Aller au contenu

Esclave amoureuse/10

La bibliothèque libre.
L’Éden (p. 89-97).


LES PROJETS DE LUCETTE


Lucette, malgré qu’elle ne cessât de penser à son ami Max, ne voulait pas dissiper dans l’oisiveté le peu d’argent qu’elle avait en réserve.

Entre les professions qu’elle pouvait choisir, peu lui convenaient. Comme elle avait eu ses deux brevets, qu’elle possédait de ce fait, une suffisante instruction, elle décide d’ouvrir une petite pension privée, pour jeunes enfants, ou plutôt une sorte de cours qu’elle dirigerait elle-même.

S’il le fallait plus tard, elle s’adjoindrait une institutrice. Elle parla de ce projet à Max qui l’approuva.

La liberté de Lucette ne serait pas trop entravée, ils pourraient se voir assez souvent.

— Quand vous aurez besoin d’un pion, songez à moi, lui dit-il en riant.

Mais il fallait s’occuper de recruter des élèves.

Elle se rapprocherait de Max, car elle avait l’intention d’installer ce cours sur la rive gauche. Elle avait renoué certaines relations qui, dans la circonstance, pouvaient lui être utiles.

Relations de sa famille, bien entendu, qu’elle avait négligées depuis la mort de sa mère.

Cependant son amour pour Max demandait une continuelle tangibilité et les fessades s’étaient succédées sans que rien ne puisse faire prévoir qu’elles cesseraient un jour. Plus que jamais elle désirait de son amant les cruautés de la cravache. Ils variaient ces joutes féroces.

Sa chair, trop meurtrie, parfois n’aurait pu endurer, sans péril, l’abondance perpétuelle des coups de fouet. Les plaisirs de l’amour remplaçaient les flagellations.

Mais au point où la volupté la faisait un peu mourir dans les plus douces extases, la souffrance n’avait point sa part, et elle en avait besoin, de cette souffrance, pour se défendre de si faciles félicités.

C’était pour Max, toujours nouveau, que de dévêtir le corps de son amie, de relever les jupes et de mettre à nu ces fesses admirables.

Et d’essayer de se défendre, augmentait la joie et le désir de l’un et de l’autre.

Lucette était aussi heureuse de sa défaite que Max était heureux de sa victoire.

Elle résistait parce qu’elle savait instinctivement qu’une femme ne doit jamais céder trop vite. Oh ! les beaux instants qu’elle vivait.

Ils étaient ternis par cette honte que l’amoureuse ingénue ressent de prime abord, au début de ce qu’elle appelle : son péché, mais cette honte ou ce remords sont vite noyés dans l’enchantement qui ne la quitte plus et qui conduit sa volonté aux pires excès.

Ce n’est pas de la folie, comme disait Max, c’est une passion tumultueuse, douloureuse mais suave, une passion que les esclaves, que les martyrs, que les méconnus ou que les méprisés acceptent comme une récompense, alors que cette récompense n’est qu’un pur châtiment ou une résignation à tout ce que le maître, l’amant ou le bourreau ordonne.

Cela ne finira jamais, pense Lucette.

Vers quel but allons-nous et que nous réserve l’avenir ?

Dans le même temps, Max se pose de semblables questions. Leurs vicieux plaisirs s’harmonisent et se complètent. Ils le savent et s’en félicitent.

Elle ne méprise pas Max. Elle-même ne se méprise point. Elle a consentit à tout, tandis que sans miracle, elle eût pu briser ce joug, et elle ne regrette rien, car la seule chose qu’elle pourrait regretter, c’est la cessation de cet esclavage.

Mais sous l’empire de son tyran, Lucette ne cherchera pas de bonheur ailleurs que près de lui elle le suivra partout où il ira ; s’il ne vient pas, elle l’attendra des jours et des nuits, elle s’accrochera à lui pour qu’il ne se sépare pas d’elle et toutes les tortures elle les subira pourvu qu’il soit là, toujours là.

Tout lui semblera donc indifférent, hormis cet amour insensé.

Elle a soif de martyre, comme autrefois les saintes qui s’administraient les plus cruelles mortifications pour un idéal surhumain.

Mais au contraire des maladies qu’on soigne pour en atténuer ou en faire disparaître la souffrance, elle exagère et complique son idée qui est bien extravagante volupté. Volupté aiguë que la sagesse ne peut comprendre, qui ne fait pas mourir, mais qui davantage fait vivre.

— Ma chasteté, mon honneur sont perdus, pense-t-elle, mais qu’importe puisque je vis une passion rare.

Elle vit l’extase de ces martyrs, de ces chrétiens : ces longues théories pénétrant dans l’arène pour être livrées aux bêtes, ne sentant pas l’odeur âcre du charnier, ne percevant pas les hurlements sinistres des fauves qui, tout à l’heure, vont se repaître de leur sang, déchirer leur chair et broyer leurs os dans leurs terribles mâchoires, uniquement absorbées par l’idée du sacrifice qui doit leur valoir des félicités éternelles.

Une des plus grandes de ces martyres disait : « Ce n’est pas une souffrance corporelle, mais toute spirituelle, quoique le corps ne laisse d’y participer à un haut degré.

