Aller au contenu

Essai sur la nature du feu et sur sa propagation/Édition Garnier/Seconde partie

La bibliothèque libre.
Essai sur la nature du feuGarniertome 22 (p. 304-325).

SECONDE PARTIE.

DE LA PROPAGATION DU FEU.

On tâchera, dans cette seconde partie, d’expliquer ses doutes en autant d’articles :

1° Sur la manière dont nous produisons du feu ;

2° Sur la manière dont le feu agit ;

3° Sur les proportions dans lesquelles le feu embrase un corps quelconque ;

4° Sur la manière et les proportions dont le feu se communique d’un corps à un autre ;

5° Sur ce qu’on nomme pabubulum ignis, et ce qui est nécessaire pour l’action du feu ;

6° Sur ce qui éteint le feu.

ARTICLE I
comment produisons-nous le feu ?

Les hommes ne peuvent réellement produire du feu, parce qu’ils ne peuvent rien produire du tout ; ils peuvent mêler les espèces des choses, mais non changer une espèce en une autre. On décèle, on manifeste le feu que la nature a mis dans les corps, on lui donne de nouveaux mouvements, mais on ne peut produire réellement une étincelle.

Nous ne pouvons développer ce feu élémentaire que par l’un des cinq moyens suivants :

1° En rendant les rayons du soleil convergents, et les assemblant en assez grand nombre ;

2° En frottant violemment des corps durs ;

3° En exposant tous les corps possibles au feu tiré de ces corps durs, comme aux charbons ardents, à la flamme, aux étincelles de l’acier, etc. ;

4° En mêlant des matières fluides, comme des espèces d’huiles qui fermentent ensemble avec explosion, et qui s’enflamment ;

5° En composant des phosphores avec des matières sulfureuses et salines qui s’enflamment à l’air, comme avec du sang, des excréments, de l’alun, de l’urine, etc., ou bien en faisant de la poudre fulminante, et autres opérations semblables.

Dans toutes ces opérations il est aisé de voir qu’on ne fait autre chose que d’ajouter un feu nouveau aux corps qui n’en ont point assez, ou de mettre en mouvement une quantité de feu suffisante qui était dans ces corps sans mouvement sensible.

ARTICLE  II.
comment le feu agit-il ?

Le feu étant une substance élémentaire répandue dans tous les corps, et jusque dans la glace la plus dure, ne peut agir sur ces corps qu’en agitant leurs parties. Si cette agitation est modérée, comme celle qu’un air tempéré communique aux végétaux, leurs pores ouverts reçoivent alors l’eau, l’air, et la terre, qui les entourent, et les quatre éléments, unis ensemble, étendent le germe de la plante qu’ils nourrissent. Si l’agitation est trop forte, les parties du végétal, désunies, sont dispersées, et tout peut en être aisément détruit, jusqu’au germe.

Ce mouvement, qui fait la vie et la destruction de tout, ne peut, ce me semble, être imprimé aux corps par le feu qu’en vertu de ces deux raisons-ci : ou parce qu’ils reçoivent une plus grande quantité de feu qu’ils n’en avaient, ou parce que la même quantité est mise dans un mouvement plus violent ; et comme une quantité de feu quelconque appliquée aux corps n’agit que par le mouvement, il est clair que c’est le mouvement seul qui échauffe, consume, et détruit les corps.

Il n’y a aucun corps sur la terre qui ait dans sa masse assez de feu pour faire de soi-même un effet sensible sans fermenter avec d’autres corps : voilà pourquoi du marbre et de la laine, du fer et des plumes, du plomb et du coton, de l’huile et de l’eau, du soufre et du sable, de la poudre à canon, appliqués au thermomètre, ensemble ou séparément, ne le font ni hausser, ni baisser, lorsque ces divers corps ont été exposés longtemps à une égale température d’air, ainsi que le thermomètre.

De grands philosophes infèrent de cette expérience qu’il y a également du feu dans tous les corps ; mais on ose être d’une opinion différente :

1° Parce que, si cette égale distribution du feu qu’ils supposent était réelle, la glace factice en aurait autant que l’alcool le plus pur ;

2° Parce que les corps s’enflamment beaucoup plus aisément les uns que les autres ; et comme il est certain que nous mettons plus de feu dans des matières que nous préparons, dans de la chaux, par exemple, que dans les mélanges d’autres pierres ; aussi paraît-il vraisemblable que la nature agit en cela comme nous, et distribue plus de feu dans du soufre que dans de l’eau[1].

Il paraît donc très-probable, par toutes les expériences et par le raisonnement, que de deux corps celui qui s’enflammera le plus vite à feu égal contenait dans sa masse plus de substance de feu que l’autre, et qu’ainsi un pied cubique de soufre contient certainement plus de feu qu’un pied cubique de marbre.

Pourquoi donc tous les corps inégalement remplis de feu élémentaire ont-ils cependant un égal degré de chaleur, selon cette expérience faite au thermomètre ?

N’est-ce pas pour ces raisons-ci ? Le feu n’agit dans les corps que par un mouvement proportionnel à sa quantité ; chaque corps résiste à l’action de ce feu qu’il contient ; et quand cette résistance est en équilibre avec l’action du feu, c’est précisément comme si le feu n’agissait pas. Or, dans tous les corps en repos, la résistance de leurs parties et l’action du feu contenu sont en équilibre (car sans cela il n’y aurait point de repos) : donc tous les corps en repos doivent avoir un égal degré de chaleur.

Il faut remarquer qu’il n’y a point de repos parfait ; mais le mouvement interne des corps est si insensible qu’il ne peut faire un effet sensible sur la petite quantité de liqueur contenue dans un thermomètre. On sent assez pourquoi au thermomètre cette chaleur est égale, et ne l’est pas au tact de nos mains.

Pour qu’un corps s’échauffe et ensuite s’enflamme, etc., il s’agit donc de le pénétrer d’un nouveau feu, et de mettre dans un grand mouvement celui qu’il a.

Des charbons ardents, ou les rayons du soleil réunis, appliqués par exemple à du fer, produisent le premier effet ; l’attrition seule produit le second.

Les rayons du soleil, ou le feu ordinaire, ajoutent une nouvelle substance de matière ignée à ce fer ; l’attrition causée par un caillou n’y ajoute que du mouvement sans nouvelle matière. Ce mouvement seul fait un si grand effet par les vibrations qu’il excite dans ce fer qu’une partie de lui-même en tombe incontinent brûlante, lumineuse, et vitrifiée.

L’action presque instantanée des rayons du soleil par le plus grand miroir ardent produit un effet entièrement semblable.

