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Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre cinquième/Chapitre I

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CHAPITRE PREMIER.

Populations primitives de l’Europe.

On a considéré longtemps comme impossible de découvrir entre le Bosphore de Thrace et la mer qui borde la Galice, et depuis le Sund jusqu’à la Sicile, un point quelconque où des hommes appartenant à la race jaune, mongole, ugrienne, finnoise, en un mot, à la race aux yeux bridés, au nez plat, à la taille obèse et ramassée, se soient jamais trouvés établis de manière à y former une ou plusieurs nations permanentes. Cette opinion, si bien acceptée qu’on ne l’a guère controversée que dans ces dernières années, ne reposait d’ailleurs sur aucune démonstration. Elle n’avait pas d’autre raison d’être qu’une ignorance à peu près absolue des faits concluants dont l’ensemble, aujourd’hui, la renverse et l’efface. Ces faits sont de différente nature, appartiennent à différents ordres d’observations, et le faisceau de preuves qu’ils composent est d’une complète rigueur[1].

Une certaine classe de monuments fort irréguliers, d’une antiquité très haute, et se montrant, à peu près, dans toutes les contrées de l’Europe, a depuis longtemps préoccupé les érudits. La tradition, de son côté, y rattache bon nombre de légendes. Ce sont tantôt des pierres brutes en forme d’obélisques dressées au milieu d’une lande ou sur le bord d’une côte, tantôt des espèces de boîtes de granit composées de quatre ou cinq blocs, dont un, deux au plus, servent de toiture. Ces blocs sont toujours de proportions gigantesques, et ne portent qu’exceptionnellement des traces de travail. Dans la même catégorie se rangent des amoncellements de cailloux souvent très considérables, ou des rochers posés en équilibre de manière à vibrer sous une très légère impulsion. Ces monuments, la plupart d’une forme extrêmement saisissante, même pour les yeux les plus inattentifs, ont engagé les savants à proposer plusieurs systèmes d’après lesquels il faudrait en faire honneur aux Phéniciens, ou bien aux Romains, peut-être aux Grecs, mieux encore aux Celtes, ou même aux Slaves. Mais les paysans, fidèles aux croyances de leurs pères, repoussent, sans le savoir, ces opinions si diverses, et adjugent les objets en litige aux fées et aux nains. On va voir que les paysans ont raison. Il en est des récits légendaires comme de la philosophie des Grecs, au jugement de saint Clément d’Alexandrie. Ce Père la comparait aux noix, âpres d’abord au goût du chrétien ; mais si l’on sait en briser l’écorce, on y trouve un fruit savoureux et nourrissant.

Les créations architecturales des Phéniciens, des Grecs, des Romains, des Celtes, ou même des Slaves n’offrent rien de commun avec les monuments dont il est ici question. On possède des œuvres de tous ces peuples à différents âges ; on connaît les procédés dont ils usaient : rien ne rappelle ce que nous avons ici sous les yeux. Puis, autre raison bien autrement puissante, et, même sans réplique, on rencontre des pierres debout, des cairns et des dolmens dans cent endroits où les conquérants de Tyr et de Rome, où les marchands de Marseille, où les guerriers celtes, où les laboureurs slaves n’ont jamais passé. Il faut donc envisager le problème à nouveau et de très près.

En partant de ce principe unanimement reconnu que toutes les antiquités de l’Europe occidentale ici mises en question sont, quant à leur style, antérieures à la domination romaine, on pose une base chronologique assurée, et l’on tient la clef du problème. J’insiste sur cette circonstance qu’il ne s’agit ici que de la date du style, et nullement de celle de la construction de tel ou tel monument en particulier, ce qui compliquerait la difficulté d’ensemble de beaucoup d’incertitudes de détail. Il faut s’en tenir d’abord à un exposé aussi général que possible, quitte à particulariser plus tard.

Puisque les armées des Césars occupaient la Gaule entière et une partie des îles Britanniques au premier siècle avant notre ère, le système générateur des antiquités gauloises et bretonnes remonte à des temps plus anciens. Mais l’Espagne aussi possède des monuments parfaitement identiques à ceux-là (1)[2]. Or les Romains ont pris possession de cette contrée longtemps avant de s’établir dans les Gaules, et, avant eux, les Carthaginois et les Phéniciens y avaient jeté d’abondantes importations de leur sang et de leurs idées. Les peuples qui ont érigé les dolmens espagnols ne sauraient donc les avoir imaginés postérieurement à la première migration ou colonisation phénicienne. Pour ne pas déroger à une prudence même excessive, il est bon de ne pas user de cette certitude dans toute son étendue. Ne remontons pas plus haut que le troisième siècle avant Jésus-Christ.

Il faut être plus hardi en Italie. Nul doute que les constructions semblables aux monuments gaulois et espagnols qu’on y trouve ne soient antérieures à la période romaine, et, qui plus est, à la période étrusque. Les voilà repoussées du troisième siècle au huitième à tout le moins.

Mais, parce que les antiquités que nous venons d’apercevoir dans les îles Britanniques, la Gaule, l’Espagne et l’Italie, dérivent d’un type absolument le même, elles inspirent naturellement la pensée que leurs auteurs appartenaient à une même race. Aussitôt que cette idée se présente, on veut en éprouver la valeur en calculant la diffusion de cette race d’après celle des monuments qui révèlent son existence. On cesse donc de se tenir renfermé dans les quatre pays nommés ci-dessus, et l’on cherche, au dehors de leurs limites, si rien de semblable à ce qu’ils contiennent ne se peut rencontrer ailleurs. On arrive à un résultat qui d’abord effraie l’imagination.

La zone ouverte alors aux regards s’étend depuis les deux péninsules méridionales de l’Europe, en couvrant la Suisse, la Gaule et les îles Britanniques, sur toute l’Allemagne, enveloppe le Danemark et le sud de la Suède, la Pologne et la Russie, traverse l’Oural, embrasse la haute Sibérie, passe le détroit de Behring, enferme les prairies et les forêts de l’Amérique du Nord, et va finir vers les rives du Mississipi supérieur, si toutefois elle ne descend pas plus bas (1)[3].

On conviendra que, s’il fallait adjuger soit aux Celtes, soit aux Slaves, pour ne parler ni des Phéniciens, ni des Grecs, ni des Romains, une si vaste série de régions, on devrait, en même temps, s’attendre à rencontrer toutes les autres catégories d’antiquités que ces pays recèlent aussi identiques entre elles que le sont les monuments dont l’abondance conduit à tracer ces vastes limites. Que les aborigènes de tant de contrées aient été des Celtes ou des Slaves, ils auront laissé partout des restes de leur culture, aisément comparables à ceux que l’on décrit en France, en Angleterre, en Allemagne, en Danemark, en Russie, et que l’on sait, de science certaine, ne pouvoir être attribués qu’à eux. Mais, précisément, cette condition n’est pas remplie.

Sur les mêmes terrains que les constructions de pierre brute, abondent des dépôts de toute nature, gages de l’industrie humaine, qui, différant entre eux d’une manière radicale de contrée à contrée, accusent, d’une manière évidente, l’existence sporadique de nationalités très distinctes et auxquelles ils ont appartenu. De sorte que l’on contemple dans les Gaules des restes complètement étrangers à ceux des pays slaves, qui le sont à leur tour à des produits sibériens, comme ceux-ci à des produits américains.

Incontestablement donc l’Europe a possédé, avant tout contact avec les nations cultivées des rives de la Méditerranée, Phéniciens, Grecs ou Romains, plusieurs couches de populations différentes, dont les unes n’ont tenu que certaines provinces du continent, tandis que d’autres, ayant laissé partout des traces semblables, ont bien évidemment occupé la totalité du pays, et cela à une époque très certainement antérieure au huitième siècle avant Jésus-Christ.

La question qui se présente maintenant, c’est de savoir quelles sont les plus anciennes des diverses classes d’antiquités primitives, ou de celles qui sont sporadiques, ou de celles qui sont répandues partout.

Celles qui sont sporadiques accusent un degré d’industrie, de connaissances techniques et de raffinement social fort supérieur à celles qui occupent le plus vaste espace. Tandis que ces dernières ne montrent qu’exceptionnellement la trace de l’emploi des instruments de métal, les autres offrent deux époques où le bronze, puis le fer, se présentent sous les formes les plus habilement variées ; et ces formes, appliquées comme elles le sont, ne peuvent pas laisser le moindre doute qu’elles n’aient été la propriété ici des Celtes, là des Slaves ; car le témoignage de la littérature classique exclut toute hésitation.

Conséquemment, puisque les Celtes et les Slaves sont d’ailleurs les derniers propriétaires connus de la terre européenne antérieurement au huitième siècle qui précéda notre ère, les deux périodes appelées par d’habiles archéologues les âges de bronze et de fer s’appliquent aussi à ces peuples. Elles embrassent les derniers temps de l’antiquité primordiale de nos contrées, et il faut reporter par delà leurs limites une époque plus ancienne, justement qualifiée d’âge de pierre par les mêmes classificateurs (1)[4]. C’est à celle-là qu’appartiennent les monuments objets de notre étude.

Un point subsiste encore qui pourrait sembler obscur. L’habitude enracinée de ne rien apercevoir en Europe avant les Celtes et les Slaves peut induire certains esprits à se persuader que les trois âges de pierre, de bronze et de fer ne marquent que des gradations dans la culture des mêmes races. Ce seraient les aïeux encore sauvages des habiles mineurs, des artisans industrieux dont maintes découvertes récentes font admirer les œuvres, qui auraient produit les monuments bruts de la plus lointaine période. On s’expliquerait tant de barbarie par un état d’enfance sociale, encore ignorant des ressources techniques créées plus tard.

Une objection sans réplique renverse cette hypothèse d’ailleurs foncièrement inadmissible pour bien d’autres motifs (1)[5]. Entre l’âge de bronze et l’âge de fer, il n’y a de différence que la plus grande variété des matières employées et la perfection croissante du travail. La pensée dirigeante ne change pas ; elle se continue, se modifie, se raffine, passe du bien au mieux, mais en se maintenant dans les mêmes données. Tout au contraire, entre les productions de l’âge de pierre et celles de l’âge de bronze, on relève, au premier coup d’œil, les contrastes les plus frappants ; pas de transition des unes aux autres, quant à l’essentiel : le sentiment créateur se transforme du tout au tout. Les instincts, les besoins auxquels il est satisfait, ne se correspondent pas. Donc l’âge de pierre et l’âge de bronze ne sont point dans les mêmes rapports de cohésion où ce dernier se trouve avec l’âge de fer (2)[6]. Dans le premier cas, il y a passage d’une race à une autre, tandis que, dans le second, il n’y a qu’un simple progrès au sein de races, sinon complètement identiques, du moins très près parentes. Or il n’est pas douteux que les Slaves sont établis en Europe depuis quatre mille ans au moins. D’autre part, les Celtes combattaient sur la Garonne au dix-huitième siècle avant notre ère. Nous voilà donc arrivés pied à pied à cette conviction, résultat mathématique de tout ce qui précède : les monuments de l’âge de pierre sont antérieurs, quant à leur style, à l’an 2000 avant J.-C. ; la race particulière qui les a construits occupait les contrées où on les trouve avant toute autre nation ; et comme, d’ailleurs, ils se présentent en plus grande abondance à mesure que l’observateur, quittant le sud, s’avance davantage vers le nord-ouest, le nord et le nord-est, cette même race était plus primitivement encore et, en tout cas, plus solidement souveraine dans ces dernières régions. Si l’on veut fixer d’une manière approximative l’époque probable de l’apogée de sa force, rien ne s’oppose à ce que l’on accepte la date de 3000 ans avant J.-C., proposée par un antiquaire danois, aussi ingénieux observateur que savant profond (1)[7].

