sainte couronnait une vie passée dans la justice. son cœur cachait un vif attachement pour ses amis, mais il ne voulait le laisser éclater que dans le ciel, où il serait épuré de toutes les considérations terrestres qui le ravalent.

Plus d'une fois les philosophes ont dédaigneusement souri, en se le peignant livré aux pratiques de la piété la plus humble. les insensés comparent dieu à ces maîtres de la terre qui ne veulent que d'éclatants hommages et pour lesquels la vanité du suppliant ajoute encore au mérite de la prière.

Mais le sage confondu devant les mystères de la divinité, ne voit que sa bonté sans borne accueillant l'infinie petitesse de la créature et ne sait comment égaler son humilité à la grandeur de celui qui l'adore.

Voilà pourquoi la dévotion de pascal était toute simple et naïve. il savait que ces nuances entre l'esprit des hommes que notre présomption appelle du génie, disparaissaient devant l'intelligence suprême qui ne voit que la pureté des cœurs, et la rectitude des intentions.

Modeste pour obéir à l'évangile; malgré lui xxxxxxx [son ame] prenait naturellement sa place, et laissait sentir sa supériorité. se trouvait-il avec quelqu'un capable de le comprendre? son génie s'enflammait; la chaleur du sentiment venait féconder ses pensées; à son insu il se montrait jaloux de l'estime et de l'amitié de ceux qu'il estimait.

C'est ainsi qu'il se lia avec les arnaud et les nicole, et tous ces solitaires célèbres de port royal, grands par leurs vertus et leurs talens, plus grands encore par ce qu'ils surent lasser le malheur par leur fermeté. désenchanté d'un monde auquel il n'avait paru sourire, et se livrer un moment, que pour s'acquérir la triste certitude qu'il le méprisait à bon titre, il passait sa vie au milieu de ces hommes sages.

oh! qui nous révèlera leurs secrets entretiens. jadis je voulus aller demander des souvenirs à ces vieux platanes qui ombragent l'illissus, à ce promontoire de sunium qui entendit platon raconter à ces disciples les merveilles du créateur du monde; loin de moi aujourd'hui ce vain désir d'une imagination qui se repassait de chimères. j'irai dans les lieux où s'élevaient les modestes demeures de port royal. assis sur ses ruines, je croirai entendre encore les chrétiens du grand siècle, agitant le mystère de l'éternité; pascal dévoilant à l'homme l'énigme de son être, et l'accablant sous le poids de sa bassesse; arnaud qui lui tendit une main secourable et lui rendit l'espoir en lui offrant la foi dont il lui montrait la perpétuité.

Quelques uns de ces magistrats qui voulurent ramener le cahos de nos lois à l'uniformité, assistent à leurs conférences.

L'on y voit souvent des guerriers blanchis dans les combats, et qui tour à tour entraînés par les circonstances dans les désordres de la guerre civile et les intrigues de la cour, viennent chercher à faire la paix avec eux-mêmes.

Le docte sacy, le maître, un des orateurs les plus éloquens de cet âge, le paisible nicole y dévoilent toute la candeur de leurs belles âmes. au milieu d'eux par sa parole tendre et insinuante, par la douceur de ses traits, se fait remarquer le chantre d'athalie. sa piété est si touchante, son amour pour ses frères est si vif, qu'il adoucit la sévérité même de pascal, et c'est en l'entendant que celui-ci a conçu le projet de rendre la religion sensible au cœur.

Un homme grave, souvent même chagrin, boileau, accompagne le jeune disciple de port royal. oublieux de son humeur caustique, il admire les discours des apôtres du christianisme, se sent inspirer son épître sur l'amour de dieu, et pour la première fois a trouvé dans ses vers l'onction du sentiment.

