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Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre quatrième/Chapitre II

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CHAPITRE II.

Les Zoroastriens.

Les Bactriens, les Mèdes, les Perses, faisaient partie de ce groupe de peuples qui, en même temps que les Hindous et les Grecs, furent séparés des autres familles blanches de la haute Asie. Ils descendirent avec eux non loin des limites septentrionales de la Sogdiane (1)[1]. Là, les tribus helléniques abandonnèrent la masse de l’émigration et tournèrent à l’ouest, en suivant les montagnes et les bords inférieurs de la Caspienne. Les Hindous et les Zoroastriens continuèrent à vivre ensemble et à s’appeler du même nom d’Aryas ou Airyas (2)[2] pendant une période assez longue, jusqu’à ce que des querelles religieuses, qui paraissent avoir acquis un grand caractère d’aigreur, aient porté les deux peuples à se constituer en nationalités distinctes (3)[3].

Les nations zoroastriennes occupaient d’assez grands territoires, dont il est difficile de préciser les bornes au nord-est. Probablement elles s’étendaient jusqu’au fond des gorges du Muztagh, et sur les plateaux intérieurs, d’où plus tard elles sont venues apporter aux contrées européennes les noms si célèbres des Sarmates, des Alains et des Ases. Vers le sud, on connaît mieux leurs limites. Elles envahirent successivement depuis la Sogdiane, la Bactriane et le pays des Mardes jusqu’aux frontières de l’Arachosie, puis jusqu’au Tigre. Mais ces régions si vastes renferment aussi d’immenses espaces complètement stériles et inhabitables pour de grandes multitudes. Elles sont coupées par des déserts de sables, traversées par des montagnes d’une inexorable aridité. La population ariane ne pouvait donc y subsister en nombre. La force de la race se trouva ainsi rejetée à jamais hors du centre d’action que devaient embrasser un jour les monarchies des Mèdes et des Perses. Elle fut réservée par la Providence à fonder bien plus tard la civilisation européenne.

Quoique séparées des Hindous, les peuplades zoroastriennes de la frontière orientale ne s’en distinguaient pas aisément à leurs propres yeux ni à ceux des Grecs. Toutefois, les habitants de l’Aryavarta, en les acceptant pour consanguins, se refusaient, avec horreur, à les considérer comme compatriotes. Il était d’autant plus facile à ces tribus limitrophes de n’être qu’à demi zoroastriennes, que la nature de la réforme religieuse, origine du peuple entier, se basant sur la liberté, était loin de créer un lien social aussi fort que celui de l’Inde. On est en droit de croire, au contraire, puisque l’insurrection avait eu lieu contre une doctrine assez tyrannique, que, suivant l’effet naturel de toute réaction, l’esprit protestant, voulant abjurer la sévère discipline des brahmanes, avait donné à gauche et institué un peu de licence. En effet, les nations zoroastriennes nous apparaissent très hostiles les unes aux autres et s’opprimant mutuellement. Chacune, constituée à part, menait, suivant l’usage de la race blanche, une existence turbulente au milieu de grandes richesses pastorales, gouvernée par des magistrats soit électifs, soit héréditaires, mais forcés de compter de près avec l’opinion publique (1)[4]. Toutes ces tribus se piquaient donc d’indépendance. Ainsi organisées, elles descendaient graduellement vers le sud-ouest, où elles devaient finir par rencontrer les Assyriens.

Avant l’heure de ce contact, les premières colonnes trouvèrent, dans les environs de la Gédrosie, des populations noires ou du moins chamites, et se mêlèrent intimement à elles (2)[5].

De là vint que les nations zoroastriennes du sud, celles qui prirent part à la gloire persique, furent de bonne heure atteintes par une certaine dose de sang mélanien. Le plus grand nombre, pénétré trop profondément par cet alliage, tomba, longtemps avant la conquête de Babylone, presque à l’état des Sémites. Ce qui l’indique, c’est que les Bactriens, les Mèdes et les Perses furent les seuls Zoroastriens qui jouèrent un rôle. Les autres se bornèrent à l’honneur d’appuyer ces familles d’élite.

Il peut paraître singulier que ces Arians, imprégnés ainsi du sang des noirs, directement ou par alliance avec les Chamites et les Sémites dégénérés, aient pu arriver à remplir le personnage important que leur attribue l’histoire.

Si donc on se croyait en droit de supposer, chez toutes leurs tribus, une mesure égale dans la proportion du mélange, il deviendrait difficile d’expliquer cliniquement la domination des plus illustres de ces dernières sur les populations assyriennes.

Mais, pour fixer la certitude, il suffit de comparer entre elles les langues zoroastriennes, ainsi que je l’ai déjà fait ailleurs.

Le zend, ce fait n’est pas douteux, parlé chez les Bactriens, habitants de cette Balk appelée en Orient la mère des villes (1)[6], les plus puissants des Zoroastriens primitifs, fut presque pur d’alliages sémitiques, et le dialecte de la Perside, qui ne jouit pas autant de cette prérogative, la posséda cependant dans un certain degré, supérieur au médique, moins sémitisé à son tour que le pehlvi, de sorte que le sang des futurs conquérants de l’Asie antérieure conservait, dans les plus nobles de ses rameaux du sud, un caractère assez arian pour expliquer la supériorité de ceux-ci.

Les Mèdes et surtout les Perses furent les successeurs de l’ancienne influence des Bactriens, qui, après avoir dirigé les premiers pas de la famille dans les voies du magisme, avaient perdu leur prépondérance d’une manière aujourd’hui inconnue. Les héritiers méritaient l’honneur qui leur échut. Nous venons de voir qu’ils étaient restés Arians, moins complets sans doute que les Zoroastriens du nord-est, et même que les Grecs, tout autant néanmoins que les Hindous de la même époque, beaucoup plus que le groupe de leurs congénères, déjà presque absorbé sur les bords du Nil. Le grand et irrémédiable désavantage que les Mèdes et les Perses apportaient, en entrant sur la scène politique du monde, c’était leur chiffre restreint et la dégénération déjà avancée des autres tribus zoroastriennes du sud, leurs alliées naturelles. Toutefois, ils pouvaient commander quelque temps. Ils étaient encore en possession d’un des caractères les plus honorables de l’espèce noble, une religion plus rapprochée des sources véridiques que la plupart des Sémites, aux yeux desquels ils allaient être appelés à faire acte de force.