Ce qui reste maintenant à déterminer d’une manière positive, c’est la nature ethnique de ces populations primordiales si largement répandues dans notre hémisphère. Bien certainement elles se rattachent de la façon la plus intime aux groupes divers de l’espèce jaune, généralement petite, trapue, laide, difforme, d’une intelligence fort limitée, mais non nulle, grossièrement utilitaire et douée d’instincts mâles très prédominants (2)[8].

L’attention s’est portée récemment, en Danemark (3)[9]  et en Norvège, sur d’énormes amoncellements d’écailles d’huîtres et de coquillages, mêlés de couteaux en os et en silex fort brutalement travaillés. On exhume aussi de ces détritus des squelettes de cerfs et de sangliers, d’où la moelle a été enlevée par fracture. M. Wormsaae, en analysant cette découverte, regrette que des recherches analogues à celles qui l’ont amenée n’aient pas eu lieu jusqu’ici sur les côtes de France. Il ne doute pas qu’il n’en dût sortir des observations semblables à celles qu’il a eu l’occasion de faire dans sa patrie, et il pense surtout que la Bretagne serait explorée avec grand avantage. Il ajoute : « Tout le monde sait combien ces amas de coquillages et d’os sont fréquents en Amérique. Ils renferment des instruments non moins grossiers (que ceux que l’on a trouvés dans les détritus danois et norwégiens), et attestent le séjour des anciennes peuplades aborigènes. »

Ces monuments sont d’un genre si particulier, et si peu propre à frapper les yeux et à attirer l’attention, qu’on s’explique sans peine l’obscurité qui les a si longtemps couverts. Le mérite n’en est que plus grand pour les observateurs auxquels la science est redevable d’un présent, certes bien curieux, puisqu’il en résulte au moins une forte présomption que le nord de l’Europe possède des traces identiques à celles qu’offrent encore les plages du nouveau monde dans le voisinage du détroit de Behring. Il permet aussi de commenter une autre trouvaille du même genre, plus intéressante encore, faite, il y a peu de mois, aux environs de Namur. Un savant belge, M. Spring, a retiré d’une grotte à Chauvaux, village de la commune de Godine, un amas de débris doublement enterrés sous une couche de stalagmite et sous une autre de limon, parmi lesquels il a reconnu des fragments d’argile calcinée, du charbon végétal, puis des os de bœufs, de moutons, de porcs, de cerfs, de chevreuils, de lièvres, enfin de femmes, de jeunes hommes et d’enfants. Particularité curieuse qui se remarque aussi dans les détritus du Danemark et de la Norwège : tous les os à moelle sont rompus, aussi bien ceux qui ont appartenu à des individus de notre espèce que les autres, et M. Spring en conclut avec raison que les auteurs de ce dépôt comestible étaient anthropophages (1)[10]. C’est là un goût étranger à toutes les tribus de la famille blanche, même les plus farouches, mais très fréquemment constaté chez les nations américaines.

Passant à un autre genre d’observations, on trouve comme objets remarquables certains tumulus de terre qui, par la rudesse de leur construction, n’ont rien de commun avec les sépultures arianes de la haute Asie, pas plus qu’avec ces tombeaux somptueux que l’on peut observer encore dans la Grèce, dans la Troade, dans la Lydie, dans la Palestine, et qui témoignent, sinon d’un goût artistique très raffiné chez leurs constructeurs, du moins d’une haute conception de ce que sont la grandeur et la majesté (1)[11]. Ceux dont il s’agit ici ne consistent, comme il vient d’être dit, qu’en simples accumulations de glaise ou de terre crayeuse, suivant la qualité du sol qui les porte. Cette enveloppe renferme des cadavres non brûlés, ayant à leurs côtés quelques tas de cendres (2)[12]. Souvent le corps paraît avoir été déposé sur un lit de branchages. Cette circonstance rappelle le fagot sépulcral des aborigènes de la Chine. Ce sont là des sépultures bien élémentaires, bien sauvages. Elles ont été rencontrées un peu partout au sein des régions européennes. Or des constructions toutes semblables, offrant les mêmes particularités, couvrent également la vallée supérieure du Mississipi. M. E.-G. Squier affirme que les squelettes enfouis dans ces tombes sont tellement fragiles que le moindre contact les résout en poussière. C’est pour lui un motif d’attribuer à ces cadavres et aux monuments qui les renferment une excessive antiquité (1)[13].

De tels tumulus, toujours semblables, érigés en Amérique, dans le nord de l’Asie et en Europe, viennent renforcer l’idée que ces contrées ont été possédées jadis par la même race, qui ne saurait être que la race jaune. Ils sont partout voisins de longs remparts de terre, quelquefois doubles et triples, couvrant des espaces de plusieurs milles en ligne droite. Il en existe de tels entre la Vistule et l’Elbe, dans l’Oldenbourg, dans le Hanovre. M. Squier donne sur ceux de l’Amérique du Nord des détails tellement précis, et, ce qui vaut mieux, des dessins si concluants, que l’on ne peut conserver le plus léger doute sur l’identité complète de la pensée qui a présidé à ces systèmes de défense.

On doit inférer de ces faits suffisamment nombreux et concordants :

Que les populations jaunes venant d’Amérique et accumulées dans le nord de l’Asie, ont jadis débordé sur l’Europe entière, et que c’est à elles qu’il faut attribuer l’ensemble de ces monuments grossiers de terre ou de pierre brute qui témoignent partout de l’unité de la population primordiale de notre continent. Il faut renoncer à voir dans de telles œuvres des résultats qui n’ont pu sortir de la culture sporadique, et d’ailleurs bien connue aujourd’hui pour avoir été plus développée, des nations celtiques et des tribus slaves. Ce point établi, il reste encore à suivre la marche des peuples finnois vers l’occident pour apercevoir, avec les moyens d’action dont ils disposaient, le détail des travaux qu’ils ont exécutés et qui nous étonnent aujourd’hui. Ce sera, en même temps, reconnaître les traits principaux de la condition sociale où se trouvaient les premiers habitants de notre terre d’Europe.

Cheminant avec lenteur à travers les steppes et les marais glacés des régions septentrionales, leurs hordes avaient devant elles un chemin le plus souvent plane et facile. Elles suivaient les bords de la mer et le cours des grands fleuves, lieux où les forêts étaient clairsemées, où les rochers et les montagnes s’abaissaient et livraient passage. Dénués de moyens énergiques pour se frayer des routes à travers des obstacles trop puissants, ou du moins n’en pouvant user qu’avec une grande dépense de temps et de forces individuelles, elles n’appliquaient à l’usage journalier que des haches de silex mal emmanchées d’une branche d’arbre. Pour opérer leur navigation côtière dans l’océan Arctique ou le long des rives fluviales, ou encore dans les contrées coupées de grands marécages, elles usaient de canots formés d’un unique tronc d’arbre abattu et creusé au feu, puis dégrossi tant bien que mal à l’aide de leurs instruments imparfaits. Les tourbières d’Angleterre et d’Écosse recelaient et ont livré à la curiosité moderne quelques-uns de ces véhicules. Plusieurs sont garnis à leurs extrémités de poignées en bois, destinées à faciliter le portage. Il en est un qui ne mesure pas moins de trente-cinq pieds de longueur.

On vient de voir que, lorsqu’il s’agissait de jeter à bas quelques arbres, les Finnois employaient le procédé encore en usage aujourd’hui chez les peuplades sauvages de leur continent natal. Les bûcherons pratiquaient de légères entailles dans un tronc de chêne ou de sapin, au moyen de leurs haches de silex, et suppléaient à l’insuffisance de ces outils par une application patiente de charbons enflammés introduits dans les trous ainsi préparés (1)[14].

À en juger d’après les vestiges aujourd’hui existants, les principaux établissements des hommes jaunes ont été riverains de la mer et des fleuves. Mais cette donnée ne saurait cependant fournir une règle sans exception. On rencontre des traces finniques assez nombreuses et fort importantes dans l’intérieur des terres. M. Mérimée, éclaircissant ce point, a fort judicieusement signalé l’existence de monuments de ce genre dans le centre de la France (2)[15]. On en constate plus loin encore. Les émigrants de race jaune primitive ont connu, en fait de pays d’un accès difficile, les solitudes des Vosges, les vallées du Jura, les bords du Léman. Leur séjour dans ces différentes parties de l’intérieur est attesté par des vestiges qui ne sauraient provenir que d’eux. On en reconnaît même d’une manière certaine dans quelques parties du nord de la Savoie (1)[16], et les habiles recherches de M. Troyon sur des habitations très antiques, ensevelies aujourd’hui sous les eaux de plusieurs lacs de la Suisse, mettront probablement un jour hors de doute que les pêcheurs finnois avaient placé jusque sur les rives du lac de Zurich les pilotis de leurs misérables cabanes (2)[17].

Il convient de donner rapidement une nomenclature des principales espèces de débris qui ne peuvent avoir appartenu qu’aux aborigènes de race jaune, de ces débris que les archéologues du Nord considèrent unanimement comme portant le cachet de l’âge de pierre. Déjà j’ai cité les amoncellements de coquillages comestibles, d’os de quadrupèdes et d’êtres humains, mêlés de couteaux de pierre, d’os et de corne ; j’ai encore mentionné les haches, les marteaux de silex, les canots formés d’un seul tronc d’arbre, et les vestiges d’habitations sur pilotis qui viennent, pour la première fois, d’être observées sur les rives de plusieurs lacs helvétiques. À ce fond, on doit ajouter des têtes de flèches en caillou ou en arête de poisson, des pointes de lance et des hameçons pour la pêche en mêmes matières, des boutons destinés à assujettir des vêtements de peaux, des morceaux d’ambre, ou percés ou bruts, des boules d’argile teintes en rouge pour être enfilées et servir de colliers (1)[18], enfin des poteries souvent fort grandes, puisqu’il en est qui servent de bières à des cadavres entiers, aux côtés desquels paraissent avoir été déposés des aliments.