Il faut voir à présent si une nouvelle quantité de traits de feu qui pénètrent dans un mixte agit par le nombre de ses traits et par le mouvement avec lequel chaque trait pénètre ce mixte ; ou bien si cette force augmente encore par l’action de ces traits les uns sur les autres.

Par exemple mille rayons arrivent d’un verre ardent à un morceau de bois ; dans le foyer de ce verre ardent, je demande si ces mille rayons agissent seulement par leur masse multipliée par leur vitesse (on n’entre point ici dans la question si la force est mesurée par la masse multipliée par le carré de la vitesse), ou si à cette action il faut encore ajouter une force résultante de l’action mutuelle de ces rayons les uns sur les autres.

Il paraît probable que la masse seule des rayons, multipliée par leur vitesse, sans autre augmentation, fait tout l’effet du verre ardent : car s’il y avait une autre action quelconque, cette action ne pourrait être que latérale, c’est-à-dire que les rayons augmenteraient mutuellement leur puissance en se touchant par les côtés ; mais cette prétendue action ne ferait que détourner les rayons qui vont tous en ligne droite, et par conséquent affaiblirait leur pouvoir au lieu de le fortifier. Plusieurs coins enfoncés à la fois dans un morceau de bois, plusieurs flèches lancées à la fois dans un rond se nuiront si elles se touchent ; et comment agiront-elles sensiblement les unes sur les autres, si elles ne se touchent pas ?

J’ajouterai encore que si les rayons du feu augmentaient leur force par cette action mutuelle (ce qui n’est pas assurément conforme aux lois mécaniques), les rayons de la lune, reçus sur un miroir ardent, sembleraient devoir au moins faire sentir quelque chaleur à leur foyer, mais c’est ce qui n’arrive jamais : donc on paraît très-bien fondé à penser que les rayons n’agissent point réciproquement l’un sur l’autre en partant d’un même lieu, et allant frapper le même corps. Il s’en faut beaucoup que le nombre des traits de flamme qui pénètrent un corps reçoive une nouvelle action par leur agitation mutuelle.

Qu’on mette sous un métal quelconque une mèche allumée trempée d’esprit-de-vin, et qu’on observe, à l’aide de l’ingénieuse invention du pyromètre, le degré d’expansion, de raréfaction, que ce métal aura acquis dans un temps donné : si le feu augmentait son action par le choc mutuel de ses parties, deux mèches pareilles devraient raréfier ce métal beaucoup plus du double ; mais il est prouvé, par les expériences les plus exactes, que deux mèches pareilles ne font pas seulement un effet double de celui d’une simple mèche.

Une simple mèche allumée, mise sous le milieu d’une lame de fer longue de 5 pouces 8/10, et épaisse de 3/10 allonge cette lame comme 80 ; deux mèches mises au milieu, l’une auprès de l’autre, ne l’allongent que comme 117 ; et les deux mêmes flammes, mises à 2 pouces 1/2 l’une de l’autre, ne l’allongent que comme 109.

On ne prétend pas répéter ici le détail de toutes ces expériences vérifiées ; on essayera seulement d’en tirer quelques conclusions.

Si le feu agissait dans ce cas par la force d’une action mutuelle de ses parties les unes contre les autres, la flamme de ces deux mèches devrait se joindre pour produire ces effets réunis ; et ces deux flammes devraient échauffer, raréfier cette lame beaucoup au delà de 160 ; mais ces deux flammes voisines, au lieu de se réunir, s’écartent ; chacune se dissipe de côté et d’autre.

On peut donc, encore une fois, conclure que les rayons du feu n’agissent point l’un sur l’autre pour augmenter leur puissance, soit qu’ils viennent du soleil en parallélisme, soit qu’ils soient réunis au foyer d’un verre ardent, soit qu’ils s’échappent en cercle d’un charbon allumé, etc.

Voici donc ce qui arrive dans un corps auquel on applique un feu étranger : plus ce corps résiste, plus la quantité de ce feu, multipliée par sa vitesse, agit sur lui ; et tant que l’action de ce feu et la réaction de ce corps subsistent, la chaleur augmente, jusqu’à ce qu’enfin de nouveau feu entrant toujours, les parties solides de ce corps, qui résistaient, par exemple, à 1,000 parties de feu, ne pouvant résister à 10,000, à 100,000, se désunissent et s’évaporent. Un madrier de bois de 100 pouces carrés pourra très-aisément être percé dans 100 demi-pouces d’étendue sans perdre sa figure ; mais s’il est percé dans 144,000, il est réduit en poussière.

Voici maintenant ce qui arrive à un corps dont on met en mouvement le feu propre qu’il contenait. Qu’un morceau de fer, par exemple, soit conçu partagé en mille lamines élastiques, que chaque lamine contienne dix parties de feu, que ce corps reçoive un choc violent qui ébranle ces mille lamines, et que ce choc réitéré augmente cent fois le ressort de chaque partie de feu : ces atomes de feu, qui ne pouvaient agir auparavant vu le poids dont ils étaient accablés, prennent une force égale à celle des mille lamines ; que ce ressort soit augmenté encore, on voit aisément comment enfin cette centième partie de feu, contenue dans cette masse, l’enflammera toute, et la dissipera à la fin, sans qu’il y soit intervenu une seule particule de feu étranger.

Les corps sont donc échauffés, enflammés, consumés, ou par le feu qui est en eux, et dont on a augmenté le mouvement, ou par la quantité d’un feu étranger qu’on leur a appliqué, et qui par son mouvement vient agir sur ces corps ; et, dans les deux cas, le feu agit toujours par les lois du mouvement[2].

ARTICLE  III.
proportions dans lesquelles le feu embrase
un corps quelconque
.

On a essayé, dans ce troisième article, de rassembler quelques lois générales sur les proportions dans lesquelles le feu agit.

PREMIÈRE LOI.

Le feu étant un corps, et agissant sur les autres corps par sa masse et par son mouvement, selon les lois du choc, « il communique son mouvement aux corps homogènes, suivant une loi qui dépend de leur grosseur ». Soit une lamine de plomb échauffée, dilatée comme 154, par un feu donné ; une autre lamine de même longueur, deux fois aussi large, deux fois aussi haute, et pesant ainsi le quadruple de la première, acquiert 109 degrés de chaleur en temps égal, à feu égal, selon les expériences faites au pyromètre.