Déjà, à une époque reculée, une tribu médique avait régné sur l’Assyrie. Sa faiblesse numérique l’avait contrainte à se soumettre à une invasion chaldéenne-sémite venue des montagnes du nord-ouest. Dès ce temps, des doctrines religieuses, relativement vénérables, se rattachent au nom de Zoroastre porté par le premier roi de cette dynastie ariane (1)[7] : il n’y a pas moyen de confondre le prince ainsi appelé avec le réformateur religieux ; mais la présence d’un tel nom, à la date de 2234 avant J.-C., peut servir à montrer que les Mèdes et les Perses du VIIe siècle conservaient la même foi monothéistique que leurs plus anciens ancêtres.

Les Bactriens et les tribus arianes qui les limitaient au nord et à l’est avaient créé et développé ces dogmes. Ils en avaient vu naître le prophète dans cet âge bien éloigné où, sous les règnes nébuleux des rois kaïaniens, les nations zoroastriennes, y compris celles d’où devaient sortir un jour les Sarmates, étaient au lendemain de leur séparation d’avec les Hindous (1)[8].

À ce moment, la religion nationale, bien que, par sa réforme, devenue étrangère au culte des purohitas, et même à ces notions théologiques plus simples, patrimoine primitif de toute la race blanche dans les régions septentrionales du monde. Cette religion était incomparablement plus digne, plus morale, plus élevée, que celle des Sémites. On en peut juger par ce fait, qu’au VIIe siècle elle valait mieux, malgré ses altérations, que le polythéisme, pourtant moins abject, adopté dès longtemps par les nations helléniques (2)[9]. Sous la direction de cette croyance, les mœurs n’étaient pas non plus si dégradées et conservaient de la vigueur.

Conformément à l’organisation primitive des races arianes, les Mèdes vivaient, par tribus, dispersés dans des bourgades. Ils élisaient leurs chefs, comme jadis leurs pères avaient élu leurs viç-patis (1)[10]. Ils étaient belliqueux et remuants, toutefois, avec le sens de l’ordre, et ils le prouvèrent en faisant aboutir l’exercice de leur droit de suffrage à la fondation d’une monarchie régulière, basée sur le principe d’hérédité (2)[11]. Rien là que nous ne puissions également retrouver dans les Hindous antiques, chez les Égyptiens arians, chez les Macédoniens, les Thessaliens, les Épirotes, comme dans les nations germaniques. Partout, le choix du peuple crée la forme de gouvernement, presque partout préfère la monarchie et la maintient dans une famille particulière. Pour tous ces peuples, la question de descendance et la puissance du fait établi sont deux principes, ou, pour mieux dire, deux instincts qui dominent les institutions sociales et les vivifient. Ces Mèdes, pasteurs et guerriers, restèrent des hommes libres, dans toute la force du terme, même pendant cette période où leur petit nombre les obligea de subir la suzeraineté des Chaldéens, et, si leur esprit exagéré d’indépendance, en les poussant au fractionnement et à l’antagonisme des forces, contribua certainement à prolonger leur temps de subordination, on ne peut admirer assez que cet état n’ait pas dégradé leur naturel, et qu’après de longs tâtonnements, la nation, ayant rallié toutes ses ressources dans sa forme monarchique, soit devenue capable, après seize cents ans, de reprendre la conquête du trône d’Assyrie et de l’exécuter.

Depuis qu’elle avait été chassée de Ninive, elle n’avait pas déchu. Elle avait persisté dans son culte, honneur bien rare, dû évidemment à son homogénéité persistante. Elle avait conservé son goût d’indépendance sous des chefs d’ailleurs par trop peu maîtres de leurs gouvernés : la nation médique était donc restée ariane. Quand une fois elle fut arrachée à son anarchie belliqueuse, le besoin de donner une application à sa vigueur, laissée sans emploi par l’heureux étouffement des discordes civiles, tourna ses vues vers les conquêtes extérieures. Commençant par soumettre les nations parentes établies dans son voisinage, entre autres, les Perses (1)[12], elle se fortifia de leur adjonction. Puis, quand elle eut amené sous ses drapeaux et fondu en un seul corps de peuples dont elle était la tête tous les disciples méridionaux de sa religion, elle attaqua l’empire ninivite.

Beaucoup d’écrivains n’ont vu, dans ces guerres de l’Asie antérieure, dans ces rapides conquêtes, dans ces États si promptement construits, si subitement renversés, que des coups de main sans liaison, une série d’événements dénués de causes profondes, et dès lors de portée. N’acceptons pas un tel jugement.

Les dernières émigrations sémitiques avaient cessé de descendre les montagnes de l’Arménie et de venir régénérer les populations assyriennes. Les contrées riveraines de la Caspienne et voisines du Caucase n’avaient plus d’hommes à envoyer au dehors. Dès longtemps, les colonnes voyageuses des Hellènes avaient achevé leur passage, et les Sémites, demeurés dans ces contrées, n’en étaient plus expulsés par personne. L’Assyrie ne renouvelait donc plus son sang depuis des siècles, et l’abondance des principes noirs, toujours en travail d’assimilation, avait effectué la décadence des races superposées (2)[13].

En Égypte, il s’était passé quelque chose d’analogue. Mais, comme le système des castes, malgré ses imperfections, conservait encore cette société dans ses principes constitutifs, les gouvernants de Memphis, se sentant d’ailleurs trop faibles pour résister à tous les chocs, tournaient leur politique à maintenir entre eux et la puissance ninivite, qu’ils redoutaient par-dessus tout, un rideau de petits royaumes syriens. Cachés derrière ce rempart, ils continuaient, tant bien que mal, à se traîner dans leurs ornières accoutumées, descendant la pente de la civilisation à mesure que le mélange noir les envahissait.

Si les Ninivites les épouvantaient par-dessus tout, ces peuples n’étaient pas les seuls à les tenir en émoi. Se reconnaissant également incapables de lutter contre l’imperceptible puissance des pirates grecs, θαλασσοκρατῶν, Arians qui s’intitulaient rois de mer, comme le firent plus tard leurs parents les Arians Scandinaves, les Égyptiens avaient eu recours à la prudente résolution de se séquestrer en fermant le Nil à ses embouchures. C’était au prix de précautions si excessives que les descendants de Rhamsès espéraient encore préserver longtemps leur tremblante existence.

