Encyclopédie anarchiste/Puériculture - Purgatoire

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Libraire internationale (p. 2244-2250).


PUÉRICULTURE n. f. (du latin : puer, pueri, enfant, et cultura, culture).

I. Définition. — Le but de la puériculture a été ainsi défini par le Dr Weill-Hallé :

« Protéger l’enfant dès avant sa conception, assurer son développement intégral dans le sein maternel, éviter tous les accidents fâcheux lors de sa naissance, contrôler et favoriser sa croissance lorsqu’il aura vu le jour, éloigner les dangers inhérents aux dangers extérieurs et à la vie sociale, participer à son orientation au seuil de l’adolescence. »

Cette définition donne à la puériculture un programme extrêmement vaste, et bon nombre d’auteurs lui attribuent un rôle beaucoup plus restreint qui, ne commençant qu’à la naissance, se termine assez tôt, lorsque les enfants ont vingt dents. Pour ces auteurs, pendant cette période, la puériculture a un double but : 1° conserver les enfants, c’est-à-dire les empêcher de mourir ; 2° leur assurer le meilleur développement possible.

Cette deuxième conception de la puériculture a le grave tort de ne pas attirer l’attention sur les phénomènes d’hérédité (voir ce mot) et de pousser à la négligence de l’éducation sexuelle (voir éducation).

II. La puériculture prénatale. — « Lorsque l’enfant vient au monde, il est déjà un peu tard pour se préoccuper de sa destinée. Il n’est pas un jeune homme, il n’est pas une jeune fille qui, songeant à l’avenir, ne dise : « Si j’ai des enfants, ils seront ceci, ils feront cela ; j’aurai pour eux telles ou telles aspirations… » Mais bien rares sont les jeunes gens qui pensent : « Je veux faire de la gymnastique pour avoir un jour des enfants forts ; je me priverai de tabac et d’alcool, parce que je ne veux pas empoisonner ma race et moi-même. » Ou encore : « J’épouserai un être sain moralement et physiquement, parce que je veux qu’il me donne une descendance saine. » Nombreux sont les couples qui disent : « Nous n’aurons qu’un ou deux enfants, parce que nos ressources ne nous permettent pas d’en élever davantage et de les rendre heureux. » Mais bien rares sont ceux qui ajoutent : « Nous choisirons pour les mettre au monde le moment propice, c’est-à-dire celui où l’un et l’autre nous nous sentirons dans les meilleures dispositions physiques et morales, parce que nous savons que cette minute de la procréation sera décisive pour l’avenir tout entier de notre enfant. »  » — Marguerite Martin.

Il est déjà un peu tard de dire cela aux parents ou même aux jeunes époux. C’est aux jeunes gens et même aux enfants qu’il faut s’adresser. « Nous ne pouvons tromper l’enfant, il est de notre devoir de lui exposer les faits sous une forme telle qu’elle n’offense pas la pudeur. Nous devons lui indiquer qui il est, d’où il vient et où il va ; nous devons lui faire comprendre que la sincérité et l’honneur sont dans la relation des sexes et que bien des accidents de jeunesse, comme on disait autrefois, peuvent détériorer toute une descendance. L’éducation, telle que nous devons la concevoir, doit être large, parce qu’elle doit préparer au mariage ; elle réclame l’éducation morale du cœur aussi bien que celle de l’esprit ; elle accorde une grande place à l’hygiène, aux notions d’hérédité…

Il faut qu’au moment de se marier, chaque personne s’assure de sa santé et de celle de son conjoint et sache que, si elle est affligée d’une intoxication ou infection, elle risque de mettre au monde un petit être anormal ; il faut qu’elle connaisse le danger de s’unir au porteur de la même tare que celle dont elle est affligée. Pourquoi cet examen médical prématrimonial semblerait-il offensant au seuil d’un des plus importants actes de la vie, alors que cet examen est réclamé par une simple compagnie d’assurances. — Dr Govaerts. (Voir le mot Hérédité.)

Supposons l’enfant conçu dans les meilleures conditions possibles, par des parents sains, conscients et éclairés. Cela ne suffit pas : il y a une hygiène spéciale aux futures mamans. Hygiène de l’esprit d’abord. Pendant tout le temps de la grossesse, il faut éviter à la femme enceinte les émotions trop vives, les idées obsédantes et les chagrins. Ce n’est pas souvent possible dans les milieux pauvres ; et là où le souci du lendemain troublait déjà l’esprit, l’attente d’une nouvelle bouche à nourrir, d’un enfant qu’il faudra vêtir et soigner ne peut qu’amener des soucis nouveaux : « Toutes les impressions morales et physiques de la mère ont leur retentissement sur l’enfant, et contribuent à modifier sa constitution comme son caractère. Les Grecs, qui avaient connaissance de ce fait, avaient pris coutume d’isoler les femmes enceintes dans des jardins et des appartements spéciaux, ornés d’œuvres d’art, et il était interdit de leur donner le spectacle de laideurs ou de difformités. » (Marestan).

Les ouvrières sont, de nos jours, placées dans un milieu moins favorable, mais cependant elles ne doivent point oublier qu’elles-mêmes peuvent influer favorablement ou défavorablement sur l’enfant qui s’agite en leur sein. On ne peut, certes, pas être très gai quand il y a de la misère à la maison et plus de misère encore en perspective. Cependant, on peut combattre sa tristesse, s’imaginer un avenir meilleur, faire des lectures gaies, comme on peut aussi faire l’inverse ; et c’est si vrai qu’il est des personnes riches, bien portantes, n’ayant nulle raison d’être tristes et qui se complaisent dans une tristesse morbide, se plaisent à évoquer des scènes pénibles, etc. Pour être gaie, douce, affable, patiente, la future maman doit d’abord le vouloir.

