Aller au contenu

Esprit des lois (1777)/L12/C2

La bibliothèque libre.


CHAPITRE II.

De la liberté du citoyen.


La liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins (s’il faut parler dans tous les systêmes) dans l’opinion où l’on est que l’on exerce sa volonté. La liberté politique consiste dans la sureté, ou du moins dans l’opinion que l’on a de sa sureté.

Cette sureté n’est jamais plus attaquée que dans les accusations publiques ou privées. C’est donc de la bonté des lois criminelles, que dépend principalement la liberté du citoyen.

Les lois criminelles n’ont pas été perfectionnées tout d’un coup. Dans les lieux mêmes où l’on a le plus cherché la liberté, on ne l’a pas toujours trouvée. Aristote[1] nous dit qu’à Cumes, les parens de l’accusateur pouvoient être témoins. Sous les rois de Rome, la loi étoit si imparfaite, que Servius Tullius prononça la sentence contre les enfans d’Ancus Martius accusé d’avoir assassiné le roi son beau-pere[2]. Sous les premiers rois de France, Clotaire fit une loi[3], pour qu’un accusé ne pût être condamné sans être oui ; ce qui prouve une pratique contraire dans quelque cas particulier, ou chez quelque peuple barbare. Ce fut Charondas qui introduisit les jugemens contre les faux témoignages[4]. Quand l’innocence des citoyens n’est pas assurées, la liberté ne l’est pas non plus.

Les connoissances que l’on a acquises dans quelque pays, & que l’on acquerra dans d’autres, sur les regles les plus sures que l’on puisse tenir dans les jugemens criminels, intéressent le genre humain plus qu’aucune chose qu’il y ait au monde.

Ce n’est que sur la pratique de ces connoissances, que la liberté peut être fondée ; & dans un état qui auroit là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on feroit son procès, & qui devroit être pendu le lendemain, seroit plus libre qu’un bacha ne l’est en Turquie.


  1. Politique, liv. II.
  2. Tarquinius Priscus. Voyez Denys d’Halicarnasse, liv. IV.
  3. De l’an 560.
  4. Aristote, Politiq. liv. II. ch. XII. Il donna ses lois à Thurium, dans la quatre-vingt-quatrieme olympiade.