Pendant que cette scène importante se passe devant moi, un jeune lévite, encore confondu dans la faute, annonce les hautes destinées qui l'attendent par l'autorité de sa parole, et la noblesse de son visage ou se viennent réfléchir les grands sentimens qui l'agitent. il tient à la main les lettres provinciales. on voit qu'il étudie les dernières. quel heureux mélange de pitié pour l'erreur, et d'indignation pour le crime! quelle élévation au-dessus de tout ce qui tient à l'homme ! heureux l'orateur qui accommoderait un tel langage aux formes de la chaire. celui-là serait le plus éloquent du monde. Le mieux il gouvernerait le cœur humain, le mieux il expliquerait les conseils du très haut. Cet orateur ce fut Bossuet digne de mettre pascal au rang de ses maîtres; et comme si celui-ci en ouvrant la carrière à son siècle eût du fournir des inspirations à tous les talents, molière fit son profit de ces premières provinciales que négligeait Bossuet, et le dévot qu'eussent formé les casuistes et leur probabilisme sembla devenir le modèle du tartuffe qui trouvait avec le ciel des accommodements.

Plus tard l'illustre pope lui emprunta cette peinture de l'homme, effrayante par sa vérité, et sut la rendre aimable en la complétant. pascal dans son humilité superbe, impatient de la faiblesse de notre esprit, eût voulu forcer l'homme à ne se connaître que pour se détester. pope plus sensible nous rassure en apportant aux sentiment de nos misères sa conscience de nos vertus. ainsi le génie réveille le génie, et le guide dans sa carrière.

Mais tandis qu'une douce illusion me faisait contemporain de ces grands homme, que mon avide attention recueillait tout ce qui leur échappait, voilà que la mort s'est venue placer au milieu d'eux, et a désigné sa victime. hâte-toi, pascal! tes jours sont comptés! tu promis à la religion de la venger de l'impie, tiens ta promesse.

infortuné jeune homme! tous les chagrins se sont réunis sur sa tête. le long cortège des douleurs et l'assaille, et l'arrache à lui-même. il dispute ses pensées à la tombe, et souvent au moment même où il cherche à les fixer sur le papier, elles lui échappent. sa main défaillante peut à peine tracer quelques mots, et là se doit trouver le germe de réflexions immenses. aussi quelle concision dans son style! quelle énergie forte dans ses expressions! ne pouvant développer sa pensée, il la peint d'un trait. en le lisant, on marche de surprise en surprise. il interroge, s'afflige, ordonne conseille tour à tour, avec une autorité merveilleuse. ce sont les saillies de son ame. on voit en quelque sorte comment il pensait, et quel penseur que pascal!

seul avec racine, ils ont ce singulier avantage, qu'en les lisant on ne conçoit pas la possibilité de dire mieux. il semble que pour rendre toute sa pensée il n'y avait qu'une expression, et cette expression ne lui échappa jamais.

son style est simple, ses conceptions sont trop grandes pour se rabaisser jusqu'au luxe du discours. oh! que ne put-il les coordonner et en faire un tout! trop vite enlevé à la terre, il ne nous a laissé que des notes qu’il croyait n’écrire que pour lui, et toutefois quel chef-d’œuvre que cette ébauche. c’est celle d’un raphaël peignant la transfiguration. on pourrait dire que le pinceau de l’un et les paroles de l’autre on ajouté à la religion, et donné de nouveaux adorateurs à la divinité. mais comme si le ciel eût envié leur possession à la terre, tous deux ne firent qu’apparaître aux yeux des hommes.

voyez la préface de perrier dans les éditions conformes à celle donnée par arnauld. celui-ci, qui en est l’auteur, rapporte le fait dont je sur le quel je m’appuie pour présenter l’analyse imparfaite des pensées.