« D’autre part, elle devra veiller plus que jamais sur sa santé. Dès le début de la gestation, elle portera des vêtements amples, afin de ne gêner en aucune façon le développement de l’utérus ; elle supprimera les jarretières et remplacera le corset par une ceinture de grossesse. Son alimentation sera substantielle ; certains médecins conseillent d’y ajouter du phosphate de chaux, l’enfant prenant à la mère les sels minéraux dont il a besoin pour son développement. Elle veillera à la régularité de ses fonctions digestives, la constipation pouvant provoquer des hémorragies ou des fausses couches. Pour éviter les crises d’éclampsie, si dangereuses, elle fera examiner ses urines tous les mois pendant le premier semestre, tous les quinze jours environ pendant les deux mois suivants, et tous les huit jours le dernier mois. Si l’examen décèle la présence d’albumine, elle se mettra au régime lacté. Vers le septième mois, elle demandera au médecin ou à la sage-femme de vérifier la position du fœtus et de la rectifier au besoin. Elle ne changera rien à ses habitudes de propreté corporelle, c’est-à-dire qu’elle prendra comme de coutume bains de pieds, grands bains, douches et injections vaginales.

« Elle devra surtout, et pendant toute la durée de la grossesse, éviter le surmenage. Les trois derniers mois, le dernier tout au moins, devraient être pour elle un temps de repos presque absolu. » (Josette Cornec).

À vrai dire, les femmes d’ouvriers peuvent, en France, bénéficier de la loi d’assistance aux femmes en couches, mais l’allocation donnée demeure insuffisante pour suffire à permettre le repos prévu pour le dernier mois. La société capitaliste ne protège pas suffisamment les mères contre les privations et la misère, et, d’autre part, celles-ci sont déjà désavantagées par l’inégalité de l’homme et de la femme sur le terrain économique : plus bas salaires, etc.

III. La puériculture après la naissance. — Si nous nous reportons à la définition du docteur Weill-Hallé, nous voyons qu’il convient d’abord d’éviter tous les accidents fâcheux lors de la naissance. De ceci nous ne dirons rien : nos lecteurs savent bien que, malgré les « maternités » et quelques autres œuvres, les enfants des prolétaires se trouvent, ici encore, dans une situation plus défavorable que les petits riches. Notre seconde définition nous indique que le premier but de la puériculture, après la naissance, est d’empêcher les enfants de mourir.

La mortalité enfantine est, en France, d’environ 10 pour cent. Ceci constitue déjà un progrès. En 1886, à Paris, la mortalité infantile était de 16 pour cent ; en 1901, elle était tombée à 12 pour cent et, depuis, comme nous venons de l’indiquer, elle a diminué encore. Pas encore autant qu’elle le pourrait, puisque, actuellement, elle est, en France, approximativement le double de ce qu’elle est en Angleterre, en Norvège, en Hollande, aux États-Unis, et le triple de ce qu’elle est en Nouvelle-Zélande, où le taux est de 3 pour cent, le plus bas du monde entier.

Ce problème de l’abaissement de la mortalité est intéressant à considérer, non seulement pour diminuer le nombre excessif des décès « mais pour rechercher et éviter les causes de maladies qui laissent un très grand nombre d’enfants avec une santé débile ».

« On peut diviser les causes des décès des enfants en bas âge en deux grandes classes : les causes immédiates, c’est-à-dire les lésions organiques qui entraînent directement la mort, et les causes médiates, les plus utiles à connaître pour éviter les premières et qui en déterminent l’apparition. Souvent, en effet, quand la maladie existe, il est difficile d’y remédier, alors qu’il eût été relativement facile de l’éviter.

« Causes immédiates. — La plus importante est la gastro-entérite, qui compte pour 62 pour cent des décès. Elle est l’aboutissant d’un régime défectueux (surcharge alimentaire, lait frelaté, administration des aliments farineux avant le 7e mois). Les convulsions comptent pour 10 pour cent dans les décès, mais beaucoup de ces convulsions sont l’épisode terminal de la gastro-entérite. Les affections des organes respiratoires comptent pour environ 14 pour cent, les maladies contagieuses 2 pour cent, la faiblesse congénitale environ 6 pour cent.

« Causes médiates. Dans l’immense majorité des cas, les affections précédemment citées et qui entraînent un si grand nombre de décès sont sous la dépendance de trois facteurs de première importance qui sont : l’ignorance, la misère et le défaut d’hygiène générale.

« a) Ignorance. En pratique, la puériculture n’existe pour ainsi dire pas, l’élevage des enfants est livré aux préjugés et au hasard dans toutes les classes de la société. Les mères ne reçoivent aucune préparation dans ce but. C’est surtout dans l’alimentation que se commettent des erreurs capitales, qui déterminent l’apparition de la gastro-entérite et les convulsions, qui amènent 70 pour cent des décès.

« b) Misère. La misère des parents est une des grandes causes du manque d’allaitement de l’enfant par la mère. Cette dernière est obligée, par le manque de ressources, d’aller travailler à l’usine ou à l’atelier…

« Ce manque d’allaitement maternel aboutit à l’allaitement au biberon, qui compte pour 16 pour cent de décès, alors que le premier mode d’allaitement ne compte que pour 2 pour cent. En Suisse, de 1896 à 1904, on a constaté une augmentation du nombre des décès en parallèle avec la diminution de l’allaitement au sein. En France, alors que la mortalité moyenne est de 20 pour cent, elle n’est que de 7, 6 pour cent chez les riches. À Bruxelles, sur 306 décès par gastro-entérite, 295 se constatent dans la classe pauvre, 10 dans la classe aisée, 1 dans la classe riche. »

Nous empruntons cette étude des causes de décès à une conférence déjà ancienne du docteur Henrotin. Depuis, les pourcentages ont quelque peu diminué ; mais les causes restent les mêmes, et ce sont surtout les enfants des prolétaires qui meurent par ignorance des parents — qui reculent devant les frais médicaux —, misère et défaut d’hygiène générale.

c) Défaut d’hygiène générale. Résumons-les rapidement : maladies dues à l’hérédité (syphilis, alcoolisme, etc.) ; locaux mal éclairés, mal chauffés ; défaut de propreté ; mauvaise alimentation, etc.

« Avant tout, écrit le Dr Pinard, il faut remarquer une chose : le tout petit, le nouveau-né humain est, au moment de la naissance, le plus mal partagé des animaux. Au sortir de l’œuf, le petit poulet a du duvet, il a un vêtement, on n’a pas besoin de l’habiller. De plus, il peut, il sait marcher et courir de suite, il sait même prendre et choisir sa nourriture tout seul. Le petit canard qui doit vivre sur l’eau sait nager et même plonger.

