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Eve Effingham/Chapitre 28

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Eve Effingham ou l’Amérique
Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 16p. 375-390).


CHAPITRE XXVIII.


Quant à moi, je ne m’en inquiète pas, je parle peu ; mais quand le moment en sera venu, bien des gens souriront.
Nym.



Quoique Paul et Ève Effingham ne se trompassent pas dans leur opinion du commérage, ils oubliaient tous une circonstance atténuante, qui, quoique venant d’une cause, différente, produit le même effet dans une capitale et dans une ville de province. Dans l’une comme dans l’autre, un événement qui sort de l’ordre ordinaire des choses fait pendant huit jours le sujet de toutes les conversations et de l’étonnement général ; au bout de ce temps il est oublié : dans une capitale, à force d’autres événements qui y succèdent ; dans une ville de province, à force d’en avoir parlé. Dès qu’on eut appris dans Templeton que M. John Effingham avait trouvé un fils dans M. Powis, tous les bruits, possibles s’y répandirent sur cette circonstance et y furent crus, comme Paul l’avait prévu avec raison, excepté la vérité. Ce fait, excita naturellement une surprise et une curiosité excusables dans l’esprit des personnes intelligentes et bien élevées ; mais, en général, elles se contentèrent de penser qu’il pouvait se passer dans une famille des choses dont elle n’était pas obligée de faire part à tous ses voisins. Ayant elles-mêmes quelque idée de la sainteté des affections domestiques elles savaient respecter les mêmes sentiments dans les autres ; mais c’était le petit nombre, et pendant huit jours tout le village fut dans un chaos de conjectures, d’assertions positives, de contradictions et de confirmations. Plusieurs élégants de village, qui n’avaient puisé leur connaissance du monde que dans la vallée où ils étaient nés, et qui avaient regardé avec mépris un jeune homme aussi doux, aussi tranquille et aussi réservé que Paul, parce qu’un tel caractère ne convenait pas au leur, ne pouvaient lui pardonner d’être le fils de son père ; de pareils commentateurs sur les hommes et les choses cherchent uniformément à tout rabaisser à leur propre niveau. Ensuite les deux mariages qui allaient avoir lieu au wigwam exercèrent aussi toutes les langues, non seulement du village et du comté, mais même de la grande cité, comme c’est la mode d’appeler l’amas confus de maisons en briques rouges, d’églises sans goût et de tavernes colossales qui se trouvent sur l’île de Manhattan ; la discussion des mariages étant le sujet de principal intérêt dans cette société si bien organisée, quand on y a épuisé celui des dollars, des vins et des lots de terre. Sir George Templemore fut métamorphosé en l’honorable lord George Templemore, et Paul, comme parent de lady Dunluce, fut décoré du titre d’héritier présomptif d’un duché. La préférence qu’Ève lui accordait fut attribuée, comme de raison, au goût aristocratique qu’elle avait pris en pays étranger, pendant le temps qu’elle y avait passé. Et c’était d’Ève qu’on parlait ainsi ! — d’Ève, de cette jeune personne dont les idées européennes, en lui apprenant à apprécier la réserve, le poli, le bon ton d’un état de société plus avancé, lui avaient appris en même temps à mépriser ce qui n’en est que le reflet et le clinquant ! Mais comme il n’y a pas de protection contre la calomnie, de même on ne peut raisonner avec l’ignorance.

Quelques individus composant la cohorte sacrée, et à la tête desquels se trouvaient M. Steadfast Dodge et mistress Abbot, traitaient cette affaire comme étant infiniment plus grave, et comme intéressant particulièrement toute la communauté.

— Quant à moi, monsieur Dodge, dit mistress Abbot dans une de leurs fréquentes conférences, environ quinze jours après l’éclaircissement rapporté dans le chapitre précédent, je ne crois pas du tout que Paul Powis soit Paul Effingham. Vous dites que vous l’avez connu sous le nom de Paul Blunt, quand il était plus jeune ?

— Certainement, Madame. Il était universellement connu sous ce nom autrefois, et l’on peut regarder comme une chose du moins extraordinaire qu’il ait successivement porté tant de noms. La vérité, mistress Abbot, si la vérité peut se connaître, ce que j’ai toujours soutenu être très-difficile dans l’état actuel du monde, c’est que…

— Vous n’avez jamais dit rien de plus juste, monsieur Dodge ! s’écria la dame, dont les sentiments impétueux attendaient rarement la fin d’une phrase pour s’exprimer ; — je ne puis jamais arriver à savoir la vérité sur rien. Vous pouvez vous rappeler que vous m’aviez donné à entendre que M. John Effingham devait lui-même épouser Ève ; eh bien ! voyez ! voilà qu’elle va épouser son fils.

— Elle peut avoir changé d’avis, mistress Abbot. Elle n’en sera pas moins riche, et elle épousera un homme plus jeune.

