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Erreurs et brutalités coloniales/II/I

La bibliothèque libre.
Éditions Montaigne (p. 62-88).

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE PREMIER

La répression


Les premières opérations dans la province de Farafangana, sous le commandement du capitaine Quinque.
Marche du capitaine Quinque sur Vangaindrano. Ses hésitations. Opérations contre Befanhoa. Brutalité de la répression.
Exécutions sommaires chez les Amblionys.
Siège de Vatanata par les rebelles.
Incidents à Midongy · Ranotsara · Soarano.


Le capitaine Quinque, après avoir lancé sur Amparihy la reconnaissance de Baguet, si dramatiquement terminée, était parti de Midongy pour Vangaindrano, comme il l’avait projeté, le 22 novembre à 5 heures du matin.

À 10 h. 30, il arrivait et faisait halte au gué de la Manambondrono. À midi, il y recevait un courrier de M. de Juzancourt, administrateur, chef du district de Vangaindrano. Il apprenait des détails sur la mort de Vinay, la défection des miliciens d’Amparihy, le sac du poste et l’attaque sans succès dont M. de Juzancourt avait, disait-il, été l’objet au passage de la Vatanata.

Le capitaine Quinque, mieux informé de la situation, entrevit le danger couru par la troupe du lieutenant Baguet et hésita un instant : devait-il continuer sa route sur Vangaindrano ou se porter au secours de son lieutenant ?

Après réflexion, il se décida pour la marche sur Vaingaindrano.

Or le 22 novembre, à l’heure où le capitaine Quinque pesait les raisons d’agir dans un sens ou dans l’autre ; peu importait, bien qu’il n’en eût pas conscience, sa décision à l’égard de la troupe de Befotaka. À cette heure (midi) Baguet était mort, Janiaud blessé, les tirailleurs dispersés.

Il est fâcheux, malgré tout, que le capitaine Quinque n’ait pas pris le parti qu’il rejetait, En se portant du gué de la Manambondrono sur Amparihy, à cinq heures de marche, il se fût heurté, avec une force bien supérieure, à la bande de Kotavy ; il eût pu la disperser, arrêter là l’insurrection, recueillir le cadavre du lieutenant Baguet, qui dut rester au contraire plusieurs jours sur place.

Ce fut du gué de la Manambondrono que, mieux éclairé sur la situation, le chef du district de Midongy, paraissant oublier que le 20 au matin son lieutenant avait reçu de lui l’ordre de partir en reconnaissance, modifia comme suit ses premières instructions : « Sergent Vinay et commerçant Choppy assassinés près d’Amparihy. Garde régionale d’Amparihy est à la tête de l’émeute ; Vangaindrano en danger. Donne ordre à Ranotsara vous envoyer 5 tirailleurs en renfort. Partez à la tête de 25 ou 28 tirailleurs et portez-vous sur Vatanata par Ranohira et Tamisoa. Il serait peut-être dangereux de vous rendre par Imandabe à Amparihy. Emportez munitions complètes et une ou deux caisses de réserve. Trouverez à Vatanata administrateur Vangaindrano, Janiaud et moi. Ce point est point de concentration. »

Ayant continué sa route, le capitaine Quinque arrivait en vue de Vangaindrano le 23, à 11 heures du matin et recevait, du chef de la province de Farafangana, un ordre lui donnant la direction des opérations militaires dans le district de Vangaindrano.

Le capitaine apprenait en outre, que M. de Juzancourt se trouvait à Vangaindrano, qu’il était en état de défendre ce poste avec trente-sept miliciens sous ses ordres. Vangaindrano n’était pas en danger ; une halte prolongée fut ordonnée et la colonne n’entra à Vangaindrano qu’à 15 h. 30.

Le 24, la colonne demeura inactive à Vangaindrano. À 3 heures du soir, un message apprit le désastre subi par la reconnaissance de Baguet-Janiaud, et la mort de ces deux lieutenants.

À ce moment, le capitaine Quinque modifie les ordres envoyés le 22. Sous le titre « Instructions », il écrit à Midongy : « Je modifie comme suit les ordres que j’ai donnés primitivement : Prévenez Befotaka et Ranotsara qu’ils conservent leurs effectifs au complet et au poste. La garde sera doublée. Résistance à outrance en cas d’attaque. Midongy gardera les effectifs venant d’Iakora et d’Ivohibe, jusqu’au retour du capitaine qui ne saurait tarder. Je reste à Vangaindrano jusqu’à nouvel ordre, la ville étant menacée. À Midongy faire bonne garde et résister jusqu’au bout en cas, bien improbable, d’attaque du poste. Faire à Begogo les recommandations que j’ai transmises ce matin.

Tenez détachement prêt à marcher. Ne laissez à Midongy que 30 hommes, dont vous. Vous donnerai des instructions pour le point où diriger détachement, si je rien prends pas le commandement moi-même à mon arrivée, en remplacement du mien éreinté par une marche forcée.

Prévenir Dominici (à Befotaka) de mettre scellés sur logement lieutenant (Baguet) et établir prise commandement district.

Faire de même à Midongy sur appartement Janiaud.

Suis abattu de ces tristes nouvelles auxquelles pouvais croire.

Pauvres camarades qu’une trop grande ardeur et une initiative néfaste ont conduit à la mort.

Pouvez mettre à Midongy pavillon en berne : il ne sera relevé qu’après éclatante vengeance. Je déplore mon impuissance en présence d’un tel événement ».

Une véritable incohérence a marqué les ordres donnés par le capitaine Quinque.