Le petit être humain, le petit bébé, n’a aucun vêtement, il est tout nu ; il ne peut ni ne sait marcher. La seule chose qu’il sache faire, c’est téter, c’est-à-dire prendre sa nourriture ; mais il ne sait pas choisir entre ce qui est bon et ce qui est dangereux. Il faut donc tout connaître de ce qui lui est nécessaire, il faut tout savoir pour lui. »

Mais, comme l’écrit Mme Bélime-Laugier, l’inspiration ne suffit pas pour indiquer à la maman ce qu’elle doit faire. Pour n’en citer qu’un exemple, les cas de diarrhée ne deviennent si souvent mortels que parce que des mamans, ayant peur de faire mourir leur enfant de faim, ne se résolvent pas ou se résolvent trop tard à le mettre à la diète.

Après avoir prouvé par des chiffres et des arguments d’origine bourgeoise que le taux élevé de la mortalité infantile est dû à notre mauvaise organisation sociale, au capitalisme pour tout dire, et montré la nécessité, pour les mamans, d’apprendre leur métier de mère, il nous resterait à leur donner des leçons de puériculture ; mais ce serait trop long et nous devons nous borner à quelques conseils que nous engageons nos lecteurs à compléter par la lecture de quelque ouvrage spécial.

Il faut suivre et satisfaire les besoins de l’enfant.

1er Besoin : oxygène (air pur). Il faut que la chambre du bébé soit bien aérée : fenêtres grandes ouvertes, le plus possible, ou tout au moins vasistas ouverts ; au besoin, par temps froids, protéger le bébé avec un paravent en lui mettant des moufles et un bonnet et en fixant sa couverture de façon à ce qu’il ne puisse se découvrir. Il faut que l’air circule librement autour du berceau : pas de garniture en cretonne, ni de capote. S’il faut que l’air frais circule autour de la tête, il faut aussi éviter de le placer dans un courant d’air froid, assis par terre entre la porte et la cheminée, par exemple.

2e Besoin : propreté. Pendant les premiers mois, bains chauds, de 36 à 38 degrés (eau chaude à la main). Se placer dans un coin chaud, habiller et déshabiller rapidement ; laver sans savon ; éviter d’introduire de l’eau dans les oreilles ; sécher avec soin, en particulier dans les plis de la peau, avec des serviettes chaudes ; si ce séchage est bien fait, on peut se dispenser de poudrer l’enfant (talc, poudre de riz non parfumée, etc…).

Si les enfants sont bien portants et forts, on peut employer des bains froids dès deux ans.

Veiller aussi à la propreté des seins, des biberons et de leurs tétines que l’on nettoie avec les doigts et une pincée de sel.

3e Besoin : alimentation et évacuation. Il est, dit le docteur Jeudon, indispensable, pour établir et contrôler l’alimentation du nourrisson, de suivre très régulièrement l’évolution de son poids à l’aide d’un pèse-bébé ou d’une simple balance. On peut dire qu’en moyenne, en France, un enfant à terme qui pèse moins de 2, 5 kg ou plus de 4, 3 kg est anormal et mérite une enquête médicale.

Pendant les trois ou quatre premiers jours de sa vie, l’enfant diminue de poids ; ensuite, il doit augmenter régulièrement, atteindre son poids primitif vers le 10e jour ; ensuite, jusqu’à 4 mois, il augmente en moyenne de 25 grammes par jour ; de 4 à 8 mois, de 16 à 17 grammes par jour ; de 8 à 24 mois, de 8 grammes environ par jour. Ces chiffres sont des moyennes qui varient suivant les individus, mais tout enfant dont l’accroissement de poids paraît insuffisant doit être surveillé, et il est bon de consulter le médecin.

« Chez le nourrisson, dépourvu de dents, dont la salive est peu abondante et peu active, dont l’estomac n’acquiert son développement complet que vers le 13e mois, alors que son intestin a, dès les premiers mois, une structure assez complète, dont la sécrétion pancréatique est insignifiante, alors que la sécrétion biliaire est riche, il est évident que l’alimentation doit être liquide et dépourvue de toute substance amylacée qu’il serait incapable de digérer. C’est pourquoi le choix des aliments est très limité ; un seul, en réalité, est physiologiquement indiqué : le lait… De toutes les formes sous lesquelles on peut présenter le lait, la meilleure est de beaucoup le lait maternel… » (Dr Jeudon.) Le lait de femme présente avec les autres laits — avec le lait de vache, par exemple — des différences notables, qui font précisément sa supériorité, et dont les principales sont sa richesse plus grande en sucre (lactose) et sa teneur relativement faible en matières albuminoïdes et extractives (reste azoté) et en sels. « C’est ce qui explique sa parfaite adaptation au pouvoir digestif si fragile et encore incomplet du petit de l’homme, au cours des premiers mois de sa vie. » (Dr Jeudon.)

Si nous tirons les conséquences de ce qui précède, nous voyons : 1o que le lait maternel — lorsque la lactation est riche et assez abondante — doit être préféré ; 2o qu’au cas où l’on emploie du lait de vache, « il faudra le couper d’eau et l’additionner de sucre avant de le livrer au nourrisson, au cours des premiers mois, pour le rapprocher, dans la mesure du possible, de la composition du lait de femme. Les coupages habituellement admis consistent dans le mélange de deux parties de lait et d’une partie d’eau sucrée à 10 %, et ceci jusqu’à l’âge de quatre mois. Ensuite, on augmentera progressivement la proportion de lait pour le donner pur et sucré, à partir de l’âge de six mois. » (Dr Jeudon).

Malheureusement, le lait de vache que l’on vend en France est souvent sale, très sale, et, pour cette raison, de nombreux médecins recommandent les laits condensés sucrés ou, mieux encore, le lait sec.

« Le lait sec, ou lait en poudre, est le résidu sec du lait privé de son eau… On l’emploie au cours des deux premiers mois dans la proportion d’une partie de poudre de lait pour huit parties d’eau, en augmentant le taux de la dilution avec l’âge. Il donne de bons résultats dans les diarrhées cholériformes. » (Dr Jeudon.) Ce lait est le plus employé dans le cas d’intolérance au lait de vache.