— Cela est monstrueux ! Je suis sûre que ce sera un soulagement pour tout le village quand elle sera mariée, que ce soit au père ou au fils. Maintenant, monsieur Dodge, savez-vous bien que je me suis creusé la tête à en mourir pour découvrir si véritablement ces deux Effingham n’étaient pas frères ? Je savais qu’ils se nommaient cousin John et cousin Édouard, et qu’Ève affectait d’appeler son oncle cousin John ; mais elle a tant d’affectation, et les deux vieillards ont pris tant d’habitudes étrangères, que je regardais tout cela comme une frime. Je me disais à moi-même, un voisinage doit connaître la famille d’un homme mieux qu’il ne peut la connaître lui-même, et tout le voisinage disait qu’ils étaient frères ; et voilà qu’il arrive après tout qu’ils ne sont que cousins.

— Oui ; je crois que pour cette fois la famille avait raison, et que le voisinage se trompait.

— Eh bien ! monsieur Dodge, je voudrais bien savoir qui a plus le droit de se tromper que le public ? Nous sommes dans un pays libre, et si le peuple ne peut quelquefois se tromper, à quoi lui sert sa liberté ? Nous sommes tous de malheureux pécheurs, pour ne rien dire de pire, et que peut-on attendre de pécheurs, si ce n’est qu’ils commettent des erreurs ?

— Vous êtes trop sévère pour vous-même, ma chère mistress Abbot, car chacun convient que vous êtes aussi exemplaire que dévouée à vos devoirs religieux.

— Oh ! je ne parlais pas particulièrement de moi-même, Monsieur ; je ne suis point égoïste quand il s’agit de pareilles choses, et j’abandonne volontiers mes imperfections à la charité de mes amis et de tous mes voisins. — Mais croyez-vous, monsieur Dodge, qu’un mariage entre Paul Effingham, — car je suppose qu’il faut l’appeler ainsi, — et Ève Effingham, puisse être légal ? Ne peut-on l’empêcher ? et si cela arrivait, sa fortune ne passerait-elle pas au public ?

— Cela devrait être, ma chère dame, et j’espère que le temps n’est pas éloigné où cela sera. Le peuple commence à connaître ses droits, et un siècle ne se passera pas sans qu’il les fasse valoir par le moyen de toutes les lois pénales nécessaires. Dès à présent, nous avons amené les choses au point que personne ne peut plus céder au désir aristocratique et égoïste de faire un testament, et croyez-en ma parole, nous ne nous arrêterons pas avant d’avoir conduit toutes choses où elles doivent être.

Le lecteur ne doit pas supposer, d’après le langage de M. Dodge, que ce respectable personnage était partisan des lois agraires, ou qu’il désirât voir s’effectuer un jour un partage égal de tous les biens. Possédant déjà lui-même plus qu’il ne fallait pour former la part d’un individu dans un partage général, il n’avait pas la moindre envie de diminuer sa fortune en la jetant dans la masse à diviser entre tous. Dans le fait, il ne savait ce qu’il voulait, mais il portait envie à tout ce qui était au-dessus de lui, et c’était là qu’il fallait chercher le secret de ses doctrines, de ses principes et de ses souhaits. Tout ce qui pouvait abattre ceux que leur éducation, leur fortune, leurs habitudes et leurs goûts plaçaient dans une position plus élevée que la sienne, lui paraissait juste et raisonnable ; tandis que la même manière de penser dans les autres à l’égard de tout ce qui pouvait lui être utile, était à ses yeux tyrannie et oppression. Les institutions de l’Amérique, comme toutes les choses humaines, ont leur bon et leur mauvais côté ; et quoique nous soyons fermement convaincu que le bon l’emporte sur le mauvais, quand on les compare à d’autres systèmes, nous n’arriverions pas au but que nous nous sommes proposé dans cet ouvrage, si nous ne mettions sous le plus grand jour un des résultats les plus évidents causés par l’entière destruction de toutes distinctions personnelles factices dans ce pays, et ce résultat c’est d’avoir développé bien plus activement que partout ailleurs le penchant général de l’homme à convoiter ce qu’un autre possède, et à décrier le mérite auquel il ne peut atteindre.

— Je suis charmée de vous entendre parler ainsi, dit mistress Abbot, dont les principes étaient d’une école aussi relâchée que ceux de son compagnon ; car je crois que, si l’on veut maintenir la moralité dans un pays, personne ne devrait avoir de droits que ceux qui ont de la religion. — Mais je vois passer ce vieux marin Truck, avec son compagnon de pêche le commodore, portant comme d’usage leurs lignes et leurs avirons, appelez-les, monsieur Dodge, car je meurs d’envie de savoir ce que le premier peut avoir à dire à présent sur ses chers amis Effingham.

M. Dodge fit ce qu’elle désirait, et les deux navigateurs, l’un du lac et l’autre de l’Océan, furent bientôt assis dans la petite salle de mistress Abbot, qu’on pouvait, appeler le foyer du commérage, près de ceux qui l’avaient jusqu’alors occupée tête à tête.

