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Grammaire élémentaire de l’ancien français/Chapitre 1

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Chapitre premier

Observations générales


Le latin classique importé dans les colonies romaines subit, dans chacune de ces colonies, des modifications. Il se forma peu à peu une langue moins correcte que le latin classique et que l’on désigne sous la dénomination, assez impropre d’ailleurs, de latin vulgaire.

Ce latin nous est connu, en petite partie, par les inscriptions et par des textes du VIe, VIIe et VIIIe siècles (lois des Barbares ou Germains, formules de notaires, etc.).

Le latin vulgaire différait du latin classique dans les formes de la déclinaison et de la conjugaison, dans la syntaxe et dans le vocabulaire.

On déclinait par exemple corpus, corpi, corpo (au lieu de corpus, corporis, corpori), capus, capi, capo (au lieu de caput, capitis, capiti) ; on disait au nominatif pluriel de la 1ère déclinaison rosas au lieu de rosae et on faisait de folia (pluriel neutre de folium) un féminin singulier folia, foliæ, etc.

Dans la conjugaison on disait : morit pour moritur, partit pour partitur, sequit pour sequitur, sum amatus pour amor, habeo scriptum pour scripsi, etc.

Dans le vocabulaire les différences étaient nombreuses entre le latin littéraire et le latin vulgaire : on disait, en Gaule, caballus au lieu de equus, tabula au lieu de mensa, mansio ou hospitale au lieu de domus, villa au lieu de urbs, etc.

Parmi les verbes on peut citer cambiare au lieu de mutare, desiderare au lieu de optare, adjutare au lieu de adjuvare, carricare au lieu de onerare, cooperire, deoperire pour aperire, minare[1] pour ducere, etc.

En syntaxe la conjonction quod est employée dans les phrases où le latin classique mettait l’infinitif avec un accusatif sujet : credo Deum esse sanctum devient en latin vulgaire : credo quod Deus est sanctus.

Le français dérive, pour la plus grande partie de son fonds, du latin. Toutes les théories qui ont essayé de le faire dériver d’une autre source, par exemple du celtique, sont radicalement fausses. Les noms d’origine celtique sont au contraire assez rares[2]. Parmi les principaux on peut citer : aloue (dim. alouette), arpent, bec, benne, brait, breuil, chemise, char, charrue, cervoise, grève, jarret, petit ; peut-être chemin, jambe, soc.

Les éléments germaniques sont plus importants : beaucoup se rapportent à la guerre, comme : guerre, guaite et guet, herberge (plus tard auberge; camp), maréchal; armures : brant, épieu, estoc ; équipement : haubert, heaume, éperon, gonfanon, bannière, étrier ; autres mots : alleu, fief, gage, bliaut ; gant, robe ; échanson, échevin ; verbes : fourbir, fournir, garantir, guerpir, garnir, saisir, etc.[3]

Le grec a fourni quelques éléments, surtout à l’époque des croisades.

Nous avons emprunté aussi quelques mots à l’italien et à l’espagnol, aux XVIe et XVIIe siècles (termes militaires surtout : bastion, escarpe, capitaine, caporal, escadre, colonel, etc.).

Dialectes.

L’ancien français n’est pas une langue uniforme : il comprend plusieurs dialectes très importants, illustrés par des œuvres littéraires, et dont quelques-uns présentent entre eux de grandes différences : les dialectes wallons et lorrains, qui ont plusieurs traits communs ; le normand, l’anglo-normand écrit en Angleterre jusqu’au XIVe siècle, et le picard ; le bourguignon; le champenois; le francien, ou dialecte de l’Île de France ; c’est de ce dernier qu’est sortie, après de nombreuses transformations, la langue française moderne ; c’est le francien, tel qu’il existait aux XIeXIIIe siècles, qui sera principalement l’objet de cette étude.

L’ensemble de ces dialectes formait la Langue d’Oïl. La Langue d’Oc comprend les dialectes gascons, limousins, languedociens, provençaux, etc.

On appelle moyen français le français écrit aux XIVe et XVe siècles. L’ancien français est le français écrit du IXe siècle à la fin du XIIIe.

Les plus anciens textes français.

Les plus anciens textes français sont : les Serments de Strasbourg (en 842) ; la Cantilène de Sainte Eulalie (aux environs de 881 ; 29 vers) ; l’Homélie sur Jonas (première moitié du Xe siècle, « curieuse épave de la prédication en langue vulgaire »[4]) ; le poème de la Passion (129 strophes de quatre vers) et la Vie de Saint-Léger (240 vers) (deuxième moitié du Xe siècle, avec des formes méridionales dues au scribe) ; la Vie de Saint Alexis, texte intéressant au point de vue linguistique et littéraire (vers 1040 ; 625 vers en strophes de cinq vers de dix syllabes) ; le Pèlerinage de Charlemagne (vers 1060); la Chanson de Roland (vers 1080[5]).

Les voyelles en latin vulgaire.

Le latin classique avait les cinq voyelles suivantes (longues et brèves) :

ā et ă
ē et ĕ
ī et ĭ
ō et ŏ
ū et ŭ

Dans le latin vulgaire[6] la notion de timbre a remplacé celle de longueur ou de brièveté. Les voyelles ne sont plus longues ou brèves, mais ouvertes ou fermées. Voici un tableau de correspondance des voyelles du latin classique et de celles du latin vulgaire.

Lat. vulg. Lat. clas.
a (ā et ă)
(ē et ĭ, ainsi que œ)
ę (ĕ et æ)
(ō et ŭ)
ǫ (ŏ)
i (ī)
u (ū)

Ainsi on ne divise pas les voyelles du latin vulgaire en voyelles brèves et longues, mais en voyelles ouvertes et fermées.