En tenant compte du besoin de calories de l’enfant et de la composition du lait maternel, « on a adopté, en général, la règle suivante qui consiste à donner une quantité quotidienne de lait correspondant, pendant le premier trimestre de la vie, au 1/6 du poids du nourrisson ; pendant le deuxième trimestre, à 1/7 ; pendant le troisième trimestre, à 1/8… »

Encore une fois, ces chiffres sont des moyennes donnant un plan général ; et, pour chaque nourrisson, il y a lieu d’adapter la ration à son poids, aux modalités de croissance et à l’état du tube digestif.

Nous ne parlons pas ici des premiers jours de la vie, où la mise au sein et l’établissement progressif des premières tétées sont parfois fort délicats, sujets à de nombreuses variations individuelles dont l’accoucheur doit prendre lui-même la direction et la responsabilité.

Cette quantité totale de lait quotidien doit être répartie en un certain nombre de tétées. Ici, un guide assez logique s’offre encore à nous : la capacité de l’estomac (qui est, à la naissance, de 30 à 50 cm3 ; à un mois, de 60 à 70 cm3 ; à trois mois, 100 cm3 ; à cinq mois, 150 à 200 cm3 ; à un an, 250 cm3 environ) et la durée de la digestion gastrique, qui varie de 1 h 30 à 2 heures.

D’où la règle suivante de répartition des tétées : De 0 à 3 mois : 8 tétées espacées de 2 h 30 (6 heures de repos la nuit) ; de 3 à 6 mois : 7 tétées espacées de 3 heures (6 heures de repos la nuit) ; de 6 à 9 mois : 6 tétées espacées de 3 heures (9 heures de repos la nuit) (Dr Jeudon).

« Dans aucun cas ne nourrir la nuit. L’enfant et la mère doivent dormir toute la nuit en paix. Mais, dans la journée, l’enfant doit téter à ses heures ; il faut le prendre, même s’il dort, et l’éveiller pour que toutes les fonctions se fassent régulièrement. » (Dr King.) Il faut tenir le bébé dans une position convenable pendant la tétée ; en général, on a le tort de le coucher contre le sein, ce qui est trop souvent la cause de déformation du menton et de troubles du nez et des oreilles ; il est préférable de le mettre presque debout.

Après chaque tétée, il faut mettre le bébé sur son pot pour régulariser ses fonctions et le faire devenir propre.

Il faut que l’enfant soit changé souvent pour éviter les irritations et les excoriations. Il faut se défier surtout de la gastro-entérite, qui, comme nous l’avons indiqué au début, est la cause la plus fréquente de la mort des jeunes enfants : si vous voyez une teinte verte apparaître sur les couches, si les déjections sont vert épinard, fréquentes et liquides, n’hésitez pas à recourir à la diète hydrique, supprimez-lui le lait pendant douze heures ou plus, en le remplaçant par des petits biberons d’eau bouillie ou d’eau de riz, et appelez le médecin.

Traitez la constipation comme une maladie : donnez d’abord des lavements de décoction de guimauve et modifiez l’alimentation (les mères nourrices devront prendre plus de légumes, manger moins de viande, éviter le chocolat, les mets épicés, les boissons excitantes : vin, café, etc.) ; pour les enfants élevés au biberon, on coupera les biberons d’eau de Vals ou de décoctions d’orge.

Dès le 6e mois, donnez un bâton de guimauve aux enfants pour exercer leurs mâchoires, et quelques aliments croquants dès qu’ils ont des dents. La mastication est un exercice indispensable. La nourriture molle cause la perte des dents et des végétations adénoïdes. Évitez les bonbons et les farines chocolatées.

4e Besoin : mouvement et repos. Le nouveau-né a surtout besoin de repos ; il doit dormir les 9/10 de son temps ; à 6 mois, les 2/3 du temps. Lorsque le bébé dort mal, cela provient, le plus souvent, d’une mauvaise alimentation, parfois aussi de vêtements trop lourds ou d’un air vicié. Si l’enfant crie et dort mal sans qu’on puisse en déterminer la cause, il est prudent d’appeler le médecin.

Au début, les petits ne remuent que par réaction : si on les touche, s’ils sont malades. Au bout de quelques mois, les mouvements deviennent plus fréquents et volontaires. Il importe qu’ils soient vêtus convenablement, de façon à avoir la liberté de leurs mouvements. Il faut fournir à l’enfant la possibilité et les occasions de se mouvoir, en écartant tous les dangers qui pourraient en résulter : ne rien laisser à sa portée qui puisse le blesser ; pas d’objets sales qu’il puisse sucer – il ne faut pas lui laisser prendre la mauvaise habitude de sucer son pouce– ; pas d’objets qu’il puisse avaler ; ne pas essayer de le faire marcher trop tôt : un enfant normal doit marcher entre un an et dix-huit mois.

5e Besoin : chaleur. Les vêtements. Le froid est l’ennemi du bébé. Il est bon que la température de l’air qu’il doit respirer ne soit pas au-dessous de 15° et ne soit guère au-dessus de 20°. L’air humide aussi est dangereux : n’étendez pas et ne faites pas sécher de linge dans la chambre où il dort. Abritez votre bébé du vent, de l’humidité, du soleil. Préférez la laine fine et chaude au coton peu chaud et lourd. Évitez les amas de vêtements qui gênent les mouvements et ne sont ni légers ni poreux. Supprimez la bande ombilicale, dès que la cicatrice est bien fermée. Employez des couches peu épaisses qui ne déforment pas les jambes. Ne gênez pas la respiration. Tenez chauds le ventre et les pieds de l’enfant ; au besoin, pour cela, employez des bouillottes d’eau chaude. Sous prétexte d’endurcir les enfants, évitez de leur laisser les bras et le cou nus en hiver. Si vous les transportez à bras, par mauvais temps, un grand châle est indispensable.

6e Besoin : des habitudes régulières. N’oubliez pas que l’enfant doit manger, dormir et évacuer à des heures absolument régulières.