— Eh bien ! Messieurs, dit mistress Abbot aussitôt que tout le monde fut assis, après les petites politesses d’usage, voici des nouvelles merveilleuses. M. Powis est devenu M. Effingham, et il paraît que miss Effingham va devenir mistress Effingham. Les miracles ne cesseront jamais, et je regarde celui-ci comme un des plus surprenants de mon temps.

— Précisément, Madame, répondit le commodore en clignant de l’œil, et en faisant un geste avec le bras suivant sa coutume, et votre temps doit compter pour plus d’un jour. M. Powis a lieu de se réjouir d’être le héros d’une telle histoire. Quant à moi, je n’aurais pas été plus surpris si j’avais pris le sogdollader avec un hameçon à truite, amorcé seulement d’une pelure de fromage.

— J’entends dire, continua la dame, qu’on doute, après tout, que ce miracle soit un véritable miracle. On prétend que M. Powis n’est ni M. Powis, ni M. Effingham, et que c’est un M. Blunt. Savez-vous quelque chose à ce sujet, capitaine Truck ?

— Il m’a été présenté sous ces trois noms, Madame, et je le regarde comme une connaissance sous chacun d’eux. Je puis vous assurer en outre qu’il est A no 1, à quelque bordée que vous le preniez, et que c’est un homme qui sait garder la barre au vent au milieu de ses ennemis.

— Eh bien ! quant à moi, je ne regarde pas comme une grande recommandation d’être A no 1, ou no 2, ni d’avoir des ennemis. J’ose dire que vous, monsieur Dodge, vous n’avez pas un ennemi au monde.

— Je serais bien fâché de croire en avoir, mistress Abbot. Je suis l’ami de tout le monde, et particulièrement du pauvre, et par conséquent je pense que chacun doit être mon ami. Je regarde toute la famille humaine comme composée de frères, et tous les hommes doivent vivre ensemble comme tels.

— Cela est très-vrai, Monsieur, — tout à fait vrai. Nous sommes tous pécheurs, et chacun de nous doit voir avec indulgence les fautes des autres. Qu’importe qui épouse miss Effingham ? ce n’est pas mon affaire. — Ce n’est pas notre affaire, dis-je, monsieur Dodge ; mais, si elle était ma fille, je n’aimerais pas qu’elle eût trois noms de famille, et qu’elle conservât le sien par-dessus le marché.

— Les Effingham portent la tête très-haute, — reprit l’éditeur, — quoiqu’il ne soit pas facile de dire pourquoi ; mais c’est un fait, et pour de pareilles gens, plus ils ont de noms, mieux peut-être cela vaut-il. Pour moi, je les traite avec la condescendance que je montre à tout le monde ; car je me suis fait une règle, capitaine Truck, de me conduire envers un roi sur son trône, comme je le ferais à l’égard d’un mendiant que je rencontrerais dans la rue.

— Je vous comprends, — uniquement pour prouver que vous ne vous croyez pas au-dessous de ceux qui sont plus élevés que vous. Nous avons beaucoup de philosophes semblables dans ce pays.

— Précisément, dit le commodore.

— Je voudrais savoir, dit mistress Abbot, — car il y avait dans sa tête, ainsi que dans celle de M. Dodge, une confusion si complète, qu’elle n’aperçut ni ne sentit le sarcasme du vieux marin ; — je voudrais savoir, dis-je, si Ève Effingham a été réellement régénérée ?

— Ré… quoi, Madame ? demanda le commodore, qui ne se souvenait pas d’avoir jamais entendu ce mot ; car comme il passait les dimanches sur l’eau, où il adorait souvent Dieu du fond du cœur, il n’avait jamais eu occasion d’entendre le langage adopté par ceux qui se disent exclusivement religieux. — Tout ce que je puis vous dire, c’est que je n’ai jamais vu un plus joli esquif flotter sur les eaux du lac. Mais si elle a été réellement ré… ré… ressuscitée, c’est ce que je ne saurais assurer ; je n’ai même jamais entendu dire qu’elle ait été noyée.

— Oh ! mistress Abbot, s’écria l’éditeur du Furet Actif, les meilleurs amis des Effingham ne prétendront pas qu’ils soient religieux. Je ne voudrais pas être médisant, ni dire des choses désagréables sur mes voisins ; mais si j’étais obligé de parler sous serment, je pourrais déposer de bien des choses qui démontreraient irrésistiblement qu’aucun d’eux n’a jamais été saisi d’un accès d’enthousiasme ni d’une extase de piété.

— Vous savez, monsieur Dodge, combien je déteste la médisance, dit la dame charitable d’un ton affecté, et je ne puis tolérer une accusation en termes si généraux. J’insiste pour avoir des preuves de ce que vous avancez, et ces Messieurs se joindront sûrement à moi pour vous en demander.