Mais ce qui domine tout le reste, ce sont les productions architectoniques, côté surtout frappant de ces antiquités. Leur trait principal et dominant, celui qui crée leur style particulier, c’est l’absence complète, absolue, de maçonnerie. Dans ce mode de construction, il n’est fait usage que de blocs toujours considérables. Tels sont les menhirs, ou peulvens, appelés en Allemagne Hunensteine (2)[19] ; les obélisques de pierre brute, d’une hauteur plus ou moins grande, enfoncés dans le sol, ordinairement jusqu’au quart de leur élévation totale ; les cromlechs, Hunenbette, cercles ou carrés formés par des séries de blocs posés à côté les uns des autres, et embrassant un espace souvent assez étendu. Ce sont encore des dolmens, lourdes cases, construites de trois ou quatre fragments de rocher accotés à angle droit, recouverts d’une cinquième masse, pavées en cailloux plats et quelquefois précédées d’un corridor de même style. Souvent ces monstrueuses masures sont ouvertes d’un côté ; dans d’autres cas, elles ne présentent pas d’issue. Ce ne peut être que des tombeaux. Sur certains points de la Bretagne, on les compte par groupes de trente à la fois ; le Hanovre n’en est pas moins richement pourvu (1)[20]. La plupart contiennent ou contenaient, au moment où elles furent découvertes, des squelettes non brûlés.

Autant par leur masse, qui en fait le monument le plus apparent qu’ait produit la race finnoise, que par les débris qu’ils contiennent, les dolmens doivent être considérés comme un des témoignages les plus concluants de la présence des peuplades jaunes sur un point donné. Les fouilles les plus minutieuses n’ont jamais pu y faire apercevoir d’objets en métal, mais seulement ces sortes d’outils ou d’ustensiles, aussi élémentaires par la matière que par la forme, qui ont été énumérés plus haut. Les dolmens ont encore un caractère précieux, c’est leur vaste diffusion. On en connaît dans toute l’Europe.

Viennent maintenant les cairns, qui ne sont guère moins communs. Ce sont des amas de pierres de différentes dimensions (2)[21]. Plusieurs recèlent un cadavre, toujours non brûlé, avec quelques objets d’os ou de silex. Il est des exemples où le corps est déposé sous un petit dolmen érigé au centre du cairn (3)[22]. On voit aussi tel de ces monuments qui est à base pleine et ne semble avoir eu qu’une destination purement commémorative ou indicative. Il en est de fort petits, mais aussi d’énormes : celui de New-Grange, en Irlande, représente une masse de quatre millions de quintaux.

La combinaison du dolmen et du cairn n’est qu’une imitation, souvent suggérée par la nature du terrain, d’une réunion semblable du dolmen et du tumulus (1)[23]. On signale des spécimens de cette espèce un peu partout, entre autres dans le Latium, près de Civita-Vecchia, à vingt-deux milles de Rome, non loin de l’ancienne Alsium et de Santa-Marinella. Il en est encore un à Chiusa, un autre près de Pratina, sur l’emplacement de Lavinium (2)[24].

Les squelettes tirés des dolmens ont permis de constater, chez les premiers habitants de la terre d’Europe, certains talents qu’assurément on n’aurait pas été enclin, a priori, à leur supposer. Ils savaient pratiquer plusieurs opérations chirurgicales. Déjà les tumulus américains en avaient offert la preuve en livrant aux observateurs des têtes renfermant des dents fausses. Un dolmen ouvert récemment, près de Mantes, a fourni le corps d’un homme adulte dont le tibia, fracturé en flûte, présente une soudure artificielle.

Il est d’autant plus curieux de rencontrer chez la race jaune ce genre de savoir, que, parmi les descendants purs ou métis de la variété mélanienne, on n’en aperçoit pas vestige aux époques correspondantes. L’art de soulager les souffrances n’est guère allé, chez ces derniers, au delà de l’usage des simples et des topiques extérieurs. L’intérieur du corps humain et sa structure leur étaient complètement inconnus. C’est la suite de l’horreur que leur inspiraient les morts, horreur toute d’imagination, née des craintes superstitieuses qui ont de longtemps précédé le respect, et qui empêchait toute curiosité de s’aventurer dans un domaine jugé redoutable. Au contraire, les jaunes, défendus par leur tempérament flegmatique contre l’excès des impressions de ce genre, envisagèrent très peu solennellement les dépouilles de leurs conquêtes. L’anthropophagie leur fournissait toutes les occasions désirables de s’instruire sur l’ostéologie de l’homme. Le soin même de leur sensualité en les portant à étudier la nature des os, afin de savoir, à point nommé, où trouver la moelle, leur procurait l’expérience pratique. C’est ainsi que se montrent si savants les habitants actuels de la Sibérie méridionale. Leurs connaissances anatomiques, en ce qui concerne les différentes catégories d’animaux, sont aussi sûres que détaillées (1)[25].

De l’habitude de voir des squelettes, de les manier, de les rompre, à l’idée de raccommoder un membre brisé ou de remplir un alvéole, le passage est extrêmement court. Il ne faut ni une intelligence extraordinaire ni un degré de culture générale bien avancé pour le franchir. Néanmoins il est intéressant de constater que les Finnois le savaient faire, parce qu’on s’explique ainsi un fait resté jusqu’à présent énigmatique, le plombage des dents malades chez les plus anciens Romains, habitude à laquelle fait allusion un article de la loi des XII Tables. Ce procédé médical, inconnu aux populations de la Grande-Grèce, provenait des tribus sabines ou des Rasênes, qui ne pouvaient l’avoir reçu que des anciens possesseurs jaunes de la péninsule. Voilà comment le bien sort du mal, et comment l’ostéologie, avec ses applications bienfaisantes, a sa source première dans l’anthropophagie.

Si l’on a quelque droit de s’étonner d’avoir pu tirer de pareilles conclusions de l’examen des squelettes trouvés dans les dolmens, on était fondé à en attendre les moyens de préciser physiologiquement le caractère ethnique des populations auxquelles ils ont appartenu. Malheureusement les résultats obtenus jusqu’ici n’ont pas justifié cette espérance : ils sont des plus pauvres.

Pour première difficulté, on a peu de corps entiers. Le plus souvent les cadavres, altérés par des accidents inévitables, à la suite de si longs siècles d’inhumation, n’offrent qu’un objet d’examen fort incomplet. Trop fréquemment aussi, les explorateurs, ignorants ou maladroits, ne les ont pas assez ménagés en pénétrant dans leurs asiles. Bref, jusqu’à ce jour, la physiologie n’a rien ajouté de bien concluant aux preuves offertes par d’autres ordres de connaissances touchant le séjour primordial des Finnois sur toute la surface du continent d’Europe. Comme cette science n’est pas non plus parvenue à démontrer l’identité typique des squelettes trouvés en différents lieux, elle ne peut servir même à reconnaître si l’ancienne population a été ou non bien nombreuse. Pour se former une opinion à cet égard, il faut revenir aux témoignages fournis par les monuments que d’ailleurs on trouve en si étonnante abondance.

Déjà l’ubiquité du dolmen tendait à établir que les envahisseurs avaient pénétré jusque dans le centre, jusque dans les régions montagneuses de notre partie du monde. Mal pourvus des moyens matériels de rendre ces invasions faciles, ils n’ont dû y être déterminés que par une surabondance de nombre qui leur a rendu impossible de continuer à vivre tous agglomérés sur les premiers points de débarquement.

Cette induction puissante est renforcée encore par un argument direct, argument matériel qui saisit la conviction de la manière la plus forte, en augmentant la liste des monuments finniques de la description du plus vaste, du plus étonnant dont on ait encore eu connaissance (1)[26].

La vallée de la Seille, en Lorraine, occupée aujourd’hui par les villes de Dieuze, de Marsal, de Moyenvic et de Vic, ne formait, avant que l’homme y eût mis les pieds, qu’un immense marécage boueux et sans fond, créé et entretenu par une multitude de sources salines, qui, perçant de toutes parts sous la fange, ne laissaient pas un endroit stable et solide. Entouré de hauteurs, ce coin de pays était, en outre, aussi peu accessible qu’habitable. Une horde finnoise jugea qu’il lui serait possible de s’y faire une retraite à l’abri de toutes les agressions, si elle réussissait à y créer un terrain capable de la porter.

Pour y parvenir, elle fabriqua, avec l’argile des collines environnantes, une immense quantité de morceaux de terre pétris à la main. On retrouve encore aujourd’hui, sur ceux de ces fragments que l’on exhume de la vase, les traces reconnaissables de doigts d’hommes, de femmes et d’enfants. Quelquefois, pour abréger sa besogne, l’ouvrier sauvage s’est avisé de prendre un bloc de bois et de le recouvrir d’une faible couche de glaise. Tous ces fragments ainsi préparés furent ensuite soumis à l’action du feu et transformés en briques on ne peut plus irrégulières, dont les plus grandes, qui sont aussi les plus rares, ont environ 25 centimètres de circonférence sur une longueur à peu près égale. La plupart n’ont que des dimensions beaucoup plus faibles.

Les matériaux ainsi préparés furent transportés dans le marais, et jetés pêle-mêle sur la boue, sans mortier ni ciment. Le travail s’étendit de telle manière que le radier artificiel, recouvert aujourd’hui d’une couche de vase solidifiée de sept à onze pieds de profondeur, a, dans ses parties les plus minces, trois pieds de hauteur, et dans les plus épaisses sept environ. Ainsi fut créé sur l’abîme une espèce de croûte que le temps a rendue très compacte, et qui est évidemment très solide, puisqu’on la voit porter plusieurs villes, habitées par une population totale de vingt-neuf à trente mille âmes.

L’étendue de cet ouvrage bizarre, connu dans le pays sous le nom de briquetage de Marsal, paraît être, autant que les sondages exécutés au dernier siècle par l’ingénieur La Sauvagère ont pu le faire connaître, de cent quatre-vingt-douze mille toises carrées sous la ville de Marsal, et de quatre-vingt-deux mille quatre cent quatre-vingt-dix-neuf toises sous Moyenvic.

En comparant entre elles les différentes mesures, M. de Saulcy a calculé approximativement, et en ayant soin de modérer, même à l’extrême, toutes ses appréciations, le nombre de bras et la durée de temps indispensables pour achever ce singulier monument de barbarie et de patience, et il a trouvé que quatre mille ouvriers actuels, usant des mêmes procédés, n’ayant d’ailleurs à s’occuper ni de l’extraction de l’argile, ni du charriage de cette matière sur les lieux de manutention, ni de la coupe, ni du transport du bois nécessaire à la cuisson des briques, ni enfin de celui de ces briques sur les points d’immersion, et opérant pendant huit heures par jour, mettraient vingt-cinq ans et demi pour arriver à la fin de leur tâche. On peut juger par là quelle est l’importance du travail exécuté.