Quelques conseils. Dans les pages qui précèdent, nous avons essayé de dire l’essentiel. Nous conseillons aux parents de s’éclairer plus encore par la lecture de quelque ouvrage spécial.

Il existe des œuvres sociales auxquelles les parents peuvent faire appel : maternités, consultations de nourrissons, etc… Malheureusement, ces œuvres, inexistantes à la campagne, sont insuffisantes dans les villes. Informez-vous, cependant, à ce sujet.

Des lois sociales, insuffisantes aussi, peuvent, cependant, apporter quelque aide aux parents pauvres ou ayant une nombreuse famille. Renseignez-vous sur les droits que vous accordent les lois bourgeoises. Et surtout, aimez bien les tout petits : ce n’est pas toujours suffisant – ne l’oubliez pas – pour écarter d’eux la maladie, la mort et la misère, mais c’est cependant l’essentiel.

Sachez enfin vouloir, pour l’avenir, une société meilleure qui aura davantage le souci de l’enfance. — E. Delaunay.


PUNIR (droit de). Sur l’origine historique du droit de punir, les idées communément admises au XIXe siècle sont rejetées par beaucoup à l’heure actuelle. Le droit pénal, disait-on, ne fut d’abord que le droit de vengeance, droit privé, héritage de toute une famille, qui valait non seulement contre la personne de l’offenseur, mais contre celle de ses enfants, de ses petits-enfants, de tous ses proches. A la vengeance privée aurait succédé, tantôt le wergeld ou rachat par l’argent, réglé d’après la coutume ou la loi, comme en Germanie, tantôt le principe de l’expiation religieuse, comme chez la plupart des orientaux. Suivant un grand nombre d’auteurs contemporains, la peine serait, au contraire, d’origine sociale ; elle caractériserait la contrainte de la collectivité par rapport à l’individu, et n’aurait rien à voir avec la vengeance privée. A l’origine, déclarent-ils, alors que la notion de responsabilité personnelle n’existe pas encore, c’est le dommage subi que l’on prend en considération. Les fautes ne sont pas appréciées comme des défaillances morales, elles ne provoquent aucune idée de répulsion contre le coupable ; on les estime seulement par rapport à la perte qu’éprouve le clan. Aussi le wergeld est-il proportionnel à l’importance sociale de la victime et à celle de l’offense. C’est de la sanction, appliquée à l’intérieur du clan, que serait née l’idée de responsabilité individuelle. « En même temps que ces wergeld, peines privées si l’on veut, écrit Saleilles, il y avait, parallèlement, de véritables expiations publiques pour les faits qui portaient atteinte il la sécurité de la tribu, faits de trahison par exemple… Partout où il y a un petit groupe organisé, nous trouvons ces deux formes de la peine, la peine protection, du côté de l’extérieur (wergeld), et la peine expiation, du côté de l’intérieur ; et le jour où les groupes arrivèrent à se fédéraliser sans se confondre, ces deux côtés de la peine se trouvèrent également réunis, tout en gardant leurs fonctions distinctes. » A l’intérieur du clan, on ne frappe pas brutalement comme à la guerre ; l’application de la peine devient un fait d’ordre religieux, que l’on entoure de formalités solennelles, consacrées par la loi ou par les rites traditionnels. Pour satisfaire un besoin instinctif et sauvage, l’on s’abrite derrière la divinité. « Mélange de rites religieux et de formes juridiques, la peine n’est pas un simple moyen de défense, c’est une sanction du mal réalisé, une équivalence entre le mal commis et le mal infligé. » La notion chrétienne du péché développa l’idée de responsabilité personnelle ; pour connaître les intentions cachées du coupable, on multiplia les tortures. Mais il est faux, à mon avis, de prétendre que, dès cette époque, « la conception qui prévaut est l’idée d’exemplarité par la peine, et de défense sociale, non pas par l’amendement individuel, mais par l’intimidation universelle. » Pour les penseurs chrétiens, le droit de punir est un droit mystique, émané directement du ciel et délégué aux souverains par le tout-puissant. C’est plus tard, quand s’accentua le déclin des idées religieuses, que l’on insista sur la nécessité de défendre la société. Plusieurs, aujourd’hui, prétendent que l’on ne punit le coupable que pour l’amender. « À l’idée que la peine était un mal pour un mal, déclare Saleilles, on substitue l’idée que la peine est un moyen pour un bien, ou un instrument soit de relèvement individuel, soit de préservation sociale. » Ainsi les autorités gardent jalousement le droit de punir ; elles se bornent à lui donner, selon les époques, une base théorique différente qui concorde avec les idées du moment. Car nous ne pouvons croire, comme Saleilles, que la société soit si pleine de sollicitude à l’égard du délinquant, lorsqu’il n’est point de noble extraction ! Les chefs ne réalisent que des amendements de détails, des améliorations partielles qui satisfont le public, sans amoindrir le pouvoir qu’ils s’arrogent sur les individus. Dans tous les pays, la législation pénale se propose d’assurer la domination d’une secte, d’un parti, d’une classe pl us ou moins nombreuse, d’une forme de gouvernement. Liberté, bien-être, vie des particuliers, elle sacrifie tout à l’orgueilleux intérêt de ceux qui la fabriquent. La loi n’est qu’un instrument d’oppression ; le juge ne se distingue pas du bourreau. En Amérique, un