On rapporte que quelques jours avant sa mort, pascal était entouré de ses amis, et comme tous le pressaient de leur donner une idée générale de cet ouvrage qui pendant toute sa vie avait été l’objet de ses méditations, il leur parla en ces termes :

« Triste condition de l’homme ! la matière l’entoure, le presse, l’accable, se mèle à tout son être, et dans son insupportable tyrannie lui laisse à peine la force de reconnaitre qu’il peut exister hors d’elle. et cependant fermant les yeux sur cet esclavage, il se laisse soulever par l’opinion cette maitresse d'erreur, se roule de système en système, sans appuyer sur aucune crainte de s'enfoncer, et de cette assiette flottante fait entendre de hautaines paroles d'affirmation.

Mais voilà que sa raison vient l'assiéger de doutes. où étais-tu, lui dit-elle, quand furent posés les fondemens de toute chose? coexistais-tu avec le monde, où bien es-tu sorti du néant? qu'est-ce que ce néant dont tu partis? qu'est-ce que ce dieu que tu te fais? qu'es-tu toi-même? tu sens au dessus et au dessous de toi l'infini en grandeur comme en petitesse, et cet être inconnu, où doit aboutir leur chaîne, et qui seul en tient les bouts, tu l'appelles dieu. soit. et que veut-il de toi? pourquoi te relégua-t-il dans ce petit coin de terre?

Là finit ton savoir, audacieux mortel. fouilles dans les trésors de ton intelligence fastueuse! étales toutes les rêveries de ton imagination ! et si la prévention ne t'aveugle tu te feras pitié. celui-là fait son dieu insouciant des hommes qu’il condamne à la vie ; cet autre lui veut bien permettre de donner le mouvement au monde et puis le replonge dans un éternel repos. tel le confond avec son ouvrage. tous le font sage, juste, prévoyant à leur guise, et l’affublent de leurs passions afin de le rabaisser à eux. insensés qui ne voient pas que dieu étant infini par leur définition même, il échappe à leur intelligence qui ne connait parfaitement aucun de ses moindres ouvrages.

Mais c’est lorsqu’ils veulent s’étudier eux mêmes et connaître leur relation avec le tout qu’ils sont plus pitoyables encore.

Sans doute il y a des lois naturelles. les ont-ils connues ? hélas, non ! cette belle raisoncorrompue a tout corrompu. ont-ils voulu tracer des lois aux sociétés ? ce n’est que par une lutte continuelle de leurs institutions avec la nature qu’ils sont parvenus à leur donner une apparence de vie. tel un fiévreux paraît fort dans les mouvemens heurtés et rapides où l'entraîne son mal. ils fondèrent leur politique sur l'opression et l'isolement pour séparer les hommes et leur mettre en l'âme l'oubli de leur qualité de frères, par celle de spartiate, de romains, ils accommodent la vertu aux tems, aux lieux, aux circonstances. plaisante chose qu'une montagne, un fleuve, les remparts d'une ville aient pu décider de la nature du juste et du vrai, jusqu'à ce que toutes ces misérables [dissonnances] soient venues se confondre dans la corruption générale qui a conduit à leur ruine toutes les nations de l'antiquité sages selon le monde.

Que si la sagesse humaine appliquée au gouvernement des hommes, n'a produit que trouble et division, qu'a-t-elle fait lorsque moins ambitieuse dans ses vues, elle s'est bornée à diriger les œuvres du cœur et de l'esprit?

L'homme s'appercevant suspendu entre le néant et l'infini, s'effrayait; elle lui a donné à examiner cette intelligence puissante qui mesure les cieux et soumet tout à ses combinaisons hardies. alors il a dressé la tête, et s'est avancé en maître du monde. l'orgueil l'a conduit à une indifférence altière; il a voulu être son dieu à lui même, et n'a plus obéi qu'à ses propres opinions. fièrement il étalait une morale qui semble austère. mais qu'en penser? elle naquit de cette raison pliable à tout, et qui au même moment où elle prêche la vertu, est prête à permettre et à justifier le crime, si elle y est incitée par ces aiguillons secrets qui agissent dans l'obscurité du cœur.