Les voyelles fermées les plus usuelles sont et ; les principales voyelles ouvertes sont ę et ǫ. D’importants changements phonétiques se produisent selon que les voyelles sont ouvertes ou fermées.

Voyelles libres et entravées.

La voyelle est libre quand elle est suivie d’une seule consonne : mare, soror, pater, ou de deux consonnes dont la 2e est r ou l ; patre, cathedra, capra, etc. ; ou enfin d’une voyelle : me-a, tu-a[7].

La voyelle est entravée quand elle est suivie de deux ou plusieurs consonnes. Ex. : rupta > route, calcem, rumpo, dormio, etc.

En général l’entrave a une action conservatrice et la voyelle ne change pas.

L’entrave peut être latine ou romane ; ou plus exactement primaire ou secondaire.

Spissum, partem, noctem, mentem, etc., sont des exemples de la 1re catégorie.

Anima devenu an’ma, anma dans le latin vulgaire, feminafemna, dominadomna, *soliculumsoliclum, viridemvirdem, dubitaredubtare, etc., sont des exemples de la 2e catégorie.

En général les effets de l’entrave, qui consistent à empêcher la transformation de la voyelle entravée, sont les mêmes, que l’entrave soit latine ou romane.

Accent.

L’accent, a dit le grammairien latin Diomède, est l’âme du mot. Il est resté en général, dans les langues romanes, à la place qu’il occupait dans le latin vulgaire. L’accentuation du latin vulgaire elle-même ne différait que sur quelques points de celle du latin classique : ainsi on accentuait en latin vulgaire bátt(u)ere > battre, au lieu de battúere, cóns(u)ere > cousre, cousdre, coudre, au lieu de consúere; filiólus > filleul (lat. cl. filíolus), muliérem > a. fr. moillier (esp. mujér) (lat. cl. mulíerem), etc.

Les mots latins de deux syllabes sont accentués sur la première : rósa, témplum, sóror, cánem > fr. temple, rose, sœur, chien.

Les mots de trois syllabes et au-dessus sont accentués :

  1. sur l’avant-dernière (ou pénultième, du mot latin pænultimus, qui signifie : presque dernier, avant-dernier) quand cette avant-dernière voyelle est longue en latin classique :
Ex. :
  • sorṓrem > a. fr. serour ;
  • favṓrem > faveur ;
  • vicī́num > voisin ;
  • divī́num > devin, etc.
  1. sur l’antépénultième (c’est-à-dire sur la troisième syllabe en partant de la fin du mot) quand l’avant-dernière voyelle est brève en latin clasique.
Ex.:
  • cárcĕrem > a. fr. chartre ;
  • fémĭnam > femme ;
  • ásĭnum > âne ;
  • júvĕnem > jeune, etc.

Traitement de la partie posttonique du mot.

La voyelle de la syllabe atone finale des mots latins accentués sur l’avant-dernière syllabe (pénultième) tombe, sauf quand elle est un a.

Ex. :

  • bonum[8] > bon ;
  • fidem > foi ;
  • homo > hom, on ;
  • manum > main ;
  • manére > manoir ;
  • amáre > amer, aimer ;
  • amárum > amer (adj.), etc.

Mais, avec a final :

  • causam > chose ;
  • cantat > chante ;
  • amat > aime, etc.

Dans les proparoxytons (mots accentués sur la 3e syllabe en partant de la fin du mot) la voyelle placée entre la syllabe accentuée et la syllabe finale tombe[9] :

Ex. :

  • másculum > masle, mâle ;
  • ténerum > tendre ;
  • préndere > prendre ;
  • presbíterum > preveire (prêtre) ;
  • véndere > vendre ;
  • pérdere > perdre ;
  • pónere > pondre ;
  • tráhere > traire, etc.

Quand, par suite de la chute de la voyelle finale, le mot français n’aurait pu se terminer que par un groupe de consonnes difficile à prononcer, un e sourd à l’origine, plus tard muet ou féminin, se maintient à la finale.

Ex. :

  • templum > temple ;
  • intro > entre ;
  • fratrem > frère (a. fr. fredre) ;
  • patrem > père (a. fr. pedre) ;
  • insimul > ensemble, etc.

Partie protonique du mot.

Quand la partie protonique du mot ne contient qu’une syllabe (amáre, portáre) cette syllabe reste.

Quand la partie protonique se compose de deux ou plusieurs syllabes, cette première partie du mot est considérée, au point de vue de l’accentuation, comme formant un mot isolé : elle a une tonique qu’on appelle contretonique ou accent second[10] et une finale qu’on appelle contrefinale.

Ex. :

  • dórmi-tórium > dortoir ;
  • civi-tátem > cité ;
  • bóni-tátem > bonté ;
  • véri-tátem > verte, fr. mod. vérité, forme refaite.

Les contrefinales sont traitées comme les finales : elles ne se maintiennent que si la syllabe contient un a ou si le groupe de consonnes était imprononçable.

Ex. :

  • cére-vísiam > cervoise ;
  • *móne-stérium (lat. cl. móna-stérium) > moustier ;
  • *vérvi-cárium > berger.

Mais avec a :

  • cánta-tórem > chante-or (plus tard chanteur) ;
  • impéra-tárem > empere-dor, empereur ;
  • sácra-méntum > a. fr. saire-ment, serment ;
  • árma-túram > arme-üre, armure.