Sacco, un Vanzetti sont condamnés à mort à cause de leurs idées ; en Espagne, en Italie, de nombreuses victimes ont payé de leur vie le crime de penser librement. En France, la répression est moins sanglante ; pourtant, sans que l’opinion s’émeuve, des ministres s’acharnent contre les chercheurs indépendants. Combien nous en avons subi de ces persécutions, moi et ceux qui commirent le crime de se déclarer mes amis ! Cela remplace les anciens procès d’hérésie et de sorcellerie, les édits qui défendaient, sous peine du bûcher, de faire tourner la terre autour du soleil ou, sous peine de la hart, d’enseigner une logique autre que celle d’Aristote. La justice a d’ailleurs deux poids et deux mesures : elle est autre pour les grands que pour les petits, autre pour le patron que pour l’ouvrier. Quand, par une exception rare, elle frappe le riche, c’est dans une minime partie de sa fortune ; quand elle frappe le pauvre, c’est avec une rigueur inflexible, sans souci de la détresse où se trouve le malheureux. Un Péret trône au Sénat, un Oustric vit en liberté ; les forbans de la banque et de la politique dictent leurs arrêts aux juges et reçoivent des brevets d’innocence qui leur confèrent, légalement, une blancheur immaculée. Mais aucune indulgence pour le chômeur qui dérobe quelques navets, pour le manifestant qui conspue un ministre prévaricateur. Une monstrueuse et méthodique organisation de l’injustice, voilà où conduit, en pratique, l’application du droit de punir. Et jamais les penseurs officiels n’ont pu lui découvrir de bases solides du point de vue de la raison. (Voir l’article sur la Peine de Mort.) Afin de persuader aux peuples qu’ils devaient se laisser conduire comme de vils troupeaux et bénir la main qui les frappait, on soutint longtemps que lois et institutions répressives avaient dieu pour auteur. Parce que dépositaires de la puissance céleste, les souverains avaient pour obligation première de se montrer impitoyables. D’après Joseph de Maistre, c’est tout exprès pour eux que le créateur, dans son infinie bonté, fabriqua le bourreau. « La raison, écrit-il, ne découvre dans la nature de l’homme aucun motif capable de déterminer le choix de cette profession… Qu’est-ce donc que cet être inexplicable qui a préféré à tous les métiers agréables, lucratifs, honnêtes, et même honorables, qui se présentent en foule à la force ou à la dextérité humaine, celui de tourmenter et de mettre à mort ses semblables ? Cette tête, ce cœur sont-ils faits comme les nôtres ? Ne contiennent-ils rien de particulier et d’étrange à notre nature ? Pour moi, je n’en sais pas douter ; il est fait comme nous extérieurement, et naît comme nous ; mais c’est un être extraordinaire, et pour qu’il existe dans la famille humaine, il faut un décret particulier, un fiat de la puissance créatrice. » Pour rendre l’expiation plus complète et mieux satisfaire la vengeance divine, il conviendrait que la loi soit cruelle, les supplices raffinés, pensait le même auteur. Et il prétendait que jamais la justice ne condamna un innocent. Si des hommes ont péri sur l’échafaud pour des crimes dont ils n’étaient pas coupables, c’est qu’ils avaient mérité cette peine par des forfaits restés inconnus. Les atrocités de l’Inquisition se réduisent à « quelques gouttes d’un sang coupable versé de loin en loin par la loi ». Quant à la guerre, elle est d’essence divine, c’est un fait surnaturel qui permet au Père Céleste d’assouvir sa vengeance et de frapper, tout ensemble, le coupable pour ses fautes, l’innocent en qualité de victime expiatoire. De pareilles folies ne trouvent créance nulle part, maintenant., sauf dans les séminaires. En 1914, quelques prêtres s’avisèrent de rappeler la théorie de la guerre-expiation ; on leur fit comprendre qu’elle n’était plus de mode et qu’il était préférable d’exalter le courage de ceux qu’on envoyait à l’a mort. C’est à peine si l’on prend davantage au sérieux les déclamations d’un Cousin ou les réflexions d’un Guizot, pour qui le droit de punir se fonde sur l’ordre moral et consiste dans la rétribution du mal pour le mal. « Il n’est pas vrai, déclare Guizot, que les crimes soient punis surtout comme nuisibles, ni que dans les peines la considération dominante soit l’utilité. Essayez d’interdire et de punir comme nuisible un acte innocent dans la pensée de tous, vous verrez quelle révolte saisira soudain les esprits. Il est souvent arrivé aux hommes de croire coupables et de frapper comme telles des actions qui ne l’étaient pas. Ils n’ont jamais pu supporter de voir le châtiment tomber d’une main humaine sur une action qu’ils jugeaient innocente. La providence seule a le droit de traiter sévèrement l’innocence sans rendre compte de ses motifs. L’esprit humain s’en étonne, s’en inquiète même ; mais il peut se dire qu’il y a là un mystère dont il ne sait pas le secret, et il s’élance hors de notre monde pour en chercher l’explication. Sur la terre et de la part des hommes, le châtiment n’a droit que sur le crime. Nul intérêt public ou particulier ne persuaderait à une société tant soit peu assise que là où la loi n’a rien à punir, elle peut porter la peine, uniquement pour prévenir un danger. » Jamais les gouvernants, Guizot le premier, lorsqu’il fut ministre, n’ont hésité à prendre des mesures injustes, mais utiles à leurs partisans.