En demandant des preuves, mistress Abbot ne voulait parler que d’allégations.

— Eh bien ! Madame, puisque vous exigez que je prouve ce que je viens de dire, j’y consens. D’abord ils prient Dieu sur un livre.

— Oui, oui, dit le capitaine Truck ; mais tous ceux qui ne sont pas de la congrégation de la Plate-Forme en font autant.

— Pardonnez-moi, Monsieur. Il n’y a que les catholiques et les membres de l’Église anglicane qui commettent cette impiété. — L’idée d’adresser à la Divinité une prière lue dans un livre, mistress Abbot, est particulièrement choquante pour une âme pieuse.

— Comme si le Seigneur avait besoin d’entendre une lecture ! Cela est fort mal, monsieur Dodge, j’en conviens ; car, en faisant les prières en famille, toute forme devient une moquerie.

— Sans doute, Madame. — Mais que pensez-vous de jouer aux cartes ?

— Aux cartes ! s’écria mistress Abbot levant les mains au ciel avec une sainte horreur.

— Oui, Madame ; avec ces infâmes morceaux de carton sur lesquels sont peintes des figures de rois et de reines. Ce n’est pas là un péché ordinaire, mistress Abbot ; car c’est incontestablement une pratique anti-républicaine.

— J’avoue que je ne m’attendais pas à cela. J’avais entendu dire qu’Ève Effingham était coupable de quelques indiscrétions ; mais je ne croyais pas qu’elle fût assez perdue à la vertu pour toucher à une carte. Ô Ève Effingham, Ève Effingham ! à quoi votre pauvre âme est-elle destinée !

— Ce n’est pas tout. Elle danse ! — Je suppose que vous saviez cela mistress Abbot dit M. Dodge, qui, voyant que sa popularité était un peu sur le déclin, s’était joint quelques semaines auparavant à la congrégation que cette digne dame fréquentait, et ne manquait pas de montrer le zèle d’un nouveau converti.

— Est-il possible ! s’écria mistress Abbot avec un redoublement d’horreur.

— Et non seulement elle danse, mais elle valse, dit le capitaine.

— Je l’ai vue de mes propres yeux, ajouta le commodore. Mais je crois de mon devoir de vous dire, mistress Abbot, que votre propre fille, votre fille aînée…

— Bianca Alzuma Anne ! s’écria la mère avec alarme.

— Précisément ; Bianca Alfuma Anne, continua le commodore, si c’est là son nom. Savez-vous que je l’ai vue, oui, vue, moi-même, faire quelque chose qui est bien pire que de danser ?

— Vous m’épouvantez, commodore ; que peut avoir fait une de mes filles qui soit pire que de danser ?

— Si vous voulez tout savoir, Madame, je crois qu’il est de mon devoir de vous le dire. Hier matin, entre sept et huit heures, j’ai vu Alfuma Anne, — le commodore ne savait véritablement pas le nom de cette jeune fille, — sauter à la corde. Je l’ai vue, Madame, aussi vrai que j’espère revoir le sogdollader.

— Et vous appelez cela pire que de danser ?

— Infiniment pire, suivant moi, Madame car c’est danser sans musique, et sans aucune grâce, — particulièrement de la manière dont miss Alfuma Anne s’en acquittait.

— Vous aimez à plaisanter, commodore ; sauter à la corde n’est pas défendu dans la Bible.

— Si je la connais bien, il n’y est pas défendu davantage de danser, ni même de jouer aux cartes, quant à cela.

— Mais c’est une perte de temps, — une perte coupable d’un temps précieux ; — c’est donner l’éveil à toutes les passions, et s’éloigner du droit chemin.

— C’est cela même ; miss Alfuma Anne allait chercher de l’eau à la pompe, — et j’ose dire que vous l’y aviez envoyée, — et elle perdait son temps. Et quant à donner l’éveil aux passions, elle n’a joui du plaisir de sauter qu’après que la fille de votre voisine et elle se furent disputé la corde en se prenant aux cheveux comme deux dragons. Croyez-en ma parole, Madame, il n’y manquait qu’un violon discordant pour en faire un péché de gros calibre.