Il est à peine utile de dire que ce ne sont pas de telles conditions qui ont présidé à la construction du briquetage de Marsal. Ce ne sont pas, dis-je, des ouvriers astreints régulièrement et uniquement à leur labeur qui l’ont exécuté. Il a été conduit à fin par des familles de travailleurs barbares, agissant lentement, maladroitement, mais avec une persévérance imperturbable qui comptait pour rien et le temps et la peine. Il est aussi vraisemblable que, dans la pensée de ceux qui les premiers se sont mis à l’œuvre, le briquetage ne devait pas acquérir l’extension qu’il a prise. Ce n’est qu’à mesure où la population, favorisée par la sécurité des lieux, s’y est recrutée et étendue, qu’on a pu sentir l’opportunité de faire à la demeure commune des augmentations correspondantes. Plusieurs siècles se sont donc passés avant que le radier en arrivât à pouvoir porter des masses d’habitants à coup sûr respectables, car tant de fatigues n’ont pas été dépensées pour créer des espaces vides.

S’il était possible d’organiser des fouilles intelligentes sur ce terrain, et de sonder avec un peu de bonheur les boues qui le recouvrent, ou mieux encore celles dont il cache les abîmes, il est à présumer que l’on y découvrirait beaucoup plus de restes finniques qu’on ne saurait l’espérer partout ailleurs (1)[27].

Ces populations d’hommes d’autrefois, ces tribus dont les vestiges se retrouvent préférablement au bord des mers, des rivières, des lacs, au sein même des marais, et qui semblent avoir eu pour le voisinage des eaux un attrait tout particulier, doivent paraître bien grossières assurément ; toutefois on ne peut leur refuser ni les instincts d’un certain degré de sociabilité, ni la puissance de quelques conceptions qui ne sont pas dénuées d’énergie, bien qu’elles le soient totalement de beauté. Les arts n’étaient évidemment pas l’affaire de ces peuples, à en juger d’ailleurs par les dessins bien misérables que l’on connaît d’eux.

Des poteries ornementées sont trouvées assez souvent dans les dolmens. Les lignes spirales simples, doubles ou même triples s’y reproduisent presque constamment. Il est même rare qu’il s’y présente autre chose, à part quelques dentelures. L’aspect de ces arabesques rappelle complètement les compositions dont les indigènes américains embellissent encore leurs gourdes. Ces spirales, trait principal du goût finnique, et au delà desquelles une invention stérile n’a pu guère aller, se voient non seulement sur les vases, mais sur certains monuments architecturaux qui, faisant exception à la règle générale, portent quelques traces de taille. Il est vraisemblable que ces constructions appartiennent aux époques les plus récentes, à celles où les aborigènes ont eu à leur disposition soit les instruments, soit même le concours de quelques Celtes, circonstance très ordinaire dans les temps de transition. Un grand dolmen, à New-Grange, dans le comté irlandais de Meath, est non seulement orné de lignes spirales, il a encore des entrées en ogives. Un autre, près de Dowth, est même embelli de quelques croix inscrites dans des cercles. C’est le nec plus ultra. À Gavr-Innis, près de Lokmariaker, M. Mérimée a observé des sculptures ou plutôt des gravures du même genre. Il existe aussi, au musée de Cluny, un os sur lequel a été entaillée assez profondément l’image d’un cheval. Tout cela est fort mal fait, et sans rien qui révèle une imagination supérieure à l’exécution, observation que l’on a si souvent lieu de faire dans les œuvres les plus mauvaises des métis mélaniens. Encore n’est-il pas bien assuré que le dernier objet soit finnique, bien qu’il ait été trouvé dans une grotte et recouvert d’une sorte de gangue pierreuse qui semble lui assigner une assez lointaine antiquité.

Je n’ai démontré jusqu’ici que par voie de comparaison et d’élimination la présence primordiale des peuples jaunes en Europe. Quelle que soit la force de cette méthode, elle ne suffit pas. Il est nécessaire de recourir à des éléments de persuasion plus directs. Heureusement ils ne font pas défaut.

Les plus anciennes traditions des Celtes et des Slaves, les premiers des peuples blancs qui aient habité le nord et l’ouest de l’Europe, et, par conséquent, ceux qui ont gardé les souvenirs les plus complets de l’ancien ordre des choses sur ce continent, se montrent riches de récits confus ayant pour objets certaines créatures complètement étrangères à leurs races. Ces récits, en se transmettant de bouche en bouche, à travers les âges, et par l’intermédiaire de plusieurs générations hétérogènes, ont nécessairement perdu depuis longtemps leur précision et subi des modifications considérables. Chaque siècle a un peu moins compris ce que le passé lui livrait, et c’est ainsi que les Finnois, objets de ce qui n’était d’abord qu’un fragment d’histoire, sont devenus des héros de contes bleus, des créations surnaturelles.

Ils sont passés de très bonne heure du domaine de la réalité dans le milieu nuageux et vague d’une mythologie toute particulière à notre continent. Ce sont désormais ces nains, le plus souvent difformes, capricieux, méchants, et dangereux, quelquefois, au contraire, doux, caressants, sympathiques et d’une beauté charmante (1)[28], cependant toujours nains, dont les bandes ne cessent pas d’habiter les monuments de l’âge de pierre, dormant le jour sous les dolmens, dans la bruyère, au pied des pierres levées, la nuit se répandant à travers les landes, au long des chemins creux, ou bien encore, errant au bord des lacs et des sources, parmi les roseaux et les grandes herbes.

C’est une opinion commune aux paysans de l’Écosse, de la Bretagne et des provinces allemandes que les nains cherchent surtout à dérober les enfants et à déposer à leur place leurs propres nourrissons (1)[29]. Quand ils ont réussi à mettre en défaut la surveillance d’une mère, il est très difficile de leur arracher leur proie. On n’y parvient qu’en battant à outrance le petit monstre qu’ils lui ont substitué. Leur but est de procurer à leur progéniture l’avantage de vivre parmi les hommes, et quant à l’enfant volé, les légendes sont partout unanimes sur ce qu’ils en veulent faire : ils veulent le marier à quelqu’un d’entre eux, dans le but précis d’améliorer leur race (2)[30].

Au premier abord, on est tenté de les trouver bien modestes d’envier quelque chose à notre espèce, puisque, par la longévité et la puissance surnaturelle qu’on leur attribue d’ailleurs, ils sont très supérieurs et très redoutables aux fils d’Adam. Mais il n’y a pas à raisonner avec les traditions : telles quelles sont, il faut les écouter ou les rejeter. Ce dernier parti serait ici peu judicieux, car l’indication est précieuse. Cette ambition ethnique des nains, n’est autre que le sentiment qui se retrouve aujourd’hui chez les Lapons. Convaincus de leur laideur et de leur infériorité, ces peuples ne sont jamais plus contents que lorsque des hommes d’une meilleure origine, s’approchant de leurs femmes ou de leurs filles, donnent au père ou au mari, ou même au fiancé, l’espérance de voir sa hutte habitée un jour par un métis supérieur à lui (3)[31].

Les pays de l’Europe où la mémoire des nains s’est conservée le plus vivace sont précisément ceux où le fond des populations est resté le plus purement celtique. Ces pays sont la Bretagne, l’Irlande, l’Écosse, l’Allemagne. La tradition s’est, au contraire, affaiblie dans le midi de la France, en Espagne, en Italie. Chez les Slaves, qui ont subi tant d’invasions et de bouleversements provenant de races très différentes, elle n’a pas disparu, tant s’en faut, mais elle s’est compliquée d’idées étrangères. Tout cela s’explique sans peine. Les Celtes du nord et de l’ouest, soumis principalement à des influences germaniques, en ont reçu et leur ont prêté des notions qui ne pouvaient faire disparaître absolument le fond des premiers récits. De même pour les Slaves. Mais les populations sémitisées du sud de l’Europe ont de bonne heure connu des légendes venues d’Asie, qui, tout à fait disparates avec celles de l’ancienne Europe, ont absorbé leur attention et exigé presque tout leur intérêt.

Ces petits nains, ces voleurs d’enfants, ces êtres si persuadés de leur infériorité vis-à-vis de la race blanche, et qui, en même temps, possèdent de si beaux secrets, un pouvoir immense, une sagesse profonde, n’en sont pas moins tenus, par l’opinion, dans une situation des plus humbles et même véritablement servile. Ce sont des ouvriers (1)[32], et surtout des ouvriers mineurs. Ils ne dédaignent pas de battre de la fausse monnaie. Retirés dans les entrailles de la terre, ils savent fabriquer, avec les métaux les plus précieux, les armes de la plus fine trempe. Ce n’est pourtant jamais à des héros de leur race qu’ils destinent ces chefs-d’œuvre. Ils les font pour les hommes qui seuls savent s’en servir.

Il est arrivé parfois, dit la Fable, que des ménétriers, revenant tard de noces de village, ont rencontré, sur la lande, après minuit sonné, une foule de nains fort affairés aux carrefours des chemins creux. D’autres témoins rustiques les ont vus s’agitant par essaims au pied des dolmens, leurs demeures d’habitude, s’escrimant de lourds marteaux, de fortes tenailles, transportant les blocs de granit, et tirant du minerai d’or des entrailles de la terre. C’est surtout en Allemagne que l’on raconte des aventures de ce dernier genre. Presque toujours ces ouvriers laborieux ont donné lieu à la remarque qu’ils étaient singulièrement chauves. On se rappellera ici que la débilité du système pileux est un trait spécifique chez la plupart des Finnois.

Dans maintes occasions, ce ne sont plus des mineurs que l’on a surpris occupés à leur travail nocturne, mais des fileuses décrépites ou bien de petites lavandières battant le linge de tout leur cœur, sur le bord du marécage. Il n’est même pas besoin que le villageois irlandais, écossais, breton, allemand, scandinave ou slave, sorte de chez lui pour faire de pareilles rencontres. Bien des nains se blottissent dans les métairies, et y sont d’un grand secours à la buanderie, à la cuisine, à l’étable. Soigneux, propres et discrets, ils ne cassent ni ne perdent rien, ils aident les servantes et les garçons de ferme avec le zèle le plus méritoire. Mais de si utiles créatures ont aussi leurs défauts, et ces défauts sont grands. Les nains passent universellement pour être faux, perfides, lâches, cruels, gourmands à l’excès, ivrognes jusqu’à la furie, et aussi lascifs que les chèvres de Théocrite. Toutes les histoires d’ondines amoureuses, dépouillées des ornements que la poésie littéraire y a joints, sont aussi peu édifiantes que possible (1)[33].

Les nains ont donc, par leurs qualités comme par leurs vices, la physionomie d’une population essentiellement servile, ce qui est une marque que les traditions qui les concernent se sont primitivement formées à une époque où, pour la plupart du moins, ils étaient déjà tombés sous le joug des émigrants de race blanche. Cette opinion est confirmée, ainsi que l’authenticité des récits de la légende moderne, par les traces très reconnaissables, très évidentes, que nous retrouvons de tous les faits qu’elle indique et attribue aux nains, de tous, sans exception aucune, dans l’antiquité la plus haute. La philologie, les mythes, et même l’histoire des époques grecques, étrusques et sabines, vont démontrer cette assertion.

