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Esprit des lois (1777)/L19/C3

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CHAPITRE III.

De la tyrannie.


Il y a deux sortes de tyrannie ; une réelle, qui consiste dans la violence du gouvernement ; & une d’opinion, qui se fait sentir lorsque ceux qui gouvernent établissent des choses qui choquent la maniere de penser d’une nation.

Dion dit qu’Auguste voulut se faire appeler Romulus ; mais qu’ayant appris que le peuple craignoit qu’il ne voulût se faire roi, il changea de dessein. Les premiers Romains ne voulurent point de roi, parce qu’ils n’en pouvoient souffrir la puissance : les Romains d’alors ne vouloient point de roi, pour n’en point souffrir les manieres. Car, quoique César, les Triumvirs, Auguste, fussent de véritables rois, ils avoient gardé tout l’extérieur de l’égalité, & leur vie privée contenoit une espece d’opposition avec le faste des rois d’alors : & quand ils ne vouloient point de roi, cela signifioit qu’ils vouloient garder leurs manieres, & ne pas prendre celles des peuples d’Afrique & d’Orient.

Dion[1] nous dit que le peuple Romain étoit indigné contre Auguste, à cause de certaines lois trop dures qu’il avoit faites : mais que si-tôt qu’il eut fait revenir le comédien Pylade que les factions avoient chassé de la ville, le mécontentement cessa. Un peuple pareil sentoit plus vivement la tyrannie lorsqu’on chassoit un baladin, que lorsqu’on lui ôtoit toutes ses lois.


  1. Liv. LIV. pag. 532.