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En voyage, tome II (Hugo, éd. 1910)/Alpes et Pyrénées/C/20

La bibliothèque libre.
Texte établi par G. SimonLibrairie Ollendorff (p. 426-428).
cathédrale d’auch.


4 septembre.

Quelque analogie avec la cathédrale de Pampelune. Riche au dedans, pauvre au dehors. Hideux portail plaqué à la vieille nef par quelque architecte abruti par « le bon goût ». Les portails latéraux du 15e siècle beaux et bien conservés.

Intérieur : admirables vitraux qui sont, je crois, d’Arnaud de Moles[1]. La sybille de Delphes à côté du prophète Élisée. La sybille Tiburtine en regard de saint-Mathieu et à côté du prophète Habacuc. La sybille Agrippine entre les prophètes Nahuni et Jérémie. La sybille de Cumes à côté de Daniel faisant face aux prophètes Sophonias, Élie, Urias. La sybille Europe, la gorge presque nue et l’épée à la main, entre le prophète Amos et le patriarche Josué. La sybille lybique entre Énoch et Moïse. Elle prédit l’enlèvement de la Vierge au ciel. Costumes superbes.

Énorme fleur de lys au vitrail de l’abside, répétée à la lancette supérieure. La révolution les a respectées. Chose étrange.

Joseph vendu. Admirable compartiment. Joseph innocent et doux, en chemise blanche. Le marchand fouille dans ses sacs en regardant Joseph de côté avec une mine de juif qui chicane le prix. Au fond les ânes chargés comme nous voyons encore les mulets des arrieros.

Christ au tombeau, 15e siècle. Plus grand que nature. Admirable Gardé par quatre fières statues, une avec une immense épée à la main sur laquelle elle s’appuie de toute sa hauteur. Comme je passais, une belle jeune femme triste et grave faisait nettoyer cette magnifique œuvre par une servante agenouillée.

On n’accorde rien pour entretenir l’église. Quand l’empereur la vit, il s’extasia sur les vitraux et le chœur et s’écria : il y a des cathédrales qu’on voudrait pouvoir mettre dans les musées. Il renta l’église de 6 000 fr. par an que la révolution de 1830 a supprimés. Autrefois libéral voulait dire magnifique ; maintenant libéral veut dire ladre.

Chœur. Porte de la renaissance gâtée d’un gros chérubin Louis XV. Inscription :

hæc-porta-domini-ivsti-intrabvn-eam-psal.-117

Dans le chœur, au-dessus de cette porte, les commandements de l’église ainsi traduits en latin :

festos dies celebrato.
missam in fertis audito.
jejunia indicta observatio.
quoi annis sacerdoti
confitetor
in paschate
communicato.


De l’autre côté les commandements de Dieu :

unum cole deum.
non jures vana
per ipsum.
sabratha sanctiaetcis.
habeas in honore
patentes.
non sis occisor.
fur mæchus.
testis aniquus.
alterius nupiam
nec rem cupias
alienam.


Au-dessus on lit :

præcepta ejus cor tuum custodiant

Affreuses balustrades en S autour de la nef. Dans le chœur, charmant maître-autel de la renaissance où sont pratiquées dans le marbre les deux chaires de l’évangile et de l’épître.

Devant l’autel, pierre sépulcrale de trois archevêques : le comte de Mordhon. Le cardinal Isoard. Léonard Destrappes dont voici l’épitaphe dictée par lui-même :

leonardus destrappes-archieps-au xitanus.
vermis et non homo.
opprobrium hominum
et abjectio plebis


Mort en odeur de sainteté.

On a mis 246 ans à bâtir la cathédrale, cinquante à faire la boiserie du chœur, qui a été terminée en 1529. Chose admirable, comparable aux menuiseries de Chartres et d’Amiens. Statues dans le style fier et charnu de Rubens. Détails remarqués çà et là : Quatre démons qui se disputent une tête et la tiennent aux cheveux. — Saint-Luc écrivant sur la planche de cire, le style à la main, le pouce passé dans la palette. — La justice et sa balance, l’abondance et la corne de la chèvre Amalthée, mêlées aux saints et aux apôtres.

Cette cathédrale est remarquable par le culte des sybilles. Il y a des sybilles dans les vitraux, il y en a dans le chœur. — La sybille de Samos, qui prédit la naissance de Jésus-Christ, tient une crèche dans sa main. — La sybille de Tibur prédit qu’un soldat souffletterait J.-C, elle tient à la main la main de ce soldat. — La sybille Delphique prédit qu’il serait couronné d’épines. Elle tient la couronne. La sybille Europa prédit la fuite en Égypte et le massacre des Innocents. Elle tient l’épée. Toutes ces figures, grandes comme nature, sculptées en demi-relief, forment les dossiers des stalles des chanoines. Il y a tous les personnages de l’ancien et du nouveau testament. Dans les vitraux il n’y a que l’ancien testament. Des allégories payennes ont place parmi les personnages. Entr’autres la Mort. Belle, grave, vêtue en religieuse, à demi voilée, elle tient d’une main une tête de squelette et de l’autre un miroir où elle se regarde. Elle semble comparer la beauté à la mort. — Le prophète Habacuc, avec un bicoquet, des bottines, un arc à la main et une barbe germanique. Un arc d’arbalétrier figurant au triomphe de Maximilien. — Quatre stalles font un petit drame d’un effet étrange dans le grave chœur : Uri conte son aventure à saint-Georges et lui montre du doigt Bethsabée qui regarde tendrement le roi David. — Quelques stalles se distinguent par des blasons et des attributs. Stalle du cardinal de Maupeou, avec son blason. On en a gratté les fleurs de lys. Il n’en reste qu’un lion. — Stalle du cardinal d’Armagnac, à gauche de la porte en entrant, faisant pendant, quoique plus basse, au trône de l’archevêque. Plus grande que les autres stalles canonicales, avec Adam et Ève pour dossier, et le serpent dans l’ombre. Ç’a été depuis la stalle du roi de France qui avait le titre de premier chanoine de la cathédrale d’Auch.

Stalle de l’archevêque. Haute et splendide. Avec saint-Pierre et saint-Paul pour dossier.

Au milieu du chœur un immense lutrin aux quatre faces duquel sont gravés les quatre noms cardinaux : Petrus, Paulus, Joannes, Jacobus. On a partout gratté les fleurs de lys.

  1. Vérifier dans le petit livre que vend le suisse. |(Note de Victor Hugo.)