Les nains sont connus, en Europe, sous quatre noms principaux, aussi vieux que la présence des peuples blancs. Ces noms appartiennent, par leurs racines, au fond le plus ancien des langues de l’espèce noble. Ce sont, sous réserve de quelques altérations de formes peu importantes, les mots pygmée fad, gen et nar.

Le premier se trouve dans une comparaison de l’Iliade, où le poète, parlant des cris et du tumulte qui s’élèvent des rangs des Troyens prêts à commencer le combat, s’exprime ainsi :

« De même montent vers le ciel les clameurs des grues, lorsque, fuyant l’hiver et la pluie incessante, elles volent en criant vers le fleuve Océan, et apportent le meurtre et la mort aux hommes pygmées. »

Le fait seul que cette allusion est destinée à faire bien saisir aux auditeurs du poème quelle était l’attitude des Troyens prêts à combattre, prouve que l’on avait, au temps d’Homère, une notion très générale et très familière de l’existence des pygmées. Ces petits êtres, demeurant du côté du fleuve Océan, se trouvaient à l’ouest du pays des Hellènes, et comme les grues allaient les chercher à la fin de l’hiver, ils étaient au nord ; car la migration des oiseaux de passage a lieu à cette époque dans cette direction. Ils habitaient donc l’Europe occidentale. C’est là, en effet, que nous les avons jusqu’à présent reconnus à leurs œuvres. Homère n’est pas le seul dans l’antiquité grecque qui ait parlé d’eux. Hécatée de Milet les mentionne, et en fait des laboureurs minuscules réduits à couper leurs blés à coups de hache. Eustathe place les pygmées dans les régions boréales, vers la hauteur de Thulé. Il les fait extrêmement petits, et ne leur assigne pas une vie très longue. Enfin Aristote lui-même s’occupe d’eux. Il déclare ne les considérer nullement comme fabuleux. Mais il explique la taille minime qu’on leur attribue par d’assez pauvres raisons, en disant qu’elle est due à la petitesse comparative de leurs chevaux ; et comme ce philosophe vivait à une époque où la mode scientifique voulait que tout vînt de l’Égypte, il les relègue aux sources du Nil. Après lui la tradition se corrompt de plus en plus dans ce sens, et Strabon, comme Ovide, ne donne que des renseignements complètement fantastiques, et qui ne sauraient ici trouver leur place.

Le mot de pygmée, πyγμαῖος, indique la longueur du poing au coude. Telle aurait été la hauteur du petit homme ; mais il est facile de concevoir que les questions de grandeur et de quantité, tout ce qui exige de la précision, est surtout maltraité par les récits légendaires. L’histoire, même la plus correcte, n’est pas d’ailleurs à l’abri des exagérations et des erreurs de ce genre. Πyγμαῖος est donc le pendant du Petit Poucet des contes français, et du Daumling des contes allemands. En supposant cette étymologie irréprochable pour les époques historiques, qui ont su donner au mot la forme congruente à l’idée qu’elles lui faisaient rendre, il n’y a pas lieu d’en être pleinement satisfait et de s’y tenir pour ce qui appartient à une époque antérieure, et, par conséquent, à des notions plus saines. En se plaçant à ce point de vue, la forme primitive perdue de πyγμαῖος dérivait certainement d’une racine voisine du sanscrit pît, au féminin pa, qui veut dire jaune, et d’une expression voisine des formes pronominales sanscrite, zende et grecque, aham, azem, ἐγών, qui, renfermant surtout l’idée abstraite de l’être, a donné naissance au gothique guma, homme. Πyγμαῖος ne signifie donc autre chose qu’homme jaune.

Il est digne de remarque que la racine pronominale de ce mot guma, se rapprochant, dans les langues slaves, de l’expression sanscrite gan, qui indique la production de l’être ou la génération, intercale un n là où les autres idiomes d’origine blanche actuellement connus ont abandonné cette lettre. Elle survit cependant en allemand, dans une expression fort ancienne, qui est gnome. Le gnome est donc parfaitement identique et de nom et de fait au pygmée ; dans sa forme actuelle, ce vocable ne signifie, au fond, pas autre chose qu’un être ; c’est qu’il est mutilé, sort commun des choses intellectuelles et matérielles très antiques.

Après ces dénominations grecque et gothique de pygmée et de gnome, se présente l’expression celtique de fad. Les Galls appelaient ainsi l’homme ou la femme qu’ils considéraient comme inspirés (1)[34]. C’est le vates des peuples italiotes, et, par dérivation, c’est aussi cette puissance occulte dont les devins avaient le pouvoir de pénétrer les secrets, fatum (2)[35]. Une telle identification originelle des deux mots n’est d’ailleurs point facultative. Fad, devenu aujourd’hui, dans le patois du pays de Vaud, fatha ou fada, dans le dialecte savoyard du Chablais fihes, dans le genevois faye, dans le français fée, dans le berrichon fadet, au féminin fadette, dans le marseillais fada, désigne partout un homme ou une femme élevés au-dessus du niveau commun par des dons surnaturels, et rabaissés au-dessous de ce même niveau par la faiblesse de la raison. Le fada, le fadet est tout à la fois sorcier et idiot, un être fatal.

En suivant cette trace, on trouve les mêmes notions réunies sur le même être, sous une autre forme lexicologique, chez les races blanches aborigènes de l’Italie. C’est faunus, au féminin fauna. Il y a longtemps déjà que les érudits ont remarqué comme une singularité que ces divinités sont à la fois une et multiples, faunus et fauni, faune et les faunes, et, plus encore, que le nom de la déesse est identique à celui de son mari, circonstance dont, en effet, la mythologie classique n’offre peut-être pas un second exemple. D’autre explication n’est pas possible que d’admettre qu’il s’agit ici, non pas de dénomination de personnes, mais d’appellations génériques ou nationales. Faune et les faunes ont, en Grèce, leurs pareils dans Pan et les pans, les ægipans, transformation facile à expliquer d’un même mot. La permutation du p et de l’f est trop fréquente pour qu’il soit nécessaire de la justifier.

Le faune aussi bien que le pan étaient des êtres grotesques par leur laideur, touchant de près à l’animalité, ivrognes, débauchés, cruels, grossiers de toute façon, mais connaissant l’avenir et sachant le dévoiler (1)[36]. Qui ne voit ici le portrait moral et physique de l’espèce jaune, comme les premiers émigrants blancs se le sont représenté ? Un penchant invincible à toutes les superstitions, un abandon absolu aux pratiques magiques des sorciers, des jeteurs de sorts, des chamans, c’est encore là le trait dominant de la race finnique dans tous les pays où on peut l’observer. Les Celtes métis et les Slaves, en accueillant dans leur théologie, aux époques de décadence, les aberrations religieuses de leurs vaincus, appelèrent très naturellement du nom même de ces derniers leurs magiciens, héritiers ou imitateurs d’un sacerdoce barbare. On aperçoit dans la lasciveté des ondines ce vice si constamment reproché aux femmes de la race jaune, et qui est tel qu’il a, dit-on, fait naître l’usage de la mutilation des pieds, pratiquée comme précaution paternelle et maritale sur les filles chinoises, et que là où il ne rencontre pas les obstacles d’une société réglée, il donne lieu, comme au Kamtschatka, à des orgies trop semblables aux courses des Ménades de la Thrace, pour qu’on ne soit pas disposé à reconnaître dans les fougueuses meurtrières d’Orphée, des parentes de la courtisane actuelle de Sou-Tcheou-Fou et de Nanking (2)[37]. On ne remarque pas moins chez les faunes le goût absorbant du vin et de la pâture, cette sensualité ignoble de la famille mongole, et, enfin, on y relève cette aptitude aux occupations rurales et ménagères (3)[38] que les légendes modernes attribuent à leurs pareils, et que, du temps des Celtes primitifs, on pouvait obtenir avec facilité d’une race utilitaire et essentiellement tournée vers les choses matérielles.

L’assimilation complète des deux formes, faunus et πάν, n’offre pas de difficultés. On doit la pousser plus loin. Elle est applicable également, quoique d’une manière d’abord moins évidente, aux mots khorrigan et khoridwen. C’est ainsi que les paysans armoricains désignent les nains magiques de leurs pays. Les Gallois disent Gwrachan (1)[39]. Ces expressions sont l’une et l’autre composées de deux parties. Khorr et Gwr ne valent autre chose que gon et gwn, ou gan (2)[40], chez les Latins genius, en français génie, employé dans le même sens. Je m’explique.

La lettre r, dans les langues primitives de la famille blanche, a été d’une extrême débilité. L’alphabet sanscrit la possède trois fois, et, pas une seule ne lui accorde la force et la place d’une consonne. Dans deux cas, c’est une voyelle ; dans un, c’est une demi-voyelle comme l’ l et le w qui, pour nos idiomes modernes, a conservé par sa facilité à se confondre, même graphiquement, avec l’u ou l’ou, une égale mobilité.

Cette r primordiale, si incertaine d’accentuation, paraît avoir eu les plus grands rapports avec l’ aïn, l’ a emphatique des idiomes sémitiques, et c’est ainsi seulement qu’on peut s’expliquer le goût marqué de l’ancien scandinave pour cette lettre. On la retrouve dans une grande quantité de mots où le sanscrit mettait un a , comme, par exemple, dans gardhr, synonyme de garta, enceinte, maison, ville.

Cette faiblesse organique la rend plus susceptible qu’aucune autre des nombreuses permutations dont les principales ont lieu, comme on doit s’y attendre, avec des sons d’une faiblesse à peu près égale, avec l’ l, avec le v, avec l’s ou l’n, consonne à la vérité, mais reproduite trois fois en sanscrit, et, par conséquent, peu clairement marquée, enfin avec le g , par suite de l’affinité intime qui unit ce dernier son au w , principalement dans les langues celtiques (1)[41]. Citer trop d’exemples de l’application de cette loi de muabilité serait ici hors de place ; mais comme il n’est pas sans intérêt pour le sujet même que je traite, d’en alléguer quelques-uns, en voici des principaux :

Πάν et faunus sont corrélatifs de forme et de sens au persan péri, une fée, et, en anglais, à fairy, et en français, à la désignation générale de féerie, et en suédois à alfar, et en allemand à elfen (2)[42]. Dans le kymrique, on a l’adjectif ffyrnig, méchant, cruel, hostile, criminel, qui se trouve en parenté étymologique bien remarquable avec ffur, sage, savant, et furner, sagesse, prudence, d’où est venu notre mot finesse (3)[43]. C’est ainsi que gan, wen, khorr et genius, et fen, sont des reproduction altérées d’un seul et même mot.

Les dieux appelés par les aborigènes italiotes, et par les Étrusques, genii, étaient considérés comme supérieurs aux puissances célestes les plus augustes. On les saluait des titres celtiques de lar ou larth, c’est-à-dire seigneurs, et de penates, penaeth, les premiers, les sublimes. On les représentait sous la forme de nains chauves, fort peu avenants. On les disait doués d’une sagesse et d’une prescience infinies. Chacun d’eux veillait, en particulier, au salut d’une créature humaine, et le costume qui leur était attribué était une sorte de sac sans manches, tombant jusqu’à mi-jambes.

