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Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/21

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CHAPITRE XXI.


Considérations sur le commerce des Juifs ; quelles bornes on doit y mettre.


Bielfeld assure qu’un État commerçant ne sauroit tout-à-fait se passer de Juifs(1). Et pourquoi ne le pourroit-il pas ? Tyr & Carthage ont fleuri sans eux. Geneve, Brême, Ausbourg & Nuremberg n’en ont point, & même cette derniere ville ne les souffre pour quelques momens dans ses murs, que sous l’escorte d’une garde qui tranquillise le gouvernement sur leurs démarches. À Ausbourg, ils payent un florin par heure, à Brême, un ducat par jour. Ce raisonnement simple détruit en même temps l’assertion du Spectateur anglois, qui les considere comme les chevilles & les cloux absolument nécessaires pour lier les parties d’un grand édifice(2). Leurs fonctions mercantilles sont-elles de nature à ne pouvoir être exercées par d’autres mains ? Faut-il absolument tenir à la synagogue pour acheter des fonds de boutique, s’occuper à la friperie, & s’employer à la remonte de la cavalerie ?

On a demandé quelquefois s’il ne seroit pas expédient de leur interdire tout commerce. Ce seroit l’équivalent d’assassiner des malheureux qui, privés tout à coup du seul moyen qui leur reste pour avoir du pain, ne pourroient plus se sustenter que par le vol, au défaut du trafic.

Faudra-t-il aussi les aggréger au corps des Marchands ? Cette question qui, dans plusieurs Tribunaux a causé des débats forts aigres, eût été décidée facilement, si on n’avoit consulté que la raison & l’humanité. Celle-ci auroit invoqué la commisération en leur faveur, & l’autre auroit fait leur apologie. Elle auroit pu alléguer leur soumission aux Puissances, leur résignation dans le malheur, leur activité dans tout ce qui s’appelle commerce de détail(3) : avec autant de patience, de sobriété & d’économie que les Marchands arméniens, ils ont plus de sagacité pour épier l’occasion, pour la saisir.

Dans chaque pays il y a des branches de commerce, des manufactures abandonnées ou languissantes, & l’on supplée à la paresse nationale en important de chez l’étranger. Voilà de vraies mines d’or que le Juif, industrieux pour tout ce qui est lucratif, sauroit exploiter, outre l’avantage de leur fournir par-là des occupations & des moyens de vivre, pour peu qu’ils fussent encouragés par le ministere ; bientôt ils feroient baisser le prix des marchandises importées, & empêcheroient le numéraire de passer chez l’étranger. Mais lorsqu’enfin leurs ouvrages auroient acquis une supériorité décidée, ils voudroient peut-être tyranniser les acheteurs, en réglant les prix d’après leur avarice(4). Peut-être aussi que, sous prétexte de faire le cabotage ou d’exploiter leurs ouvrages, quelques-uns se livreroient au commerce interlope : dans ces deux cas on séviroit contr’eux, en rectifiant les loix trop peu séveres qui punissent le monopole, & les loix trop séveres qui punissent la contrebande.

Tant que les Juifs pourront subsister par le commerce & l’usure, ils le feront ; mais n’oublions pas qu’il est essentiel de les éloigner de cette route, & de les porter vers d’autres objets pour éteindre ou amortir en eux l’esprit d’usure : & si, pour opérer une révolution, on croit qu’il soit essentiel de le leur interdire, il faudra partir de la date de l’Édit promulgué, laisser un intervalle de quelques années pour les préparer à cette réforme ; mais alors il paroîtroit aussi juste que nécessaire, de ne pas y soumettre les individus mariés, ou qui, sans l’être, auroient vingt ans ; car le Juif lié à cet état ou parvenu parvenu à cet âge, a probablement formé son plan d’occupation pour la vie ; il a pris son pli, & vouloir le soumettre à la prohibition, ce seroit en pure perte torturer son génie, & peut-être renverser l’édifice de sa fortune.

L’Édit que nous avons proposé n’offre aucun de ces inconvéniens. 1°. Il leur laisse la liberté du commerce, en faisant les échanges à prix comptant. 2°. Il ne les expose pas à être frustrés de ce qui leur est dû, parce que n’ayant pas force rétroactive, il laisse subsister toutes les créances antérieures à sa promulgation ; & en le publiant, on reculeroit de quelques années le moment où il commenceroit à être en vigueur. Le Juif qui, dans un avenir peu éloigné verra les entraves préparées à son commerce, s’assurera d’autres moyens de fortune, quoiqu’on le dise ennemi du travail manuel, & son fils qui grandit, cherchera dans l’exercice d’un métier une subsistance assurée.

C’est ici le cas d’observer que dans les commencemens de la révolution, prudemment il faudroit leur interdire des occupations d’un certain genre, comme la tenue d’auberge, chose si commune en Pologne ; cet état facilite les manipulations pernicieuses, les falsifications de comestibles, il laisse trop à l’arbitraire les taxations de dépens, conséquemment, en leurs mains, il présenteroit une invitation à la fripponnerie, & prépareroit aux voyageurs des vexations pécuniaires & des dangers pour la santé. Éloignons-les encore de toutes fonctions qui les constitueroient receveurs d’impôts, gabelleurs, caissiers, douaniers, procureurs & autres qui donnent trop de facilité pour commettre des concussions, pour faire la maltôte & la contrebande, car il ne faut jamais perdre de vue le caractere du peuple qu’on se propose de rectifier.



(1) Institutions politiques. Par le Baron de Bielfeld, seconde partie.

(2) Spectateur anglois. T. 5, pag. 442 et suiv. Paris. 1756.

(3) V. à ce sujet un plaidoyer de M. Lacretelle fils. (Bruxelles 1775), en faveur de deux Juifs qui avoient levé des brevets pour le corps des Marchands de Thionville. Ce morceau, écrit avec chaleur, annonce justesse dans l’esprit et sensibilité dans le cœur.

(4) Il est toujours nouveau, ce vieux proverbe : qui trop embrasse, mal étreint. On attribue à la cupidité des Juifs insatiables, le dépérissement des manufactures de la Pologne, de ces pays bénis par la nature, dit M. Carosi. Voyages en Pologne. Leipzic. 1784.