Le carré des degrés de chaleur est à peu de chose près comme la racine des pesanteurs de ces lamines. La racine de la pesanteur de la dernière lamine est à celle de la première comme 2 est à 1 ; et les carrés de leurs degrés de chaleur sont aussi comme 2 à 1, ou peu s’en faut[3].

DEUXIÈME LOI.

Le feu agit en raison inverse du carré de sa distance : cela est assez prouvé, puisque le feu se répand également en tout sens : c’est aussi en vertu de cette loi que de deux corps d’égale longueur et épaisseur, le plus large présentant une plus grande quantité de matière plus voisine de la flamme que le moins large, le corps le plus large sera toujours le plus tôt échauffé, en raison directe de cet excès de quantité de matière, et en raison du carré de la proximité du feu[4].

TROISIÈME LOI.

Le feu augmente le volume de tous les corps avant d’enlever leurs parties.

Si le bois, les cordes, etc., ne paraissent pas augmenter de volume, c’est qu’on n’a pas le temps de les mesurer avant que leurs parties aient été dissipées.

Il est démontré par cette loi que le feu, puisqu’il est pesant, doit augmenter le poids des corps avant qu’il en ait fait évaporer quelque choses[5].

QUATRIÈME LOI.

Les corps retiennent leur chaleur d’autant plus longtemps qu’il a fallu plus de temps pour les échauffer. Ainsi le fer ayant acquis 70 degrés de chaleur et d’expansion en 6 minutes 47 secondes, et un pareil volume de plomb, à feu égal, ayant acquis 70 pareils degrés en une seule minute, ce plomb, raréfié à ce même degré 5 minutes 47 secondes plus tôt que le fer, se refroidira, se contractera aussi environ 5 minutes 47 secondes plus tôt que le fer.

Cette règle souffre pourtant quelques exceptions : la craie, par exemple, et quelques pierres, se refroidissent fort vite après s’être très-lentement échauffées ; la raison est vraisemblablement que le feu a changé leurs parties, et ouvert leurs pores ; et, comme nous le dirons après avoir exposé toutes ces lois, le tissu des substances et l’arrangement des pores doit apporter quelque changement aux règles les plus générales[6].

CINQUIEME LOI.

Tous les corps sont échauffés et raréfiés par un feu égal, plus lentement d’abord, ensuite plus rapidement, puis avec plus grande célérité ; et de ce point de plus grande célérité ils se raréfient tous d’autant plus lentement qu’ils approchent plus du dernier terme de leur expansion.

Par exemple, dans les expériences faites à l’aide du pyromètre :


Le plomb se raréfie à feu égal, d’abord, Le fer se raréfie,
En 05 secondes, de 05  degrés. En 09 secondes, de 1  degré.
En 09 secondes, de 10 En 15 secondes, de 2
En 13 secondes, de 15 En 18 secondes, de 3
En 15 secondes, de 20

Puis cette célérité de dilatation croissant toujours, le temps depuis la 28e seconde jusqu’à la 36e est l’époque de la plus grande vitesse de l’action du feu ; et depuis ce terme de la 36e seconde, les degrés de dilatation arrivent toujours plus lentement.

Cette cinquième loi dépend évidemment de la force de cohésion des parties constituantes des corps.

Cette cohérence est d’autant plus grande que le corps est plus froid, et le dernier degré de froid (s’il était possible de le trouver) serait le plus grand degré de cohérence possible. Or, dans l’air froid, le corps, étant plus refroidi à sa surface que dans sa substance, oppose à l’action du feu une écorce plus serrée : c’est pourquoi un feu égal emploie neuf secondes à échauffer le fer d’un seul degré.

Mais les pores de cette première écorce étant ouverts, ceux de la seconde écorce sont aussi un peu ouverts, parce qu’ils ont reçu déjà des particules de feu : le feu égal opère donc en 18 secondes une expansion de trois degrés, qu’il n’eût produite qu’en 27 secondes s’il avait eu pareille résistance à vaincre ; ensuite quand le feu a, par son mouvement séparé, divisé toutes les parties de cette masse, il en a élargi tous les pores ; la réaction de toutes les parties solides plus écartées en est moins forte ; alors pareille quantité de feu n’étant plus suffisante pour distendre ces pores devenus plus grands, il faut qu’il arrive dans ces pores une portion de feu plus considérable : or, la matière qui produit ce feu étant toujours supposée la même, une plus grande quantité de matière ignée ne peut être fournie en temps égaux ; donc le même feu doit toujours agir plus lentement jusqu’au terme où la cohérence du corps équivaudra précisément à l’action du feu ; et, passé ce temps, le corps se fond, se calcine, ou s’exhale en vapeurs, selon sa nature.

SIXIÈME LOI.

La raison dans laquelle le feu agit sur les corps est toujours moindre que la raison dans laquelle on augmente le feu. Par exemple un feu simple agit en proportion plus qu’un feu double, et un feu double plus à proportion qu’un triple.


Une mèche d’une grosseur donnée communique à une lame de fer donnée Deux pareilles mèches réunies à feu égal communiquent à la même lame
   
En 09 secondes, 1 degré. En 06 secondes, 1 degré,
  ————et non en 4 secondes et demie.
En 15 secondes, 2 degrés. En 09 secondes, 2 degrés,
  ————et non en 7 secondes et demie.
En 18 secondes, 3 degrés. En 10 secondes, 3 degrés,
  ————et non en 9 secondes et demie.

La cause de ces différences est que la substance du feu, entrant dans l’intérieur d’un corps quelconque, le dilate en poussant en tout sens ses parties.

Or, cette pulsion dans tout l’intérieur d’un corps est égale à une force quelconque appliquée extérieurement, laquelle tirerait ce corps et l’allongerait autant que le feu le dilate.

Mais il est démontré que les lames, les fibres égales d’un corps homogène, pareilles en longueur et épaisseur, étant chargées chacune d’un poids différent au même bout, ne peuvent être tendues en raison des poids ; mais l’extension produite par le plus grand poids est à l’extension que donne le plus petit toujours en moindre raison que les poids ne sont entre eux.

Une corde de trois pieds de long, chargée de deux livres, s’étend comme 9 ; et, chargée de quatre livres, elle ne s’étend pas comme 18, mais comme 17 seulement.

Or, ce qu’est cette corde par rapport aux poids qui la tendent, tous les corps homogènes le sont à l’égard du feu qui les dilate : donc il faut plus du double de feu pour faire un effet double, et plus du triple pour faire un effet triple.

SEPTIÈME LOI.