Les Romains les nommaient, pour cette raison, dii involuti, les dieux enveloppés. Qu’on se figure les grossiers Finnois revêtus d’un sayon de peaux de bêtes, et l’on a cet accoutrement peu recherché dont les auteurs de certaines pierres gravées ont probablement eu en vue de reproduire l’image (1)[44].

Ces genii, ces larths, esprits élémentaires, n’ont pas besoin d’être comparés longuement aux Finnois pour qu’on reconnaisse en eux ces derniers. L’identité s’établit d’elle-même. La haute antiquité de cette notion, son extrême généralisation, son ubiquité, dans toutes les régions européennes, sous les différentes formes d’une même dénomination, faunus, πάν, gen ou genius, fee, khorrigan, fairy, ne permettent pas de douter qu’elle ne repose sur un fond parfaitement historique. Il n’y a donc nulle nécessité d’y insister davantage, et on peut passer à la dernière face de la question en examinant le mot nar.

Il est identique avec nanus, ou mieux encore avec le celtique nan, par suite de la loi de permutation qui a été établie plus haut. Dans les dialectes tudesques modernes, il signifie un fou, comme jadis, chez les peuples italiotes, fatuus, dérivé de fad. Les langues néo-latines l’ont consacré à désigner exclusivement un nain, abstraction faite de toute idée de développement moral. Mais, dans l’antiquité, les deux notions aujourd’hui séparées se présentaient réunies. Le nan ou le nar était un être laborieux et doué d’un génie magique, mais sot, borné, fourbe, cruel et débauché, toujours de taille remarquablement petite, et généralement chauve.

Le casnar des Étrusques était une sorte de polichinelle rabougri, contrefait, nain et aussi sot que méchant, gourmand et porté à s’enivrer. Chez les mêmes peuples, le nanus était un pauvre hère sans feu ni lieu, un vagabond, situation qui était assurément, sur plus d’un point, celle des Finnois dépossédés par les vainqueurs blancs ou métis, et, sous ce rapport, ces misérables fournissent aux annales primitives de l’Occident le pendant exact de ce que sont, dans les chroniques orientales, ces tristes Chorréens, ces Enakim, ces géants, ces Goliaths vagabonds, eux aussi dépouillés de leur patrimoine natal et réfugiés dans les villes des Philistins (1)[45].

Au sentiment de mépris qui s’attachait ainsi au nan, réduit à errer de lieux en lieux, s’unissait, dans la péninsule italique, le respect des connaissances surhumaines qu’on prêtait à ce malheureux. On montrait à Cortone, avec une pieuse vénération le tombeau d’un nan voyageur (2)[46].

On avait les mêmes idées dans l’Aquitaine. Le pays de Néris révérait une divinité topique appelée Nen-nerio (3)[47]. Je relève en passant qu’il semble y avoir dans cette expression un pléonasme semblable à celui des mots korid-wen et khorrigan. Peut-être aussi faut-il entendre l’un et l’autre dans un sens réduplicatif destiné à donner à ces titres une portée de superlatif ; ils signifieraient alors le gan ou le nan par excellence.

De l’Aquitaine passons au pays des Scythes, c’est-à-dire à la région orientale de l’Europe qui, dans le vague de sa dénomination, s’étend du Pont-Euxin à la Baltique. Hérodote y montre des sorciers fort consultés, fort écoutés, et qui portaient le nom d’Énarées et de Neures (4)[48]. Les peuples blancs au milieu desquels vivaient ces hommes, tout en accordant une confiance très grande à leurs prédictions, les traitaient avec un mépris outrageant, et, à l’occasion, avec une extrême cruauté. Lorsque les événements annoncés ne s’accomplissaient pas, on brûlait vivants les devins maladroits. La science des Enarées provenait, disaient-ils eux-mêmes, d’une disposition physique comparable à l’hystérie des femmes. Il est probable, en effet, qu’ils imitaient les convulsions nerveuses des sibylles. De telles maladies éclatent beaucoup plus fréquemment chez les peuples jaunes que dans les deux autres races. C’est pour cette raison que les Russes sont, de tous les peuples métis de l’Europe moderne, ceux qui en sont le plus atteints.

Cet être, rencontré par toutes les anciennes nations blanches de l’Europe sur l’étendue entière du continent, et appelé par elles pygmée, fad, genius et nar, décrit avec les mêmes caractères physiques, les mêmes aptitudes morales, les mêmes vices, les mêmes vertus, est évidemment partout un être primitivement très réel. Il est impossible d’attribuer à l’imagination collective de tant de peuples divers qui ne se sont jamais revus ni consultés, depuis l’époque immémoriale de leur séparation dans la haute Asie, l’invention pure et simple d’une créature si clairement définie et qui ne serait que fantastique. Le bon sens le plus vulgaire se refuse à une telle supposition. La linguistique n’y consent pas davantage ; on va le voir par le dernier mot qu’il faut encore lui arracher, et qui va bien préciser qu’il s’agit ici, à l’origine, d’êtres de chair et d’os, d’hommes très véritables.

Cessons un moment de lui demander quel sens spécial les Hellènes primitifs, peut-être même encore les Titans, attachaient au mot de pygmée, les Celtes à celui de fad, les Italiotes à celui de genius, presque tous à celui de nan et de nar. Envisageons ces expressions uniquement en elles-mêmes. Dans toutes les langues, les mots commencent par avoir un sens large et peu défini, puis, avec le cours des siècles, ces mêmes mots perdent leurs flexibilité d’application et tendent à se limiter à la représentation d’une seule et unique nuance d’idée. Ainsi Haschaschi a voulu dire un Arabe soumis à la doctrine hérétique des princes montagnards du Liban, et qui, ayant reçu de son maître un ordre de mort, mangeait du haschisch pour se donner le courage du crime. Aujourd’hui, un assassin n’est plus un Arabe, n’est plus un hérétique musulman, n’est plus un sujet du Vieux de la Montagne, n’est plus un séide agissant sous l’impulsion d’un maître, n’est plus un mangeur de haschisch, c’est tout uniment un meurtrier. On pourrait faire des observations semblables sur le mot gentil, sur le mot franc, sur une foule d’autres ; mais, pour en revenir à ceux qui nous occupent plus particulièrement, nous trouverons que tous renferment dans leur sens absolu des applications très vagues, et que ce n’est que l’usage des siècles qui les a fixés peu à peu à un sens précis.

Pit-goma serait encore celui qui pourrait le plus échapper à cette définition, car, formé de deux racines, il particularise, au premier aspect, l’objet auquel il s’applique. Il indique un homme jaune, partant s’applique bien à un homme de la race finnique. Mais, en même temps, comme il ne contient rien qui fasse allusion aux qualités particulières de cette race, autres que la couleur, c’est-à-dire à la petitesse, à la sensualité, à la superstition, à l’esprit utilitaire, il ne suffit que faiblement à la désigner. D’ailleurs, il ne s’arrête pas à cette phase incomplète de son existence : il subit une modification, et, devenant πyγμαῖος, il prend toutes les nuances qui lui manquaient pour se spécialiser. Un pygmée n’est plus seulement un homme jaune, c’est un homme pourvu de tous les caractères de l’espèce finnique, et, dès lors, le mot ne saurait plus s’appliquer à personne autre. Dans le dialecte des Hellènes, la modification avait porté sur la lettre t , de façon, en la rejetant, à contracter les deux mots Pit-goma en une seule et même racine factice, parce que là où il n’y a pas une racine simple, factice ou réelle, il n’y a pas un sens précis. Mais, dans la région extra-hellénique, l’opération se fit autrement, et, pour atteindre à la forme concrète d’une racine, on rejeta tout à fait le mot pit, qui aurait semblé pourtant devoir être considéré comme essentiel, et, se servant uniquement de goma, très légèrement altéré, on désigna les Finnois par une forme du mot homme, consacrée à eux seuls, et le but fut atteint. Bien que gnome ne signifie pas autre chose qu’homme, il ne saurait plus éveiller une autre idée que celle appliquée par la superstition aux Finnois errants cachés dans les rochers et les cavernes.

Il est peut-être plus difficile d’analyser à fond le mot fad. On doit croire que, mutilé comme pit-goma, par la nécessité d’en faire une racine, il a perdu la partie que gnome a conservée, et rejeté celle que ce dernier vocable a gardée. Dans cette hypothèse, fad ne serait autre chose que pit, en vertu de mutations d’autant plus admissibles que la voyelle, étant longue dans la forme sanscrite, était toute préparée à recevoir au gré d’un autre dialecte une prononciation plus large.

Avec le mot gen ou gan ou khorr, la même modification de transformation que dans gnome se retrouve. Le sens primitif est simplement la descendance, la race, les hommes, genus. Il se peut aussi que la question ne soit pas aussi facile à résoudre, et qu’au lieu d’une mutilation, il s’agisse ici d’une contraction, aujourd’hui peu visible, et qui pourtant se laisse concevoir. L’affinité des sons p , f , w , g , ou , à , permet de comprendre la progression suivante :

pīt-gen,
fīt-gen,
fī-gen,
fī-ouen,
gān,
finn et fen.

Ce dernier mot n’a rien de mythologique, c’est le nom antique des vrais et naturels Finnois, et Tacite le témoigne, non seulement par l’usage qu’il en fait mais par la description physique et morale donnée par lui des gens qui le portent. Ses paroles valent la peine d’être citées : « Chez les Finnois, dit-il, étonnante sauvagerie, hideuse misère ; ni armes, ni chevaux, ni maisons. Pour nourriture, de l’herbe ; pour vêtements, des peaux ; pour lit, le sol. L’unique ressource, ce sont les flèches que, par manque de fer, on arme d’os. Et la chasse repaît également hommes et femmes. Ils ne se quittent pas, et chacun prend sa part du butin. Aux enfants, pas d’autre refuge contre les bêtes et les pluies, que de s’abriter dans quelque entrelacs de branches. Là reviennent les jeunes ; là se retirent les vieillards (1)[49]. »

Aujourd’hui ce mot de Finnois a perdu, dans l’usage ordinaire, sa véritable acception, et les peuples auxquels on le donne sont, pour la plupart du moins, des métis germaniques ou slaves, de degrés très différents.

Avec nar ou nan, il y a évidemment mutilation. Ce mot, pour le sanscrit et le zend, signifie également homme (2)[50]. On a encore dans l’Inde la nation des Naïrs, comme on a eu dans la Gaule, à l’embouchure de la Loire, les Nannètes. Ailleurs le même nom se présente fréquemment (3)[51]. Quant au mot perdu, il est retrouvé à l’aide de deux noms mythologiques, dont l’un est appliqué par le Ramayana aux aborigènes du Dekkhan, considérés comme des démons, les Naïrriti, autrement dit les hommes horribles, redoutables (4)[52] ; dont l’autre est le nom d’une divinité celtique, adoptée par les Suèves Germains, riverains de la Baltique. C’est Nerthus ou Hertha ; son culte était des plus sauvages et des plus cruels, et tout ce qu’on en sait tend à le rattacher aux notions dégénérées que le sacerdoce druidique avait empruntées des sorciers jaunes.