D'autres sont venus le troubler dans son triomphe, et se sont joués de cette puérile jactance. l'homme est vain, petit, méchant, ridicule, ont-ils crié à ses oreilles. la vérité l'offusque. ce désir de la gloire dont il se fait si grand, de misérables adulations le contentent. l'âme sait-elle quand elle se trompe, puisque l'essence de la méprise consiste à la méconnaître. qui la peut assurer du bon et du vrai, incertaine qu'elle est si son auteur fut un être bon ou méchant, et par conséquent s'il lui donna des inclinations bonnes ou mauvaises? Ceux là forts pour détruire, plus que les autres inhabiles à édifier, dans leur incertitude nous livrent à nos passions comme à nos maîtres seuls légitimes et naturels.

Ainsi orgueil, ennui, inconstance, [inquiétude,] telle est la condition de l'homme. grand par cela seul qu'il se connaît misérable, énigme insoluble à lui même, un sentiment inconnu l'élève jusqu'à dieu, sa bassesse l'égale à la brute. Livré à une sagesse folle, il reste incertain de dieu, des lois de la société, de la vertu. dans ce déplorable état n'ayant qu'un instant rapide à passer sur la terre, on le voit aller au hasard suivant que le poussent ses passions, se promettre toujours de vivre le lendemain, faisant et défaisant la morale au gré d'un cœur sans frein, et d'une raison sans règle. trop heureux si n'en étant pas venu à se regarder comme l'instrument aveugle et nécessaire d'un pouvoir inconnu, ou bien si de doute en doute, n'étant pas tombé dans l'indifférence mortelle du néant, il consent encore à chercher cette vérité qui lui est échappée jusqu'ici.

Un peuple se présente alors à lui séparé de tous les peuples; entouré d'un voile mystérieux seul il a le secret de son origine. les siècles l'ont vu toujours constant à lui même puiser sa morale, ses lois, ses usages, son culte dans un même lieu, et ce lieu remonte au premier jour du monde. aujourd'hui il l'offre en consolation au mortel de bonnefoi qui cherche la lumière avec les yeux du cœur plutôt qu'avec ceux de l'esprit.

Quelles scènes majestueuses vont se développer à ses regards! quels enseignemens divins vont raviver son âme!

Lorsque les tems commencèrent, dieu créa le ciel et la terre et l'homme. il fit celui ci capable d'amour et lui soumit les créatures. mais l'homme fut ingrat et dieu le maudit. les maux du corps et les chagrins de l'âme naquirent en ce moment. il comprit le mal sans oublier entièrement le bien.

Mû par un reste de pitié pour son ouvrage, dieu, dans ce renversement de la gloire de l'homme, lui promit un sauveur, et l'espoir descendit au cœur de ce malheureux exilé.

Ainsi, dit la genèse : et l'énigme de son être est résolue pour celui qui a lu ce récit. il comprend cette aillance d'une grandeur et d'une bassesse également sans bornes. il voit pourquoi l'homme n'apprend pas la vertu, il s'en souvient.

Bientôt le crime se répand sur la terre. dieu s'irrite et frappe un terrible coup terrible. les eaux du ciel n'ont épargné qu'un juste; dans sa famille se perpétueront d'âge en âge les saintes traditions. les vieillards les lègueront à leurs enfans.

tems de vertu et de bonheur, où le ciel communiquait encore avec la terre, votre souvenir transporte l'homme simple et bon! il s'assied avec les patriarches sous le palmier du désert. il les entend conter l'histoire des anciens jours; il sont vieux, bien vieux. eux ou leurs pères ont vu quelques uns de ces mortels en qui dieu fit de grandes choses, et tel est le petit nombre de générations qui les séparent d'adam, que par la tradition, ils semblent y toucher de la main.