Tandis que le commodore tenait ainsi mistress Abbot en échec, le capitaine Truck, après avoir averti son compagnon par un clin d’œil, s’occupait à jouer un tour pratique à la pieuse dame. Un des amusements de ces deux vétérans, qui étaient devenus amis déclarés, et qui ne se quittaient presque plus, était, après avoir péché autant de poisson qu’ils en désiraient, d’aller s’asseoir près d’une source, et d’y allumer, l’un son cigare et l’autre sa pipe ; et quand ils étaient las de discuter sur les hommes et les choses, ils se délassaient en faisant une partie de cartes sur une vieille souche qui leur servait de table. Le capitaine Truck avait dans sa poche le jeu qui leur avait servi dans tant d’occasions, ce qui était rendu incontestable par le fait que le dessus des cartes était marqué de tant de taches qu’il était presque aussi facile de les reconnaître de ce côté que de l’autre. Il montra ce jeu secrètement à son compagnon, et pendant que mistress Abbot était entièrement occupée de l’annonce qu’on lui faisait d’une faute grave commise par sa fille, il le glissa adroitement, as, rois, dames, valets et toute la pretintaille, dans le panier à ouvrage de cette dame. Dès qu’il eut réussi dans cet exploit, il fit un signe à son complice pour lui apprendre que le but de la conspiration était atteint. Alors le commodore commença à mettre peu à peu moins de chaleur dans sa controverse théologique, sans pourtant cesser de soutenir jusqu’à la fin que sauter à la corde était un péché, quoiqu’il fût possible que ce ne fût qu’un péché véniel. On ne peut guère douter que, s’il eût eu à sa disposition quelques phrases bien ourdies, et le talent de les appuyer par quelques textes tirés de la Bible, il aurait pu faire des prosélytes, et devenir le fondateur d’une nouvelle secte de chrétiens ; car tant que les hommes continueront à violer les commandements de Dieu les plus clairs, en ce qui concerne l’humilité, la charité et l’obéissance ; il paraît que rien ne leur fera plus de plaisir que d’ajouter au catalogue des offenses contre sa suprématie divine. Peut-être fut-il heureux pour le commodore, qui s’entendait parfaitement à amorcer et à jeter une ligne, mais qui avait coutume d’appeler ses poings à l’aide de ses arguments quand il se trouvait serré de trop près, que le capitaine Truck eût alors le loisir de venir à son secours.

— Je suis surpris, Madame, dit le vieux marin, qu’une femme menant une vie aussi sainte que la vôtre, puisse nier que sauter à la corde soit un péché ; car je regarde ce point comme décidé depuis cinquante ans par tous ceux qui partagent nos opinions religieuses. — Vous conviendrez qu’on ne peut bien sauter à la corde sans légèreté ?

— Légèreté, capitaine Truck ! J’espère que vous ne voulez pas donner à entendre qu’une fille dont je suis la mère ait montré des symptômes de légèreté ?

— Pardonnez-moi, Madame, car j’ai entendu dire que personne ne saute mieux qu’elle à la corde dans tout le village, et la légèreté est la principale qualité qui est nécessaire pour réussir dans cet art. Ensuite cet exercice ne consiste qu’à faire sans cesse et coup sur coup de « vaines répétitions » de la même chose, et les « vaines répétitions » nous sont défendues même dans nos prières. Je puis appeler les pères et les mères en témoignage de ce fait.

— Tout cela est du nouveau pour moi. Il faut que j’en parle à notre ministre.

— De ces deux exercices, sauter à la corde est celui qui me paraît le plus criminel ; car le son de la musique porte naturellement à danser, au lieu qu’il faut faire violence à l’esprit pour sauter à la corde. Commodore, notre heure est arrivée ; il est temps que nous mettions à la voile. Puis-je vous demander, mistress Abbot, la faveur de me donner un bout de fil pour attacher mon hameçon ?

Mistress Abbot prit son panier pour chercher du fil : elle ôta un morceau de calicot qui le couvrait, et le jeu de cartes fut la première chose qu’elle aperçut. Levant les yeux sur ses trois compagnons, elle vit qu’ils regardaient les cartes avec autant de surprise et de curiosité que s’ils n’eussent pas su comment elles se trouvaient là.

— Terrible ! s’écria-t-elle ; terrible ! terrible ! Les puissances des ténèbres ont été ici à l’ouvrage !

— Et elles paraissent avoir été fort occupées, dit le capitaine avec le plus grand sang-froid ; car je n’ai jamais vu sur le gaillard d’avant d’un navire un bâtiment qui eût l’air d’avoir fait tant de service.

— Terrible ! terrible ! terrible ! Cela vaut les quarante jours dans le désert, monsieur Dodge.

— C’est vraiment une croix difficile à porter, Madame.

— À mon avis, dit le capitaine, ces cartes ne sont pas pires qu’une corde à sauter, quoique je convienne qu’elles pourraient être plus propres.

Mais mistress Abbot n’était pas disposée à prendre les choses si légèrement. Elle vit la main du démon dans cette affaire, et elle s’imagina que c’était une nouvelle épreuve qu’elle avait à subir.

— Mais sont-ce véritablement des cartes ? s’écria-t-elle en femme qui se méfie du témoignage de ses sens.

— Bien certainement, Madame, répondit le commodore ; voici l’as de pique, fameuse carte à avoir quand c’est à vous à jouer le premier. — Voici aussi le valet de pique, qui, comme vous le savez, compte un point, quand le pique est atout. — Et voici toutes les autres. Je n’ai jamais vu un jeu de cartes plus complet.