Voici les aborigènes de l’Europe, considérés en personnes, décrits avec leurs caractères physiques et moraux. Nous n’avons pas à nous plaindre cette fois de la pénurie des renseignements. On voit que les témoignages et les débris abondent de toutes parts, et établissent les faits sous la pleine clarté d’une complète certitude. Pour que rien ne manque, il n’est plus besoin que de voir l’antiquité nous livrer des portraits matériels de ces nains magiques dont elle était si préoccupée. Nous avons déjà pu soupçonner que l’image de Tagès et d’autres, qui se rencontrent sur les pierres gravées, étaient propres à remplir ce but. En désirant davantage, on demande presque une espèce de miracle, et pourtant le miracle a lieu.

Entre Genève et le mont Salève, s’aperçoit, sur un monticule naturel, un bloc erratique qui porte sur une de ses faces un bas-relief grossier, représentant quatre figures debout, de stature rabougrie et ramassée, sans cheveux, à physionomie large et plate, tenant des deux mains un objet cylindrique dont la longueur dépasse de quelques pouces la largeur des doigts (1)[53]. Ce monument est encore uni dans le pays aux derniers restes de certaines cérémonies anciennes qui s’y pratiquent comme dans tous les cantons où se conserve un fond de population celtique (2)[54].

Ce bas-relief a ses analogues dans les statues grossières appelées baba, que tant de collines des bords du Jenisseï, de l’Irtisch, du Samara, de la mer d’Azow, de tout le sud de la Russie, portent encore. Il est, comme elles, marqué d’une manière évidente du type mongol. Ammien Marcellin faisait foi de cette circonstance ; Ruysbock l’a encore remarquée au XIIIe siècle, et au XVIIIe, Pallas l’a relevée (3)[55]. Enfin, une coupe de cuivre, trouvée dans un tumulus du gouvernement d’Orenbourg, est ornée d’une figure semblable, et, pour qu’il ne subsiste pas le plus léger doute sur les personnages qu’on a voulu reproduire, un des babas du musée de Moscou a une tête d’animal, et offre ainsi l’image incontestable d’un de ces Neures qui jouissaient de la faculté de se transformer en loups[56].

Les deux particularités saillantes de ces représentations humaines sont la nature mongole, non moins fortement accusée sur le bas-relief du mont Salève que sur les monuments russes, et aussi cet objet cylindrique, de longueur moyenne, que l’on y remarque toujours tenu à deux mains par la figure. Or les légendes bretonnes considèrent comme l’attribut principal des Khorrigans un petit sac de toile qui contient des crins, des ciseaux et autres objets destinés à des usages magiques. Le leur enlever, c’est les jeter dans le plus grand embarras, et il n’est pas d’efforts qu’ils ne fassent pour le ressaisir.

On ne peut voir dans ce sac que la poche sacrée où les Chamans actuels conservent leurs objets magiques, et qui, en effet, est absolument indispensable, ainsi que ce qu’elle contient, à l’exercice de leur profession. Les babas et la pierre genevoise donnent donc, indubitablement, le portrait matériel des premiers habitants de l’Europe[57] : ils appartenaient aux tribus finniques.



  1. Schaffarik a été un des premiers à démontrer la présence primordiale et la diffusion des Finnois asiatiques en Europe ; mais il s’est borné à l’examen de la région septentrionale, en affirmant seulement que la race jaune était descendue beaucoup plus loin vers l’est et le sud qu’on ne le suppose généralement. (Slawische Alterthümer, t. I, p. 88.) — Müller (Der ugrische Volksstamm, t. I, p. 399) signale des traces d’établissements lapons dans la partie la plus méridionale de la Scandinavie et jusqu’à Schonen. — Pott (Indogerm. Sprachstamm, Encycl. Ersch u. Gruber, p. 23) pose en principe l’origine asiatique de toutes les tribus finnoises d’Europe, et pense que, dans des temps très anciens, cette famille s’étendait fort avant vers le sud. — Rask mêle à des opinions plus hardies nombre d’assertions suspectes. — Wormsaae est un des auteurs qui ont commencé avec beaucoup de sagacité et d’érudition à poser la question sur le véritable terrain.
  2. (1) Borrow, The Bible in Spain, in-12, Lond., 1849, chap. VII, p. 35 : « Whilst toiling among this wilds waste, I observed, a little way to my left, a pile of stones of rather a singular appearance and rode up to it. It was a druidical altar and the most perfect and beautiful one of the kind which I have never seen. It was circular, and consisted of stones immensely larges and heavy at the bottom, which towards the top became thinner and thinner, having been fashioned by the hand of art to something of the shape of scallop shells. These were surmounted by a very large flat stone, which slanted down towards the earth, where was a door. » — Bien peu d’observations ont été faites en Espagne sur cette classe de monuments. M. Mérimée a visité cependant, près d’Antequera, un souterrain clairement marqué des caractères pseudo-celtiques.
  3. (1) Keferstein, Ansichten über die keltischen Alterthümer, t. I, pass. — Ouvrage qui témoigne des plus laborieuses recherches et du plus grand dévouement à la science. C’est un véritable et indispensable manuel pour la connaissance des antiquités primitives. — Wormsaae, The Primeval Antiquities of Denmark, translated by W. J. Thoms, Lond., in-8o, 1849. Schaffarik, Slawische Alterthümer, t. I. — Squier, Observations on the Aboriginal Monuments of the Mississipi Valley, New-York, 1847. — Abeken, Mittel Italien vor der Zeit der rœmischen Herrschaft, Stuttgart u. Tübingen, etc., 1843. — Dennis, Die Stædte und Begræbnisse Etruriens, deutsch von Meissner, in-8o, Leipzig, 1852, t. I, pass., etc., etc. — Pour ce qui concerne les monuments de la Suisse, je dois beaucoup aux obligeantes communications de M. Troyon, dont les investigations si habiles et si patientes agrandissent tous les jours le champ de l'archéologie primitive.
  4. (1) Wormsaae, The Primeval Antiquities of Denmark, p. 8.
  5. (1) Keferstein, Ansichten, t. I, p. 451 : « Si l’on observe la marche de la science et de l’art en Europe, on n’aperçoit nulle part un développement graduel, mais bien une sorte de fluctuation, et la condition des choses s’élève ou s’abaisse comme les flots de la mer. Certaines circonstances amènent un progrès, d’autres une déchéance. Il est impossible de découvrir aucune trace du passage des peuples complètement sauvages à l’état de bergers et de chasseurs, puis d’habitants sédentaires, puis enfin d’agriculteurs et d’artisans. Si haut que nous remontions dans les temps primitifs, au delà des périodes héroïques, nous trouvons que les nations sédentaires et sociables ont été, de tout temps, pourvues de ce caractère. » — J’ai eu occasion, à la fin du deuxième livre de cet ouvrage, de démontrer l’exactitude de cette assertion ; comme elle va à l’encontre des opinions vulgaires, je ne me lasse pas de l’appuyer de témoignages imposants.
  6. (2) Wormsaae, The Primeval Antiquities of Denmark, p. 124 et seqq.
  7. (1) Wormsaae, ouvr. cité, p. 135 : « If the Celts possessed settled abodes in the west of Europe more than two thousand years ago, how much more ancient must be the populations which preceded the arrival of the Celts ? A great number of years must pass away before a people like the Celts could spread themselves in the west of Europe and render the land productive. It is therefore no exaggeration if we attribute to the stone period an antiquity of, at least, three thousand years. »
  8. (2) Je me suis étendu suffisamment ailleurs sur les traits caractéristiques de la race jaune, quant à ce qui est du domaine de la physiologie. Le tableau dressé par M. Morton donne tous les résultats désirables quant à la valeur comparative de cette race à l’égard des deux autres.
  9. (3) Moniteur universel du 14 avril 1853, n° 104, Mérimée, Sur les Antiquités prétendues celtiques. — Munch, Det norske Folkshistorie, deutsch von Claussen, in-8o, Lubeck, 1853, p. 3.
  10. (1) Moniteur universel du 18 mars 1854, n° 77. Communication faite par M. Spring à l’Académie royale de Belgique.
  11. (1) Von Prokesch-Osten, Kleine Schriften, die Tumuli der Alten, t. V, p. 317.
  12. (2) On considère généralement l’absence d’incinération des os comme un des caractères auxquels se peuvent reconnaître les sépultures finniques, car les Celtes et les Slaves brûlaient leurs morts. L’observation est juste, elle ne saurait néanmoins servir à fixer l’âge du monument où l’on trouve à l’appliquer. M. Troyon veut bien me communiquer à cet égard une opinion que je crois devoir consigner ici : « Je crois, » m’écrivait ce savant, « qu’on peut poser en fait que les premiers habitants de l’Europe ont inhumé leurs morts sans les brûler. Plus tard, dans l’âge de bronze, l’ustion est générale, mais bien des familles de la race primitive ont poursuivi leur ancien mode de sépulture. C’est ainsi que, dans le canton de Vaud, on rencontre tous les instruments en bronze, des tumuli, anneaux, poignards, celts, épingles, etc., dans des tombes construites sous la surface du sol, auprès de squelettes reployés ou étendus sur le dos. Le même fait se retrouve en quelques parties de l’Allemagne et de l’Angleterre, et on le remarquera dans bien d’autres contrées quand les observations seront complètes. »
  13. (1) E. G. Squier, ouvr. cité.
  14. (1) Wormsaae, ouv. cité, p. 13. Ceci n’est point une hypothèse, mais une observation confirmée par les faits.
  15. (2) Moniteur universel du 14 avril 1853. Il s’agit de la Marche, du pays chartrain, du Vendômois, du Limousin, etc.
  16. (1) Keferstein, Ansichten, t. I, p. 173 et 183. — Mémoires et documents de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, in-8o , 1847, t. V, p. 498 et pass.
  17. (2) Cette découverte est toute récente. Elle a eu lieu cette année, d’abord à Meilen, canton de Zurich, ensuite sur le lac de Bienne près de Nidau, enfin sur les lacs de Genève et de Neuchâtel. Ces restes consistent en pilotis qui portaient autrefois des habitations construites au-dessus de la surface de l’eau. On y trouve de nombreux fragments de poterie, et même des petits vases intacts, des ossements d’animaux, des charbons, des pierres destinées à moudre et à broyer, etc. Comme on y rencontre aussi çà et là quelques débris de bronze, il est à présumer que ces habitations datent de la période où les Celtes étaient déjà arrivés dans le pays. — Je dois ces communications à M. Troyon.
  18. (1) Wormsaae, ouvr. cité, p. 17 et pass. — Keferstein, t. I, p. 314. — Un beau dolmen, découvert à La Motte-Sainte-Héraye (Loire-Inférieure), en 1840, contenait, entre autres objets, un de ces colliers de terre cuite.
  19. (2) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. 265. Le mot hune ne signifie pas les Huns, comme on le croit généralement ; il vient du celtique hen, ancien, vieux, ou de hun, le dormeur. Il a passé dans le frison avec le sens de mort. Ainsi Hunensteine doit se traduire par pierres des anciens, des dormeurs, ou des morts. Peut-être faut-il appliquer cette observation à plus d’un passage de Sigebert et des chroniques gaëliques, où l’intervention des Huns, en tant que cavaliers d’Attila, est tout à fait absurde. — Dieffenbach, Celtica II, 2e Abth., p. 269. Voir une citation de Fordun où l’Humber s’appelle Hunne, et où le prince mythique Humber est nommé Rex Hynorum. (Loc. cit., p. 267). — On trouve aussi dans Geoffroy de Monmouth, II, 1 : « Applicuit Humber, rex Hunnorum, in Albaniam. » — Les traditions germaniques, en se mêlant aux fables indigènes, n’ont pas hésité à déposer dans le mot hun des souvenirs qui leur étaient très présents, et, par suite, à intercaler le nom d’Attila dans les généalogies irlando-milésiennes.
  20. (1) Moniteur universel déjà cité. M. Mérimée démontre le fait par une série d’arguments incontestables.
  21. (2) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. 132. Cet auteur dénombre ainsi les monuments pseudo-celtiques du Hanovre : 290 constructions de pierre, 350 groupes de terre, 135 tumulus isolés, 65 remparts, etc. Il arrive au chiffre de 7 000.
  22. (3) Très fréquemment le cadavre n’est pas posé à plat, mais assis et la tête reposant sur les genoux repliés. Cette coutume est extrêmement répandue chez les aborigènes américains. — Wormsaae, ouvr. cité, p. 89.
  23. (1) Le cairn n’a guère été mis en usage que dans les contrées pierreuses. On en voit beaucoup dans le sud-ouest de la Suède, tandis qu’il ne s’en rencontre aucun en Danemark. — Wormsaae, ouvr. cité, p. 107.
  24. (2) Suivant Varron, toute chambre sépulcrale marquée des caractères du dolmen a été primitivement recouverte d’un tumulus de terre, détruit postérieurement. Ce passage est des plus importants pour établir l’existence des hordes finniques en Italie. — Abeken, ouvr. cité, p. 241.
  25. (1) Huc, Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine, t. II.
  26. (1) F. de Saulcy, Notice sur une Inscription découverte à Marsal, Paris, in-8o, 1846. Se trouve aussi dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions. — Ce travail n’est pas un des moins ingénieux ni des moins sagaces du savant académicien.
  27. (1) Je n’ai ici l’intention ni l’opportunité d’énumérer absolument toutes les catégories de monuments finniques répandus en Europe. Je ne m’attache qu’aux principaux. J’aurais pu mentionner, entre autres, certaines excavations en forme de plats ou de disques remarquées par M. Troyon sur plusieurs blocs erratiques du Jura. Ils appartiennent probablement à l’époque où les Finnois, entrés en rapport avec les peuples blancs, se trouvèrent pourvue de quelques instruments de métal qui leur rendirent ce travail possible. Je fais allusion plus bas à cette dernière circonstance.
  28. (1) Shakespeare, Midsummer Night’s Dream et The Tempest, — Robin Good Fellow dans les Relics of Ancient English Poetry, de Thomas Percy, in-8o, Lond., 1847. Les nains abondent chez tous les peuples de l’Europe. — Partout où les nains sont braves, bienveillants et aimables, on doit reconnaître l’influence de la mythologie scandinave ou des fables orientales. Les renseignements italiotes, celtiques et slaves les traitent constamment avec une extrême sévérité.
  29. (1) La Villemarqué, Chants populaires de la Bretagne, t. I. Voir la ballade intitulée l’Enfant supposé. « À sa place on avait mis un monstre ; sa face est aussi rousse que celle d’un crapeau. » (P. 51.)
  30. (2) Ibid., Introduction, p. XLIX.
  31. (3) Regnard, Voyage en Laponie.
  32. (1) Dieffenbach, Celtica II, 2e Abth., p. 210. Les montagnards gaëls de l’Écosse attribuent les monuments pseudo-celtiques de leur pays à un peuple mystérieux, antérieur à leur race et qu’ils nomment drinnach, les ouvriers.
  33. (1) Ces contes ont cours en Allemagne, absolument comme en Écosse et en Bretagne.
  34. (1) Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, t. V, p. 496.
  35. (2) Le nom des fées en italien, fata, s’y rapporte étroitement. Il en est probablement de même de l’espagnol hada.
  36. 1) Pan était sorcier dans toute la force du terme :

