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Esprit des lois (1777)/L30/C21

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CHAPITRE XXI.

De la justice territoriale des églises.

Les églises acquirent des biens très-considérables. Nous voyons que les rois leur donnerent de grands fiscs, c’est-à-dire, de grands fiefs ; & nous trouvons d’abord les justices établies dans les domaines de ces églises. D’où auroit pris son origine un privilege si extraordinaire ? Il étoit dans la nature de la chose donnée ; le bien ecclésiastique avoit ce privilege, parce qu’on ne le lui ôtoit pas. On donnoit un fisc à l’église ; & on lui laissoit les prérogatives qu’il auroit eues, si on l’avoit donné à un leude : aussi fut-il soumis au service que l’état en auroit tiré, s’il avoit été accordé au laïque, comme on l’a déjà vu.

Les églises eurent donc le droit de faire payer les compositions dans leur territoire, & d’en exiger le fredum ; & comme ces droits emportoient nécessairement celui d’empêcher les officiers royaux d’entrer dans le territoire, pour exiger ces freda, & y exercer tous actes de justice, le droit qu’eurent les ecclésiastiques de rendre la justice dans leur territoire, fut appellé immunité, dans le style des formules[1], des chartres & des capitulaires.

La loi des Ripuaires[2] défend aux affranchis[3] des églises de tenir l’assemblée[4] où la justice se rend, ailleurs que dans l’église où ils ont été affranchis. Les églises avoient donc des justices, même sur les hommes libres, & tenoient leurs plaids dès les premiers temps de la monarchie.

Je trouve dans les vies des Saints[5], que Clovis donna à un saint personnage la puissance sur un territoire de six lieues de pays, & qu’il voulut qu’il fût libre de toute juridiction quelconque. Je crois bien que c’est une fausseté, mais c’est une fausseté très-ancienne ; le fond de la vie & les mensonges se rapportent aux mœurs & aux lois du temps ; & ce sont ces mœurs & ces lois[6] que l’on cherche ici.

Clotaire II. ordonne aux évêques[7] ou aux grands, qui possedent des terres dans les pays éloignés, de choisir dans le lieu même ceux qui doivent rendre la justice ou en recevoir les émolumens.

Le même prince[8] regle la compétence entre les juges des églises & ses officiers. Le capitulaire de Charlemagne, de l’an 802, prescrit aux évêques & aux abbés les qualités que doivent avoir leurs officiers de justice. Un autre du même prince[9] défend aux officiers royaux d’exercer aucune juridiction[10] sur ceux qui cultivent les terres ecclésiastiques, à moins qu’ils n’aient pris cette condition en fraude, & pour se soustraire aux charges publiques. Les évêques assemblés à Rheims déclarerent[11] que les vassaux des églises sont dans leur immunité. Le capitulaire de Charlemagne, de l’an 806[12], veut que les églises ayent la justice criminelle & civile sur tous ceux qui habitent dans leur territoire. Enfin, le capitulaire de Charles le chauve[13] distingue les juridictions du roi, celles des seigneurs, & celles des églises ; & je n’en dirai pas davantage.


  1. Voyez la formule 3 & 4 de Marculfe, liv. I.
  2. Ne aliubi nisi od ecclesiam, ubi relaxati sunt, mallum teneant, tit. 58, §. I. Voyez aussi le §. 19, édit. de Lindembrock.
  3. Tabulariis.
  4. Mallum.
  5. Vita S. Germeri, episcopi Tolosani, apud Bollandianos, 16 maii.
  6. Voyez aussi la vie de S. Melanius, & celle de S. Déicole.
  7. Dans le concile de Paris, l’an 615. Episcopi vel potenses, qui in allis possident regionibus, judices vel missos diseussores de allis provinciis non instituant, nisi de loco, qui justitiam percipient & aliis reddant, art. 19. Voyez aussi l’art. 12.
  8. Dans le concile de Paris, l’an 615, art. 5.
  9. Dans la loi des Lombards, liv. II, tit. 44, chap. ii, édit. de Lindembrock.
  10. Servi aldiones, libellarii antiqui, vel alii noviter facti¸ibid.
  11. Lettre de l’an 858, art. 7, dans les capitulaires, page 108. Sicut illæ res & facultates in quibus vivunt clerici, ità & illæ sub consecratione immunitatis sunt de quibus debent militare vassali.
  12. Il est ajouté à la loi des Bavarois, art. 7 ; voyez aussi l’art. 3 de l’édit. de Lindembrock, p. 444. Imprimis omnium jubendum est ut habeant ecclesiæ earum justitias, & in vitâ illorum qui habitant in ipsis ecclesiis & post, tàm in pecuniis quàm & in substantiis eorum.
  13. De l’an 857, in synodo apud Carisiacum, art. 4, édit. de Baluze, page 96.