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Excursion aux Antilles françaises/La Désirade

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H. Lecène et H. Oudin (p. 215-218).

LA DÉSIRADE.



Colomb naviguait, dit-on, depuis plusieurs jours sans découvrir aucune terre, et son équipage inquiet commençait à murmurer, quand soudain, le 3 novembre 1493, une île surgit de l’immensité des flots. Colomb la baptisa Deseada, la Désirée, d’où nous avons fait la Désirade. C’est ce que dit Pierre d’Avisy : « Soudain qu’il l’eut vue, il la nomma la Désirée, pour le désir qu’il avait de voir la terre. »

Et cependant l’aspect de cette terre n’était et n’est encore rien moins qu’enchanteur. Ce qui frappe en arrivant, ce sont les têtes grises des récifs, autour desquels l’eau forme de dangereux tourbillons. Puis le regard se porte sur les collines du centre, mais elles sont abruptes et désolées. On ne voit d’abord aucun arbre, et la vérité est qu’il en émerge fort peu du sol aride et sablonneux. Aussi, quand on s’éloigne de l’île, elle produit à peu de distance l’effet d’un immense navire rasé par la tempête.

La Désirade est située à 11 kilomètres nord-est de la Pointe-des-Châteaux, par 15° 57′ et 16° 31′ de latitude nord, 63° 32′ et 64° 9′ de longitude ouest. Elle a 2.600 hectares de superficie.

Signalons la Pointe du Nord, l’embouchure de la Rivière, ruisseau torrentueux, l’anse à Galet (le meilleur mouillage de l’île, bien qu’il soit bouleversé par de fréquents raz de marée), le bourg de la Grande-Anse, avec son petit port, enfin la baie Mahault, où se jette une rivière minuscule, qui a pourtant exercé une certaine influence dans les destinées de la colonie.

Cette rivière coulait autrefois à travers d’innombrables racines de gaïac ; les eaux, en s’imprégnant de leur suc, devenaient une sorte de tisane sudorifique naturelle, très efficace dans le traitement des maladies de peau, et notamment de la lèpre. Cela suffit pour procurer à la Désirade l’avantage ou l’inconvénient d’être transformée, dans le courant de 1728, en léproserie des Antilles.

Aujourd’hui les racines de gaïac n’existent plus, car on a eu la fâcheuse idée de les brûler pour faire de la chaux ; les lépreux, heureusement, ont aussi presque tout à fait disparu ; mais la léproserie dresse toujours au soleil sa petite chapelle et ses deux séries de cases parallèles. — Un médecin de la marine et quelques Sœurs de Saint-Paul de Chartres y donnent leurs soins à une centaine d’indigents des deux sexes.

La Désirade a 1.315 habitants : ils se livrent surtout à la culture du coton, favorisée par une sécheresse presque continuelle. Leurs ressources consistent encore dans la pêche, à laquelle ils se livrent avec ardeur, dans la récolte de quelques fruits assez estimés, dans l’élève des moutons et de la volaille ; la ponte des poules est très abondante, et l’on peut presque dire que les œufs sont la monnaie courante dans les achats de la vie usuelle.

Parmi les innombrables parasites de la mer que recueillent les Désiradiens, nous croyons de toute justice d’accorder une mention spéciale à un crabe particulier. On le désigne sous le nom de tourlourou, sans doute parce qu’il prend à la cuisson la couleur garance du pantalon de nos soldats. Le tourlourou habite des trous qu’il creuse au sommet des falaises. Quand la pluie a rempli d’eau leurs demeures, ces crabes se réunissent en bandes considérables pour descendre vers la mer ; leur marche produit un bruit formidable, qui s’entend à de très grandes distances, et que l’on peut, sans exagération, comparer au grondement d’un torrent en fureur.