À côté des deux grands empires du monde occidental ainsi affaiblis, les Hellènes se montraient à peu près dans l’état qu’avaient connu les Mèdes avant la fondation de la monarchie unitaire. Ils faisaient preuve de la même turbulence, du même amour de liberté, des mêmes sentiments belliqueux, d’une ambition égale de commander un jour aux autres peuples, et, retenus par leur fractionnement, ils restaient incapables d’entreprendre rien de plus vaste que des colonisations déjà assises aux embouchures des fleuves de l’Euxin, en Italie et sur la côte asiatique, où leurs villes, encouragées par la politique assyrienne à faire une concurrence heureuse au commerce des cités de Phénicie, dépendaient essentiellement, à ce titre, de la puissance souveraine à Ninive et à Babylone.

Ce fut à cette heure, où aucune des grandes puissances anciennes n’était plus en état d’attaquer ses voisins, que les Mèdes se présentèrent en candidats au gouvernement de l’univers. L’occasion était on ne peut mieux choisie : il s’en fallut de peu, cependant, qu’un acteur tout à fait inattendu, qui vint brusquement se précipiter sur la scène, ne dérangeât complètement la distribution des rôles.

Les Kimris, Cimmériens, Cimbres ou Celtes, comme on voudra les appeler, peuples blancs mêlés d’éléments jaunes, auxquels personne ne prenait garde, débouchèrent tout à coup dans l’Asie inférieure, venant de la Tauride, et, après avoir ravagé le Pont et toutes les contrées environnantes, mirent le siège devant Sardes et la prirent (1)[14].

Ces farouches conquérants répandaient sur leur passage la stupeur et l’épouvante. Ils n’auraient, sans doute, pas demandé mieux que de justifier la haute opinion que la vue seule de leurs épées faisait concevoir de leur puissance. Malheureusement pour eux, ils reproduisaient un accident que nous avons déjà observé. Vainqueurs, ils n’étaient que des vaincus : poursuivants, c’étaient des fuyards. Ils ne dépossédaient que pour trouver un refuge. Attaqués dans les steppes, qui furent plus tard la Sarmatie asiatique, par un essaim de nations mongoles ou scythiques, et forcés de céder, ils s’étaient échappés jusqu’aux lieux où les Sémites tremblaient à leurs pieds, mais où, fatalement, leurs adversaires vinrent les poursuivre. De sorte que l’Asie antérieure avait à peine éprouvé les premières dévastations des Celtes, qu’elle tomba aux mains des hordes jaunes. Celles-ci, tout en continuant à guerroyer contre les fugitifs, s’attaquèrent aux villes et aux trésors des pays envahis, proie à coup sûr beaucoup plus attrayante (2)[15].

Les Celtes étaient moins nombreux que leurs antagonistes. Ils furent battus et dispersés. Les Scythes poursuivirent alors, sans compétiteurs, le cours de leurs victoires, nuisibles surtout aux desseins de la politique mède. Cyaxare venait, précisément, d’investir Ninive, et il n’avait plus qu’à franchir ce dernier obstacle pour se voir maître de l’Asie assyrienne. Irrité de cette intervention malencontreuse, il leva le siège et vint attaquer les Scythes. Mais la fortune ne le seconda pas, et, mis en déroute complète, il lui fallut laisser les barbares, comme il les appelait sans doute, libres de continuer leurs courses dévastatrices. Ceux-ci pénétrèrent jusque sur la lisière de l’Égypte, où les supplications et plus encore les présents obtinrent d’eux qu’ils n’entreraient pas. Satisfaits de la rançon, ils allèrent porter ailleurs leurs violences. Cette bacchanale mongole fut terrible, et pourtant dura peu. Vingt-huit ans en virent la fin. Les Mèdes, tout battus qu’ils avaient été dans une première rencontre, étaient trop réellement supérieurs aux Scythes pour supporter indéfiniment leur joug. Ils revinrent à la charge, et cette fois avec un plein succès (1)[16]. Les cavaliers jaunes, chassés par les troupes de Cyaxare, s’enfuirent dans le pays au nord de l’Euxin. Ils allèrent y continuer, avec les peuples plus ou moins mélangés de sang finnois, les luttes anarchiques auxquelles ils sont propres, tandis que les Zoroastriens, débarrassés d’eux, reprenaient leur œuvre au point où elle avait été interrompue. L’invasion celto-scythe repoussée, Ninive fut assiégée de nouveau, et Cyaxare, vainqueur intelligent, entra dans ses murs.

Dès lors fut assurée la domination de la race ariane-zoroastrienne méridionale, à qui je puis désormais donner, sans inconvénients, le nom géographique d’iranienne. Il n’y eut plus que la seule question de savoir quel serait celui des rameaux de cette famille qui obtiendrait la suprématie. Le peuple mède n’était pas le plus pur. Pour ce motif, il ne pouvait garder la prédominance ; mais il était le plus civilisé par son contact avec la culture chaldéenne, et c’est là ce qui lui avait d’abord donné la place la plus éminente. Le premier, il avait préféré une forme de gouvernement régulière à de stériles agitations, et ses mœurs, ses habitudes, étaient plus raffinées que celles des autres branches parentes. Cependant, tous ces avantages résultant d’une affinité certaine avec les Assyriens, et que l’état de l’idiome accuse, avaient été achetés aux prix d’un hymen qui, en altérant le sang médique, avait aussi diminué sa vigueur vis-à-vis d’une autre tribu iranienne, celle des Perses, de sorte que, par droit de supériorité ethnique, la souveraineté de l’Asie fut enlevée aux compagnons de Cyaxare, et passa dans la branche demeurée plus ariane. Un prince qui, par son père, appartenait à la nation perse, par sa mère à la maison royale de Déjocès, Cyrus, vint se substituer à la ligne directe et donner à ses compatriotes la supériorité sur la tribu fondatrice de l’empire et sur toutes les autres familles consanguines. Il n’y eut pas cependant substitution absolue : les deux peuples se trouvaient unis de trop près ; il s’établit seulement, entre les dominateurs, une nuance, et qui encore ne dura pas longtemps ; car les Perses comprirent la nécessité de soumettre leur vigueur un peu inculte à l’école des Mèdes plus expérimentés. Ainsi, il se trouva bientôt que les rois de la maison de Cyrus (1)[17] ne se faisaient aucun scrupule de placer les plus habiles de ces derniers aux premiers rangs. Il y eut donc partage réel du pouvoir entre les deux tribus souveraines et les autres peuples iraniens plus sémitisés (2)[18]. Quant aux Sémites et autres groupes chamitisés ou noirs formant l’immense majorité des populations soumises, ils ne furent que le piédestal commun de la domination zoroastrienne.