— Ou plus complètement usé, ajouta le capitaine avec un ton de condoléance. Eh bien ! ma chère mistress Abbot, il ne nous est pas donné d’être parfaits, et j’espère que vous envisagerez cette affaire sous un point de vue moins sombre. Quant à moi, je soutiens que la corde à sauter est pire que le valet de pique, soit le dimanche, soit les jours ouvriers. — Allons, commodore, il faut nous arracher à cette bonne compagnie, ou nous ne verrions pas un brochet aujourd’hui.

Les deux vieux espiègles prirent alors congé de mistress Abbot pour se rendre sur leurs barques ; mais avant de partir, le capitaine lui offrit de la délivrer de la vue odieuse de ce jeu de cartes, dont il prévoyait qu’il aurait occasion de se servir, en lui promettant qu’il le jetterait consciencieusement dans la partie du lac où l’eau avait le plus de profondeur ; ce qu’elle accepta très-volontiers.

Quand les deux amis furent sur le lac, à une distance raisonnable du rivage, le commodore cessa tout à coup de ramer, fit un grand geste du bras, et se mit à rire à gorge déployée, en homme qui sentait qu’il n’avait plus besoin de se contraindre. Le capitaine Truck, qui venait d’allumer son cigare, se mit à fumer, et comme il se livrait très-rarement à une gaieté bruyante, il ne lui répondit que des yeux, secouant la tête de temps en temps avec un air de satisfaction, quand une idée plaisante ou burlesque se présentait à son esprit.

— Écoutez-moi, commodore, dit-il en lâchant une bouffée de fumée qu’il suivit des yeux tandis qu’elle s’élevait en petit nuage ; — ni vous ni moi, nous ne sommes de jeunes poulets ; nous avons étudié le monde, vous sur l’eau fraîche, et moi sur l’eau salée. Je ne dis pas laquelle des deux produit de plus grands savants, mais je sais que l’une et l’autre font de meilleurs chrétiens que le système du levier.

— Précisément. Je leur dis dans le village qu’il y a peu de chose à gagner en suivant un aveugle. C’est ma doctrine, Monsieur.

— Et je ne doute pas que ce ne fût une excellente doctrine, si vous y entriez un peu plus à fond.

— Eh bien ! Monsieur, je puis vous expliquer…

— Pas une syllabe de plus ; cela est inutile. Je sais ce que vous voulez dire aussi bien que si je l’avais dit moi-même. Vous voulez dire qu’un pilote doit savoir vers quel lieu il gouverne, et c’est une doctrine parfaitement saine. Ma propre expérience m’apprend que si vous appuyez le pied sur le nez d’un esturgeon, il le relèvera dès que vous cesserez de le presser. Or un levier élèvera sans doute un grand poids, mais relâchez-le, et vous voyez tomber tout ce qu’il soutenait. Je suppose que vous savez que ce M. Dodge a fait un ou deux voyages sur mon bord ?

— Je l’ai entendu dire. On assure qu’il s’est battu comme un tigre, comme un enragé contre les nègres.

— Oui, je sais que c’est ce qu’il dit de lui-même. Mais écoutez-moi, commodore, je désire rendre justice à chacun, et je vois que c’est à quoi on pense fort peu à terre : le héros de ce combat est celui qui va épouser votre charmante miss Effingham. D’autres que lui ont pourtant fait aussi leur devoir, et par exemple, M. John Effingham ; mais c’est Paul Blunt-Powis-Effingham qui a décidé l’affaire. Quant à M. Steadfast Dodge, je n’en dirai rien, si ce n’est pour ajouter qu’il n’a jamais été près de moi pendant l’action ; et s’il y avait en cette occasion quelqu’un qui fût comme un alligator affamé, c’était votre humble serviteur.

— Ce qui veut dire qu’il n’était pas très-près des ennemis j’en ferais serment devant un magistrat.

— Et sans crainte de parjure. Quiconque vit ce jour-là M. Effingham et M. Powis aurait pu jurer qu’ils étaient père et fils et quiconque n’a pas vu M. Dodge aurait pu affirmer qu’il n’était pas de la même famille. Voilà tout, Monsieur. Je ne parle jamais au désavantage d’un de mes passagers, et c’est pourquoi je me borne à vous dire que M. Dodge n’est pas un guerrier.

— On prétend qu’il a éprouvé depuis peu l’appel de la grâce, comme on le dit.

— Il en était temps, Monsieur, car, suivant moi, il a bien assez répondu à celui du péché. J’ai entendu dire que cet homme court tout le pays en cherchant à dénigrer ceux dont il n’est pas digne de dénouer les cordons des souliers ; mais qu’il y prenne garde, de peur que, par un jour de pluie, le monde ne voie un extrait d’un certain registre de loch, appartenant à un bâtiment nommé le Montauk. Après tout, commodore, je me réjouis de ce mariage, ou, pour mieux dire, de ces mariages ; car sir George Templemore et Paul Effingham doivent faire une double bouline de cette affaire demain matin, et dès que j’aurai assisté à la cérémonie, je pars pour New-York.

