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Exégèse des Lieux Communs/149

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Mercure de France (p. 249-250).

CXLIX

Je ne veux pas mourir comme un chien.


Il est permis de se demander, et même de demander aux autres, pourquoi un homme qui a vécu comme un cochon a le désir de ne pas mourir comme un chien.

D’abord, qu’est-ce que mourir comme un chien ? D’après les autorités, cela consiste à quitter ce monde agréable, sans sacrements, et à s’en aller droit au cimetière, sans aucune cérémonie religieuse. Le Bourgeois qui ne veut pas mourir comme un chien doit donc faire venir un prêtre, le curé de la paroisse autant que possible, et lui parler de l’impôt sur le revenu, des avantages de la culture intensive du topinambour, des inconvénients du mastic dans les mâchelières de l’hippopotame ou de l’urgence d’une réforme carabinée dans l’enseignement obligatoire du Kamtchadale ; manifestation de foi chrétienne qui donne, après la mort, le droit de faire porter sa carcasse à l’église et d’être accompagné par un surplis jusqu’au cimetière, si la famille ne recule pas devant la dépense.

Tout cela, ai-je besoin de le dire ? est pour la galerie. On crève pour la galerie de façon à ne pas mourir comme un chien. Vous comprendrez ou vous ne comprendrez pas, mais tout est là.

— Je me fous de la religion, dit le grainetier, mais je ne veux pas mourir comme un chien.

La clientèle de la maison en dépend, si cette clientèle est bien pensante. Si elle ne l’est pas, l’intérêt de la maison exige, au contraire, que le patron crève comme un chien, mais le cas est rare dans les banlieues où on fait la noce.