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Esprit des lois (1777)/L19/C18

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CHAPITRE XVIII.

Conséquence du chapitre précédent.


Il résulte de là que la Chine ne perd point ses lois par la conquête. Les manieres, les mœurs, les lois, la religion y étant la même chose, on ne peut changer tout cela à la fois. Et comme il faut que le vainqueur ou le vaincu changent, il a toujours fallu à la Chine que ce fût le vainqueur : car ses mœurs n’étant point ses manieres, ses manieres ses lois, ses lois sa religion, il a été plus aisé qu’il se pliât peu à peu au peuple vaincu, que le peuple vaincu à lui.

Il suit encore de là une chose bien triste : c’est qu’il n’est presque pas possible que le Christianisme s’établisse jamais à la Chine[1]. Les vœux de virginité, les assemblées des femmes dans les églises, leur communication nécessaire avec les ministres de la religion, leur participation aux sacremens, la confession auriculaire, l’extrême-onction, le mariage d’une seule femme ; tout cela renverse les mœurs & les manieres du pays, & frappe encore du même coup sur la religion & sur les lois.

La religion chrétienne, par l’établissement de la charité, par un culte public, par la participation aux mêmes sacremens, semble demander que tout s’unisse : les rites des Chinois semblent ordonner que tout se sépare.

Et comme on a vu que cette séparation[2] tient en général à l’esprit du despotisme, on trouvera dans ceci une des raisons qui font que le gouvernement monarchique & tout gouvernement modéré s’allient mieux[3] avec la religion chrétienne.


  1. Voyez les raisons données par les magistrats Chinois, dans les décrets par lesquels ils proscrivent la religion Chrétienne. Let. édif. dix-septieme recueil.
  2. Voyez le liv. IV. chap. iii ; & le liv. XIX. chap. xii.
  3. Voyez ci-après le liv. XXIV. ch. III