— Il est-donc bien prouvé que M. Powis est fils de M. John Effingham ?

— Aussi clairement qu’on voit la Grande Ourse par une nuit sans nuages. Le drôle qui m’a parlé le jour du « divertissement du feu » m’a mis en état de dissiper jusqu’au moindre doute, s’il pouvait en rester. M. Effingham lui-même, qui a tant de sang-froid et de circonspection, a déclaré que maintenant les preuves étaient suffisantes pour être admises par toute cour de justice en Amérique. Ce point doit donc être regardé comme décidé, et quant à moi, je m’en réjouis fort. M. John Effingham a longtemps passé pour un vieux garçon, et c’est un honneur pour le corps qu’un de ceux qui le composaient soit père d’un pareil fils.

En ce moment le commodore jeta l’ancre, et les deux amis commencèrent à pêcher. Pendant environ une heure leur conversation languit, parce qu’ils étaient entièrement occupés de leur pêche ; mais quand ils eurent pris une quantité suffisante de perches, ils débarquèrent près de leur source favorite, et allumèrent du feu pour faire griller leur poisson. S’asseyant ensuite sur l’herbe, ils se mirent avec ardeur à manger leur poisson et à avaler alternativement des rasades de punch, en reprenant leur entretien à leur manière philosophique, sentimentale et décousue.

— Nous sommes citoyens d’un pays étonnamment grand, commodore, dit le capitaine Truck après avoir vidé un verre étonnamment plein. Du moins c’est ce que tout le monde dit depuis le Maine jusqu’à la Floride, et ce que tout le monde dit doit être vrai.

— Bien certainement, général. Je suis quelquefois surpris qu’un si grand pays ait pu produire un si petit homme que moi. Une bonne vache peut avoir un mauvais veau, et cela explique l’affaire. Avez-vous, dans cette partie du monde, beaucoup de femmes aussi vertueuses et aussi pieuses que mistress Abbot ?

— Les montagnes et les vallées en regorgent. Vous voulez dire des femmes qui ont tant de religion, qu’elles n’ont pas de place pour autre chose ?

— Je regretterai jusqu’au jour de ma mort que vous n’ayez pas reçu votre éducation sur la mer. Si l’eau douce a pu développer en vous tant d’intelligence, que n’aurait pas fait l’eau salée ? Les gens qui tirent leur nourriture d’une cervelle et d’une conscience comme celle de M. Dodge, doivent aussi devenir avec le temps singulièrement clairvoyants.

— Précisément ses lecteurs vont bientôt plus loin qu’ils ne le pensent. Mais cela est peu important, Monsieur ; dans cette partie du monde, on ne conserve rien assez longtemps pour s’en servir à faire beaucoup de bien ou de mal.

— Comme les pêcheurs qui ont du guignon, général, et qui sont toujours prêts à chercher une nouvelle place pour pêcher. Je crois que, dans tout ce pays, vous ne trouveriez pas une douzaine de tombes de fils reposant à côté de leurs pères. Chacun semble avoir une aversion mortelle pour la stabilité.

— Il est difficile d’aimer un tel pays, commodore.

— Je n’ai jamais cherché à l’aimer. Dieu m’a donné une belle nappe d’eau qui convient à mes idées et qui fournit à mes besoins, un beau ciel, des montagnes couvertes d’une belle verdure, et je suis satisfait. On peut aimer Dieu dans un tel temple, même sans aimer aucune autre chose.

— Eh bien ! je suppose que si vous n’aimez rien, personne ne vous aime ; et il n’y a d’injustice d’aucun côté.

— Précisément, Monsieur. Chacun fait son idole de soi-même, quoiqu’un homme pressé dans la cohue puisse quelquefois être embarrassé pour savoir s’il est lui-même ou un de ses voisins.

— Je voudrais connaître vos sentiments politiques commodore. Vous m’avez parlé avec franchise sur tous les sujets possibles, excepté sur celui-là, et je me suis mis dans l’idée que vous étiez un vrai philosophe.

— Je ne me regarde que comme un enfant enveloppé de ses langes comparé à vous, général ; mais quelles que soient mes pauvres opinions, vous êtes le bien venu à les connaître. D’abord donc, Monsieur, j’ai vécu assez longtemps sur cette pièce d’eau pour avoir appris que chacun aime la liberté en sa propre personne, et qu’il a une secrète répugnance à en voir jouir les autres. Ensuite j’en suis venu à comprendre que le patriotisme signifie du pain et du fromage, et que l’opposition est « chacun pour soi. »

— Si la vérité était connue, commodore, je crois qu’on dirait que vous avez pêché ces idées à la ligne.