Toutes choses d’ailleurs égales, tout corps exposé au feu sera plus promptement échauffé par ce feu étranger, en raison de la portion de feu qu’il contient dans sa propre substance ; ainsi, toutes choses égales, le corps qui contiendra le plus de soufre[7] sera le plus tôt dilaté, brûlé, et consumé.

Voilà pourquoi de tous les fluides connus l’alcool est celui qui se consume le plus vite[8].

HUITIÈME LOI.

Tous corps homogènes de dimensions égales, à feu égal, mais chacun peint ou teint d’une couleur différente, s’échauffent suivant les proportions des sept couleurs primitives. Le noir s’échauffe le plus vite, puis le violet, le pourpre, le vert, le jaune, l’orangé, le rouge, et enfin le blanc[9].

Par la même raison, le corps blanc garde plus longtemps sa chaleur, et le corps noir est celui qui la perd le plus tôt.

On pourrait mettre pour neuvième loi qu’il doit y avoir des variations dans la plupart des lois précédentes.

Ces variations viennent de ce que les pores et la tissure d’un corps, quelque homogène qu’il soit, ne sont jamais également distribués et disposés. Concevez un corps divisé en cent lamines, et ayant mille pores, les cent lamines ne sont pas toutes de la même épaisseur, et les pores de ces lamines ne se croisent pas de la même façon ; c’est cet arrangement inégal des pores et cette épaisseur différente des feuilles qui sont cause que certains rayons sont réfléchis, et certains autres transmis ; qu’une feuille d’or transmet des rayons bleus tirant sur le vert, et réfléchit les autres couleurs ; que la quatrième partie d’un millionième de pouce donne du blanc entre deux verres, l’un plat et l’autre convexe, se touchant en un point, etc.

Or, cette variation de tissure, qui détermine les différentes actions du feu en tant qu’il éclaire, ne doit-elle pas aussi déterminer les différentes actions du feu en tant qu’il échauffe et qu’il brûle ?

C’est donc de la combinaison de toutes ces lois dont on vient de parler que naît la proportion dans laquelle le feu pénètre les corps : il n’agit point en raison réciproque des pesanteurs ni des cohérences, ni en raison composée de ces deux : car, par exemple, la cohésion dans le fer est environ 15 fois plus grande que dans le plomb (comme il est prouvé par les poids égaux suspendus à des barres de plomb et de fer de pareil volume), la pesanteur spécifique du plomb est à celle du fer comme 11 est à 7 ; cependant le plomb acquiert en temps égal, à feu égal, à peu près le double de chaleur du fer, ce qui n’a aucun rapport ni à leurs pesanteurs ni à leurs cohérences.

La raison dans laquelle le feu agit est non-seulement composée de ces deux raisons de pesanteur et de cohésion, mais de tous les rapports ci-dessus mentionnés[10].

Il n’est guère possible que nos lumières et nos organes, aussi bornés qu’ils le sont, puissent jamais parvenir à nous faire connaître cette proportion, qui résulte de tant de rapports imperceptibles ; nous en saurons toujours assez pour notre usage, et trop peu pour notre curiosité.

L’expérience seule peut nous apprendre en quel rapport le feu détruit les divers corps fluides, minéraux, végétaux, animaux.

L’on ne peut fixer rien d’exact sur cela que pour le climat que nous habitons, et pour une température déterminée de ce climat : car les rayons du soleil en moindre ou plus grand nombre, ou dardés plus ou moins obliquement, les vents, les exhalaisons, altèrent la tissure de tous les corps.

Surtout le ressort et la pesanteur de l’air, par leurs variétés, augmentent et diminuent l’action du feu. Plus l’air est pesant, plus les corps acquièrent de chaleur à feu égal ; trois onces de plus de pesanteur dans la colonne de l’atmosphère rendent l’eau bouillante plus chaude d’un neuvième[11].

On sait déjà, par le pyromètre qu’un philosophe excellent vient d’inventer, les dilatations comparatives des métaux à feu égal, en temps égal, le baromètre étant à telle hauteur[12].

On sait par le thermomètre de Fahrenheit, le philosophe des artisans, les degrés comparatifs de la chaleur de plusieurs liqueurs, et les termes de leur chaleur.

Or, dans une température d’air déterminé, tout a son degré de chaleur déterminé. Les liqueurs bouillantes, les métaux en fusion, les minéraux calcinés, les végétaux ardents, comme les bois, etc., acquièrent un degré de chaleur passé lequel on ne peut les échauffer.

Ce dernier degré absolu et les degrés comparatifs de chaleur des fluides, des minéraux, des végétaux, peuvent, je crois, être connus à l’aide du seul thermomètre construit sur les principes de M. de Réaumur.

Il n’y a qu’une seule précaution à prendre, c’est que l’esprit-de-vin ne bouille pas dans le thermomètre. Pour cet effet, je ne plonge qu’à moitié la boule du thermomètre dans les liqueurs bouillantes.

Je mets le même thermomètre à une telle distance de chaque métal en fusion que le métal le plus ardent fait monter l’esprit-de-vin plus haut sans le faire bouillir. Je fais une table en trois colonnes : la première colonne marque le temps où la liqueur bout en un vase égal, à feu égal ; la seconde marque le degré où est monté le thermomètre, dont la boule est à moitié plongée dans la liqueur bouillante ; la troisième colonne marque le temps dans lequel le thermomètre est monté depuis la marque 0, ayant soin d’avoir toujours de la glace auprès de moi.

Une autre table sert pour les métaux en fusion.

La première colonne marque le temps qu’il a fallu pour fondre les divers métaux à feu égal, en vase égal ;

La seconde, les degrés où s’est élevé le thermomètre, depuis la marque 0, à égale distance des métaux fondus.

Je fais la même opération pour les calcinations.

À l’égard des plantes, je fais couper en un même jour des branches de tous les arbres d’une pépinière ; j’en fais tourner au tour des morceaux d’égale dimension, et, les rangeant tous sur une plaque de fer poli, également épaisse, rougie au feu également, j’observe avec une pendule à secondes les temps où chaque morceau est réduit en cendre, et il y a entre ces temps des différences très-considérables[13].

J’en fais autant avec les légumes.

Mais, s’il est utile de savoir quel degré de feu est nécessaire pour détruire, il ne l’est pas moins de savoir quel degré il faut pour animer, et quel feu et quel froid peuvent soutenir les animaux et les plantes : par exemple, quel degré de feu peut faire mûrir le blé, et en combien de temps quel degré de feu le fait périr.

C’est de quoi je prépare encore une table, et je joindrai toutes ces tables à ce petit Essai, si messieurs de l’Académie le jugent digne de l’impression, et s’ils pensent que l’utilité de ces opérations puisse suppléer aux défauts de l’écrit[14].