Le 19, au soir, il ordonne à Baguet de se mobiliser avec Janiaud et quelques hommes d’escorte, et de pousser une pointe de reconnaissance sur Amparihy. Janiaud reviendra d’Imandabe à Midongy.

Le 21 il lui prescrit : « Tenez prêt à marcher sous vos ordres directs un détachement de 20 tirailleurs qui emporteront 4 jours de vivres et 120 cartouches. Vous laisse toute initiative quant à l’opportunité d’une action rapide sur Amparihy… » et il annonce qu’il part pour Vangaindrano.

Le 22, nouvel ordre : « Partez à la tête de 25 ou 28 tirailleurs et portez-vous sur Vatanata par Ranohira et Tamisoa. Il serait peut-être dangereux de vous rendre par Imandabe à Amparihy. »

Dans le premier ordre, la route par Imandabe est indiquée, dans le troisième elle est considérée comme dangereuse. Dans les premier et deuxième ordres, l’objectif est Amparihy. Dans le troisième, c’est Vatanata.

Les lettres écrites le 20 à 9 heures du soir, par Baguet et Janiaud bivouaquant à Amparihy, arrivèrent à Midongy le 22, après le départ du capitaine pour Vangaindrano.

Les Européens de Midongy transmirent ces lettres, à 16 h. 30, au capitaine en reconnaissance et répondirent à Baguet, lui apprenant le départ du capitaine avec trente fusils, lui disant, en réponse à sa demande de renforts, qu’il ne restait que vingt-six fusils à Midongy, qu’on ne pouvait dégarnir davantage le poste, avant l’arrivée du lieutenant Petitjean à qui le capitaine avait prescrit de rejoindre Midongy, où il était attendu le jour même.

À ce moment, Baguet était tué et le lendemain matin 23, à 11 heures, harassé, encore halluciné, sortant blessé de terribles épreuves, Janiaud arrivait à Midongy, dont il prenait le commandement.

Dans la matinée du 23, ou la nuit du 22 au 23, le désastre d’Amparihy avait été connu à Midongy par un envoyé du sergent commandant Befotaka en l’absence de Baguet. Ce sergent s’attendait à être attaqué. De Midongy fut envoyée au capitaine Bieau, commandant le district voisin d’Ivohibe, une demande de secours en hommes et munitions. À 11 heures du matin arrivait le lieutenant Janiaud : de Midongy on rectifia pour le chef de la province à Farafangana la dépêche lancée quelques heures plus tôt, qui annonçait sa mort.

À son arrivée, Janiaud trouva le poste de Midongy mis en état de défense par le Dr Bernard et le sergent-major Emmanuel. Un retranchement avait été élevé, un champ de tir dégagé en avant du parapet et des palissades, un réduit organisé renfermant les vivres, les munitions, les médicaments.

Partout avaient été envoyés des émissaires.

Le capitaine Quinque avait prescrit au lieutenant Petitjean de remettre à un sergent la direction du sous-district de Iakora et de se rendre à Midongy où, pendant son absence, il assurerait l’expédition des affaires du district, le commandenient du poste et le ravitaillement des troupes. (Le capitaine à cette date ne connaissait pas la rentrée à Midongy du lieutenant Janiaud, qu’il croyait tué à Amparihy).

Le lieutenant Petitjean devait amener avec lui à Midongy les munitions en excédent à Iakora et Soarano, ne laissant dans ces postes que 170 cartouches par homme présent le jour de la réception de cette note de service.

Janiaud transmit ces ordres en les faisant suivre d’avis inspirés de ses propres renseignements.

À Ranotsara, il fit savoir que les indigènes se proposaient d’enlever le poste ; ils devaient entrer en masse le jour du marché, sous prétexte d’apporter du riz, s’emparer des armes et exterminer la garnison.

À Begogo, les bourjanes de Iakotika devaient se précipiter sur la garnison, saisir les fusils et égorger les tirailleurs et le sergent.

Le 25 novembre, le lieutenant Cautelier amena dix-huit tirailleurs de Vondrozo, pour renforcer la garnison de Vangaindrano : le chef-lieu du district était ainsi mis hors de danger. Le capitaine Quinque décida de rentrer rapidement à Midongy, qu’il jugeait entouré de rebelles menaçants, et se mit en route le lendemain 26, par Vatanata.

En quittant cette étape de Vatanata, le capitaine Quinque emmena M. Calendini, avec vingt-cinq miliciens, pour renforcer son propre détachement porté ainsi à cinquante-cinq fusils.

Il intronisa chef de poste de Vatanata le soldat Méric, à la tête de vingt-deux miliciens, assisté de son camarade Espinasse.

Escorté de ses cinquante-cinq hommes, le capitaine arriva à Midongy le 28, vers 4 heures du soir, sans incident. Ses craintes étaient dissipées. Il rentrait dans son poste avec cinquante-cinq fusils, qui s’ajoutaient aux vingt-six qu’il y avait laissés.

Du 20, jour où il avait appris l’assassinat de Vinay, au 26, le capitaine Quinque s’était dépensé en ordres et contre-ordres, avait exécuté sur Vangaindrano une marche inutile, lancé, sans réflexion, Baguet sur Amparihy, perdu cinq jours entiers dans une agitation sans résultat.

Le 27 novembre à 16 heures, en arrivant à Vatanata, le capitaine avait appris l’enlèvement du poste de Begogo et l’assassinat du sergent Alfonsi, par Befanhoa et les gens d’Iakotika. En même temps le lieutenant Janiaud, qui avait pris le commandement de Midongy, communiquait que le poste avait été attaqué, ou plutôt menacé, pendant la nuit du 24 au 25.