Les plus adroits, nous en convenons, n’oublient pas d’égarer l’opinion publique en couvrant leurs forfaits du manteau de la morale, de la religion, de l’honneur, etc… Cette conception qu’on peut appeler classique, fut celle d’un grand nombre de spiritualistes au XIXe siècle. Les sanctions prenaient à leurs yeux l’aspect de véritables expiations, de châtiments qui devaient être proportionnés à la gravité du manquement moral. Circonstances atténuantes et aggravantes permettaient seulement au juge d’adapter la peine à la responsabilité. On présumait l’existence de l’a liberté morale dans tout acte répréhensible, et cette liberté on la supposait identique chez tous. Plus voisine de la théorie de de Maistre et des théologiens catholiques qu’il ne semblerait au premier abord, cette doctrine témoigne cependant d’un effort vers la laïcisation de la justice. Comme elle ne répond point aux idées modernes, on l’abandonne de plus en plus. En grande majorité, constate Tarde, les juristes « malgré leurs convictions religieuses, commencent à rompre l’antique association d’idées entre la liberté et la responsabilité — je pourrais citer Cuche, Moriaud et d’autres — et sont bien près de regarder le libre arbitre, à leur exemple, comme n’ayant rien à voir avec la responsabilité morale et pénale. À vrai dire, ce qu’on retient du libre arbitre, pour complaire, pense-t-on, il la conscience populaire, n’est-ce pas le nom plus que la chose ? Tout en disant qu’aux yeux du peuple la responsabilité implique la liberté, on ajoute que la liberté, telle que le peuple la conçoit, c’est tout simplement la normalité physiologique. Ce qui fait la mesure de son indignation, ce n’est pas le degré de liberté que l’acte implique, c’est le degré d’intérêt ou de répulsion que l’agent lui inspire d’après la nature de son caractère, révélé par ses actes et ses paroles. Autant vaut dire que la conscience populaire, en prononçant son verdict, se préoccupe de savoir non si l’acte incriminé a été libre…, mais s’il a été conforme au caractère permanent et fondamental de l’accusé ». Obligation, responsabilité, sanction ne sont, pour la plupart des juristes actuels que des institutions sociales, sans rapport avec le libre arbitre des métaphysiciens et le devoir des moralistes. En bonne logique, ils devraient conclure qu’il n’existe en soi ni bien ni mal et que les lois pénales reposent uniquement sur l’intérêt du groupe ou plus exactement de ceux qui le commandent. D’ordinaire, ils cherchent une solution mieux adaptée à l’hypocrisie des bien-pensants. Fidèles à l’exemple que leur donnait l’école utilitaire, quelques penseurs l’ont osé néanmoins. Dans la peine, ils ne voient « qu’une mesure de défense et de sécurité publique analogue aux mesures préventives prises à l’encontre d’un animal dangereux ou d’un fou ». Et si plusieurs déclarent qu’il faut soigner le délinquant, le guérir, non le punir, car il est victime de son milieu des conditions économiques, de son tempérament, beaucoup d’autres se montrent impitoyables à son égard. Gustave Le Bon ne croit ni à la liberté, ni aux entités morales fabriquées par les métaphysiciens, il ramène tout à l’intérêt. Il déclare, dans un livre écrit avant guerre : « Pour arriver aux répressions nécessaires, il faudra guérir le public de son humanitarisme maladif et la magistrature de ses craintes. Quelques indices, bien insuffisants encore, permettent cependant d’espérer un peu cette guérison… Les humanitaires sont, indirectement mais sûrement, beaucoup plus dangereux que les bandits… Lorsque le danger sera devenu trop aigu, et qu’un nombre suffisant de philanthropes aura été éventré, notre sentimentalité s’évanouira rapidement. Alors, comme les Anglais, nous emploierons des moyens efficaces, les peines corporelles surtout. Quand les 30.000 apaches qui infestent Paris auront acquis la solide conviction qu’au lieu d’une villégiature en Nouvelle-Calédonie ou dans une prison bien chauffée, ils risquent le fouet, un labeur forcé et la guillotine, le travail leur semblera préférable au vol et à l’assassinat. En quelques semaines, Paris sera purgé de son armée de bandits. Nos législateurs découvriront alors que de toutes les formes d’imbécillité connues, l’humanitarisme est la plus funeste, aussi bien pour les individus que pour les sociétés. Il a toujours constitué un énergique facteur de décadence. » Gustave Le Bon, qui n’aimait que l’assassinat légal, aura eu la joie de voir l’humanitarisme s’évanouir tout à fait de 1914 à 1918. Avec une telle doctrine, la discussion devient inutile ; elle n’invoque pas hypocritement la morale et la vertu ; elle ramène le droit de punir à une question de force et d’intérêt sordide. Entre le délinquant et la société, il y a lutte ; cette dernière n’a rien à dire si le premier est le plus fort. Mais, comble de l’impudence ! maints auteurs modernes osent prétendre que la peine a pour but, non de châtier le coupable au sens traditionnel du mot, mais de l’avertir et de l’amender. « La peine, écrit Saleilles, a un but social, qui est dans l’avenir ; jusqu’alors on ne voyait en elle qu’une conséquence et comme une suite nécessaire d’un fait passé, sans référence à ce qu’elle pouvait produire dans l’avenir. Aussi ne produisait-elle que des récidivistes ! On veut voir aujourd’hui le résultat il obtenir… Et par suite, la peine pour chacun en particulier doit être appropriée à son but, de façon à produire le maximum de rendement possible. On ne peut ni la fixer d’avance d’une façon stricte et rigide, ni la régler légalement d’une façon invariable, puisque le but de la peine est un but individuel qui doit être atteint par l’emploi d’une politique spéciale appropriée aux circonstances. » Mais est-ce pour amender le coupable qu’on le condamne à mort ? Et depuis quand la prison et le bagne sont-ils des écoles de vertu ? Juges, policiers, gardes-chiourme voudraient seulement convertir le condamné ! Laisse-moi rire ; les faits sont là pour contredire ceux qui prêtent de si belles intentions, tant aux enjuponnés des tribunaux qu’aux argousins des prisons. De plus, en ramenant la répression judiciaire à un art de guérir et d’améliorer moralement l’individu, n’est-ce pas reconnaître que l’on est incapable de légitimer le droit de punir, que la société s’attribue ? Cet aveu nous suffit et nous arrêterons là l’examen de théories que l’on a multipliées sans profit. Nous repoussons le droit de punir. Nous admettons, par contre, le droit de légitime défense. C’est grâce à lui qu’en régime libertaire l’individu sauvegardera sa personne contre les attaques d’adversaires malveillants. Nous n’avons pas à sacrifier notre vie aux caprices d’un injuste agresseur, ni à souffrir qu’il nous violente ou nous exploite. Respectueux de la liberté des autres, nous pouvons exiger qu’ils respectent la nôtre. Un second droit, qui nous paraît incontestable, c’est le droit à réparation pour les dommages injustement subis. On m’a dérobé mes instruments de travail ; je découvre le ravisseur et l’oblige a me les rendre. Bien entendu, il ne saurait être question de pénalité et un libertaire ne voudra pas recourir ft l’oppressive action des tribunaux ; mais il sera dans son droit en exigeant la restitution. Il ne faut violenter personne ; pas davantage il n’est bon de se laisser violenter par autrui. Repousser la force par la force, c’est se défendre, ce n’est pas punir. Quant au droit à réparation, l’ouvrier qu’on exploite est fondé à en user contre son patron. — L. Barbedette.