ARTICLE IV.
de la communication du feu ; comment et en quelle proportion le feu se communique d’un corps à un autre.

Les lois du mouvement doivent toujours nous servir de règle. Un corps en mouvement, qui choque un corps en repos, perd de son mouvement autant qu’il en donne : il en est ainsi du feu qui échauffe un corps quelconque.

Tout corps échauffé communique sa chaleur également et en tout sens aux corps environnants, c’est-à-dire leur donne le feu qui est dans lui, jusqu’à ce qu’eux et lui soient à un même degré de température.

Le vulgaire, qui voit monter la flamme, pense que le feu se communique plus tôt en haut qu’en bas, sans songer que la flamme ne monte que parce que l’air, plus pesant qu’elle, presse sur le corps combustible.

Quelques philosophes, observant que le feu descend presque toujours quand on met des matières enflammées au milieu de pareilles matières sèches, ont décidé que le feu tend à descendre, sans considérer que le feu ne descend en ce cas plus qu’il ne monte, que parce que d’ordinaire la matière enflammée, un morceau de bois par exemple, qu’on mettra au milieu d’un bûcher, touche les bois de dessous en plus de points que les bois de dessus, et que de plus, le bûcher étant déjà allumé par le bas, la partie basse du bûcher est déjà plus échauffée que la partie haute.

On donne pour constant, dans un nouveau Traité de physique sur la pesanteur universelle (seconde partie, chapitre ii), que le feu tend toujours en bas. J’en ai fait l’épreuve en faisant rougir un fer que je posai ensuite entre deux fers entièrement semblables : au bout d’un demi-quart d’heure je retirai ces deux fers semblables, je mis deux thermomètres, construits sur les principes de M. de Réaumur, à quatre pouces de chaque fer, les liqueurs montèrent également en temps égaux ; ainsi il est démontré que le feu se communique également en tout sens, quand il ne trouve point d’obstacles.

Il ne faut pas sans doute inférer de là que deux corps égaux homogènes communiquent également de chaleur à deux corps égaux hétérogènes en temps égal.

Par exemple deux cubes de fer égaux, échauffés à pareil degré, étant posés l’un sur un cube de marbre, l’autre sur un cube de bois d’égale température, le fer posé sur le marbre perdra plus de chaleur, et communiquera cependant moins de sa chaleur à ce marbre que l’autre fer n’en communiquera à ce bois ; et cette différence vient évidemment de l’excès de pesanteur et de cohérence du marbre, et du tissu de ses parties qui composent un tout, lequel résiste plus au choc des parties de feu qu’un morceau de bois de pareil volume[15].

Mais, comme on l’a déjà dit (article ii, IIe partie), ces quatre corps, au bout d’un temps considérable, sont dans le même air d’une température égale, quelque changement que le feu ait apporté en eux.

Cette température égale de tous les corps, après un certain temps dans un même air, ne prouve pas qu’il y ait alors également de feu dans tous les corps : elle prouve seulement que l’action du feu qui est en eux est égale. Voici, ce semble, comme on peut concevoir cet effet.

Je considère toujours le feu comme un corps qui agit par les lois du choc : quand l’action du feu est supérieure à la résistance des parties d’un corps, ce corps acquiert des degrés de chaleur ; quand la résistance d’un corps, au contraire, est supérieure, il acquiert des degrés de froid.

Quand l’action et la réaction sont égales, c’est comme s’il n’y avait aucune action. Il y a plus de feu dans un pied cubique d’esprit-de-vin que dans un pied cubique d’eau ; mais le feu est en équilibre avec l’eau et avec l’esprit-de-vin, il n’agit ni dans l’un ni dans l’autre : par conséquent il n’y a point de raison pour laquelle l’un soit alors plus chaud que l’autre.

Que deux ressorts dont l’un peut agir comme 10 et l’autre comme 1 soient retenus, leur action, ou plutôt leur inaction, sera égale jusqu’à ce que leur force se déploie.

Le feu est ce ressort, la force qui le déploie est le mouvement ou la masse qu’on peut lui ajouter ; la puissance qui le retient est la matière qui le comprime.

Il paraît donc que les corps ne deviennent d’une égale température que parce que le feu qu’ils contiennent n’agit point sensiblement dans eux.

Il serait, ce semble, très-utile de savoir en quelle proportion le feu se communique d’un corps aux autres, comme des liqueurs aux liqueurs, des minéraux aux minéraux, des végétaux aux végétaux.

Par exemple l’eau bouillante fait monter à 92 degrés un bon thermomètre de M. de Réaumur, dont la boule est à moitié plongée dans cette eau[16].

L’huile bouillante, qui seule doit faire monter le même thermomètre à près de trois fois cette hauteur, mêlée avec pareille quantité d’eau fraîche, ne le fait monter qu’à 43 degrés.

Même quantité d’huile bouillante, mêlée avec même quantité d’huile froide, le fait monter à 79 degrés, la boule toujours à moitié plongée.

Même quantité d’huile bouillante, mêlée avec même quantité de vinaigre, le fait monter à 51 degrés : c’est 6 degrés de chaleur plus que le mélange d’huile et d’eau n’en donne, et cependant le vinaigre seul bouillant n’est pas plus chaud que l’eau bouillante[17].

J’ai préparé des expériences sur la quantité de chaleur que les liqueurs communiquent aux liqueurs, les solides aux solides, et j’en donnerai la table si messieurs de l’Académie jugent que cette petite peine puisse être de quelque utilité.

Il y aurait plus d’avantage à connaître en quelle proportion le feu se communique dans les incendies ; cette proportion dépend principalement du vent qui règne : le feu allumé dans une forêt n’est nullement à craindre, quelque violent qu’il soit, quand l’air est entièrement calme. J’en ai fait l’expérience sur un terrain de 80 pieds de long, et de 20 de large, lequel je fis couvrir de bois taillis debout nouvellement coupés, entremêlés de baliveaux : je fis allumer avec de la paille toute la surface de 20 pieds ; l’air était sec et entièrement calme ; le feu en une heure ne consuma que 20 pieds sur 80, après quoi il s’éteignit de lui-même ; mais le lendemain, par un grand vent qui faisait plus de vingt-cinq pieds par seconde, la même étendue de bois, c’est-à-dire de 80 pieds de long sur 20 de large, fut entièrement consumée en une heure[18].

ARTICLE V.
ce que c’est que l’aliment du feu, et ce qui est nécessaire pour qu’un corps s’embrase et demeure embrasé.