Chez le capitaine Quinque, c’est toujours la même préoccupation, de rejeter sur l’ardeur trop grande et l’initiative néfaste de Baguet et Janiaud, la responsabilité du désastre d’Amparihy, alors que l’incohérence, la fébrilité, les contradictions de ses ordres, en furent la cause principale. Des instructions nouvelles avaient été expédiées le 26 novembre de Vangaindrano : à Messieurs les chefs des sous-districts, comme ordre, et au capitaine chef du district d’Ivohibe, à titre de renseignement.

Elles relataient la mort de Vinay, celle de Baguet et de Janiaud (le capitaine ne connait pas encore son retour à Midongy), mais toujours soucieux d’éluder les responsabilités, il écrit : « M. Janiaud, contrairement aux ordres qui lui avaient été adressés, de revenir en hâte à Midongy, accompagna M. Baguet ». Ensuite, le capitaine mettait en garde les chefs de poste contre des attaques possibles ; il recommandait la vigilance et sous le coup du désastre d’Amparihy, il indique : « Pas de sortie, pas de mouvement en reconnaissance, qui puissent occasionner un nouveau désastre, d’autant que le capitaine a besoin de tout l’effectif disponible pour agir et préparer le terrain à la colonne qui sera formée, sinon pour donner une leçon aux rebelles, au moins pour leur arracher les cadavres de nos regrettés camarades et tirailleurs ».

Dans la nuit du 24 au 25, les gens des villages d’Itomanpy, entre Midongy et Antanandara, vinrent près du poste avec l’intention évidente de l’attaquer. Voyant la vigilance des occupants, ils se retirèrent.

Le 25 au matin, Begogo était enlevé par Befanhoa et le sergent Alfonsi massacré. Le lieutenant Petitjean qui n’avait pas reçu les ordres à lui destinés, abandonnait de son initiative le poste d’Iakora, et partait pour Midongy, où il devait arriver le soir.

Le lieutenant Janiaud, le 26, transmettait ces nouvelles au capitaine Quinque, toujours supposé en reconnaissance à Vangaindrano.

Le samedi 26, l’adjudant chef de Ranotsara, prévenu de l’assassinat d’Alfonsi par les émissaires envoyés de Midongy, avertit la population qu’il n’y aurait pas marché à Ranotsara le dimanche, fit fermer les portes du poste le samedi soir et travailler à la fortification jusqu’à minuit. Une agitation insolite se manifesta aux abords du poste, où circulaient le dimanche matin de nombreux indigènes portant du riz. La fermeture du marché les découragea ; leur plan était inexécutable ; ils se tinrent tranquilles.

Le détachement demandé à Ivohibe arrivait à Soarano sous le commandement du lieutenant Foulon : c’était vingt-neuf tirailleurs de plus.

Le 29 novembre, le capitaine demeure à Midongy, le 30 il reçoit les vingt-neuf tirailleurs du lieutenant Foulon : il apprend par une lettre de M. Hartmann, son départ de Ranomafana pour Manantenina et Amparihy. Hartmann se proposait, avec le lieutenant Barbassat, d’attaquer les villages de Sandravinany le 1er décembre. Le capitaine disposait de cent fusils. Pour coopérer avec MM. Hartmann et Barbassat, il lui fallait deux journées de marche ; il n’arriverait que le 2 décembre, bien tardivement. Se porter vers Amparihy et Manantenina, c’était dégarnir Midongy, laisser le champ libre à l’insurrection. De même qu’au gué de la Manambondrono, il n’était pas allé au secours de Baguet, le capitaine Quinque s’abstint de porter aide à MM. Hartmann et Barbassat.

On peut déplorer cette décision : le capitaine Quinque, en arrivant le 2 décembre, aurait débloqué le lieutenant Barbassat et la destruction de Ranomafana, le massacre d’Esira, qui suivirent, auraient été évités (voir la progression de la révolte dans le cercle de Fort-Dauphin).

Donc le capitaine Quinque maintient ses ordres de la matinée du 30 novembre : former une troupe de cent fusils, devant partir le 1er décembre pour Begogo et Ranotsara.

La reconnaissance était composée de : cinquante tirailleurs de la 1re compagnie du 2e Malgaches (lieutenant Petitjean arrivé à Midongy, après avoir quitté le poste de Iakora) ; vingt-neuf tirailleurs de la 5e Compagnie du 2e Malgaches (lieutenant Foulon) ; vingt-cinq miliciens (garde régional Calendini). Bernard, le médecin de Midongy, aide-major de 1re classe, emportait avec un convoi 3.840 cartouches modèle 80, 1040 modèle 79-83, des outils, deux paniers de médicaments, huit jours de vivres. Le tout sous le commandement supérieur du capitaine Quinque.

Craignant que les rebelles aient coupé et obstrué par des abattis la route de Midongy à Iakotika, le capitaine fit prendre à sa troupe l’itinéraire Midongy-Antanondara, par Ihosy-Iakotika-Begogo, tournant les points occupés par l’ennemi.

La petite armée quitta Midongy le 1er décembre à 7 heures, et sans incident arriva à 17 heures à Antanondava, où elle cantonna au milieu de la tribu Ambiliony.

Les Ambiliony étaient présents dans leur village, leurs troupeaux à la pâture. Tout était calme, tranquille. Le capitaine était persuadé que, malgré ces apparences, les indigènes de cette tribu étaient hostiles et avaient pris part au massacre de Begogo. Il ne fit rien paraître de ses intentions, réservant pour plus tard ce qu’il estimait un châtiment mérité.

