Figures dans la nuit (Tinayre)/Préface

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Figures dans la nuitCalmann-Lévy, éditeur (p. i-ii).


J’ai fait un voyage en rêve, non dans l’espace, mais dans le temps, non comme un archéologue ou un historien, mais comme un enfant crédule que tout émerveille. Sur mon chemin, au long des siècles obscurs, j’ai rencontré des figures étranges, qui sortaient de l’ombre, ébauchaient un geste, murmuraient une parole, et se confondaient à la nuit. D’où venaient-elles ? De la cendre des âges ou de mon désir secret ? Des feuillets moisis d’un livre ancien ou d’une émotion perdue ? La terrible visiteuse aux ongles dorés, la femme philosophe, la courtisane, les deux vieilles qui se remémorent leur jeunesse en mangeant des figues, le petit Frère mineur de la Verne, la Sirène caraïbe, le bon savetier limousin, dévot à saint Jean libérateur, les ai-je connus ou les ai-je inventés, ces fantômes ? Ma foi, lecteur, je n’en sais plus rien. Chacun, en passant, m’a jeté, tordues en couronnes, la Fantaisie et la Vérité. Les voici tout en fleurs et si fragiles, si bien nouées l’une à l’autre, que je ne te conseille pas de les démêler. Car il ne t’en resterait plus rien, qu’un peu de poudre à tes doigts et, par terre, des roses mortes…

M. T.