Ce qu’on nomme le pabulum ignis, l’aliment du feu, est ce qu’il y a de combustible dans les corps. Qu’entend-on par combustible ? Si on entend la division, la séparation des parties, tout mixte peut-être ainsi divisé tôt ou tard par le feu, et tout mixte est entièrement combustible ; les éléments même le sont aussi : le feu divise et l’air principe, et l’eau et la terre principes.

Si on entend par aliment du feu, par ce mot combustible, des parties qui se transforment en feu, il n’y en a aucune de cette espèce, et nul corps ne devient feu.

Si on entend par combustible ce qui prend la forme du feu, ce qui s’embrase, il est clair que rien ne pouvant prendre cette forme que le feu lui-même, le pabulum ignis, le corps qui s’embrase, n’est autre chose qu’un corps qui contient la matière ignée dans ses pores ; et de quelque façon qu’on s’y prenne, il n’y a que le mouvement qui puisse déceler cette matière ignée[19].

Mais quelles parties des corps contiennent le feu ? Les moindres opérations chimiques nous apprennent que les sels, les flegmes, la tête morte, ne s’enflamment point ; la seule matière inflammable qu’on retire des corps est ce qu’on appelle l’huile ou le soufre. Ainsi les corps ne sont donc l’aliment du feu qu’à proportion qu’ils contiennent de ce soufre, de cette huile.

Mais qu’est-ce que ce soufre lui-même ? C’est un principe en chimie ; mais ce principe n’est physiquement qu’un mixte, dans lequel il entre encore de l’eau, de la terre, de l’air, et du feu : or ce n’est ni par l’eau, ni par l’air, ni par la terre, qu’il est inflammable ; ce n’est donc que par le feu élémentaire qu’il contient ; aussi l’infatigable Homberg disait que ce qu’on appelle le soufre principe n’est autre chose que le feu lui-même ; tout se réduit toujours ici à ce feu élémentaire, lequel s’échappe des mixtes, et dont la quantité et le mouvement font la force[20].

Or, pour que ce feu élémentaire embrase les mixtes et continue à les embraser, on demande si l’air est nécessaire.

On sait que nous ne pouvons guère ni produire ni conserver notre feu factice sans air, ni même avec le même air : il nous faut toujours un air renouvelé ; de sorte que le feu ainsi que les animaux meurent souvent[21] dans la machine pneumatique en très-peu de temps, si le récipient est vide, et si le récipient est plein de même air.

J’ai eu la curiosité d’entasser quatre livres de charbons noirs dans une boîte de tôle, que je fermai très-bien ; cette boîte était haute de cinq pouces, large d’un pied, et longue d’environ deux pieds ; je la fis rougir de tous côtés au feu le plus violent pendant une heure et demie ; au bout de ce temps le tout pesait quatre onces de moins, les charbons étaient très-chauds, pas un n’était allumé, et plusieurs s’embrasèrent dès qu’ils reçurent l’action de l’air extérieur.

Mais il y a souvent en physique expérience contre expérience ; du fer enfermé dans cette même boîte s’embrase et rougit très-bien[22].

Si un métal très-chaud se refroidit dans l’air, pareil volume de même métal se refroidit dans le vide en temps égal.

Suivant l’expérience exacte rapportée dans les Additamenta experimentis Florentinis, le soufre avec le salpêtre sur un fer ardent y jette des flammes ; la poudre à canon s’y est enflammée quelquefois aux rayons réunis du soleil, etc. La difficulté est donc de savoir quand l’air est nécessaire au feu, et quand il ne l’est pas.

Il faut, je crois, partir toujours de ce principe que le feu agit par son mouvement et par sa masse, et qu’il agit autant qu’on lui résiste.

Sur ce principe, la poudre à canon ne s’enflammera que difficilement dans le vide, ne fera point d’explosion, parce qu’elle manquera d’air qui la repousse[23].

Ainsi je concevrai le feu agissant dans l’air et dans le vide comme un ressort quelconque qui pousse un corps dur, et qui se perd dans un corps mou.

Que l’on allume un feu de bois d’un pied carré, ce feu agité continuellement contre un poids d’environ 2,000 livres d’air, c’est-à-dire contre un ressort qui a la force de 2,000 livres, ce ressort se déploie à chaque instant, et augmente ainsi le mouvement du feu, et par conséquent sa force ; si le ressort de l’air qui presse sur un feu allumé s’épuisait par sa dilatation, le feu contre lequel il n’agirait plus s’éteindrait ; si l’on pompe l’air, le feu s’éteint encore plus vite. L’air fait donc uniquement l’office d’un soufflet qui est nécessaire à un feu médiocre[24].

C’est la seule raison pour laquelle, toutes choses égales, la chaleur au haut et au bas d’une montagne est en raison réciproque de la hauteur de la montagne.

Plus la montagne est haute, plus son sommet est froid, parce que la masse des particules de feu émanées du soleil est pressée par beaucoup moins d’air au haut de cette montagne qu’au pied ; ce feu manque d’un soufflet assez fort.

Mais le feu agit par sa masse aussi bien que par son mouvement, le soufflet ne fait rien à sa masse : si donc cette masse est assez grande pour se passer du mouvement du soufflet, en ce cas il peut très-bien subsister sans air. Voilà pourquoi une boite de fer rouge conserve sa chaleur aussi longtemps dans le vide que dans l’air.

Aussi, quand le mouvement est assez grand indépendamment de la masse, le soufflet est encore inutile, le feu subsiste, la matière s’enflamme sans air.

Du soufre entouré de salpêtre s’enflamme dans le vide, parce que la réaction du salpêtre tient lieu de la réaction de l'air.

Il est à croire que les verres ardents brûleront dans le vide comme dans l’air, pourvu qu’ils puissent transmettre une assez grande quantité de rayons ; ils ne feront pas les mêmes explosions dans le récipient que dans l’air libre ; mais ils consumeront, ils enflammeront aussi bien tous les corps : car la masse du feu suppléera au mouvement nouveau que l’air réagissant lui donnerait.

Mais pourquoi, dira-t-on, ces charbons enfermés dans votre boîte de fer ne sont-ils point enflammés par l’action du feu ?

J’ose croire que c’est uniquement par ce même principe, parce que la masse du feu qui les choquait n’était point assez puissante ; il fallait que la quantité du feu vainquît la quantité de résistance de l’atmosphère de ces charbons : cette atmosphère est très-dense et très-sensible. Tous les corps en ont une, mais celle du charbon est beaucoup plus épaisse ; elle augmente à mesure qu’ils sont échauffés, elle les défend contre l’action de ce feu, qui n’est que médiocre. Je suis très-persuadé que si on avait jeté ma boite de fer dans un feu plus violent qui eût pu la fondre, ces charbons se seraient embrasés dans leur boîte sans le secours de l’air extérieur.