Les hostilités véritables furent engagées le lendemain 2 décembre. À 5 h. 30, la colonne quittait le cantonnement et trois heures plus tard entrait sur le territoire des tribus ouvertement insurgées.

Tous les grands villages de la tribu Zafitemana étaient depuis plusieurs jours abandonnés par leurs habitants. Des objets provenant du pillage de Begogo y furent découverts : un complet bleu de tirailleurs, deux chéchias.

Vers 12 heures, deux indigènes de la tribu Ambiliony furent arrêtés. Ils étaient soupçonnés d’être venus renseigner Befanhoa, chef de la tribu Zafindiandika. D’après certains renseignements, cette tribu avait pris une part prépondérante au complot dirigé contre Begogo et à son exécution. Les indigènes arrêtés affirmèrent que les Zafindiandika n’avaient pas quitté leurs cases.

À 16 h. 30, après avoir traversé les ruines du poste d’Iakotika, depuis longtemps abandonné, et dont les insurgés avaient incendié les restes, la colonne atteignit le cirque d’Ifandana.

Quelques coups de feu furent tirés par les indigènes sur l’avant-garde, qui riposta : les assaillants se retirèrent sur le cirque de Beampombo.

La nuit était venue, la troupe bivouaqua sur un mamelon.

Au lever du jour, vers 4 heures, le caporal Bouché fut envoyé, avec vingt tirailleurs et des partisans, pour reconnaître l’ennemi rassemblé sur le plateau de Beampombo.

Une heure après, le caporal signalait des troupeaux marchant vers la forêt ; la tribu, à la vue des tirailleurs, envoyait précipitamment dans les bois ses bœufs, ses femmes, ses enfants.

Le combat s’engagea et devint ardent vers 8 heures. Les divers groupes : l’avant-garde sous les ordres du caporal Rougé, le peloton de tirailleurs commandé par le lieutenant Petitjean, celui du lieutenant Foulon, les miliciens du garde principal Calendini, entrèrent tous en action, dans une assez grande confusion, se heurtant à une resistance obstinée, subissant même des contre-attaques vigoureuses.

Finalement les indigènes battirent en retraite devant une poussée énergique du lieutenant Petitjean. Ils gagnèrent la lisière de la forêt, et s’y arrêtèrent quelque temps.

À 10 h. 50, le champ de bataille demeurait aux mains de la colonne Quinque : les insurgés se reformaient à deux kilomètres à l’est, sur une hauteur dominant de trois cents mètres celle d’où ils étaient chassés.

Le capitaine Quinque revint à son bivouac de la nuit, ne pouvant pénétrer en forêt et attaquer une position jugée très forte.

Ce fut la première rencontre des troupes françaises avec les indigènes, rencontre inévitable, nécessaire. Les Français ne pouvaient rester inactifs, ne pas punir les assassins de Vinay, d’Alfonsi, la traîtrise de Befanhoa. Ils devaient rétablir leur autorité, montrer aux révoltés l’inutilité de leur rébellion, leur impuissance devant nos armes.

L’insurrection avait surtout déterminé une explosion de sauvagerie ; les indigènes étaient retournés d’emblée à leurs habitudes de violence, de cruauté ; la répression s’imposait, indispensable tant dans l’intérêt des indigènes eux-mêmes que nous devions arracher à leur barbarie, que dans celui de notre œuvre de colonisation et de la sécurité des Européens, de tous les vazahas de Madagascar.

Mais à la barbarie malgache il ne fallait pas opposer une autre barbarie ; il importait de donner à la répression un cachet de dignité hautaine, d’apprendre aux indigènes que notre force est une puissance de civilisation, que même notre violence, quand nous sommes forcés de l’employer, diffère dans ses manifestations de la brutalité, sans mesure, des primitifs.

Dans le récit tiré des rapports officiels du capitaine Quinque, rien à critiquer : c’est le tableau d’un combat. Les à-côtés de ce combat, nous les connaissons par deux lettres du capitaine au lieutenant Janiaud, commandant de Midongy, dont les détails donnent à la répression sa véritable figure. La première lettre est du 2 décembre : « Je ne sais si cette lettre vous parviendra. Nous sommes, à Beampombo, en plein coeur de l’Iatoka, où nous bivouaquons, les hommes équipés, le fusil entre les jambes, prêts à tout. Le contact a été pris vers les 4 heures du soir (engagement d’avant-garde du rapport officiel) et la poursuite a commencé, arrêtée par la nuit. Demain nous continuons ; où irons-nous ? Impossible de le dire ; cela dépendra de Befanhoa… J’avais oublié de prendre un fanion. J’ai décroché, en passant, celui des Ambiliony et le fais porter par le chef de cette tribu, Tsiandika, qui est compromis, je crois, dans l’affaire de Begogo. Il en r… et n’a nullement besoin de sulfate de soude ou de magnésie.

Matofika et les partisans sont pleins d’entrain.

Quel sakafo (festin) de villages, mais vidés de tout !

Les tirailleurs ont assommé deux types avant que Petitjean ait eu le temps de tourner la tête. Les partisans ont grillé une vieille femme. C’est la vengeance annoncée. »

Le 3 décembre au soir, après le combat du jour, nouvelle lettre du capitaine Quinque.

« Aujourd’hui engagement très important avec Befanhoa. Combat très acharné de part et d’autre, lui défendant famille et troupeaux, les tirailleurs vengeant Begogo… La région a été proprement nettoyée, sauf le riz qui ne sera pas mûr avant deux ou trois mois et que je reviendrai couper en temps voulu.

