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Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre II. Hypocrisie. — Main gauche.

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Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 288-290).
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CHAPITRE II. HYPOCRISIE. – MAIN GAUCHE.[modifier]


5. « Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être honorés des hommes. » C’est-à-dire ne cherche pas, comme les hypocrites, à te faire un noie. Or il est clair que l’hypocrite n’a point dans le cœur les sentiments qu’il affecte aux yeux, des hommes. Car il simule, joue, pour ainsi dire, le rôle d’un autre, comme les acteurs au théâtre. En effet celui qui représente, dans une tragédie, Agamemnon, par exemple, ou tout autre personnage historique ou fabuleux, n’est point ce personnage même ; mais il fait semblant de l’être' et on l’appelle comédien. Ainsi quiconque, dans l’Eglise ou dans toute condition humaine, veut paraître ce qu’il n’est pas, est un comédien. Il feint d’être juste, et ne l’est pas réellement, parce qu’il place tout, son profit dans la louange humaine, que, les hypocrites peuvent, obtenir en trompant ceux à, qui ils paraissent, bons et en recevant leurs éloges. Mais de tels hommes ne reçoivent, du, Dieu qui lit dans les cœurs, d’autre récompense que la punition due à la fourberie : car, dit le Saveur, « ils, ont reçu » des hommes « leur récompense ;» et c’est avec, grande raison qu’on leur dira : Retirez-vous de moi, ouvriers de fraude ; vous avez porté mon nom, mais vous n’avez pas fait mes œuvres. Ceux-là donc ont reçu leur, récompense, quine font l’aumône que pour être honorés des hommes ; non pas précisément parce qu’ils sont honorés, mais parce qu’ils ont agi pour être honorés, ainsi, que nous l’ayons exposé plus haut. En effet la, louange humaine ne doit, pas être recherchée, par celui qui fait le bien, mais l’accompagner ; pour le ; profit de ceux qui peuvent imiter ce qu’ils louent, et non, pour que celui qu’ils louent croie tirer quelque profit de leurs éloges.
6. « Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite. » Si par main gauche vous entendez ici les infidèles, il vous semble qu’il n’y a pas de mal à chercher à plaire aux fidèles, bien : qu’on nous défende absolument de fixer, pour but et pour prix de nos bonnes œuvres, les louanges de qui que ce soit : Au, point de vue de l’imitation de la, part de ceux qui auront approuvé votre conduite, vous, ne devez pas être modèle pour les fidèles seulement, mais aussi pour les infidèles, afin que la vue de vos bonnes œuvres, objets de leurs éloges, les porte à honorer Dieu : et les attire au salut. Que si par main gauche vous entendez un ennemi, ce qui voudrait dire que votre ennemi doit ignorer votre aumône : pourquoi le Seigneur lui-même a-t-il guéri des hommes avec tant de bonté au milieu des Juifs ses ennemis ? Pourquoi l’apôtre Pierre, après avoir guéri par compassion le boiteux près de la porte appelée la Belle, a-t-il supporté la haine de ses entremis envers lui et envers les autres disciples du Christ[1] ? Enfin si notre ennemi doit ignorer notre aumône, comment la lui ferons-nous, à lui-même, en accomplissement de ce précepte : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire[2] ? »
7. Il y a là-dessus une troisième opinion d’hommes charnels, mais tellement absurde, tellement ridicule, que je n’en parlerais pas si je ne savais qu’elle est admise par un grand nombre. Ceux-là prétendent que la main gauche désigne ici l’épouse ; parce que, disent-ils, la femme tenant davantage à l’argent au sein du ménage, il faut que les hommes fassent l’aumône à leur insu, pour éviter les discussions domestiques. Comme si l’homme seul était chrétien, et que le commandement de l’aumône ne regardât point la femme ! Quelle sera donc la main gauche à qui la femme devra cacher ses œuvres de miséricorde ? L’homme sera-t-il la main gauche de la femme ? Ce serait la plus grande des absurdités. Et si on prétend que les époux sont l’un pour l’autre cette main gauche, si toute aumône faite par l’un du bien domestique contrarie l’autre, ce n’est plus là un mariage chrétien ; il faudra que celui des deux qui voudra accomplir, bon gré malgré, le précepte divin de l’aumône, blesse en même temps la volonté de Dieu, et soit rangé parmi les infidèles : car il est prescrit, en pareil cas, au mari fidèle de gagner sa femme par sa bonne conduite et ses mœurs, et à la femme pareillement à l’égard de son mari ; par conséquent ils ne doivent point se cacher naturellement leurs bonnes œuvres, qui doivent au contraire devenir entre eux une sorte d’invitation réciproque, un moyen de s’attirer à la foi chrétienne. Il ne faut pas non plus voler pour se concilier l’amitié de Dieu. Et s’il est nécessaire de cacher quelque chose, par égard pour l’infirmité du conjoint encore incapable de voir l’aumône de bon œil, en quoi il n’y a ni injustice ni péché ; cependant cette interprétation du mot main gauche ne s’accommoderait guère à l’ensemble du chapitre qui va, du reste, nous apprendre ce que le Christ a entendu par là.