Il paraît donc qu’il ne s’agit dans tout ceci que du plus et du moins dans tous les cas possibles ; on peut donc admettre cette règle « qu’un petit feu a besoin d’air, et qu’un grand feu n’en a nul besoin[25]. ».

Il n’y a pas d’apparence que le feu du soleil subsiste par le secours d’aucune matière environnante semblable à l’air : car cette matière, étant dilatée en tous sens par ce feu prodigieux d’un globe un million de fois plus gros que le nôtre, perdrait bientôt tout son ressort et toute sa force.

ARTICLE VI.
comment le feu s’éteint.

Nous avons déjà été obligés de prévenir cet article en parlant de l’aliment du feu (article précédent) : car il était impossible de traiter de ce qui le nourrit, sans supposer ce qui l’éteint.

On dit d’ordinaire que le feu est éteint, et le vulgaire croit qu’il cesse de subsister quand on cesse de le voir et de le sentir ; cependant la même quantité de feu subsiste toujours : ce qui s’est exhalé d’une forêt embrasée s’est répandu dans l’air et dans les corps circonvoisins ; il ne se perd pas un atome de feu, il en reste toujours beaucoup dans les corps dont on fait cesser l’embrasement.

Ce que l’on doit entendre par l’extinction du feu n’est autre chose que la matière embrasée, réduite à ne contenir que la quantité de masse et de mouvement de feu proportionnelle à la quantité de matière qui reste.

Un métal en fusion, par exemple, ne contient plus, quand il est refroidi, qu’une masse de feu déterminée dont l’action est surmontée par la masse du métal ; et il s’est exhalé la masse de feu étrangère, dont l’action avait surmonté la résistance de ce métal.

Si ce métal ne s’est enflammé que par le mouvement, comme l’essieu d’un carrosse, il n’a point acquis de feu étranger ; mais la masse de feu contenue dans sa substance a acquis un mouvement nouveau ; et, la vitesse multipliée par cette même masse de feu ayant échauffé le corps, la cessation de ce mouvement étranger le refroidit. Pour éteindre un feu quelconque, il faut donc diminuer sa masse ou son mouvement[26].

L’air incessamment renouvelé servant de soufflet pour entretenir tout feu médiocre, l’absence de cet air suffit pour que le feu s’éteigne.

L’eau jetée sur le feu l’éteint pour deux raisons : premièrement, parce qu’elle touche la matière embrasée, et se met entre l’air et elle ; secondement, parce qu’elle contient bien moins de feu que le corps embrasé qu’elle touche.

L’huile, au contraire, contenant beaucoup de feu, augmente l’embrasement au lieu de l’éteindre.

Comme l’extinction du feu dépend toujours de la quantité de la force de cet élément, et de la force qu’on lui oppose, un charbon ardent, un fer ardent même, s’éteignent dans l’huile la plus bouillante comme dans l’eau froide.

La raison en est que ces petites masses de feu n’ont pas la force de séparer les flegmes de l’huile, et que cette huile bouillante n’ayant qu’une chaleur déterminée qui la rend froide, par comparaison au fer ardent, elle le refroidit en le touchant, en appliquant à sa surface des parties froides qui diminuent le mouvement du feu qui pénétrait ce fer ardent.

Le même fer embrasé s’éteindra dans l’alcool le plus pur, quoique cet alcool soit empreint de feu, et cela précisément par la même raison qu’il s’éteint dans l’huile ; mais, pour que du fer embrasé s’éteigne dans l’alcool, il faut que ce fer ne jette point de flamme : car, s’il en jette, cette flamme touchera l’alcool avant que le fer soit plongé, et alors la liqueur s’enflammera.

La raison en est que les vapeurs légères de l’alcool sont aisément divisées par les parties fines de la flamme ; mais le feu du fer ardent, tout chargé de grosses molécules de fer, entre brusquement dans cet esprit-de-vin dont la partie aqueuse le touche en tous ses points, et refroidit tout ce qu’elle touche.

Un charbon ardent, et tout feu médiocre, s’éteint plus vite aux rayons du soleil et dans un air chaud que dans un air froid, par la raison ci-dessus alléguée que l’air est un soufflet nécessaire à tout feu médiocre, et que le charbon est plus pressé dans un air froid moins dilaté que dans un air chaud plus dilaté.

Un flambeau s’éteint dans l’air non renouvelé par la même raison, et parce que la fumée, retombant sur la flamme, s’y applique, et ralentit le mouvement du feu.

Un flambeau s’éteint dans la machine du vide, parce que l’air n’y a plus aucune force qui puisse faire monter la cire dans la mèche en pressant sur elle[27].

Ce qu’on aurait encore à dire sur cette matière se trouve en partie à l’article précédent, et l’on craint d’abuser de la patience des juges.