Je ne sais pas ce que Befanhoa trouvera en forêt, mais il est certain qu’il vivra misérablement pendant longtemps. Les troupeaux ont énormément souffert aujourd’hui… Enfin Befanoha a dû subir un échec qui doit lui tenir au cœur, par le cadavre de son fils tombé en nos mains et brûlé… »

Ces tirailleurs assassinant des prisonniers, ces partisans grillant une vieille femme, le malheureux chef obligé de porter le fanion du capitaine, tremblant d’être exposé, par devant aux balles de ses frères insurgés, par derrière à celles des tirailleurs, le capitaine plaisantant sur son effroi, tout cela c’est la guerre sauvage. C’est une barbarie se heurtant à une autre barbarie, c’est la lutte entre non civilisés, qui tuent les prisonniers, brûlent les femmes. Les partisans à la solde de la France ont toutes les mœurs, toutes les habitudes des primitifs, leurs frères, leurs pères, leurs parents : ils font la guerre pour le sakafo (le pillage) et ce sont nos alliés, des guerriers sous nos ordres !

Sans être un idéologue, un mystique, il est permis de penser et de dire que la civilisation ne doit pas s’implanter chez des barbares, par une action conçue et conduite avec des procédés de sauvages.

En effet, la discipline militaire ne s’est pas imposée aux tirailleurs, même en matière purement militaire. Pendant le combat, le chef est dans l’impossibilité de faire sentir son autorité, de diriger le feu. Dans sa dernière lettre le capitaine Quinque écrit : « 4.000 cartouches brûlées, j’en suis renversé ; des tirailleurs sont revenus avec 15 et même 5 cartouches… les tirailleurs ont été plein d’entrain ; ils ont combattu avec acharnement, à bout portant, avec une haine de race qui rend le commandement difficile, je dirai même impossible. Chacun d’eux était redevenu sauvage et voulait combattre pour son compte personnel, entrait seul en forêt, faisant le coup de feu sans viser ; bien entendu ma réserve de cartouches y est passée. »

Ce grand combat avait coûté un mort, un seul, le tirailleur Remanhary, atteint d’un coup de feu. Pas un seul blessé. Du côté des rebelles, qui avaient, dit le rapport, subi des pertes sensibles, on ne recueillit qu’un cadavre, celui d’un fils de Befanhoa. Befanhoa lui-même avait été, apprit-on les jours suivants, sans que preuve certaine en ait jamais été fournie, atteint d’une balle entrée par la paroi abdominale et sortie près la colonne vertébrale. Coup de contour probablement sans pénétration.

La nuit se passa sans incident. Le lendemain la colonne se porta sur l’emplacement du poste de Begogo, dont il ne restait debout que quelques poteaux calcinés.

Dans une dépression, à proximité du poste, fut reconnu le cadavre d’Alfonsi, mutilé et ayant subi un commencement d’incinération. À ses côtés étaient les cadavres de quatre tirailleurs ; trois autres se trouvaient dans le voisinage. Les têtes étaient séparées du tronc et déjà réduites, en partie, à l’état de squelette. Les honneurs furent rendus et les restes inhumés.

De là Quinque se dirigea sur Ranotsara, où il arriva le 5 décembre. Les chefs vinrent protester de leur dévouement et de leur soumission à la France. Le poste, avec vingt-deux hommes de garnison, était en bon état de défense.

De Ranotsara la colonne vient cantonner à Ihosy, au milieu de la tribu Ambiliony. Quelques instants après l’arrivée à Ihosy, un tirailleur apporta des tringles de fer, trouvées dans une case, tringles considérées comme étant les supports du lit portatif d’Alfonsi.

Pour le capitaine, la preuve de la culpabilité des gens d’Ihosy était faite, et par cette découverte et par celle de marmites, glaces, verres d’origine européenne, et aussi de sacs de riz cachés sous des cactus, indiquant des projets de fuite. Dix-huit indigènes furent arrêtés et fusillés séance tenante sur l’ordre du capitaine. Étaient présents à l’exécution : le lieutenant Petitjean, le Dr Bernard, tous les Européens de la colonne.

C’est ce que dans un rapport à ses chefs militaires, le capitaine Quinque exprime en ces termes : « Cette tribu fut châtiée durement ». Toujours la méthode brutale et inintelligente. Rien ne prouvait que les gens d’Ihosy aient pris, en masse, part au massacre de Begogo. Que quelques-uns s’y fussent trouvés, c’était possible, mais à quel titre ? Assassins d’Alfonsi, incendiaires, pillards, ou même simplement recéleurs des objets trouvés en leur possession ?

L’exécution d’Ihosy eut un effet déplorable dans la région ; tous les villages fuyaient vers la forêt dès qu’apparaissait un casque blanc d’Européen, ou une chéchia rouge de tirailleur. Befanhoa parcourait le pays, criant : « Venez avec nous, que vous soyiez ou non des nôtres, vous serez tous tués, voyez ce qui est arrivé aux gens d’Ihosy qui n’avaient rien fait ».

Exécuter des gens en masse, sans preuve de la culpabilité de chacun, c’était méconnaître d’une façon absolue l’état d’esprit de l’indigène de Madagascar, au reste semblable à celui de tous les primitifs.

