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Frissons/Morte

La bibliothèque libre.
chez l’auteur (p. 41-45).
MORTE


Ces gens à deux genoux pleurent sur un cercueil.
Rendez-vous douloureux la chambre mortuaire.
Qu’éclaire faiblement un pâle luminaire,
A partout revêtu les emblèmes du deuil.


Le soupçon du néant aux hideuses rigueurs
Étend jusqu’aux objets son néfaste prestige ;
Dans un vase une fleur s’affaisse sur sa tige,
Et sa corolle bleue a de vagues langueurs :

Près d’une femme en pleurs au visage terni,
À l’ombre de rideaux de blanche mousseline,
Sous les traits d’une enfant un ange se devine,
Comme dans un ciel pur on pressent l’infini.


Tels ces jeunes rameaux qu’emportent les autans,
La vierge fut frappée au matin de la vie,
Quand elle embellissait, souriante et ravie,
D’une seizième fleur la couronne des ans.


À cet âge où la femme est ignorante encor,
Peut-être elle entendait, la blonde créature,
Le délire naissant que doucement murmure
Le souffle de l’amour dans un timide essor.


De l’amour ingénu qui se croit l’idéal
Et va partout chantant ses notes les plus claires,
Après s’être inspiré dans ces voûtes stellaires
Où la moindre parole a le son du cristal.


Hélas ! tout est fini : tel est l’arrêt du sort.
Cette enfant, qu’attendaient les plus aimables choses,
À la face livide et les paupières closes ;
Hier c’était la vie, aujourd’hui c’est la mort.

Adieu, rêves menteurs ! horizons éthérés !
Saintes illusions ! espérances naïves !
Adieu, rêves menteurs, dont les forces natives
Plongeaient avec amour dans des cieux azurés.


Les lugubres pensers et les gémissements
Redoublent tout-à-coup, car le timbre qui pleure,
À ces gens affolés vient de rappeler l’heure
Des suprêmes adieux aux noirs déchirements.


Le regard de la mère, abîmé dans son cours,
Se tourne tristement vers le lit de la morte,
El plonge dans le vide où le destin emporte
L’ange qu’elle voyait planer sur ses vieux jours.


Point de trêve à ses pleurs ! l’angoisse la poursuit…
Elle a les yeux hagards et bien haut se lamente,
À cet instant terrible où la tombe béante
Lui ravit son enfant pour l’éternelle nuit.


Des soupirs, des regrets, inutiles transports !
Au fond de tels sanglots il n’est point d’espérance,
Contre le doigt de Dieu nous avons l’impuissance,
Jamais les pleurs, hélas ! n’ont ranimé les morts…

LES YEUX DE MA FIANCÉE