Aller au contenu

Esprit des lois (1777)/L15/C17

La bibliothèque libre.


CHAPITRE XVII.

Réglemens à faire entre le maître & les esclaves.


Le magistrat doit veiller à ce que l’esclave ait sa nourriture & son vêtement : cela doit être réglé par la loi.

Les lois doivent avoir attention qu’ils soient soignés dans leurs maladies & dans leur vieillesse. Claude[1] ordonna que les esclaves qui auroient été abandonnés par leurs maîtres étant malades, seroient libres s’ils échappoient. Cette loi assuroit leur liberté ; il auroit encore fallu assurer leur vie.

Quand la loi permet au maître d’ôter la vie à son esclave, c’est un droit qu’il doit exercer comme juge, & non pas comme maître : il faut que la loi ordonne des formalités qui ôtent le soupçon d’une action violente.

Lorsqu’à Rome, il ne fut plus permis aux peres de faire mourir leurs enfans, les magistrats infligerent[2] la peine que le pere vouloit prescrire. Un usage pareil entre le maître & les esclaves seroit raisonnable dans les pays où les maîtres ont droit de vie & de mort.

La loi de Moïse étoit bien rude. « Si quelqu’un frappe son esclave, & qu’il meure sous sa main, il sera puni : mais s’il survit un jour ou deux, il ne le sera pas, parce que c’est son argent ». Quel peuple, que celui où il falloit que la loi civile se relâchat de la loi naturelle !

Par une loi des Grecs[3], les esclaves trop rudement traités par leurs maîtres, pouvoient demander d’être vendus à un autre. Dans les derniers temps, il y eut à Rome une pareille loi[4]. Un maître irrité contre son esclave, & un esclave irrité contre son maître, doivent être séparés.

Quand un citoyen maltraite l’esclave d’un autre, il faut que celui-ci puisse aller devant le juge. Les[5] lois de Platon & de la plupart des peuples, ôtent aux esclaves la défense naturelle : il faut donc leur donner la défense civile.

À Lacédémone, les esclaves ne pouvoient avoir aucune justice contre les insultes ni contre les injures. L’excès de leur malheur étoit tel, qu’ils n’étoient pas seulement esclaves d’un citoyen, mais encore du public ; ils appartenoient à tous & à un seul. À Rome, dans le tort fait à un esclave, on ne considéroit que[6] l’intérêt du maître. On confondoit sous l’action de la loi Aquilienne la blessure faite à une bête, & celle faite à un esclave ; on n’avoit attention qu’à la diminution de leur prix. À Athenes[7], on punissoit sévérement, quelquefois même de mort, celui qui avoit maltraité l’esclave d’un autre. La loi d’Athenes, avec raison, ne vouloit point ajouter la perte de la sureté à celle de la liberté.


  1. Xiphilin, in Claudio.
  2. Voyez la loi III. au code de patriâ potestate, qui est de l’empereur Alexandre.
  3. Plutarque, de la superstition.
  4. Voyez la constitution d’Antonin Pie, Institus, Liv. I. tit. 7.
  5. Livre IX.
  6. Ce fut encore souvent l’esprit des lois des peuples qui sortirent de la Germanie comme on le peut voir dans leurs codes.
  7. Demosthenes, orat. contra Mediam, page 610. édition de Francfort, de l’an 1634.