PURGATOIRE n. m. (du latin : purgatorius, de purgare : purger). Le purgatoire est un lieu intermédiaire entre le ciel et l’enfer, où les âmes qui n’ont pas entièrement satisfait, en ce monde, à la justice divine sont purifiées des peines contractées par le péché, avant d’être admises en la présence de Dieu.

Les anciens n’avaient qu’une idée très vague du purgatoire ; nombre de peuples même l’ont totalement ignoré. Les Grecs avaient imaginé des limbes, séjour des enfants morts jeunes et un purgatoire où des traitements peu rigoureux purifiaient les âmes, mais ils n’en avaient tiré aucun corps de doctrine. Le Lamaïsme, dérivé du Bouddhisme, admet, ainsi que certains peuples Tartares, l’existence d’un purgatoire.

Cette doctrine est particulière à la religion catholique. D’après celle-ci, les âmes des hommes qui meurent avec de petits péchés, des imperfections vénielles sur la conscience, ne peuvent entrer, ainsi souillées, au royaume des cieux. Elles ne méritent pas, pour ces légers manquements, la damnation éternelle. Il doit y avoir un lieu de purification possible. C’est au purgatoire qu’elles iront. Là, les âmes souffriront des peines proportionnées à leurs fautes et demeureront un temps déterminé selon la gravité de leurs péchés. De plus, les vivants ont la précieuse faculté — précieuse surtout pour les finances de l’Église — de soulager les âmes du purgatoire et abréger la durée de l’expiation, par des messes, des bonnes œuvres, des prières, faites à leur intention. L’Église s’est bien gardé de définir ni le lieu exact où se trouve le purgatoire, ni la nature des peines endurées par les âmes. Elle laisse cependant supposer que ces peines consistent en supplice du feu.

L’Église a professé, au cours des âges, les opinions les plus vagues, les plus variées, les plus contradictoires au sujet du purgatoire. Elle n’a d’ailleurs érigé cette croyance en dogme qu’après le concile de Florence, en 1439. Les Hébreux n’en avaient aucune idée. Leur livre religieux, l’Ancien Testament, n’en parle pas. Dans le Nouveau, il n’y a que d’imprécises allusions. encore faut-il beaucoup de bonne volonté pour considérer les versets 32 et. suivants de l’Évangile selon saint Mathieu (XII) comme une indication. Sur ce point., les pères de l’Église ont eu, à propos du purgatoire, des opinions divergentes, allant jusqu’à s’annuler l’une l’autre.

D’abord ils crurent que les âmes ne sont pas jugées après la mort, mais qu’elles doivent attendre la résurrection des corps, au jugement dernier, pour être punies ou récompensées. Ensuite, certains estimèrent le contraire et imaginèrent le purgatoire. Saint Augustin nie, dans plusieurs de ses Œuvres, l’existence du purgatoire. Saint Fulgence n’y croit pas, mais Origène l’admet fermement.

Cette doctrine s’imposa surtout après l’institution de la fête des morts (xie siècle) qui fut créée sur la foi apportée au récit suivant : « Un pèlerin, revenant de Jérusalem, fut jeté dans une île où il trouva un ermite qui lui apprit que l’île était habitée par des diables qui plongeaient les âmes des trépassés dans des bains de flammes. Ces mêmes diables ne cessaient de maudire saint Odillon, abbé de Cluny, lequel, par ses prières, leur enlevait des âmes. Rapport de cela ayant été fait à Odillon, celui-ci institua, dans son couvent, la fête des morts. (Légende rapportée et certifiée digne de foi par le cardinal Pierre Damien, — d’après Voltaire —). L’Église adopta bientôt cette solennité.

Comme l’usage de racheter, par des aumônes et les prières des vivants, les peines des morts et des âmes du purgatoire, commençait à se généraliser et que, d’un autre côté, le pape délivrait pour cela des indulgences qui avaient une capacité de rachat supérieure aux simples prières, la fête dégénéra vite en abus. Les prêtres et les moines mendiants surtout, se firent payer pour tirer les âmes du purgatoire. Ils ne parlèrent plus que d’apparitions de trépassés, d’âmes errantes qui venaient implorer du secours, des châtiments éternels et des calamités qui punissaient les vivants assez hardis pour refuser du secours. Ce trafic éhonté des indulgences augmenta encore après l’institution des « jubilés » par Boniface VIII (1300). Pour permettre à tous les croyants de participer aux grâces que l’Église promettait en retour d’un pèlerinage à Rome, on institua des jubilés tous les 25 ans. Ces jubilés étaient l’occasion d’une vente massive d’indulgences plénières ou partielles.

Le commerce non dissimulé des indulgences, la rapacité des prêtres et des moines qui profitaient de la circonstance pour accroître leurs revenus déjà plantureux, les multiples excès résultant de cette coutume firent énormément pour le progrès des hérésies précédant la Réforme. (Voir ce mot). Afin de réprimer ces abus et pour lutter contre les ravages du protestantisme naissant, l’Église, soucieuse avant tout de ses intérêts spirituels et matériels, codifia la doctrine du Purgatoire et l’érigea définitivement en dogme au cours des conciles de Florence, en 1439, et de Trente, en 1545.

En admettant cette croyance chère aux classes pauvres, en faisant sienne cette superstition, l’Église se montra logique avec elle-même, car sans Ce royaume intermédiaire, elle ne saurait se tirer des contradictions et des absurdités qui découlent de la croyance au paradis et à l’enfer et du péché originel.

Pour ce dogme, comme pour tous les autres, l’Église, obligée par ses prétentions théocratiques, d’imposer au monde un certain nombre de croyances indémontrables, contrainte de répondre sans cesse aux hérésies renaissantes, en évitant de heurter trop directement le sens commun et les croyances générales, a dû imaginer une théologie qui répondait à toutes les objections. Elle a dû, pour sauvegarder l’essentiel de son patrimoine : ses intérêts financiers, progresser sans cesse dans l’absurde, et par des atténuations, des détours, des subtilités, donner au dogme un caractère et des formes en accord avec les besoins et les opinions du moment. Jusqu’au jour où, lassée des objections et des arguments dont l’intelligence humaine, sans cesse en progrès, commençait à l’accabler, elle eut l’idée (qui clôturait toute discussion !) de faire un « mystère » du dogme incriminé. — Ch. Alexandre.