Le primitif a une conscience très éveillée de la justice. Certes il n’a pas, comme nous, le souci de doser la peine suivant la gravité du crime ou du délit. Il admet la mise à mort, comme sanction d’un acte que nous jugerions justiciable d’une amende ou d’une détention courte : peu importe la peine, il paye ! Il ne pardonne pas une condamnation non justifiée, si légère soit-elle. La mort pour le vol certain d’un pain, soit ! mais deux jours de prison imméritée, c’est un souvenir toujours présent, qui appelle une vengeance. À Ihosy, l’exécution de bourjanes en bloc jeta la terreur dans la région et, après être arrivé à Midongy le 8, la colonne, sur son chemin de retour, trouva tous les villages abandonnés.

En fait, l’opération répressive du capitaine Quinque avait plus exaspéré que calmé les insurgés. Elle leur avait amené des recrues.

Le capitaine était rentré à Midongy, se targuant d’un important succès militaire.

Dans une lettre du 10 décembre, il écrivait : « C’est déjà très beau d’avoir obtenu un succès sans plus de casse… » Un succès militaire ? Oui et non. Oui, selon la conception tactique des Européens ; non, selon celle qu’il faut appliquer aux expéditions coloniales.

Dans un engagement aux colonies, européens et indigènes ne poursuivent pas le même but, n’ont pas la même conception tactique. Succès est un mot, dont le sens militaire n’est pas le même pour les uns et pour les autres.

L’Européen se dit vainqueur s’il reste maître de la position qu’il détenait au moment de l’engagement, ou de celle occupée par l’ennemi.

Une position militaire, pour l’Européen, c’est un mamelon facile à défendre, un point qui commande des routes, un passage de rivière, etc. Une position a une importance tactique dans la guerre savante, parce qu’elle intéresse les deux parties en lutte, parce que sa conquête entraîne comme conséquences la prise de possession de routes, de fleuves, de voies ferrées, de forteresses, etc…

Dans les guerres coloniales, l’adversaire, assaillant ou défendant, n’a cure de la position ; il cherche à tuer et à piller. S’il se heurte à plus fort que lui, il rompt le combat sans s’inquiéter de la position dont l’Européen reste maître.

Il peut arriver — et il est arrivé — que l’Européen demeuré sur sa position, ou ayant conquis celle de l’adversaire, donc vainqueur au point de vue militaire européen, se trouve cependant, en raison des pertes subies (seul résultat cherché par l’assaillant) le vaincu, au regard de l’indigène.

Dans les engagements de la colonne Quinque, il y avait eu un mort dans chaque partie, — piètre victoire des Européens.

Sans valeur au point de vue militaire, les marches et fusillades du capitaine Quinque retardèrent, plus qu’elles ne les facilitèrent, la pacification et le rétablissement de l’ordre. Effrayés par la violence aveugle de la répression, frappant sans jugement innocents et coupables, les villages fuyaient à l’approche des Français : l’exode vers la forêt devint général. La région d’Iakotika, les abords de Midongy se vidèrent de leurs habitants, transformés souvent en fahavalos malgré eux. Plus il y avait de coups de fusils tirés, plus les hôtes de la forêt devenaient nombreux. Or tout indigène de la forêt devient fatalement un brigand ; il lui faut manger, et rien de comestible n’existe dans la forêt que quelques racines, médiocre nourriture. S’il est établi depuis quelques mois dans une clairière, il y tente quelques cultures : survient une reconnaissance : il fuit plus loin ; la reconnaissance détruit ses cultures, lui prend ses bœufs, s’il en a, ou vient cueillir le riz à maturité ; ainsi que se le proposait le capitaine Quinque chez les Ambilionis.

Affamé, cherchant à ne pas mourir de faim, voulant rapporter aux siens leur pâture, le fahavalo sort de son repaire : il est bien obligé de piller les greniers à riz ou les parcs à bœufs. La chasse de l’indigène à coups de fusils, la destruction des cultures n’ont jamais pacifié une région ; elles ont pu amener des soumissions, imposées par la famine et la terreur, mais il reste dans toutes ces âmes primitives une rancune, une haine sans fond, qui éclatent quelque jour, au grand émoi des imprévoyants, des politiques sommaires qui les ont semées et enracinées.

Dans des régions aussi peu peuplées que Madagascar, où une forêt immense est l’asile tout proche, poursuivre des révoltés à coups de fusil est une œuvre vaine ; le feu les fait s’égailler ; la poursuite, pour être efficace, nécessiterait plus de soldats que d’habitants.

Malgré les distances, les renseignements se transmettent et se propagent avec une étonnante rapidité. Dans les profondeurs de la forêt, les réfractaires connaissent tous les mouvements de l’adversaire. Après une rencontre, tous s’évanouissent, niais le lendemain des troubles éclatent sur un autre point, et c’est une course sans fin à la poursuite d’insaisissables ennemis.

Ainsi, pendant que le capitaine Quinque recherchait et poursuivait Bafanhoa, dans la région d’Iakotika, Vatanata, au sud-est de Midongy, était violemment attaqué. On se souvient que le capitaine Quinque, en remontant de Vangaindrano sur Midongy, avait laissé à Vatanata le soldat Méric, secondé par le soldat Espinasse et vingt-deux miliciens.

Les gens de la vallée de la Masianaka et de la Manambondro, dès qu’ils virent disparaître la colonne de cent fusils conduite par le capitaine, résolurent l’attaque du poste de Vatanata, renseignés sur la faiblesse relative de sa garnison. Le 2 décembre au matin, ils exécutèrent leurs projets. La garnison était sur ses gardes, l’attaque de vive force échoua. À cette heure le capitaine Quinque, à trois jours de marche de là, bataillait avec Befanhoa.