Avec un groupe de consonnes difficiles à prononcer :

  • *quádri-fúrcum > carrefour ;
  • látro-cínium > ladre-cin, larre-cin, larcin ;
  • *cápri-fólium > chèvrefeuil ;
  • *pétro-sílium > pedresil, persil.


Vocalisme

Voyelles toniques ou accentuées

Le changement des voyelles dépend principalement de l’accent. Certaines voyelles toniques se sont diphtonguées en passant du latin au français ; les voyelles atones non, sauf dans des cas d’analogie.

Deux consonnes exercent une grande influence sur les voyelles avec lesquelles elles sont en contact : n et surtout la semi-voyelle y (appelée yod).

Les règles phonétiques ou plutôt les lois sont rigoureuses ; les nombreuses exceptions apparentes s’expliquent par des faits d’analogie, d’emprunts à d’autres langues, etc. On appelle mots savants ou mots d’emprunt les mots empruntés plus ou moins directement au latin ou au grec (et aussi aux langues modernes); ils ont été francisés sans se soumettre aux lois régulières de la phonétique : ainsi monasterium donne la forme populaire moustier et la forme savante monastère; on appelle ces doubles formes doublets.

A

A tonique libre devient e (pour le son de cet e, cf. infra, prononciation).

Ex. :

  • clarum > cler ;
  • cantare > chanter;
  • mare > mer ;
  • parem > per ;
  • alam > ele ;
  • fabam > fève ;
  • amatam > amée, etc.

Clair, pair, aile sont des formes refaites à la Renaissance; a a été rétabli d’après le latin (clarum, parem, alam).

Quand a tonique est suivi de m, n, il se dégage un i provenant de ces consonnes ; le résultat est la diphtongue nasalisée ain, prononcée depuis le xiie siècle ein avec e ouvert.

Ex. :

  • amo > j’aim ;
  • clamo > je claim ;
  • famem > faim ;
  • manum > main ;
  • panem > pain ;
  • granum > grain ;
  • planum > plain ;
  • plangere > plaindre ;
  • frangere > a. fr. fraindre, etc.

Le suffixe -álem a donné -el, comme le montrent les formes mortalem > mortel ; *missalem > missel ; cf. encore talem > tel ; qualem > quel ; mais on trouve de nombreuses formes en al (égal, royal, loyal, etc.), qui n’appartiennent pas sans doute à l’ancien fonds de la langue. On trouve mel (malum) à côté de mal; animal est emprunté au latin. Beaucoup de mots savants ou de mots d’emprunt ont gardé l’a : étable, fable, table[11], adjectifs en -able : aimable, coupable, etc.; état, pape, candélabre, etc.


Le suffixe -árium donne -ier :

  • primarium > premier ;
  • *caballarium > chevalier ;
  • *prunarium > prunier ;
  • *pomarium > pommier, etc.


Le suffixe -ánum devient -ien quand il est précédé de i ou d’une consonne palatale (c, g).

Ex. :

  • christi-anum > chresti-ien, chrétien ;
  • medi-anum > moyen ;
  • decanum > dei-ien, doyen ;
  • paganum > pai-ien, païen.

De même c devant a tonique libre le diphtongue en .

Ex. :

  • canem > chien ;
  • *capum > chief, chef ;
  • carum > chier, cher ;
  • capram > chièvre[12].

D’une manière générale quand a, tonique libre à l’intérieur d’un mot, est précédé soit immédiatement, soit dans la syllabe placée devant lui, d’un i ou d’un j, c, g, il se diphtongue en ie; cela se produit surtout aux infinitifs de la 1ere conjugaison. Cette diphtongue ie, s’est réduite à e (é) pendant la période du moyen français (xivexve siècles) ; elle a persisté dans quelques mots comme amitié, moitié, pitié, chien.

Ex. :

  • *vervicarium > bergier, berger ;
  • *leviarium > légier, léger ;
  • *abbreviare > abrégier ;
  • judicare > jugier ;
  • baptizare > batisier ;
  • vindicare > vengier ;
  • clericatum > clergiet ;
  • delicatum > delgiet (fr. mod. délicat) ;
  • peccatum > pechiet ;
  • peccare > pechier ;
  • dignilatem > deintiet (dignité) ;
  • pietatem > pitiet ;
  • *circare > cerchier (chercher) ;
  • predicare > prechier ;
  • vocare > vochier (appeler), etc.

Enfin lorsque a tonique et libre précédé d’une palatale se trouve suivi de c, il devient i (ou y) par la réduction d’une triphtongue hypothétique iei (ie représentant a diphtongué et i provenant de c).

Ex. :

  • jacet > *gieist > gist, gît ;
  • Clipiacum > *Clichiei > Clichy ;

ainsi s’expliquent les nombreuses formes en y ou i des noms de lieux : Ghauny, Choisy (Cauciacum), Joigny (Gauniacum), Juvigny (Juviniacum), etc.

A peut être en contact avec u, par suite de la chute d’une consonne intermédiaire ; le groupe au ainsi produit devient ou (à l’origine óu, diphtongue).

Ex. :

  • fagum, fa(g)um > fou (hêtre ; cf. fouine) ;
  • clavum > clou ;
  • Andega(v)um > Anjou ;
  • Picta(v)um > Poitou ;
  • habuit, a(b)uit > óut (il eut) ;
  • sapuit, sa(p)uit > sóut (il sut).

De même a peut être en contact avec le groupe ui, par suite de la chute d’une consonne intermédiaire ; cela arrive à la 1re personne du prétérit de certains verbes (cf. la conjugaison). On a dans ce cas la diphtongue ói.