Ce dut être pour les nations si dégénérées, si lâches, si perverties, et en même temps si artistes de l’Assyrie, un spectacle et une sensation bien étranges que de tomber sous le rude commandement d’une race guerrière, sérieuse et livrée aux inspirations d’un culte simple, moral, aussi idéaliste que leurs propres notions religieuses l’étaient peu.

Avec l’arrivée des Iraniens, les horreurs sacrées, les infamies théologiques prirent fin. L’esprit des mages ne pouvait s’en accommoder. On eut une preuve bien grande et bien singulière de cette intolérance lorsque, plus tard, le roi Darius, devenu maître de la Phénicie, envoya défendre aux Carthaginois de sacrifier des hommes à leurs dieux, offrandes doublement abominables aux yeux des Perses en ce qu’elles offensaient la piété envers des semblables et souillaient la pureté de la flamme sainte du bûcher (1)[19]. Peut-être était-ce la première fois, depuis l’invention du polythéisme, que des prescriptions émanées du trône avaient parlé d’humanité. Ce fut un des caractères remarquables du nouveau gouvernement de l’Asie. On s’occupa désormais de rendre la justice à chacun et de faire cesser les atrocités publiques, sous quelque prétexte qu’elles eussent lieu. Particularité non moins nouvelle, le grand roi se soucia d’administrer. À dater de cette époque, le grandiose s’abaisse, et tout tend à devenir plus positif. Les intérêts sont plus régulièrement traités, plus régulièrement ménagés. Il y a du calcul, et du calcul raisonnable, terre à terre, dans les institutions de Cyrus et de ses successeurs. Pour bien dire, le sens commun inspire la politique, à côté et quelquefois un peu au-dessus des passions tumultueuses. Jusqu’alors ces dernières avaient beaucoup trop parlé (1)[20].

En même temps que l’impétuosité décroît chez les gouvernants, et que l’organisation matérielle fait des progrès, le génie artistique décline d’une manière frappante Les monuments de l’époque perse ne sont qu’une reproduction médiocre de l’ancien style assyrien (2)[21]. Il n’y a plus d’invention dans les bas-reliefs de Persépolis. On n’y retrouve pas même la froide correction qui survit d’ordinaire aux grandes écoles. Les figures apparaissent gauches, lourdes, grossières. Ce ne sont plus les produits de sculpteurs, ce sont les ébauches imparfaites de manœuvres maladroits ; et puisque le grand roi, dans sa magnificence, ne se procurait pas des jouissances artistiques comparables à celles dont avaient joui ses prédécesseurs chaldéens, il faut nécessairement croire qu’il n’en éprouvait nullement le désir, et que les représentations médiocres étalées sur les murs de son palais pour célébrer sa gloire flattaient assez son orgueil et suffisaient à son goût.

On a souvent dit que les arts florissaient inévitablement sous un prince ami de la somptuosité, et que lorsque le luxe était recherché, les faiseurs de chefs-d’œuvre se montraient de toutes parts, encouragés par la perspective des hommages délicats et des gros salaires. Cependant voilà que les monarques de tant de régions, et qui avaient de quoi payer les plus fières renommées, ne purent établir autour d’eux que de bien faibles échantillons du génie artistique de leurs sujets. N’eussent-ils pas eu de dispositions personnelles à concevoir le beau, puisqu’on copiait pour eux les chefs-d’œuvre des dynasties précédentes, et qu’eux-mêmes construisaient sur tous les points de leurs vastes possessions d’immenses édifices de toute nature, ils donnaient aux artistes, si les artistes avaient existé, toutes les occasions désirables de se signaler et de lutter de génie avec les générations éteintes. Pourtant rien ne jaillit des doigts de la Minerve. La monarchie perse fut opulente, rien de plus, et elle eut recours, en bien des occasions, à la décadence égyptienne pour obtenir chez elle des travaux d’une valeur secondaire sans doute, mais qui dépassaient pourtant les facultés de ses nationaux.

Essayons de trouver la clef de ce problème. Nous avons déjà vu que la nation ariane, portée au positif des faits et non pas au désordonné de l’imagination, n’est pas artiste en elle-même. Réfléchie, raisonnante, raisonneuse et raisonnable, elle l’est ; compréhensive au plus haut point, elle l’est encore ; habile à découvrir les avantages de toutes choses, même de ce qui lui est le plus étranger, oui, il faut aussi lui reconnaître cette prérogative, une des plus fécondes de son droit souverain. Mais quand la race ariane est pure de tout mélange avec le sang des noirs, pas de conception artistique pour elle : c’est ce que j’ai exposé ailleurs surabondamment. J’ai montré le noyau de cette famille composé des futures sociétés hindoues, grecques, iraniennes, sarmates, très inhabile à créer des représentations figurées d’un mérite réel, et, quelque grandes que soient les ruines des bords du Iénisséï et des croupes de l’Altaï, on n’y découvre aucun indice révélateur d’un sentiment délicat des arts. Si donc, en Égypte et en Assyrie, il y eut un puissant développement dans la reproduction matérialisée de la pensée, si, dans l’Inde, cette même aptitude ne manqua pas d’éclore, bien que plus tardivement, le fait ne s’explique que par l’action du mélange noir, abondant et sans frein en Assyrie, limité en Égypte, plus restreint sur le sol hindou, et créant ainsi les trois modes de manifestation de ces différents pays. Dans le premier, l’art atteignit promptement son apogée, puis il dégénéra non moins promptement, en tombant dans les monstruosités où la prédominance mélanienne trop hâtive le jeta. Avec le second, comme les éléments arians, sources de la vie et de la civilisation locales, étaient faibles, numériquement parlant, il fut promptement gagné aussi par l’infusion noire. Toutefois, il se défendit au moyen d’une séparation relative des castes, et le sentiment artistique, que le premier flux avait développé, resta stationnaire, cessa promptement de progresser, et ainsi put mettre beaucoup plus de temps qu’en Assyrie à s’avilir. Dans l’Inde, comme une barrière bien autrement forte et solide fut opposée aux invasions du principe nègre, le caractère artistique ne se développa que très lentement et pauvrement au sein du brahmanisme. Il lui fallut attendre, pour devenir vraiment fort, la venue de Sakya-mouni : aussitôt que les bouddhistes, en appelant les tribus impures au partage du nirwana, leur eurent ouvert l’accès de quelques familles blanches, la passion des arts se développa à Salsette avec non moins d’énergie qu’à Ninive, atteignit promptement, comme là encore, son zénith, et, toujours pour la même cause, s’abîma presque subitement dans les folies que l’exagération, la prédominance du principe mélanien, amenèrent sur les bords du Gange comme partout ailleurs.

