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Esprit des lois (1777)/L7/C9

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CHAPITRE IX.

De la condition des femmes dans les divers gouvernemens.


Les femmes ont peu de retenue dans les monarchies ; parce que la distinction des rangs les appelant à la cour, elles y vont prendre cet esprit de liberté qui est à peu près le seul qu’on y tolere. Chacun se sert de leurs agrémens & de leurs passions pour avancer sa fortune ; & comme leur foiblesse ne leur permet pas l’orgueil, mais la vanité, le luxe y regne toujours avec elles.

Dans les états despotiques les femmes n’introduisent point le luxe ; mais elles sont elles-mêmes un objet de luxe. Elles doivent être extrêmement esclaves. Chacun suit l’esprit du gouvernement, & porte chez soi ce qu’il voit établi ailleurs. Comme les lois y sont séveres & exécutées sur le champ, on a peur que la liberté des femmes n’y fasse des affaires. Leurs brouilleries, leurs indiscrétions, leurs répugnances, leurs penchans, leurs jalousies, leurs piques, cet art qu’ont les petites ames d’intéresser les grandes, n’y sauroient être sans grande conséquence.

De plus, comme dans ces états les princes se jouent de la nature humaine, ils ont plusieurs femmes, & mille considérations les obligent de les renfermer.

Dans les républiques les femmes sont libres par les lois, & captivées par les mœurs ; le luxe en est banni, & avec lui la corruption & les vices.

Dans les villes Grecques, où l’on ne vivoit pas sous cette religion qui établit que chez les hommes même la pureté des mœurs est une partie de la vertu ; dans les villes Grecques, où un vice aveugle régnoit d’une maniere effrenée, où l’amour n’avoit qu’une forme que l’on n’ose dire, tandis que la seule amitié s’étoit retire dans les mariages[1] ; la vertu, la simplicité, la chasteté des femmes y étoient telles, qu’on n’a guere jamais vu de peuple qui ait eu à cet égard une meilleure police[2].


  1. Quant au vrai amour, dit Plutarque, les femmes n’y ont aucune part ». Œuvres morales, traité de l’amour, p. 600. Il parloit comme son siecle. Voyez Xénophon, au dialogue intitulé, Hieron.
  2. À Athenes il y avoit un magistrat particulier, qui veilloit sur la conduite des femmes.