Aller au contenu

Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Le Soleil et les Grenouilles (XII)

La bibliothèque libre.

XXIV

LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES[1]

Les filles du limon tiraient du roi des astres
Assistance et protection :
Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres,
Ne pouvaient approcher de cette nation ;
Elle faisait valoir en cent lieux son empire.
Les reines des étangs, grenouilles veux-je dire,
(Car que coûte-t-il d’appeler
Les choses par noms honorables ?)
Contre leur bienfaiteur osèrent cabaler,
Et devinrent insupportables.
L’imprudence, l’orgueil, et l’oubli des bienfaits,
Enfants de la bonne fortune,
Firent bientôt crier cette troupe importune :
On ne pouvait dormir en paix.
Si l’on eût cru leur murmure,
Elles auraient, par leurs cris,
Soulevé grands et petits
Contre l’œil de la nature.
Le soleil, à leur dire, allait tout consumer ;
Il fallait promptement s’armer,
Et lever des troupes puissantes.
Aussitôt qu’il faisait un pas,
Ambassades coassantes
Allaient dans tous les États :

À les ouïr, tout le monde,
Toute la machine ronde
Roulait sur les intérêts
De quatre méchants marais.
Cette plainte téméraire
Dure toujours : et pourtant
Grenouilles doivent se taire,
Et ne murmurer pas tant :
Car si le soleil se pique,
Il le leur fera sentir :
La république aquatique
Pourrait bien s’en repentir.

  1. Cette fable fut dirigée contre les Hollandais qui étaient hostiles à Louis XIV.