Lorsque les Iraniens prirent le gouvernement de l’Asie, ils se virent en présence de populations où les arts étaient complètement envahis et dégradés par l’influence noire. Eux-mêmes n’avaient pas toutes les facultés qu’il aurait fallu pour relever ce génie en décomposition.

On objectera que, précisément, parce qu’ils étaient arians, ils rapportaient au sang corrompu des Sémites l’appoint blanc destiné à le régénérer et qu’ainsi, par une nouvelle infusion d’éléments supérieurs, ils devaient ramener le gros des nations assyriennes vers un équilibre de principes ethniques comparable à celui où s’étaient trouvés les Chamites noirs dans leur plus beau moment, ou, mieux encore, les Chaldéens de Sémiramis.

Mais les nations assyriennes étaient bien grandes et la population des tribus iraniennes dominatrices bien petite. Ce que ces tribus possédaient, dans leurs veines, d’essence féconde, déjà entamé, du reste, pouvait bien se perdre au milieu des masses asiatiques, mais non les relever, et, d’après ce fait incontestable, leur puissance même, leur prépondérance politique ne devait durer que le temps assez court où il leur serait possible de maintenir intacte une existence nationale isolée.

J’ai parlé déjà de leur nombre restreint, et je recours là-dessus à l’autorité d’Hérodote. Lorsque l’historien trace, dans son VIIe livre, cet admirable tableau de l’armée de Xerxès traversant l’Hellespont, il déploie le magnifique dénombrement des nations appelées en armes par le grand roi, de toutes les parties de ses vastes États. Il nous montre des Perses ou des Mèdes commandant aux troupeaux de combattants qui passent les deux ponts du Bosphore en pliant le dos sous les coups de fouet de leurs chefs iraniens. À part ces chefs de noble essence, gourmandant les esclaves que la victoire enchaînait sous leurs ordres, combien Hérodote énumère-t-il de soldats parmi les Mèdes proprement dits ? Combien de guerriers zoroastriens dans cette levée de boucliers que le fils de Darius avait voulu rendre si formidable ? Je n’en aperçois que 24 000, et qu’était-ce qu’un tel faisceau dans une armée de dix-sept cent mille hommes ? Au point de vue du nombre, rien ; à celui du mérite militaire, tout : car, si ces 24 000 Iraniens n’avaient pas été paralysés, dans leurs mouvements, par la cohue de leurs inertes auxiliaires, il est bien probable que la muse de Platée aurait célébré d’autres vainqueurs. Quoi qu’il en soit, puisque la nation régnante ne pouvait fournir des soldats en plus grande quantité, elle était peu considérable et ne pouvait suffire à la tâche de régénérer la masse épaisse des populations asiatiques. Elle n’avait donc que la perspective d’un seul avenir : se corrompre elle-même en s’engloutissant bientôt dans leur sein.

On ne découvre pas trace d’institutions fortes, destinées à créer une barrière entre les Iraniens et leurs sujets. La religion en aurait pu servir, si les mages n’avaient été animés de cet esprit de prosélytisme particulier à toutes les religions dogmatiques, et qui leur valut, bien des siècles après, la haine toute spéciale des musulmans. Ils voulurent convertir leurs sujets assyriens. Ils parvinrent à les arracher, en grande partie, aux atrocités religieuses des anciens cultes. Ce fut un succès presque regrettable : il ne fut bon ni pour les initiateurs ni pour les néophytes. Ceux-ci ne manquèrent pas de souiller le sang iranien par leur alliance, et, quant à la religion meilleure qu’on leur donnait, ils la pervertirent, afin de l’accommoder à leur incurable esprit de superstition (1)[22].

La fin des nations iraniennes était ainsi marquée bien près du jour de leur triomphe. Toutefois, tant que leur essence n’était pas encore trop mélangée, leur supériorité sur l’univers civilisé était certaine et incontestable : ils n’avaient pas de compétiteurs. L’Asie inférieure entière se soumit à leur sceptre. Les petits royaumes d’au-delà de l’Euphrate, ce rempart soigneusement entretenu par les Pharaons, furent rapidement englobés dans les satrapies. Les villes libres de la côte phénicienne s’annexèrent à la monarchie perse, avec les États des Lydiens. Un jour vint où il ne resta que l’Égypte elle-même, antique rivale qui, pour les héritiers des dynastes chaldéens, put valoir la peine d’une campagne (2)[23]. C’était devant ce colosse vieilli que les conquérants sémites les plus vigoureux avaient constamment reculé.

Les Perses ne reculèrent pas. Tout favorisait leur domination. La décadence égyptienne était achevée. Le pays du Nil ne possédait plus de ressources personnelles de résistance. Il payait encore, à la vérité, des mercenaires pour faire la garde autour de sa caducité, et, par parenthèse, la dégénération générale de la race sémitique l’avait contraint de remplacer, presque absolument, les Cariens et les Philistins par des Arians Grecs. Là se bornait ce qu’il pouvait tenter. Il n’avait plus assez de souplesse ni de nerfs pour courir lui-même aux armes, et, battu, se relever d’une défaite (1)[24].

Les Perses l’asservirent et insultèrent, de leur mieux, à cœur joie, à son culte, à ses lois et à ses mœurs.

