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Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre II. Explication des autres béatitudes

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Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 258-259).
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CHAPITRE II.
EXPLICATION DES AUTRES BÉATITUDES.

4. « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre en héritage. » Cette terre, je pense, est celle dont parle le Psalmiste Vous êtes mon espérance, mon partage sur la terre des vivants [1]. » Le Seigneur entend ici un héritage solide, ferme, perpétuel, où l’âme trouve par ses lieuses affections le lieu de son repos, comme le corps le trouve dans la terre ; y puise son aliment, comme le corps l’emprunte à la terre ; et c’est le repos et la vie des saints. Or, les hommes doux sont ceux qui cèdent aux injustices, n’opposent point de résistance au mal, mais en triomphent par le bien[2]. Donc que ceux qui sont privés de cette vertu se querellent, qu’ils se disputent lesbiens terrestres et passagers ; mais « bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre en héritage » et cet héritage, personne ne les en dépouillera.

5. « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. » Le deuil est la tristesse causée par la perte des choses que l’on aime. Or ceux qui se convertissent à Dieu, perdent par là même tout ce qu’ils aimaient dans le monde ; car leur jouissance n’est plus où elle était autrefois, et jusqu’à ce que les biens éternels soient l’objet de leur affection, ils éprouvent une certaine tristesse. Ils seront donc consolés parle Saint-Esprit ; appelé pour cela Paraclet, c’est-à-dire Consolateur ; en sorte qu’en perdant les joies du temps ils goûtent celles de l’éternité.

6. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés. » Le Sauveur désigne ici ceux qui sont épris du bien vrai et immuable. Ils seront donc rassasiés de cette nourriture dont le Seigneur a dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père » en quoi consiste proprement la justice, et de cette eau dont le même Sauveur a dit : « Pour quiconque en boira, elle deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissante jusque dans la vie éternelle[3]. »

7. « Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. » Il appelle bienheureux ceux qui viennent au secours des malheureux, parce qu’en retour ils seront eux-mêmes délivrés du malheur.

8. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. » Qu’ils sont donc insensés ceux qui cherchent Dieu des yeux du corps, quand on le voit des yeux du cœur, ainsi qu’il est écrit : « Cherchez-le dans la simplicité de votre cœur[4] ! » Car un cœur pur n’est autre chose qu’un cœur simple ; et de même que la lumière ne peut être perçue que par des yeux purs, ainsi Dieu ne peut être vu si ce qui peut le voir n’est pur lui-même.

9. « Bienheureux les pacifiques ; parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu. » La perfection est dans la paix, qui exclut tout combat ; c’est pourquoi les pacifiques sont appelés enfants de Dieu, parce qu’en eux rien ne résiste à Dieu, et que les enfants doivent ressembler à leur Père. Or ceux-là sont pacifiques en eux-mêmes qui maîtrisent tous les mouvements de leur âme et les soumettent à la raison, c’est-à-dire à l’intelligence et à l’esprit, qui domptent tous les appétits de la chair, et deviennent le royaume de Dieu là où tout est réglé de telle sorte que la partie principale et la plus excellente de l’homme commande, sans éprouver de résistance, aux autres parties qui nous sont communes avec les animaux, tandis qu’elle-même, c’est-à-dire l’intelligence et la raison, reste soumise à une autorité plus grande, qui est le Fils unique de Dieu, la Vérité même. Car, on ne peut commander à des puissances inférieures, si l’on ne se soumet à une puissance supérieure. Et voilà la paix réservée sur la terre aux hommes de bonne volonté[5] ; voilà la vie d’un homme parfait et consommé en sagesse. De ce royaume, où la paix et l’ordre sont dans leur plénitude, est exclu le.princede ce siècle qui domine les cœurs pervers et rebelles à l’ordre. Cette paix intérieure une fois établie et consolidée, quelles que soient les tempêtes excitées par celui qui a été jeté dehors, elles ne font qu’augmenter la gloire qui est selon Dieu ; rien ne s’ébranle dans l’édifice ; et l’impuissance des machines dressées contre lui fait voir avec quelle solidité il est construit à l’intérieur. Voilà pourquoi on lit ensuite : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. »

  1. Psa. 141, 6
  2. Rom. 12, 21
  3. Jn. 4, 34.14
  4. Sag. 1, 1
  5. Lc. 2, 14