Ex. :

  • ha(b)ui > ói (j’eus) ;
  • sa(p)ui > sói (je sus);
  • pla(c)ui > plói (je plus), etc.

A tonique entravé se maintient.

Ex. :

  • árborem > arbre ;
  • marmor > marbre ;
  • partem > part ;
  • cárcerem > chartre ;
  • cantat > chante.
E fermé

E fermé provient de ē et de ĭ du latin classique (quelquefois, mais rarement de la diphtongue œ).

E fermé tonique libre se diphtongue à l’origine en ei (en passant probablement par éé); ei devient au xiiie siècle oi (prononcé óï, en une seule émission de voix) ; oi devient ensuite (xivexve siècles) et oué (xviexviiexviiie siècles) et passe enfin dans les temps modernes à oua.

Ex. : fẹ́dem > fei (xexiie siècle), foi (l’orthographe n’a pas varié depuis le xiie siècle, mais la prononciation a changé : foé, foué (encore au xviiie siècle), foua, prononciation actuelle).

Cf. encore tẹ́lam > teile, fr. mod. toile ; fẹnum > fein, foin ; avẹna > aveine, avoine ; habẹre > aveir, avoir ; sapẹre (pour sápĕre) > saveir, savoir, et autres infinitifs en -oir.

Mẹ, tẹ, sẹ > mei, tei, sei ; moi, toi, soi.


E fermé tonique suivi de n s’est arrêté ordinairement au stade ei : pœnam > peine ; sẹnum (lat. cl. sĭnum) > sein ; plẹnum > plein ; vẹnam > veine ; cf. cependant plus haut foin, avoine, qui ont un traitement différent de sein, veine et qui sont peut-être des formes dialectales. Cf. encore mẹnus (lat. cl. mĭnus) > moins.


E fermé tonique précédé de c donne i et non ei, oi.


Ex. :

  • cẹram > cire ;
  • mercẹdem > merci ;
  • placẹre > plaisir ;
  • licẹre > loisir.


L’a. fr. connaissait aussi tacẹre > taisir ; cf. placẹre > plaisir. On admet que ce changement de e en i s’est produit, sous l’influence de c, par l’intermédiaire d’une triphtongue iei, dans laquelle l’élément du milieu a disparu (le français n’ayant pas conservé de triphtongues) et les deux i se sont fondus en un seul.


Dans certains cas tonique était déjà passé à i en latin vulgaire : ceci se produisait lorsque, dans un mot accentué sur l’avant-dernière syllabe, la syllabe finale se terminait par un ī long : sous l’influence de cet i long final tonique se transformait en ī.

Ex. : *quaesi pour quaesivi du latin classique est devenu en latin vulgaire *quīsī, d’où le fr. quis (de quérir : cf. je requis, j’acquis, je conquis).

De même *prẹsī (au lieu de prendidi du lat. cl.) est devenu prīsī, d’où le fr. pris. Cf. infra les conjugaisons.

Cf. encore en syllabe fermée ĭllī — ou ẹllī en latin vulgaire — devenu īllī sous l’influence de ī long final et aboutissant au fr. il et non el : de là les formes nennil < non illī et oïl < hoc illī.


E fermé entravé ne change pas, conformément à la loi générale : mais il a pris le son ouvert (è).


Ex. :

  • mĭtteremẹ́ttere > mettre ;
  • vĭridem, vẹ́r’dem > vert ;
  • *solĭculum, lat. vulg. solẹ́c’lum > soleil ;
  • *parĭculum, parẹ́c’lum > pareil ;
  • vermĭculum, vermẹ́c’lum > vermeil.
E ouvert

E ouvert tonique (provenant de ĕ, ae du latin classique) se diphtongue en .

Ex. : hęri > hier ; pędem > pied; bręvem > a. fr. brief ; fębrem > fièvre ; lęporem > fièvre ; fęrit > il fiert (il frappe, du verbe férir[13]) ; fęrum > fier ; quęrit (lat. cl. quaerit) > il quiert (de quérir ; cf. requiert, conquiert, acquiert) ; tęnet > tient ; vęnit > vient ; ręm > rien ; bęne > bien ; caelum > ciel ; fęl > fiel ; męl > miel ; męlius > mielz, fr. mod. mieux.

Lorsque ę était suivi d’un yod (j, i) ou d’une consonne palatale (c, g), il formait avec ce yod ou l’i qui provenait de la palatale une triphtongue iei, dont l’élément du milieu (e) a disparu avant que la langue française soit écrite ; par suite le représentant de ę est, dans ce cas, i.

Ex. : mędium > *miei (forme non attestée en français) mi ; cf. demi, parmi ; prętium > prix ; pęctus > piz (poitrine) ; sęx > six ; ęxit > ist (il sort) ; lęctum > lit ; lęgit > lit ; nęgat > nie ; *pręcat (pour precatur) > prie, etc.


Le groupe eu provenant du latin classique (Deum) ou du latin vulgaire (Grecum devenu Greum) donne en français la triphtongue ieu devenue de bonne heure une diphtongue.

Ex. : Dęum > Dieu ; Andręum > Andrieu ; Graecum > Grieu ; celt. lęgua, le(g)ua > lieue ; germ. *tregua > trieue, trieve, trêve.

Mę́um devait être devenu en latin vulgaire méon, d’où mieen, mien. Ego devenu ę́o, ieo, jo est devenu finalement je, qui provient de jo employé comme atone.


E ouvert tonique entravé reste ę, aujourd’hui e ouvert.

Ex. : sęptem > sept; pęrdere > perdre ; infęrnum > enfer ; fęrrum > fer ; tęstam > teste, tête ; fęstam > fête, etc.