Si l’on considère avec quelque attention le tableau si vivant qu’Hérodote a tracé de cette époque, on est frappé de voir que deux nations traitaient le reste de l’univers, soit vaincu, soit à vaincre, avec un égal mépris, et ces deux nations, qui sont les Perses et les Grecs, se considéraient aussi, l’une l’autre, comme barbares, oubliant à demi, à demi négligeant leur communauté d’origine. Il me semble que le point de vue où elles se plaçaient, pour juger si sévèrement les autres peuples, était à peu près le même. Ce qu’elles leur reprochaient, c’était également de manquer du sens de la liberté, d’être faibles devant le malheur, amollies dans la prospérité, lâches dans le combat ; et ni les Grecs ni les Perses ne tenaient beaucoup de compte aux Assyriens, aux Égyptiens, du passé glorieux qui avait abouti à tant de débilités répugnantes. C’est que les deux groupes méprisants se trouvaient alors à un niveau pareil de civilisation. Bien que séparés déjà par les immixtions qui avaient modifié leurs essences respectives, et, partant, leurs aptitudes, état dont leurs langues rendent témoignage, le commun principe arian qui, chez eux, dominait encore sur les alliages, suffisait à leur faire envisager d’une façon analogue les principales questions de la vie sociale. C’est pourquoi les pages du vieillard d’Halicarnasse représentent si vivement cette similitude de notions et de sentiments dont ils témoignaient. C’étaient comme deux frères de fortune différente, différents par le rang social, frères pourtant par le caractère et les tendances. Le peuple arian-iranien tenait dans l’Occident la place d’aîné de la famille : il dominait le monde. Le peuple grec était le cadet, réservé à porter un jour le sceptre, et se préparant à cette grande destinée par une sorte d’isonomie vis-à-vis de la branche régnante, isonomie qui n’était pas tout à fait de l’indépendance. Quant aux autres populations renfermées sous l’horizon des deux rameaux arians, elles demeuraient, pour le premier, objets de conquête et de domination, pour le second, matière à exploiter. Il est bon de ne pas perdre de vue ce parallélisme, sans quoi l’on comprendrait peu les déplacements du pouvoir arrivés plus tard.

Certainement, je conçois qu’on se mette de la partie dans le dédain ordinaire aux esprits vigoureux et positifs pour les natures artistes plutôt vouées à recueillir des apparences qu’à saisir des réalités. Il ne faut cependant pas oublier non plus que, si les Perses et les Grecs avaient tout sujet de mésestimer le monde sémitique, devenu leur pâture, ce monde possédait le trésor entier des civilisations, des expériences de l’Occident, et les souvenirs respectables de longs siècles de travaux, de conquêtes et de gloire. Les compagnons de Cyrus, les concitoyens de Pisistrate avaient en eux-mêmes, j’en conviens, les gages d’une future rénovation de l’existence sociale ; mais ce n’était pas là une raison pour qu’on dût perdre ce que les Chamites noirs et les différentes couches de Sémites et les Égyptiens avaient de leur côté amassé de résultats. La moisson des deux groupes arians occidentaux, la moisson provenant de leur propre fonds, était encore à faire : les blés n’en étaient qu’en herbe, les épis pas encore mûrs ; tandis que les gerbes des nations sémitiques remplissaient les granges et approvisionnaient les prochains réformateurs eux-mêmes. Il y a plus : les idées de l’Assyrie et de l’Égypte s’étaient répandues partout où le sang de leurs inventeurs avait pénétré, en Éthiopie, en Arabie, sur le pourtour de la Méditerranée, comme dans l’ouest de l’Asie, comme dans la Grèce méridionale, avec une opulence, une exubérance désespérante pour les civilisations encore à naître, et toutes les créations des sociétés postérieures allaient être à jamais contraintes de transiger avec ces notions et les opinions qui en ressortaient. Ainsi, malgré leur dédain pour les nations sémitiques et pour la paix efféminée des bords du Nil, les Arians Iraniens et les Arians Grecs devaient bientôt entrer dans le grand courant intellectuel de ces populations flétries par leur désordre ethnique et par l’exagération de leurs principes mélaniens. La part d’influence laissée à ces Iraniens si orgueilleux, à ces Grecs si actifs, se réduirait ainsi, en fin de compte, à jeter dans le lac immense et stagnant des multitudes asiatiques quelques éléments temporaires de mouvement, d’agitation et de vie.

Les Arians Iraniens, et après eux, les Arians Grecs, offrirent au monde d’Assyrie et d’Égypte ce que les Arians Germains donnèrent plus tard à la société romaine.

Quand l’Asie occidentale fut tout entière ralliée sous la main des Perses, il n’y eut plus de raison pour que la scission primitive entre sa civilisation et celle de l’Égypte subsistât. Le peu d’efforts tenté dans la vallée du Nil afin de reconquérir l’indépendance nationale ne compta plus que comme les convulsions d’une résistance expirante. Les deux sociétés primitives de l’Occident tendaient à se confondre, parce que les races qu’elles enfermaient ne se distinguaient plus assez nettement. Si les Perses avaient été très nombreux, si, à la manière des plus antiques envahisseurs, leurs tribus avaient pu lutter contre le chiffre des multitudes sémitiques, il n’en aurait pas été ainsi. Une organisation toute nouvelle se formant sur les débris méconnus des anciennes, on aurait vu quelques-uns de ces débris s’isoler, dans des extrémités de l’empire, avec des restes de la race, et se constituer à part, de manière à maintenir entre les inventions des nouveaux venus et l’état de choses aboli, pour la majorité des sujets, une ligne de démarcation perceptible.

Les Iraniens, n’étant qu’une poignée d’hommes, furent à peine en possession du pouvoir, que l’immense esprit assyrien les entoura de toutes parts, les saisit, les serra, et leur communiqua son vertige. On peut déjà se rendre compte sous le fils de Cyrus, sous Cambyse, de la part de parenté que la nature fatalement superbe et enflée des Sémites chamitisés pouvait déjà réclamer avec la personne du souverain. Heureusement, cet alliage ne s’était pas encore généralisé. Le témoignage d’Hérodote vient nous prouver que l’esprit arian tenait bon contre les assauts de l’ennemi domestique. Rien ne le montre mieux que la fameuse conférence des sept chefs après la mort du faux Smerdis (1)[25].

Il s’agissait de donner aux peuples délivrés une forme de gouvernement convenable. Le problème n’eût pas existé pour le génie assyrien, qui, du premier mot, aurait proclamé l’éternelle légitimité du despotisme pur et simple ; mais il fut envisagé mûrement et résolu, non sans difficulté, par les guerriers dominateurs qui le soulevèrent. Trois opinions se trouvèrent en présence. Otanès opina pour la démocratie ; Mégabyzès parla en faveur de l’oligarchie. Darius, ayant loué l’organisation monarchique, qu’il affirma être la fin inévitable de toutes les formes de gouvernement possibles, gagna les suffrages à sa cause. Cependant il avait affaire à des associés tellement fous d’indépendance, qu’avant de remettre le pouvoir au roi élu, ils stipulèrent qu’Otanès et toute sa maison resteraient à jamais affranchis de l’action de l’autorité souveraine, et libres, sauf le respect des lois. Comme à l’époque d’Hérodote des sentiments de cette énergie n’existaient plus guère parmi les Perses, décidément déchus de leur primitive valeur ariane, l’écrivain d’Ionie prévient sagement ses lecteurs que le fait qu’il raconte va leur paraître étrange : il ne l’en maintient pas moins (2)[26].

