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Flambeaux éteints/Je cacherai ma flûte

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Flambeaux éteints
Flambeaux éteints : poèmesEdward Sansot & Cie (p. 35-38).


JE CACHERAI MA FLÛTE…


Pour Colette.


Je m’écoute, avec des frissons ardents,
Moi, le petit faune au regard farouche…
L’âme des forêts vit entre mes dents
Et le dieu du rythme habite ma bouche.

Dans ce bois, loin des ægipans rôdeurs,
Mon cœur est plus doux qu’une rose ouverte ;
Les rayons, chargés d’heureuses odeurs,
Dansent au son frais de la flûte verte.


Mêlez vos cheveux et joignez vos bras
Tandis qu’à vos pieds le bélier s’ébroue,
Nymphes des halliers ! — ne m’approchez pas !
Allez rire ailleurs pendant que je joue.

Car j’ai la pudeur de mon art sacré,
Et pour honorer la Muse hautaine,
Je chercherai l’ombre et je cacherai
Mes pipeaux vibrants dans le creux d’un chêne…

Parmi la tiédeur, parmi les parfums,
Je jouerai le long du jour, jusqu’à l’heure
Des chœurs turbulents et des jeux communs
Et des seins offerts que la brise effleure…

Je tairai mon chant pieux et loyal
Aux amants de vin, aux chercheurs de proie…
Seul le vent du soir apprendra mon mal
Et les arbres seuls connaîtront ma joie.


Je défends ainsi mes instants meilleurs…
Vous qui m’épiez de vos yeux de chèvres,
Ô mes compagnons ! allez rire ailleurs
Pendant que le chant fleurit sur mes lèvres.

Sinon, — je suis faune après tout, si beau
Que soit mon hymne, — et, bouc qui se rebiffe,
Je me vengerai d’un coup de sabot
Et d’un coup de corne et d’un coup de griffe.