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Fructidor (Pouget)

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Almanach du Père Peinard1894 (p. 23).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


FRUCTIDOR



Fructidor le bien nommé, nom d’une pipe ! La fruitaille fruitera par tous les coins : tandis que les malins déchausseront les patates, écosseront les haricots, ne sauront par quel bout commencer, les loufoques gauleront les raisins en place des noix, les niguedouilles vendangeront les escargots, les charognes encaisseront des marrons et les finauds suceront la poire aux pommes et aux bonnes bougresses.

Par exemple, ceux-là feront une sale gueule qui récolteront des vingt-huit jours ! Ils en seront tellement à cran que dans les manœuvres les gradés seront d’une riche prudence, se tenant à l’écart pour ne pas récolter de pruneaux.

D’autre part, les huîtres et les richards commenceront à rappliquer à la ville.

Le soleil musardera sous le signe de la vierge, et en fait de bégueules, faisant grise mine aux bécots, on ne verra guère que les laiderons et les bigotes.

Les braconniers n’auront pas attendu l’autorisance gouvernementale pour décrocher leur fusil, et ils n’auront foutre pas eu tort ! Les trous du cul brailleront qu’ils exterminent le gibier, ne lui laissant pas pousser poils et plumes. Qu’ils cessent de jérémier ! Il en sera de même aussi longtemps qu’on nous foutra des entraves aux pattes : du moment que les dirigeants interdisent quèque chose, c’est une raison pour sauter à pieds joints sur l’interdiction.

Les bidards qui cracheront 25 balles à l’État pourront massacrer cailles, perdreaux, lapins, sans craindre les charpentiers à Carnot. C’est-y leur permis qui offusquera le gibier ? Toujours est-il qu’ils n’en dégringoleront pas des flottes !

Plus heureuses seront les bonnes bougresses : elles feront une rude chasse aux puces, qui, cette année, abonderont à boisseaux. Eh crédieu, je vous réponds d’une chose, c’est que les veinards qui leur donneront un coup de main pour ce turbin galeux ne bouderont pas à la besogne.

Fructidor bouclera l’an 102 du calendrier révolutionnaire. Si les sans-culottes qui, il y a un siècle, le foutirent en chantier, revenaient, histoire de boire chopine avec nous, ils se ficheraient salement de notre fiole et nous engueuleraient comme un pied. À nous voir, revenus au vomissement du calendrier esclave, ils nous renieraient illico, ne voulant pas, dans nos têtes à gifles, reconnaître la bobine de leurs petits-fils.

Et nom de dieu, ils n’auraient pas tort de trouver que nous n’avons guère marché sur leurs traces ; s’ils n’étaient pas en plein dans l’axe, du moins les bougres étaient de leur siècle, tandis qu’il serait difficile de dire duquel nous sommes. Au lieu de sang, c’est du jus de navet, du pissat de richard qui gargouille dans nos veines.

Enfin, espérons qu’un de ces quatre matins, la moutarde nous montant au nez, nous rattraperons le temps perdu.