Lorsque cet e est suivi de l + consonne il se développe entre e et l un son a : on a ainsi : bęllus > beals ; novęllus > noveals ; agnęllus > agneals ; par suite de la vocalisation de l on a ensuite le groupe eau : beau, nouveau, agneau, marteau (à côté de martel, mot d’emprunt), chapeau, manteau, etc. Cf. germ. helm, heaume > heaume.

E ouvert entravé suivi de n donne la voyelle nasalisée ã, écrite ordinairement en[14].

Ex. : vęntum > vent ; *tręmulat, trem’lat > tremble ; pęndere > pendre ; gęntem > gent ; frumęntum > froment.

La prononciation an (ã) remonte haut ; on la trouve déjà dans la Chanson de Roland (fin du xie siècle).


Remarque : Dans les proparoxytons comme tę́pidum la diphtongaison de ę tonique en ie s’est produite si la chute de la pénultième est relativement récente.

Ex. : Stę́phanum > Estienne ; tę́pidum > tiède ; ę́bulum > hièble ; antę́phonam > antienne.

Si au contraire la chute de la pénultième est ancienne, l’entrave se produisant de bonne heure a empêché la diphtongaison.

Ex. : gę́nerum, gen’rum > gendre ; tę́nerum, ten’rum > tendre ; *trę́mulat, trem’lat > tremble ; mę́rulam, mer’lam > merle.

I

I long[15] tonique se maintient sans changement.


Ex. :

  • amīcum > ami ;
  • nīdum > nid ;
  • pīcum > pic ;
  • rīpam > rive;
  • vīvum > vif ;
  • verbes en -ir venant de -ire (venir, finir, punir) ;
  • participes en -i venant de -ītum, etc.[16] Quand ī est suivi d’une nasale devenue finale, il a donné en français la voyelle nasalisée in : pinum > pin ; vinum > vin ; finem > fin. Dans la Chanson de Roland, in assone avec mis, marquis, ovrir, ce qui prouve que la prononciation gardait à i sa valeur et que la voyelle n’était pas encore nasalisée.
O ouvert (lat. cl. ŏ).

O ouvert tonique devient d’abord uo, puis, dès le début du xie siècle, ue[17]. Ue est devenu dans l’orthographe moderne eu (neuf), quelquefois œu (bœuf, œuf), plus rarement ue (cercueil, orgueil, accueil).


Ex. :

  • *vǫlet (lat. cl. vult) > vuelt (veut) ;
  • *pǫtet (lat. cl. potest) > puet (peut) ;
  • mǫvet > muet (meut) ;
  • nǫvem > nuef, neuf ;
  • nǫvum > nuef, neuf;
  • bǫvem > buef, bœuf ;
  • cǫr > cuer, cœur, etc.


O ouvert tonique suivi d’un yod ou d’une palatale (c) aboutit à ui, probablement en passant par la triphtongue uei.

Ex. :

  • hǫdie > hui ;
  • trǫiam (pour trọiam) > truie ;
  • cǫrium > cuir ;
  • plǫviam (pour plọviam, lat. cl. plŭviam) > pluie ;
  • nǫctem > nuit ;
  • cǫxam > cuisse ;
  • cǫctum > cuit ;
  • ǫcto > huit.


Devant l mouillée on a ue, uei[18]. Ex. :

  • ǫculum > ueil (d’où œil) ;
  • germ. urgǫlī > orgueil ;
  • *fǫliam > fueille (feuille) ;
  • sǫlium > seuil ;
  • trǫculum (pour torculum) > trueil, treuil.


Fǫcum, jǫcum, lǫcum donnent feu, jeu, lieu, par suite de transformations nombreuses et délicates dont le tableau suivant présentera une idée sommaire[19].

fǫcum > *fuou > fueu > feu ;
jǫcum > *juou > jueu > jeu ;
lǫcum > *luou > lueu — lüeu > lieu.

O ouvert tonique libre devant nasale donne uo, ue.

Ex. : hǫmo > uem, plus tard an, l’an (= on, l’on) ; cǫmes > cuens ; bǫna > buona[20] ; sǫnant > suenent ; tǫnant > tuenent (on trouve aussi ces deux dernières formes sans diphtongaison, à cause de l’influence des formes verbales accentuées sur la terminaison, dans lesquelles la diphtongaison n’a pas lieu : sonóns, tonóns).

Plusieurs mots, pour des raisons diverses, dont la principale est, en général, qu’ils sont des mots d’emprunt ou des mots savants, ne présentent pas de diphtongaison. Les plus importants sont : école (< schǫ́lam), rose (< rǫ́sam), rossignol (< *lusciniǫ́lum).


O ouvert entravé devant les consonnes non nasales reste ǫ.

Ex. : pǫrtam > porte ; fǫssam > fosse ; cǫrpus > corps ; pǫrcum > porc ; dǫrmit > dort, etc.

Dans les cas où l’entrave était d’origine romane, la diphtongaison paraît s’être produite dans certains mots avant la chute de la syllabe pénultième qui a amené l’entrave.

Ex. : pǫ́pulum > pueple, peuple ; jǫ́venem (lat. cl. juvenem) > juefne, jeune ; mǫ́bilem (lat. cl. mōbilem) > mueble, meuble.

Cf. au contraire rǫ́tulum > rot’lum > rôle et cǫ́phinum > cof’num > coffre.


Devant les consonnes nasales ǫ donne la voyelle nasalisée on (õ). Ex. : pǫntem > pont ; lǫngum > long, etc.

O fermé (lat. cl. ō, ŭ).