N’espérant pas enlever Vatanata de vive force, les indigènes l’entourèrent de retranchements et établirent un siège en règle.

La garnison s’était retirée dans le blockhaus où elle avait vivres et munitions pour quelques jours.

Le siège dura trente-six heures : Vatanata fut débloquée par le lieutenant Lesol, commandant un peloton de la 3e Compagnie du 2e Malgaches. Cet officier, au cours d’une reconnaissance, prévenu par le chef d’Ambongo de la situation de Vatanata, avait couru au secours de la place.

Le 4 décembre le lieutenant Lesol attaquait vigoureusement les rebelles, qui s’enfuirent, laissant quarante cadavres sur la place.

Après avoir complété la défense du poste, le lieutenant Lesol regagna Vangaindrano, emmenant le soldat Méric qui souffrait d’une entorse.

Le poste de Vatanata passait sous l’autorité du soldat Espinasse. On est étonné que le capitaine Quinque ait confié une autorité redoutable à des sous-ordre comme le soldat Espinasse, autorité dont ils usaient d’une manière aussi barbare que les insurgés.

Le 6 décembre, deux jours après la prise du commandement par Espinasse, le capitaine recevait la lettre suivante :


« Le Soldat Espinasse, chef du poste de Vatanata à Commandant district Midongy


J’ai reçu hier seulement votre lettre N° 222, la peur des rebelles ayant empêché les bourjanes de l’apporter au poste plus tôt.

Avez-vous reçu lettre N° 2, envoyée hier 5 courant, vous informant que j’étais débloqué ? Chef Ratikitra qui était prisonnier au poste a cherché à se sauver hier matin, après avoir offert, sans succès, de l’argent aux miliciens et à la femme du garde de milice. L’ai tué d’un coup de revolver… »


Voici un indigène qui, sans jugement, sans autre raison qu’une tentative de corruption de ses gardiens, est tué par un soldat européen. Le capitaine qui a confié un poste à un homme d’une moralité si primitive, qui n’a répondu par aucune observation à l’aveu d’une exécution — véritable assassinat —, n’est-il pas par deux fois coupable ?

À Soarano, il n’y avait jamais eu d’attaque véritable ; tout s’était borné à quelque effervescence.

Le 12 décembre l’adjudant Colomer, de Soarano, écrivait à son capitaine à Midongy : qu’il considérait, dès longtemps, Imatoanga comme « un ennemi dangereux qui recommencerait (il venait d’abandonner Bafanhoa et de se soumettre) à faire soulever tous les siens, dès que l’occasion lui serait favorable : il y a urgence écrivait-il, à le mettre dans l’impossibilité de nuire ; malgré cela, je l’ai laissé libre, car son arrestation aurait donné l’éveil à 14 ou 15 indigènes aussi dangereux que lui, sinon plus, que je cherche à faire tomber dans un guépier et qui doivent être punis avec la plus extrême rigueur. »

Ce chef redoutable que l’adjudant Colomer avait laissé libre, mourait brusquement le 17 décembre. L’adjudant fit part de ce décès au capitaine Quinque, par ce billet laconique :

« J’ai l’honneur de vous rendre compte que le chef des Andréponarivos (Imatoanga) que j’avais d’abord consigné au village, sous la garde des partisans, et mis en prison au poste ensuite, est mort cet après-midi.

Je l’avais muni d’une bonne cangue et je crois que c’est en tombant on en se laissant tomber du lit de camp que la secousse l’a tué ».

Imahatoanga avait été purement et simplement assassiné. La mort des prisonniers de marque est si fréquente aux colonies ! Ainsi devait périr Kotavy.

Cependant l’adjudant Colomer a voulu donner à la fin d’Imatohanga une justification posthume et un mois plus tard il écrivait : que l’accusation de Bafanhoa contre Imatohanga se trouvait parfaitement juste.

On voit ainsi se constituer le dossier dressé contre Imatohanga. En décembre, c’est un homme jugé dangereux ; en janvier, c’est lui qui a inspiré Bafanhoa. Convoqué à un kabary officiel, il s’y rend avec ses gens, mais c’est pour attaquer Soarano.

Raoleza et Lamanjaka[1] ont-ils prévenu réellement l’adjudant ? C’est douteux et leur dénonciation, étant donné leurs antécédents, était sujette à caution.

Invité à assister à un kabary, qui se tint pacifiquement, Imakatoanga n’avait commis aucun acte répréhensible. Les déclarations prêtées à Befanhoa par un partisan, peut-être un des assassins d’Imatohanga, sont sans conséquence. Befanhoa, interrogé plus tard, n’a jamais rejeté sur qui que ce soit la responsabilité d’un acte, qu’il représentait comme la vengeance de son fils tué par les émissaires du capitaine Quinque.

Bien entendu, le capitaine s’en rapporta à la réclamation de l’adjudant ; personne ne s’inquiéta des circonstances ayant amené la mort d’Imatoanga, chef des Andreponarivos.

Que s’était-il passé au chef-lieu du district de Vangaindrano, où s’était porté le capitaine Quinque à la nouvelle de l’assassinat de Vinay ? Qu’avait fait M. de Juzancourt, le chef de district ? S’était-il rendu à Amparihy, comme, sur des bruits non contrôlés, l’indiquait le capitaine Quinque, dans l’ordre donné au lieutenant Baguet, de se porter à la rencontre de l’administrateur ?

Dès le 18 novembre à 16 heures, M. de Juzancourt avait reçu du milicien Tsilava, venu d’Amparihy, la nouvelle de l’assassinat de Vinay ; Tsilava était sans armes.