Après l’extinction de cette grande fierté, il y eut encore quelques années illustres ; ensuite le désordre sémitique réussit à englober les Iraniens dans le sein croupissant des populations esclaves. Dès le règne du fils de Xerxès, il devient évident que les Perses ont perdu la force de rester les maîtres du monde, et, cependant, entre la prise de Ninive par les Mèdes et cette époque d’affaiblissement, il ne s’était encore écoulé qu’un siècle et demi.

L’histoire de la Grèce commence ici à se mêler plus intimement à celle du monde assyrien. Les Athéniens et les Spartiates se rencontrent désormais dans les affaires des colonies ioniennes. Je vais donc quitter le groupe iranien pour m’occuper du nouveau peuple arian, qui s’annonce comme son plus digne et même son seul antagoniste.


FIN DU TOME PREMIER.



  1. (1) Lassen, Indische Alterthumskunde.
  2. (2) Burnouf ne doute pas que les textes les plus anciens et les plus authentiques du Zend-Avesta ne fixent le séjour primitif des Zoroastriens au pied du Bordj, sur les bords de l’Arvanda, c’est-à-dire dans la partie occidentale des Monts Célestes. (Commentaire sur le Yaçna, t. I, additions et corrections, p. CLXXXV.)
  3. (3) Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 516 et passim. — Le Zend-Avesta, livre de cette loi protestante, reconnaît lui-même qu’il y a eu, dans les temps antérieurs, une autre foi. C’est celle des hommes anciens, les pischdadiens (persan). Je doute que cette antique doctrine fût le brahmanisme. C’était beaucoup plutôt la source d’où le brahmanisme est sorti, le culte des purohitas, peut-être même de leurs prédécesseurs. — Les pischdadiens sont appelés nettement par le Zend-Avesta les hommes anciens, par opposition à ceux qui ont vécu postérieurement à la séparation d’avec les Hindous, et qui sont nommés en zend nabânazdita (contemporains) et, en sanscrit, nabhanadichtra, d’après un des fils de Manou, privé de sa part de l’héritage paternel, suivant le Rigvéda. (Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, t. I, p. 566 et passim.)
  4. (1) Hérodote, Clio, XCVI.
  5. (2) Voir Klaproth, Asia polyglotta, p. 62. — Ce philologue remarque l’extrême fusion de tous les idiomes de l’Asie antérieure soit avec les principes arians ou sémitiques, soit aussi avec les éléments finniques. Il relève cette dernière circonstance pour l’arménien ancien, qui, suivant lui, a beaucoup de rapport avec les langues du nord de l’Asie. (Ouvr. cité, p. 76.) — Cette assertion appuie le système d’interprétation des inscriptions médiques proposé par M. de Saulcy.
  6. (1) Les Bactriens, en zend Bakhdi, sont les Bahlikas du Mahabharata. Ils étaient parents, suivant ce poème, du dernier des Kouravas et de Pandou. Ainsi leur caractère profondément arian est bien et dûment établi. (Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 297 ; voir aussi A. F. v. Schack, Heldensagen von Firdusi, in-8o, Berlin, 1851 ; Enleit., p. 16 et passim ; voir aussi Lassen, Zeitsch. f. d. K. d. Morgenl., qui identifie les Bactriens avec les Afghans, dont le nom national est Pouschtou, t. II, p. 53.) — Le nom de Balk, (persan) donné à la cité des Bactriens, n’est pas le plus ancien qu’ait porté cette ville. Elle s’est appelée précédemment Zariaspe. (Burnouf, Comment. sur le Yaçna, notes et éclaircissements, t. I, p. CXII.)
  7. (1) Lassen, Indische Alterth., t. 1, p. 753 et passim.
  8. (1) Kaïanien, vient de Kaï, syllabe qui précède les noms de plusieurs rois de cette dynastie zoroastrienne : ainsi Kaï-Kaous et Kaï-Khosrou. Ce mot paraît avoir été le titre des monarques. En zend, il a la forme Kava, et est identique avec le sanscrit Kavi (soleil). Peut-être n’est-il pas sans intérêt de rapprocher ce sens de celui du Phra égyptien. (Voir Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, t. I, p. 424 et passim.) — Ces rois kaïniens donnèrent la première impulsion à la nationalité séparatiste des Zoroastriens. Ils ont jeté certainement un grand éclat, puisque, à travers tant de siècles, ils ont produit des traditions nombreuses et persistantes qui font la partie la plus notable du Schahnameh.
  9. (2) Comme toutes les religions, aux époques de foi, le magisme était ce qu’on appelle, de nos jours, intolérant. Il détestait le polythéisme dans toutes ses formes. Xerxès enleva l’idole de Bel, qui trônait à Babylone, et détruisit ou dévasta tous les temples qu’il rencontra en Grèce. — Ainsi Cambyse ne fit en Égypte qu’obéir à l’esprit général de sa nation lorsqu’il maltraita si fort les cultes du pays. (Voir Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie (Dresde, In-8°, 1826), t. I, p. 25 et passim.)
  10. (1) Le mot employé par le Schahnameh pour désigner la dignité royale rappelle vivement les doctrines indépendantes des Arians primitifs. Féridoun porte le titre de schahr-jar, (persan), (l’ami de la cité). — Sur les sources antéislamitiques où Firdousi a puisé les traditions qu’il enchaîne, voir A. F. de Schack, Einl., p. 52 et passim.
  11. (2) Tous les faits qui composent l’histoire de la formation du royaume médique sont racontés par Hérodote, avec sa puissance de coloris ordinaire, Clio, XCVIII et passim.
  12. (1) Le Mahabharata connaît les Perses, il les appelle Parasikas. Mais à cette époque lointaine des guerres des Pandavas et des fils de Kourou cette petite nation n’avait encore aucun renommée. C’est ce qui fait que, dans le poème hindou, elle a les simples honneurs d’une mention. (Lassen, Zeitschrift f. d. K. des Morgenl., t. II, p. 53.)