O fermé tonique libre donne en ancien français la diphtongue óu[21]) (prononcez óou), devenue depuis le xiiie siècle environ eu.


Ex. :

  • flọrem > flour, plus tard fleur ;
  • dolọrem > dolour, douleur ;
  • colọrem > colour, couleur ;
  • favọrem > favour, faveur ;
  • gọlam > goule, gueule ;
  • ọram > houre, heure ;
  • nepọtem > nevout, neveu ;
  • illọrum > lour, leur.


Amọrem est devenu amour (et non ameur), probablement sous l’influence de l’adjectif amour-eux.

De même époux, épouse n’ont pas subi de changement, sous l’influence de épouser. Nous, vous, employés surtout comme atones, ne sont pas devenus neus, veus. Lọpus, lọpa (lat. cl. lupus, lupa) ont donné loup, louve, mais la forme leu a existé[22].

Dans les mots d’emprunt n’a pas subi de changement : dévot, noble, etc.

Tout provient d’une forme tọttum pour tọtum et l’o y est entravé ; cf. ci-dessous.


O fermé tonique + nasale donne la voyelle nasalisée on.

Ex. : leọnem > lion; pavọnem > pa-on, paon; pipiọ-nem > pigeon ; latrọnem > larron ; mansiọnem > maison ; dọnat > donne (prononcé à l’origine don-ne) ; corọna > couronne (couron-ne); *pọmam > pomme (pon-me).


O fermé entravé (ordinairement ŭ en latin classique) donne ou, écrit au début de la langue o et ou.

Ex. : *tọttum (pour tọtum) > tout ; cọppam (lat. cl. cuppam) > coupe ; rọbium (lat. cl. rubeum) > rouge ; gọttam > goutte ; rọptam (ruptam, sous-entendu viam) > route ; pọllam (pullam) > poule ; diọrnum (diurnum, de diu) > jour ; fọrnum (furnum) > four, etc.

Gọrgam (gŭrgam) aurait dû donner gourge et non gorge, avec o ouvert ; de même *mọttum (*mŭttum) mout et non mot. Nọptiae (nŭptiae) était devenu sans doute nǫptiae en latin vulgaire (influence de nọvus ?) et a donné noces. Medŭlla est devenu modella par changement de suffixe dû à une métathèse des voyelles e, ŭ () et a donné mo-elle, moelle (prononcé mwal).


O fermé entravé suivi d’une nasale donne on. Ondam (ŭndam) > onde ; ọmbram > ombre ; plọmbum > plomb ; ọndecim > onze ; rọmpere > rompre, etc.


O fermé libre ou entravé + y (i, c, g).


O fermé tonique suivi d’une consonne + yod, ou de c, g qui ont donné i, se joint au yod pour constituer la diphtongue oi, devenue ensuite , oué, oua.


Ex. :

  • vọcem > voix ; crọcem > croix ; nọcem > noix[23] ;
  • angustiam (lat. vulg. angọ́stiam) > angoisse ;
  • jungere > joindre ;
  • pungere > poindre ;
  • junior > joindre, geindre, gindre[24] ;
  • cuneum > cunium > coin ;
  • pugnum > poing ;
  • punctum > point ; dans tous ces mots ŭ tonique égale fermé.


Dans les mots verecundia (lat. vulg. verecọndia), Burgundia (lat. vulg. Borgọndia) le groupe ndi donne n mouillée (suivie de e muet final), et o fermé se transforme en o ouvert, sans aboutir à oi : vergogne, Bourgogne (a. fr. vergongne, Bourgongne).


Suffixe -ọrium > -oir (dortoir, miroir, parloir, mouchoir, etc.).

Le suffixe -ŭculum, -ŭcula (lat. vulg. -ọculum, -ọcula), a donné oil, oille, puis ouil, ouille.

Ex. : fenuculum > lat. vulg. fenọclum > fenouil ; genuculum > genouil[25] ; *peduculum > peouil[26] ; veruculum > verrouil ; *conuculam > conọclam > quenouille ; *ranunculam > ranọclam > grenouille.

U

U long tonique, qui sonnait ou en latin, est devenu u ; suivi d’une nasale devenue finale, il donne la voyelle nasale un (œ̃).


Ex. :

  • dūrat > dure ;
  • pūrum > pur ;
  • secūrum > seür, sûr ;
  • flūmen > flun (fleuve) ;
  • plūmam > plume ;
  • ūnum > un ;
  • lūnam > lune ;
  • *agūrium (lat. cl. augŭrium) > e-ür, plus tard eur, heur, dans bonheur, malheur.


Le son u (ü) est propre au français et au provençal ; les autres langues romanes ont gardé le son ou du latin[27]. On a voulu attribuer ce changement de ou en u à une influence celtique ; mais cela n’est pas démontré.


U long tonique suivi de c, g donne par la palatalisation du c la diphtongue ui.

Ex. : tructam > truite ; destructum > destruit ; conductum > conduit ; fructum > fruit ; *brūgitum (lat. cl. rugitum) > bruit.

L’ancien français disait aussi luite, de luctam, lutte.


U suivi d’un yod donne le même résultat, même s’il n’est pas en contact immédiat avec le yod : *ūstium (lat. cl. ostium) > huis ; *pertūsium > pertuis.

Diphtongues

Parmi les diphtongues latines au est la seule qui soit assez fréquente[28]. Elle se prononçait aou en latin. Elle a donné, quand elle était tonique, ǫ ouvert.