Spectacle admirable! ils annoncent les choses futures, et en montrent l'image dans les choses présentes. tous espèrent en un sauveur et bénissent les peuples en son nom. en égipte au milieu de la gloire et des religions mensongères d'un grand peuple, leurs doctrines se conservent inaltérables. lorsque dieu conduit israël au désert, moïse son serviteur les consigne par écrit, et son ouvrage conforme à ce que chacun avait en mémoire, est reçu sans obstacle. cependant les guerres futures, et l'accroissement du peuple pouvant chaque jour diminuer l'autorité des vieillards, dieu publie sa loi au milieu des foudres et des éclairs. loi sainte, loi incomparable, qui seule de toutes celles que nous ont légué les siècles, convient à tous les tems, à tous les lieux, à tous les peuples! afin de la conserver triomphante au milieu d'israël, il lui donne pour le conduire une longue suite d'hommes selon son cœur. successeurs d'aaron, femmes fortes et saintes, prophètes divins, guerriers qui furent le bouclier de juda, rois inspirés, salomon, david surtout dont les chants parurent égaux à la majesté du seigneur, tous viennent tour à tour déposer devant la postérité des grandes promesses du ciel, et prédisent la gloire et l'abaissement du christ homme de dieu. tous racontent les œuvres de miséricorde qu'il accomplira, les tems, les lieux, les circonstances, rien ne leur échappe, non pas même l'aveuglement fatal des juifs si longtems chéris de dieu, et qui refuseront de croire au messie après lequel ils soupirent. leur dispersion, le sceptre de juda brisé, les sacrifices anéantis, cette opiniatreté avec laquelle, privés de rois et de prêtres, ils conservent la loi qui les condamne, eux qui l'abandonnaient si facilement aux tems de leur prospérité, les prophètes ont tout vu, tout pleuré, tout prédit, et l'accomplissement des faits particuliers qu'ils annoncent aussi, s'offre comme une garantie invincible de la venue du sauveur qu'ils promettent. Ainsi le peuple d'israël marche de merveilles en merveilles. soit que son dieu l'élève, soit qu'il le rabaisse, soit que lui prêtant son appui il le mette sur la tête des rois, soit que l'abandonnant à sa propre faiblesse, il le laisse opprime par ses ennemis, toujours il lui montre dans le lointain ce rédempteur qui consolera ses maux, et lui donnera le royaume de la gloire. Enfin le moment d'une grande catastrophe arrive. jérusalem périt. au milieu des ruines et de la désolation, on voit s'élever la grande figure de jérémie, et tandis qu'il raconte à la terre des patriarches les malheurs qui attendent ses enfans aux villes étrangères, il mêle encore à ses lamentations ces tableaux d'un bonheur futur, de la naissance du christ et de la rédemption des humains.

Ce livre mystérieux, ces prophéties divines, secret de la race d'abraham depuis des siècles, les juifs dispersés les vont répandre par toute la terre. les accents de david se sont fait entendre aux bords de l'euphrate, et ont annoncé l'époque de l'accomplissement du grand œuvre. tous les peuples s'agitent; perses, grecs, romains, tous ces vainqueurs du monde se prêtent tour à tour à leur insu aux desseins du tout puissant. la victoire n'a fait qu'une nation de toutes les nations du monde. partout les promesses célestes ont été annoncées.

Les sacrifices recommencent dans jérusalem. les portiques du temple sont relevés. les temps s'accomplissent. l'univers se tait, reste dans l'attente, et jésus christ nait cette béthleem chantée par les prophètes.

Pour ces âmes justes et intelligentes qu'une longue étude a convaincu de cette impuissance à prouver naturelle à la raison, la sublimité de la morale du christ est la preuve incontestable de la vérité de sa mission. il ne dédaigne cependant pas de l'appuyer par des miracles. mais il ne tendent pas à faire reluire aux yeux des hommes les œuvres de la puissance, mais bien à leur inspirer l'amour de dieu et du prochain. il guérit les langueurs et les infirmités. il s'annonce comme l'ami, et non comme le dominateur de l'homme. sa doctrine est tout amour. je ne suis venu dit-il, établir de vaines cérémonies, mais donner à mon père des adorateurs en esprit et en vérité. dans sa grandeur il n'est point inaccessible. il se laisse approcher et toucher, et vu de près n'en parait que plus aimable. seul il veut que les ministres prêchent l'égalité aux grands et l'obéissance aux petits. seul il rendit à l'homme ses droits, mettant les âmes au même niveau, élevant les humbles, abaissant les superbes. pendant sa vie il parait un consolateur bon et miséricordieux, et ne se montre en maître qu'à la mort. mais que parlai-je de la morale, et quelle bouche humaine la saurait peindre dignement!