  13. (2) Movers, das Phœniz. Alterthum., t. I, 2e partie, p. 415. — Cette décadence était si profonde, et causée si évidemment par l’anarchie ethnique, que les Égyptiens, non moins dégénérés, mais plus compacts parce qu’il y avait en jeu, dans leur sang, moins d’éléments constitutifs, prirent un moment le dessus vis-à-vis de leurs anciens et redoutés adversaires. Au VIIe siècle, leur influence l’emportait en Phénicie. Les Mèdes eurent bientôt raison de cette énergie relative.
  14. (1) Movers, t. II, 1re partie, p, 419.
  15. (2) Movers, das Phœnizische Alterthum., t. II, 1re partie, p. 401 et passim, et 419.
  16. (1) Hérodote, Clio, CVI.
  17. (1) Les noms des premiers souverains perses sentent fortement la primitive identité des notions zoroastriennes avec les Hindous, et même avec les autres branches arianes. C’est ainsi que le père des Achéménides s’appelait Kourou, comme le chef des Kouravas blancs que nous avons vus envahir l’Inde à une époque très ancienne. Plus tard, Cambyse est nommé, dans l’inscription cunéiforme de Bi-Soutoum, Ka(m)budya, comme la tribu des kschattryas dissidents, habitant la rive droite de l’Indus, les Kambodyas. (Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 598.) — Il est curieux de remarquer que les habitants de l’Hindou Koh se nomment aujourd’hui Kamodje. Avant les conquêtes des Afghans, leur territoire allait jusqu’à l’Indus. (Lassen, Zeitschrift f. d. K. d. Morgenl., t. II, p. 56 et passim.)
  18. (2) Il faudrait même admettre que les Bactriens, ce rameau le plus anciennement civilisé de la famille zoroastrienne, eurent leur part de suprématie sous la dynastie de Darius, si l’on adoptait l’idée de M. Roth. Ce savant a avancé que les Achéménides étaient des vassaux bactriens des rois perses. (Roth, Geschichte der abendlændischen Philosophie (Mannheim, 1846, in-8o), t. I, p. 384 et passim.) Cependant, cette hypothèse a besoin d’être encore étudiée.
  19. (1) Darius Hystaspes leur interdit aussi de manger de la chair de chien. La coutume phénicienne des massacres hiératiques, qui, à l’époque des calamités publiques, porta les Carthaginois à égorger à la fois, sur leurs autels, des centaines d’enfants, coutume qui faisait dire à Ennius : « Et Poinei solitei sos sacrificare puellos, » reprit quand tomba l’influence des Perses. Les Grecs cherchèrent en vain à décider les Carthaginois à renoncer à de telles monstruosités. Elles existaient encore secrètement au temps de Tibère, et s’étaient transmises, avec le sang sémitique, à la colonie romaine. (Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie, t. I, p. 373.)
  20. (1) Le successeur du faux Smerdis s’exprimait ainsi dans l’inscription de Bi-Soutoun : « Darius le roi dit : Dans toutes ces provinces, j’ai donné faveur et protection à l’homme laborieux. Le fainéant, je l’ai puni avec sévérité. » (Rawlinson, Journal of the Royal Asiatic Society, vol. XIV, part. I, p. XXXV.) — Ce Darius qui parlait ainsi portait dans son nom l’expression d’une idée utilitaire : Daryawus signifie celui qui maintient l’ordre. (Schack, Heldensagen von Firdusi, p. 11.)
  21. (2) Layard, Niniveh und seine Ueberreste, Leipzig, 1850, p. 340. — Je n’ai eu à ma disposition que la traduction de M. Meissner, excellente du reste. Le savant voyageur anglais discute d’une manière rare les rapports du style perse avec les modèles de l’Assyrie et de l’Égypte.
  22. (1) Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, t. I, p. 351. — Ce savant, en citant le passage d’Hérodote sur lequel se base cette opinion, élève quelques doutes quant à sa portée. Je me bornerai à transcrire ici l’assertion de l’historien grec ; elle suffit entièrement à mon but : « Clio, CXXXI : Voici les coutumes qu’observent, à ma connaissance, les Perses. Leur usage n’est pas d’élever aux dieux des statues, des temples, des autels. Ils traitent, au contraire, d’insensés ceux qui le font. C’est, à mon avis, parce qu’ils ne croient pas, comme les Grecs, que les dieux aient une forme humaine. Ils ont coutume de sacrifier à Jupiter sur le sommet des plus hautes montagnes, et donnent le nom de Jupiter à toute la circonférence du ciel. Ils font encore des sacrifices au soleil, à la lune, à la terre, au feu, à l’eau et aux vents, et n’en offrent de tout temps qu’à ces divinités. Mais ils y ont joint, dans la suite, le culte de Vénus Céleste ou Uranie, qu’ils ont emprunté des Assyriens et des Arabes. Les Assyriens donnent à Vénus le nom de Mylitta, les Arabes celui d’Alitta, et les Perses l’appellent Mitra. » Ainsi ce culte de Mithra, qui infecta plus tard tout l’occident romain, commença par saisir les Perses. C’est, en quelque sorte, le cachet de l’invasion du sang sémitique. — Bœttiger dit que, sous le règne de Darius Ochus, le magisme s’était déjà très rapproché de l’hellénisme et du fétichisme par l’adoption du culte d’Anaïtis. (Ideen zur Kunstmythologie, t. I, p. 27.)
  23. (2) On a vu ailleurs les Égyptiens se défendre, ou même quelquefois attaquer, quand il le fallait absolument, au moyen de leurs troupes mercenaires. Des Grecs en faisaient le nerf. (Wilkinson, Customs and Manners, etc., t. I, p. 211.)
  24. (1) C’était le goût du gouvernement pour les auxiliaires étrangers qui avait déterminé l’émigration de l’armée nationale en Éthiopie. En 362-340, Nectanébo II envoya au secours des Chananéens, révoltés contre les Perses, Mentor le Rhodien avec 4,000 Grecs. Ce condottiere le trahit. (Wilkinson, Customs and Manners of the ancient Egyptians, t. I, p. 211.)
  25. (1) Hérodote, Thalie, LXXX et passim.
  26. (2) Hérodote, Thalie, LXXX.