8. « Prenez garde, nous dit-il, à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux ; autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux. » Il parle ici de la justice en général, puis il entre dans les détails. En effet l’aumône est une partie de la justice, et c’est pourquoi il ajoute immédiatement : « Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans la synagogue et dans les rues, afin d’être honorés des hommes » et ceci se rattache à ce qu’il a dit plus haut : « Prenez garde à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux. » De même ce qui suit : « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense » se rapporte à ce texte précédent : « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux. » Puis il continue : « Pour toi, quand tu fais l’aumône. » Que signifient ces mots : Pour toi, si non : à la différence d’eux ? Que me commande-t-il donc ? Pour toi, quand tu fais l’aumône, « que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite. » Donc les hypocrites agissent de manière à ce que leur main gauche sache ce que fait leur droite. On vous défend par conséquent de faire ce qu’on blâme en eux. Or ce qu’on blâme en eux, c’est d’agir en vue des louanges des hommes. Le sens le plus naturel de ce mot, main gauche, semble donc être le plaisir d’être loué ; tandis que la droite signifie l’intention d’accomplir les préceptes divins. Donc quand la recherche de la louange humaine se glisse dans la conscience de celui qui fait l’aumône, la gauche sait ce que fait la droite. Par conséquent, « que ta main gauche ne sache ce que fait ta droite » c’est-à-dire que le désir de la louange humaine ne se glisse point dans votre conscience, quand vous cherchez à remplir le précepte divin de l’aumône.
9. « Afin que ton aumône soit dans le secret. » Qu’est-ce dans le secret, sinon dans la bonne conscience elle-même, qui ne peut ni être rendue visible aux yeux des hommes, ni être manifestée par des paroles ? En effet beaucoup mentent de bien des façons. Par conséquent si la main droite agit à l’intérieur et en secret, à la gauche appartient l’extérieur, tout ce qui est visible et temporel. Que votre aumône soit donc dans votre propre conscience, où beaucoup la font par leur bonne volonté, quand ils n’ont pas d’argent ni autre chose à donner au pauvre. Mais beaucoup aussi la font au dehors, et non au dedans : ce sont ceux qui, par ambition ou par des vues temporelles, veulent paraître miséricordieux et en qui il faut croire que la gauche seule opère. D’autres tiennent une sorte de milieu entre ces deux extrêmes : ils font l’aumône en dirigeant leur intention vers Dieu, et cependant à ce but excellent se mêle un certain désir de la louange ou de toute autre chose fragile et passagère. Mais le Seigneur, qui ne veut pas même que la gauche se mêle en rien des œuvres de la droite, défend bien plus énergiquement de la laisser seule agir en nous ; afin que non seulement nous évitions de faire l’aumône uniquement par un motif temporel, mais encore qu’en la faisant, notre intention soit tellement dirigée vers Dieu qu’aucun désir d’avantages extérieurs ne vienne s’y mêler ou s’y joindre. Car il s’agit de purifier le cœur, qui ne peut être pur qu’à moins d’être simple. Or comment sera-t-il simple s’il sert deux maîtres, s’il ne purifie pas ses yeux parla contemplation des biens éternels, et les laisse s’obscurcir par l’amour des choses mortelles et fragiles ? Donc que ton aumône soit dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » Rien de plus juste ni de plus vrai. En effet si vous attendez votre récompense de Celui qui lit seul dans la conscience, que le témoignage de votre conscience vous suffise pour mériter ce prix. Beaucoup d’exemplaires latins portent : « Et ton, Père, qui voit dans le secret, te le rendra devant les hommes » mais comme cette expression devant les hommes, ne se trouve pas dans les exemplaires grecs, qui.sontles plus anciens, nous n’avons pas cru devoir nous y arrêter.

  1. Act. 2, 4
  2. Prov. 25, 21