Cependant en lui les écritures s'accomplissent: tout est consommé, s'écrie-t-il en mourant. bientôt vainqueur de la tombe, il va se rejoindre à son père, et du milieu de la gloire qui l'environne, il proclame de la folie de la croix sur la sagesse du monde.

Mais de tous les prodiges qui se sont opérés pour l'accomplissement de la parole de dieu, le prodige le plus grand, c'est l'établissement et la perpétuité de la doctrine de son christ. des hommes simples et grossiers rendent témoignage d'une religion inintelligible devant les puissans et les philosophes, les forcent à humilier leur raison; à croire par le cœur. leur parole est franche et naïve. ils meurent pour la vérité sans ostentation aucune et pas un ne se dément.

Les rois les persécutent, leur sang inonde la terre. leur supplice est devenu le spectacle chéri de la populace. elle le demande comme autrefois les jeux du cirque. les philosophes les moquent et les méprisent. les porphire, les jamblique, ces hommes à l'école desquels vont s'instruire les doctes de nos jours les combattent avec dédain le ton du dédain. ils n'ont pour eux qu'une patience forte et leur douceur. le siècle s'indigne d'une morale qui commande à l'homme la renonciation au plaisir, la haine de soi-même et ne laisse de joies que dans le bien. les cités refusent un azyle à ces disciples du christ, héritiers de si vastes promesses. en exécration les peuples lui doivent la douceur de leurs maitres, les ménagemens de leurs ennemis. Entre les nations, elle créa un certain droit des gens jadis inconnu ; au sein des sociétés, une dignité particulière qui fondée sur la dignité de notre âme fit disparaître cet odieux esclavage dont ne rougissaient pas les républicains de l'antiquité. enfin c'est peu de nous promettre au ciel des jouissances ineffables, elle nous en donne comme les avant goûts ici-bas.


Pascal s'arrêta, et ses yeux cherchèrent le ciel. sa voix mourante était devenue grave et majestueuse. une flamme divine brillait dans ses regards. hélas! c'était le chant du cigne. quelques jours après le pauvre alla pleurer sur son tombeau.

ses cendres ne furent pas rapportées dans sa patrie elle sembla l'avoir oublié et aucun monument ne vint éterniser son souvenir parmi ses concitoyens. aujourd'hui même, encore l'étranger surpris cherche en vain son image dans les [murs] qui le virent naître. xxxxxxx xxxxxxx xxxxxxx xxxxxxx hatez-vous de réparer cet oubli. la génération qui s'élève x également fière des souvenirs de la vieille france et de ceux de la france nouvelle, vous en supplie par ma voix. et d'ailleurs, les honneurs rendus au génie et à la vertu ne sont jamais stériles. c'est aux pieds de la statue d'homère, qu'un rapsode de l'antiquité sentit tout-à-coup une inspiration divine et fit entendre aux habitants de chio des chants dignes du poète dont on lui demandait l'éloge. puisse le marbre, en nous retraçant les traits d'un compatriote illustre exciter en nous un semblable enthousiasme. qu'à chaque instant il nous rappelle que la morale et le génie se prêtent un secours mutuel et que nous ne pourrons voir luire en nos ames une étincelle de celui de pascal, qu'autant que comme lui nous aurons été fidèles à la vertu.