« Les transports de cet amour étaient tels, que je ne savais que devenir. Rien ne répondait à mes vœux ; mon cœur, à tout moment, était près d’éclater, et il semblait véritablement qu’on m’arrachait l’âme. »

Combien de ces amoureuses de la douleur conservent les marques de leur supplice !

Lucette est de celles-là. Elle pratique cet amour étrange à la façon de celles qui se donnent à la morphine ou à l’éther, elle est une de ces libertines passionnées qui absorbent un poison qui n’a pas d’antidote. Mais les matérialités de l’existence l’arrachent par force à ses « orgies » nombreuses car c’est souvent qu’elle sacrifie au fouet un dieu d’espèce particulière, un dieu qui avec Éros ou Priape a des rapports secrets.

Le vice lui paraît être aussi beau que l’était sa vertu, sa vertu, une digue vite renversée, par les mots et les gestes. Elle n’oublie donc pas qu’il faut porter attention aux exigences du présent et de l’avenir.

Et l’idée qu’elle a de faire fonction de maîtresse de classe ne lui déplaît pas, cependant ; il ne lui sera pas trop difficile — elle l’espère — de recruter les petites filles, à qui elle veut enseigner les éléments et les principes de la langue française et de la science. Elle gouvernera ce petit monde, à sa manière, avec sollicitude et dévouement.

— Ma petite institutrice, lui dit Max, j’aimerais être une de vos élèves. Je vous donnerais bien du mal car je ne vous vois pas, dans vos fonctions, usant de sévérité, et je serais, j’en suis certain, le moins sage de ces enfants.

— Détrompez-vous, Max, je saurai me faire craindre lorsqu’il le faudra.

— Votre voix est trop légère pour cela et vos yeux ne sont pas méchants.

— J’emploierai un autre moyen.

— Lequel ?

— La fessée, parbleu.

— Tiens, vous aussi…

La réponse de Lucette surprit Max et le fit rire.

— Vous vous vengeriez sur elles… ce serait drôle !

— Je ne me vengerai pas… je corrigerai.

— C’est fort bien… la leçon est profitable.

— Pour les enfants elle le sera. La honte et la peur les rendront studieuses et attentives.

— Vous avez honte et peur ?

— Non, Max, moi, ce n’est pas la même chose.

— Mais vous sera-t-il permis d’agir de la sorte… les parents…

— Je n’ai point l’intention de les battre à tout rompre… gifler leur derrière suffira.

— Elles ne seront point si exigeantes que vous, Lucette.

Elle lui ferma la bouche pour qu’il ne continuât pas ses ironiques remarques.

Tous deux bâtissaient l’avenir à leur gré, ils organisaient une nouvelle vie, mais que ne changeait point leur façon de s’aimer. Leurs rencontres seraient régulières et plus suivies.

— Nous serons plus près l’un de l’autre… on se verra souvent. Cette pensée la ravissait. L’esclave ne doit pas s’éloigner de son maître.

— Votre esclavage sera récompensé, Lucette. Mes caresses fortifieront cet amour.

— Ce ne sont pas des caresses que je veux, ce sont des coups.

— Les uns n’empêchent pas les autres. Je les alternerai pour vous faire goûter tour à tour la douceur du baiser et l’âcre volupté des corrections. Vous êtes bien la femme que je veux. J’avais d’ailleurs pressenti que vous seriez celle-ci que je cherchais.

— Je ne pourrai trouver d’autre ami que vous. Près de vous, je ne suis rien qu’une petite fille dont vous dirigez les instincts. Je suis fière de votre force, de vos colères et j’aimerais les susciter toujours.

Lucette était dans l’apothéose de sa jeunesse, de sa fraîcheur, de sa beauté. Elle invitait au désir le plus ardent. Les scènes recommençaient sans cesse et chaque fois que la cravache se levait, un tremblement agitait son corps, et elle l’offrait ce corps, elle en laissait découvrir les endroits sur lesquels l’arme cinglante devait agir.

Et c’était le renouvellement de leurs joies différentes.

— Voulez-vous, Lucette ?

Parfois il lui demandait permission de lever ses jupes et de dégrafer son pantalon léger, sachant bien qu’elle ne le refuserait pas. Ainsi qu’une légende d’estampe ancienne il aurait pu lui dire : « Ah ! ma chère, j’ai la main bien adroite pour déboutonner. »

Elle aurait pu répondre :

« Ah ! quel ennui, cette culotte ! Je suis très maladroite pour la boutonner. À déboutonner, c’est bien plus facile. »

Son geste était gracieux, lorsqu’elle-même, troussant sa robe, défaisait prestement ces discrets dessous et les laissait choir à ses pied, c’était, ce geste, l’avant-coureur de leurs plaisirs cruels. Excités au suprême degré par les préliminaires de ce jeu, ils étaient hors d’eux-mêmes, devenaient fous et inconscients, ils ne savaient plus comment s’arrêterait cette orgie.

Elle criait, il frappait. Ils se débattaient ensemble comme s’ils voulaient se voler des sensations inconnues et comme une femme qu’on a souillée et qu’ensuite on poignarde… elle restait inerte, à terre ou sur les draps, la chair blessée par les verges.