Ex. :

  • aurum > or ;
  • audit > il ot (entend) ;
  • thesaurum > trésor ;
  • laurum > lor (laurier) ;
  • pauperem > pǫvre, fr. mod. pauvre ;
  • *gaudiam > joie ;
  • claudere > clore ;
  • aucam > oie (et oue) ;
  • fábricam, faurga > forge ;
  • *paraulam (de parábolam) > parole.


Au en contact avec u latin, par chute d’une consonne, donne ou. Ex. : paucum > pou (peu) ; raucum > rou (cf. en-rou-er).

Voyelles protoniques et posttoniques

Les voyelles protoniques ou prétoniques se maintiennent ordinairement, quand elles sont initiales d’un mot.

Quand elles sont libres, il se produit quelques modifications peu importantes.

Quand elles sont entravées, elles subissent encore moins de changements.

Pour les voyelles protoniques qui ne sont ni initiales, ni en syllabe initiale, ni contretoniques on sait qu’elles sont considérées comme contrefinales et traitées comme si elles étaient après l’accent principal.

Nous ne nous occuperons ici que des voyelles protoniques initiales ou en syllabe initiale.

A

A reste a. Ex. : avril ; avoir; amer (aimer) ; amer < (lat. amarum); aval (< ad vallem); baron; clamer; naïf; savoir; laver, etc. A initial ou en syllabe initiale, suivi ou précédé de r, passe ordinairement à e : granarium > grenier; armeniam > hermine; *ranunculam > grenouille; sarcófagum > cercueil; *materiamen, mat’riamen > merrain.


A libre en syllabe initiale après c devient e (ca > che).

Ex. : caballum > cheval ; *capriolum > chevreuil; capillum > cheveu; camisiam > chemise.

Cabane, canal (cf. chenal) et autres mots commençant par ca sont sans doute des mots d’origine méridionale ; plusieurs sont d’origine normanno-picarde ; cf. infra, traitement du c.

Chapelle, chapitre, chanoine, chameau, etc., ne paraissent pas être d’origine populaire.


Quand a précédé de c en syllabe initiale est suivi de l, il se maintient ordinairement.


Ex. :

  • calorem > chaleur;
  • calere > chaloir, cf. nonchaloir ;
  • calamellum > chalumeau.


A formant un hiatus d’origine romane avec ü se dissimile en e.


Ex. :

  • *habutum > , eu ;
  • *saputum > seü, su ;
  • *sabucum > seü, su (su-reau).
  • maturum > meür, mûr;
  • *agurium (pour augurium) > eür, eur.


A protonique entravé se maintient.


Ex. :

  • cantare > chanter ;
  • lassare > lasser ;
  • carbonem > charbon ;
  • castaniam, lat. cl. castaneam > chastaigne, etc.


Cf. encore manteau, chanter, vanter, etc. A protonique, initial ou en syllabe initiale, suivi d’une consonne + yod, ou en contact avec un i provenant de c, donne la diphtongue ai[29].

Ex. : adjutare > ajutare > aidier; axellam > aisselle; laxare > laissier; tractare > traitier; lactucam > laitue; rationem > raison ; sationem > saison ; ma(n)sionem > maison.

Comme on le voit par ces derniers exemples, il n’est pas nécessaire que l’a soit en contact immédiat avec i (yod) pour que la diphtongue ai se produise.

E

Il n’est pas nécessaire de distinguer, à l’initiale protonique, e ouvert de e fermé.


E libre, initial ou en syllabe initiale, se maintient, sous forme d’e muet, et disparaît dans quelques mots, quand il est en hiatus, par suite de la chute d’une consonne.

Ex. : *etaticum > eage, âge; debere > devoir; vedere (lat. cl. videre) > veoir, voir; sedere > seoir; *minare, menare > mener ; *seperare (pour separare) > sevrer ; vetellum (lat. cl. vitellum) > veel, veau; sigillum > seel, seau, sceau; *veracum (pour veracem) > verai, vrai.

Dans quelques mots e s’est transformé en u sous l’influence de la consonne précédente.

Ex. : gemellum > jumeau (cf. les Gémeaux) ; *fimarium > fumier (et non femier) ; bibitis, lat. vulg. bebetis > buvez (a. fr. bevez).


E entravé reste, avec le son d’e ouvert devant r[30], d’e fermé dans les autres cas. Ex. : fermare (lat. cl. firmare) > fermer; sermonem > sermon; vertutem (lat. cl. virtutem) > vertu; mercedem > merci ; *fellonem > félon ; cessare > cesser ; districtum, lat. vulg. destrictum > destreit, détroit, etc.


E suivi d’une nasale (n, m) + consonne forme avec cette nasale la voyelle nasalisée en (prononcée an, ã).

Ex. : ingenium, lat. vulg. engenium > engin ; inflare > enfler ; *intrare > entrer; imperium > empire ; *impejorare > empirier.


E + c, g, e + consonne + yod > ei puis oi[31].


Ex. :

  • medietatem > meitiet, moitié ;
  • *lecere (lat. cl. lĭcere) > leisir, loisir ;
  • necare > neiier, neier, noyer ;
  • *pectorinam > peitrine, poitrine ;
  • vecturam > veiture, voiture ;
  • exire > eissir, issir.


E en syllabe initiale suivi de r, l (ou même précédé de r, l), passe quelquefois à a, les groupes erar, elal étant phonétiquement très voisins.

Ex. : mercatum > marché; per > par (par n’ayant pas d’accent est protonique par rapport au mot qui le suit) ; pervenire > parvenir; *pergamīno > parchemin; *remare > ramer ; *zelosum, *ielosum > jaloux ; *glenare > glaner ; *bilanciam, lat. vulg. belanciam > balance ; silvaticum, selvaticum > salvage, sauvage; delphinum > dalfin, dauphin.