je prie mes lecteurs de jetter un coup d'œuil sur la note suivante. il me semble assez extraordinaire que sans savoir si mon discours attirera votre attention, j'entreprenne de répondre à deux objections qui peut-être ne me seront point faites. j'hésitai longtemps à vous le soumettre. deux littérateurs que j'estime également m'engageant l'un à le présenter, l'autre à en changer toute l'économie. x c'est pour ce motif que je me suis tu sur l'apologie des curés, ouvrage ⁁principal dont il fut le rédacteur, mais dont les auteurs réels étaient arnauld et les curés. d'ailleurs ces écrits polémiques sont complètement oubliés. celui-ci voulait surtout que je xxxxxxx y voir force théologie. j'avoue toutefois qu'après un examen aussi sérieux qu'il m'a été possible des querelles sur le jansénisme, j'ai craint d'aborder cette matière et de peur de vous ennuyer et de peur de mal prendre le vrai sens de l'église, ce qui m'eut donné l'air d'un sectaire sans que je m'en fusse ⁁x douté. je n'ai point consigné non plus les résultats scientifiques positifs des travaux de pascal. le ton de l'éloge se refuse à admettre le langage sévère des mathématiques, mais dans des notes que je joindrai à mon ouvrage, si vous le jugez convenable, j'ai analysé presque tous les traités que nous avons de lui. afin on m'a reproché davoir présenté le siècle où parait pascal, comme démoralisé. mais qu'on se rappelle qu'il naquit 3 ans après la mort d'Henri IV, que la plupart des acteurs de la st barthélémi existaient encore, que marie de médicis entourée d'astrologues ne tenait rien moins qu'une école de [mœurs], que plus tard richelieu fit ployer mémoires de et de brienne toutes les têtes sous le joug, sans raviver pour cela la morale, qu'alors même les évêques vivaient au milieu des camps et affectaient les manières militaires, que le cardinal ministre fut jeai. hist. du card. richelieu accusé par tous les historiens de certains oublis de sa dignité que je ne rappellerai pas par respect; qu'on voie dans corneille cet étalage de maximes les plus [absconces] sous le nom de politique, que lorsque l'un de ses interlocuteurs indigné du froid exposé de tant de crimes, se récrie, l'autre lui répond vous suivez mal les cours, voilà qui peint l'époque; qu'on se remémore tous ces faits et peut-être ne m'accusera-t-on pas de fausseté historique, lorsque j'ai appellé ce siècle démoralisé. mon aristarque crut aussi que j'avais blessé les convenances historiques en faisant apparaître boileau et racine dans l'épisode voyez lenglet dufreynoy tablettes chronologiques. de port royal. mais racine quoique très jeune, avait déjà fait quelques ⁁essais de poésies montrés à lancelot son maître et parfois approuvés par lui. boileau plus âgé, penchait au jansénisme et avait des liaisons avec port royal.

quand au discours que je prête à pascal, je lui en emprunté et les pensées et les expressions mêmes, très souvent. on n'y a pas trouvé assez de profondeur théologique il est très vrai que c'est surtout le tableau qu'il fait de l'homme, que j'ai voulu reproduire. arrivé à la religion, je lui ai plutôt fait célébrer ses bienfaits qu'analyser ses dogmes. j'ai cru qu'un mourant parlait avec plus de plaisir de ses espérances et de ses consolations que de ses obscurités redoutables, sur lesquelles tout le génie de l'homme en santé ose à peine parler en regard.

ma péroraison avait paru de mauvais goût, je l'ai changée. malgré tout cela, je suis tout honteux d'oser me mettre en lice. car je ⁁n'ignore pas sais que je sais très peu et que ceux qui me xxxxxxxblâment doivent avoir raison contre moi. ma jeunesse fera pardonner je l'espère et cette ébauche imparfaite et la note que je viens
d'écrire.




  1. Note Wikisource : le nom de l’auteur inscrit au verso du morceau de papier est : « victorin a.d.b. »