Une demi-heure après, un ordre de M. de Juzancourt prescrivait au garde régional Calandini, du poste de Vatanata, de se porter le plus vite possible sur le village de Sahara, où il lui donnait rendez-vous.

À 17 h. 30, M. de Juzancourt quittait Vangaindrano avec quatorze miliciens et poussait vers Sahara.

Il arrivait sur la rive de la Vatanata, à proximité de Sahara, le 19 à 8 heures. Les bacs et pirogues destinés au passage de la rivière avaient disparu ; de nombreux indigènes se tenaient sur l’autre rive. L’interprète André entra en pourparlers avec l’un de ces indigènes ; il résulta de la conversation que le mouvement de rébellion avait pour cause l’élévation du taux de l’impôt.

Un milicien d’Amparihy, Soavy, porteur de son fusil et de nombreuses cartouches, apparut au milieu des rebelles, dont il traversa la foule sans être inquiété, et traversa la rivière. Il rendit compte de l’incendie du poste d’Amparihy, de la désertion des miliciens, sous les ordres de Kotavy. Comme Soavy manifesta le désir de repasser la rivière pour rejoindre sa femme, M. de Juzancourt l’y autorisa, après lui avoir fait rendre son fusil et ses cartouches. Soavy regagna l’autre rive ; on ne le revit plus : il s’était joint aux fahavalos.

Vers 10 heures, ne voyant pas arriver M. Calandini, n’osant entreprendre la traversée de la Vatanata, M. de Juzancourt se replie vers le nord, avec ses quatorze fusils, sur le village d’Itavo, puis trouvant le terrain trop encaissé, trop boisé, sans sécurité, il rétrograde sur Betarza, où il se retranche dans la case des passagers. Dans la nuit du 19 au 20, M. de Juzancourt se dit attaqué par une bande de révoltés qui le suivaient depuis Vatanata. Il les aurait repoussés, — a-t-il affirmé — en en tuant plusieurs.

À 3 h. 30, le 20 novembre, M. de Juzancourt partait de Betarza et rentrait à Vangaindrano avec l’intention, disait-il, d’y prendre des cartouches et de partir ensuite pour le poste de Vatanata qu’il pensait assiégé. Il arriva le soir, à 18 heures, à Vangaindrano sans avoir été inquiété.

Là, il apprit l’assassinat de Choppy. Une attaque des rebelles lui semble alors probable pour la nuit ; il réunit tous les Européens présents, s’enferme avec eux dans le réduit et réquisitionne huit tirailleurs de passage qui se rendaient à Midongy.

Aucune attaque ne se produisit. Le lendemain 21 novembre, le garde de milice Calandini, chef du poste de Vatanata, arrive de Sahara, lieu du rendez-vous fixé par M. de Juzancourt, qui ne s’y était pas rendu. Avec huit agents seulement, M. Calandini avait tenu tête, sans peine, aux rebelles de Sahara.

M. de Juzancourt demande des renforts à Midongy, prescrit au chef de poste de Tsilokariva de lui envoyer huit hommes prélevés sur sa garnison. Vangaindrano n’est toujours pas attaqué. Les jours suivants, arrivent les renforts : le 22 novembre, 24 miliciens et un soldat d’infanterie coloniale avec le garde principal Léger ; le 25, le capitaine Quinque avec ses trente tirailleurs, le 25 également, le lieutenant Cautelier, de Vondrozo, avec dix-huit tirailleurs. Vangaindrano, qui ne fut jamais attaqué, était sauvé !

M. de Juzancourt n’avait pas su arrêter mieux la rébellion qu’il ne l’avait prévenue par son administration. Sans énergie, il n’osa ni se diriger sur Amparihy, d’où partait la révolte, ni passer la Vatanata à Sahara.

Avec huit hommes, sans subir de perte, le garde de milice Calandini vint au rendez-vous de Sahara, que M. de Juzancourt, avec quinze fusils, n’osa pas aborder. L’administrateur se laissa berner par le milicien Soavy, battit en retraite effrayé et regagna Vangaindrano, qui n’était point menacé. Dès la nouvelle de l’assassinat de Vinay, il ne songea qu’à demander des renforts de toutes parts et contribua par ses dépêches alarmantes à déterminer la marche inutile du capitaine Quinque sur Vangaindrano.

Si le capitaine Quinque, si M. de Juzancourt avaient marché, dès le premier moment, sur Amparihy, même après le désastre subi par la colonne Baguet, l’insurrection eut été étouffée, tout au moins dans le sud-est de la province de Farafangana.

Par son manque de surveillance sur son subordonné Vinay, M. de Juzancourt avait une responsabilité certaine dans les causes de la révolte ; il ne prit aucune mesure utile pour l’arrêter. Ses actes furent jugés assez sévèrement pour que son remplacement à la tête du district de Vangaindrano ait été décidé dès le 30 novembre.

La mission de diriger les opérations, confiée au capitaine Quinque prenait fin avec sa rentrée à Midongy le 8 décembre : le chef de bataillon Vache était chargé du commandement des troupes opérant dans la province de Farafangana.

  1. En juin 1901, l’ex-reine bara Raoleza et son fils Lemanjaka, avaient réuni autour d’eux des chefs indigènes et semblaient vouloir prendre la direction d’un mouvement insurrectionnel. L’éveil leur fut donné ; ils se virent menacés d’accusations dangereuses : ils prirent les devants, et dénoncèrent le chef Imatohanga, comme chef des conspirateurs.