FIN DE L’ESSAI SUR LA NATURE DU FEU.
  1. Voyez l’article iv de cette seconde partie. (Note de Voltaire.)
  2. Ce chapitre est remarquable de tous points. Cet exemple des lamines de fer s’explique en considérant la chaleur comme résultant du mouvement d’un fluide. Voltaire ne le voit pas ; il sent, malgré lui, sa présence. (D.)
  3. Cette loi est fausse. (D.)
  4. L’énoncé de la loi est vrai, l’explication est inexacte. (D.)
  5. Le feu n’augmente jamais le poids des corps. (D.)
  6. Voltaire énonce une loi vraie. Le pouvoir absorbant et le pouvoir émissif se correspondent. La dernière phrase montre qu’il sent une lacune dans les connaissances de son temps. (D.)
  7. On voit, par la lecture de toutes les pièces sur la nature du feu, envoyées à l’Académie en 1740, que la doctrine de Stahl sur le phlogistique était alors absolument inconnue en France. Le phlogistique, selon cet illustre chimiste, est un principe qui se retrouve le même dans tous les corps inflammables, qui est la cause de leur inflammabilité, ou plutôt la décomposition de ce principe produit le feu élémentaire, la lumière, dont l’action devient sensible dans le phénomène de l’inflammation. Stahl ne croyait pas en effet que le feu élémentaire, la lumière, se combinassent immédiatement avec l’acide vitriolique pour faire du soufre, avec une chaux métallique pour faire un métal ; il regardait la substance qui se combinait comme étant déjà le produit, l’effet d’une première combinaison, qui échappait aux moyens et aux observations de l’art.
    On a trouvé depuis que dans les phénomènes où Stahl n’avait vu que la combinaison du phlogistique, il y avait dégagement d’un fluide aériforme qu’on nomme air vital, air déphlogistiqué ; et que ces phénomènes, qu’il expliquait par le dégagement du phlogistique, étaient accompagnés d’une combinaison avec ce même fluide. Quelques chimistes en ont conclu que le phlogistique n’existait point dans les corps : cette assertion nous paraît hasardée ; en effet la lumière qui est produite par l’inflammation appartenait ou au corps enflammé, ou à cet air nécessaire pour que l’inflammation ait lieu ; dans le premier cas, il faut reconnaître un principe particulier dans le corps inflammable ; dans le second, il faut le reconnaître dans cet air vital ; mais l’air vital ne paraît point se décomposer dans plusieurs de ces opérations : il semble donc plus probable que le phlogistique, c’est-à-dire le principe auquel est due dans ces phénomènes l’apparition de la lumière, appartient aux corps inflammables, comme Stahl l’a imaginé.
    On pourrait, d’après plusieurs expériences, regarder le fluide aériforme, qu’on nomme air inflammable, et qui détone avec l’air vital, comme étant le principe de Stahl ; mais d’autres expériences paraissent prouver que la lumière seule peut se combiner avec les corps, puisque la lune cornée, étant exposée aux rayons du soleil, et dans un flacon bouché, se colore en violet. Il faudrait, il est vrai, examiner si cet effet se produit dans le vide, ou sans que l’air du flacon soit diminué ou changé de nature. (K.) — Voyez, ci-après, la note 3 de la page 321.
  8. Cette septième loi n’existe pas. (D.)
  9. Ce n’est pas la couleur qui différencie les corps sous ce rapport ; c’est une propriété spéciale. Il y a cependant quelque pressentiment de la vérité. (D.)
  10. Ceci est une manière de dire que la raison dans laquelle le feu agit est dépendante de la nature des corps. Voltaire ne pouvait guère s’exprimer autrement, puisqu’il ne connaissait pas la diversité de capacité calorifique des corps. (D.)
  11. L’eau ne bout qu’à la température pour laquelle la tension de sa vapeur égale la pression qui s’exerce sur elle. C’est la même chose pour tous les liquides. (D.)
  12. La pression atmosphérique est sans influence sur la dilatabilité des corps. (D.)
  13. Ces méthodes, assez remarquables pour l’époque, sont sans précision et ne suffiraient pas aujourd’hui. (D.)
  14. M. de Voltaire n’a point publié les tables qu’il annonce ici ; ce fut vers ce temps qu’il renonça aux sciences physiques. (K.)
  15. Il y a là des effets composés de la conductibilité et de la capacité calorifique. Voltaire manquait des éléments nécessaires à l’appréciation de ces phénomènes. (D.)
  16. Il y a là une erreur manifeste, de typographie peut-être. Un bon thermomètre de Réaumur, entièrement plongé, marque 80°. (D.)
  17. Ces expériences sont curieuses ; elles tendent au même but que celles de MM. Scheele, Black, Crawford, dont nous avons déjà parlé. Elles prouvent que les différents corps, mêlés ensemble, ne prennent point la température qu’ils devraient acquérir si les particules de feu qu’ils contiennent s’y répandaient proportionnellement à leurs masses. (K.)
  18. En mettant à part ce qui est relatif à la propagation des incendies, il y a dans cette dernière partie le germe de la théorie des capacités calorifiques, découverte peu après. (D.)
  19. Le pabulum ignis ne peut être que le phlogistique de Slahl ; M. de Voltaire paraît le sentir. (Voyez la note 1 de la page 313.) L’expression qui contient le feu dans ses pores tient à la physique d’un temps où l’on ne savait pas assez distinguer une véritable combinaison d’un simple mélange. Ce n’est point que nous sachions en quoi consiste essentiellement ce que l’on nomme combinaison. En ce genre nous avons fait peu de progrès dans la connaissance des causes, des lois mécaniques des phénomènes, mais nous en avons fait d’immenses dans la connaissance des faits ; nous avons appris à les observer avec bien plus d’exactitude et de précision, et à en tirer des règles générales que l’on peut regarder comme des lois empiriques des phénomènes. (K.)
  20. Ce qui précède est du chaos hermétique. (D.)
  21. Ce n’est pas souvent, mais toujours. (D.)
  22. Tout ceci se ressent de l’imperfection de l’art expérimental et de l’ignorance de l’époque sur les phénomènes chimiques. (D.)
  23. Erreur. Que le lecteur n’essaye pas sans précaution. (D.)
  24. On a ignoré jusqu’à ces dernières années la cause de l’observation si ancienne que la présence de l’air est nécessaire pour que les corps puissent brûler. C’est depuis peu qu’on a découvert qu’une espèce d’air, le seul dans lequel la vie des animaux se conserve, est aussi le seul dans lequel les corps puissent brûler ; que dans la combustion il y a une grande quantité de cet air qui est absorbé, et qui se combine soit avec les parties fixes du corps inflammable, soit avec les parties volatiles ; que le feu s’éteint du moment où cet air, en se combinant, cesse de favoriser le dégagement de la matière ignée ; qu’un courant d’air augmente le feu, parce qu’il facilite ce dégagement en multipliant le nombre des parties de cet air qui touchent le corps embrasé, en sorte qu’en soufflant avec un courant de cet air dans son état de pureté on donne au feu une activité prodigieuse. Une masse d’air de l’atmosphère ne contient qu’environ un quart de cet air ; la combustion, la respiration, l’absorbent ; d’autres opérations de la nature le restituent. Sans cet équilibre, les animaux terrestres cesseraient bientôt de vivre. Il se dégage en grande quantité du nitre de la destruction de l’acide nitreux dont il parait une des parties ; c’est à la production rapide de cet air, et à sa propriété de détoner quand il est mêlé avec l’air inflammable qui se dégage des corps qui brûlent, que l’on doit attribuer les effets terribles de la poudre à canon, et en général de toutes les combinaisons semblables. (K.)
  25. Principe faux dans sa forme. Un petit feu a besoin d’air parce qu’il ne l’appelle pas assez par lui-même. Un grand feu en appelle beaucoup. (D.)
  26. Voltaire a ici le doigt sur la vérité. (D.)
  27. Il serait plus simple de dire que c’est parce qu’il n’y a plus d’air, et ce serait vrai. (D.)