    Munere sic niveo lanæ, si credere dignum est,
    Pan, deus Arcadiæ, captam te, Luna, fefellit,
    In nemora alta vocans ; nec tu adspernata vocantem.

    Virg., Géorg., III, 391-393.
  37. (2) Callery et Ivan, l’Insurrection en Chine, in-12, Paris, 1853, 224.
  38. (3)

    Et vos, agrestum præsentia numina, Fauni,
    Ferte simul, Faunique, pedem, Dryadesque puellæ
    Munera vestra cano.

    Virg., Géorg., (I, 10-12).

    Pan, ovium custos.

    Ibid., I, 17
  39. (1) On nomme aussi quelquefois les khorrigans, duz, les dieux, c’est un dérivé de l’arian déwa. — La Villemarqué, ouvr. cité, Introduct., t. I, p. XLVI. — Voir l’article Dwergar, dans l’Encycl. Ersch u. Gruber, sect. I, 28 th., p. 190 et pass. — Dieffenbach, Celtica II, Abth. 2, p. 211.
  40. (2) Gan est encore un nom très communément appliqué, par les paysans bretons, aux khorrigans. Dans l’Inde, on connaît aussi les gâni pour être des démons malfaisants d’une espèce inférieure. — Gorresio, Ramayana, t. VI, p. 125.
  41. (1) Bopp, Vergleichende Grammatik, p. 39 et pass. — Aufrecht u. Kirchhoff, Die umbrischen Sprachdenkmaeler, p. 97, § 256. — Le mot celtique bara, pain, devenu panis, offre un exemple certain de mutation de l’ r en n .
  42. (2) La première syllabe al ou el n’est que l’article celtique. — Richter, die Elfen, Encycl. Ersch. u. Gruber, sect. I, 33, p. 301 et seqq.
  43. (3) Dieffenbach, Vergleichendes Woerterbuch der gothischen Sprache, Frankfurt a. M., 1851, in-8o, t. I, p. 358-359.
  44. (1) Tel est le personnage de Tagès. Le mythe qui le concerne est des plus significatifs. Un laboureur tyrrhénien ayant un jour creusé un sillon d’une profondeur peu commune, Tagès, fils d’un genius Jovialis, d’un génie divin, d’un Gan, sortit tout à coup de la terre et adressa la parole au laboureur. Celui-ci effrayé, poussa des cris, et tous les Tyrrhéniens accoururent. Alors Tagès leur révéla les mystères de l’aruspicine. Il avait à peine fini de parler qu’il expira. Mais les auditeurs avaient soigneusement écouté ses paroles, et la science divinatoire leur fut acquise. De là, le pouvoir augural particulier aux Étrusques. Tagès était de la taille d’un enfant ; sa sagesse était profonde. Ainsi expliquaient les Rasènes l’héritage sacerdotal que leur avaient légué les peuples qui les avaient précédés en Italie. — Cic., de Div., 2, 23 ; Ovid., Metam. ; 15, 558 ; Festus, S. v. Tagès, Isid., Orig., 8. 9.
  45. (1) Cf. t. I, p. 486, note. — Dennis, ouvr. cité, t. I, p. XIX.
  46. (2) Le mot cas-nar est lui-même composé des deux mots nar et cas, racine ariane qui en sanscrit, signifie aller, marcher. Benfey, Glossarium, p. 73. — Voir, sur le tombeau de Cortone, Dionys. Halic., Antiq. rom., I, XXIII. — Abeken, ouv. cité, p. 26.
  47. (3) Barailon, Recherches sur plusieurs monuments celtiques et romains, in-8o, Paris, 1806, p. 143.
  48. (4) Hérod., IV, 17, 67, 69, et ailleurs.
  49. (1) De mor. Germ., XLVI.
  50. (2) En zend, c’est, au nominatif, nairya.
  51. (3) J’ai sous les yeux quatre médailles gréco-bactriennes ou gréco-indiennes, deux de cuivre, deux d’argent. La première porte sur une face une figure debout, tournée de profil, vêtue d’une robe longue ; légende à droite, ΝΟΝΟ, à gauche, effacée. Au revers, figure de face, le bras droit étendu, le bras gauche relevé vers la tête, tunique courte ; légende à gauche, illisible. La seconde : face, figure nimbée sur un éléphant, légende à droite, ΝAΝΟ ; à gauche, illisible. Revers, divinité à plusieurs bras nimbée, debout, de profil, traitée dans le style grec ; monogramme saytique, légende à gauche : illisible. La troisième, médaille d’argent : face, tête royale de profil, tournée à droite, légende à droite : AΠAΠ (?) ; à gauche : ΟΕΡΚΙΚΟΡAΣ ; au revers, deux figures très effacées, se faisant face; monogramme saytique ; au milieu : légende à droite ΝAΝ ; à gauche : ΟΚΤΟ. La quatrième : face, tête royale de face, le bras droit levé ; légende à droite : AΠAΠΟY (?) ; à gauche : ΟΕΡΚΙΚΟΡ (?). — Cabinet de S. E. M. le gén. baron de Prokesch-Osten.
  52. (4) On lit aussi Naïriti ; Gorresio, Ramayana, t. VI, introduct., p. 7, et notes, p. 402.
  53. (1) Troyon, Colline des sacrifices de Chavannes le Veuron, in-4o, Londres, 1854, p. 14.
  54. (2) C’est là qu’on allume le premier feu des brandons, qui sert de « signal pour le feu des autres contrées ». Ibid., note D. — Ces feux remontent aux mêmes usages païens que les bûchers de la Saint-Jean en France, et le jeu des torches qu’on lance en l’air en Bretagne. Les courses de flambeaux dans le Céramique, à Athènes, avaient aussi une origine non pas hellénique, mais pélasgique.
  55. (3) Ibid.
  56. Hérod., IV, 105.
  57. Il est encore évident que je ne me prononce pas plus sur l’âge de la pierre du mont Salève que sur celui des babas russes. Il me suffit de trouver dans ces monuments une représentation, soit réelle, soit légendaire, qui s’applique, avec une exactitude complète, aux êtres qu’elle a pour but de figurer.