— Précisément. Après avoir été poussé de côté et d’autre sur terre ; après avoir usé de mes privilèges d’homme libre comme on me l’ordonnait, je me suis lassé de tant de liberté ; j’y ai renoncé, et je me suis retiré dans la vie privée, faisant à peu près ce que bon me semble sur ce lac, comme un pauvre esclave que je suis.

— Vous devriez être nommé président aux élections prochaines.

— Je dois mon émancipation actuelle au sogdollader. D’abord, j’ai commencé à raisonner sur ce M. Dodge, qui s’est jeté récemment, lui et son ignorance, dans ce village pour expliquer la vérité et faire voir la lumière aux aveugles. Eh bien ! me demandé-je à moi-même, si cet homme est l’homme que je sais qu’il est, peut-il être quelque chose de mieux qu’un éditeur de journal ?

— Vous vous faisiez une question délicate, commodore. Et comment y avez-vous répondu ?

— La réponse fut satisfaisante pour moi, Monsieur, si elle ne l’eût pas été pour d’autres : je ne lus plus son journal, et je ne m’en rapportai plus qu’à moi-même. Ce fut à peu près à cette époque que je vis le sogdollader tourner autour de mon hameçon, et au lieu de chercher à devenir un grand homme en montant sur les épaules des patriotes et des sages du pays, je tâchai de m’immortaliser en le pêchant à la ligne. Je vais pourtant aux élections, car je sens que c’est un devoir ; mais au lieu de permettre à un homme comme ce M. Dodge de me dire pour qui je dois voter, je donne toujours ma voix pour devenir homme public à celui qui aurait ma confiance comme particulier.

— Excellent. Je vous honore de plus en plus à chaque instant que je passe dans votre société. À présent, nous boirons à la santé de ceux qui vont devenir demain maris et femmes. Si tous les hommes étaient aussi philosophes et aussi savants que vous, commodore, la race humaine serait dans un meilleur chemin que celui qu’elle suit aujourd’hui.

— Précisément. Je bois à leur santé de tout mon cœur. N’est-il pas surprenant, Monsieur, qu’il soit au pouvoir de gens comme mistress Abbot et M. Dodge de préjudicier à des êtres tels que ceux du bonheur desquels nous venons de célébrer d’avance la commémoration ?

— Comment, commodore ! une mouche peut piquer un éléphant si elle trouve un point faible sur son cuir. Je ne comprends pas tout à fait moi-même l’histoire du mariage de M. John Effingham, mais nous voyons que le résultat en a été un beau garçon. Or je soutiens que quand un homme se marie tout de bon, il est tenu de l’avouer, aussi bien que tout autre crime, car il doit à ceux qui n’ont pas été aussi coupables que lui, de leur faire savoir qu’il ne leur appartient plus.

— Précisément. Mais nous avons dans cette partie du monde des mouches qui piqueraient à travers le cuir le plus dur.

— Cela vient de ce qu’il n’y a pas de gaillard d’arrière sur le vaisseau de votre société, commodore. À bord d’un paquebot bien organisé, tout ce qui concerne la pensée se fait sur l’arrière, et ceux qui désirent savoir où est le bâtiment sont obligés d’attendre que les observations aient été prises, ou de rester dans leur ignorance. Toute la difficulté vient du fait que, dans ce pays, les gens sensés vivent tellement séparés les uns des autres, que les sots ont une chance plus qu’égale. — Vous me comprenez, commodore.

— Précisément, répondit le vieux pêcheur en clignant de l’œil. Eh bien ! il est heureux qu’il se trouve quelques individus qui n’ont pas l’esprit aussi faible que les autres. Je suppose que vous serez présent à ce mariage, capitaine Truck ?

Le vieux marin cligna de l’œil à son tour ; il regarda autour de lui pour être sûr que personne ne pouvait l’entendre et appuyant un doigt le long de son nez, il répondit d’un ton beaucoup plus bas que de coutume :

— Je sais que vous pouvez garder un secret, commodore ; or, ce que j’ai à vous dire ne doit pas être répété à mistress Abbot, pour être publié comme à son de trompe. C’est un secret qu’il faut garder avec le même soin que les amorces qui sont dans votre boîte.

— Vous connaissez votre homme, Monsieur.

— Eh bien ! demain matin, dix minutes avant neuf heures, glissez-vous dans la galerie de la nouvelle église de Saint-Paul, et vous verrez la beauté et la modestie, qui ne sont jamais plus ornées que quand elles sont sans ornements. Vous comprenez ?

— Précisément. — Et il fit un geste du bras encore plus énergique que de coutume.

— Il ne nous convient pas à nous autres vieux garçons de montrer trop d’indulgence pour le mariage ; mais je ne serais pas heureux si je n’étais pas témoin de celui de Paul et d’Ève Effingham.

En ce moment, les deux amis reprirent du poil de la bête, comme le dit le capitaine Truck ; et leur conversation devint ensuite trop philosophique et trop grave pour cette humble relation d’événements et d’idées.