Leonem a donné lion, par suite du passage de e à i en hiatus et laetitiam, devenu leesse, a donné liesse. Dans ciment (de cementum pour caementum) l’i paraît être dû à l’influence de la palatale initiale.

O (ǫ, )

O ouvert et o fermé libres en syllabe initiale ont abouti dans la langue moderne à ou (à l’origine de la langue o fermé).

Ex. : ǫ ouvert : mǫvere > mouvoir; prǫbare > prouver; *jǫcare > jouer; lǫcare > louer; *vǫlere (lat. cl. velle) > vouloir; *pǫtere (lat. cl. posse) > pouvoir; dǫlere > douloir; sǫlere > souloir, etc.

Ex. : fermé : sọbinde (lat. cl. sŭbinde) > souvent; nọdare > nouer ; plọrare > plourer[32] ; sọlatium > soulas, etc.


O ouvert entravé en syllabe initiale reste o.

Ex. : dǫrmire > dormir ; *sǫrtire > sortir ; mǫrtalem > mortel ; pǫrtare > porter, etc.

Au contraire o fermé entravé donne ou.

Ex. : sọbvenire (lat. cl. subvenire) > souvenir; cọrrentem > courant; nọtrire > nourrir; *sọfferire (lat. cl. sufferre) > souffrir; dọbtare > douter, etc.


O ouvert ou fermé suivi d’une nasale + consonne forme avec cette nasale la voyelle nasalisée on.

Ex. : computare > conter, fr. mod. compter ; cọmmeatum > congiet, congé; nọmerare, nọm’rare > nombrer ; nọminare, nọm’nare > nommer (prononcé, au début, non-mer), etc.

Dans quelques mots usuels employés comme proclitiques on est passé à an : dominam, domnam > dame ; dominus > danz ; cf. dameisel — damoiseau, dameiselle — damoiselle; *dominiarium donne dongier (puissance) et danger. Enfin non s’est affaibli en nen; cf. nen-il, nennil (< non illī) (prononcé nan-ni, nã-ni). O ouvert ou fermé suivi d’une consonne + yod ou d’une palatale (c, g) donne oi (oin devant nasale).

Ex. : *fǫcarium > foyer; *lǫcarium > loyer; otiosum > oiseux; pọtionem > poison; ọxorem (lat. cl. uxorem) > oissour (épouse); *longitanum > lointain ; joncturam (lat. cl. juncturam) > jointure.

Octobre est un mot savant. L’ancienne langue avait oitouvre.

Remarque.Sororem donne serour (sœur) par dissimilation de o-o en e-o[33]; *conuclam > quenouille ; rotundum > reond, rond, présentent une dissimilation de même nature.

C’est ainsi que s’expliquent également semondre de submṓnere (lat. vulg. sọbmónĕre), secourir de succurrere, selonc (selon) de sublongum, mots ou l’o initial (ŭ) est fermé.

I

I long se maintient en syllabe initiale.

Ex. : fīlare > filer; līmare > limer; prīvare > priver; *mīrare (lat. cl. mirari) > mirer.


Quand la voyelle tonique est un ī, l’ī de la syllabe précédente se dissimile en e.

Ex. : dīvīnum > devin (divin est un mot savant); dīvīsum > devis (diviser, indivis sont des mots savants); fīnīre > fenir (finir est moderne) ; *pīttītum > petit; mīsistī > mesis, meïs, mis.

Vīcīnum, devenu dans le latin vulgaire vecinum, donne veisin, voisin. Les mots premier, merveille présentent également le passage de ī initial à e (lat. prīmarium, mīrabilia pluriel neutre de mirabilis).

Dīrectum est devenu d’rectum, drectum en latin vulgaire, d’où : dreit, droit.

U

U long en syllabe initiale, prononcé ou en latin, devient u (ü) : dūrare > durer; *ūsare > user.

Cf. cependant *jūníciam (lat. cl. junix) > génisse et jūníperum, devenu en latin vulgaire junéperum (peut-être ieneperum), qui donne genièvre, où le yod initial paraît avoir dissimilé l’ū en e.

Suivi d’un 'c', 'ū' long donne la diphtongue ('üi').

Ex. : lūcéntem > luisant ; dūcéntem > duisant (dans conduisant, séduisant, etc.)

Au

Au protonique initial devient o (ouvert) comme au tonique.

Ex.: pausare > poser ; auriculam > oreille ; *ausare > oser ; *raubare > dérober.

Devant une voyelle cet o est passé à ou ; audire > ouïr ; *gaudīre (lat. cl. gaudere) > jouir; laudare > louer.


Au + c, au + consonne + yod aboutissent à la diphtongue oi.

Ex. : aucellum (lat. cl. avicellum) > oisel ; *gaudiosum > joïous, joyeux.

Augustum et augurium étaient devenus en latin vulgaire agustum, agurium ; d’où aoust, août ; eür, eur (boneur, maleur ; fr. mod. bonheur, malheur, par influence de heure).

Semi-voyelles (y, u = w).

La semi-voyelle i (yod) se trouve tantôt dans une syllabe tonique ou protonique (ratiónem > raison, potionem > poison), tantôt, et même plus souvent, dans une syllabe posttonique : *gaudiam > joie, *ustium > huis. Elle sera étudiée à la fin du consonantisme.

En ce qui concerne le traitement des voyelles en contact immédiat ou indirect avec la semi-voyelle i (yod), cf. supra, aux différentes voyelles.


La semi-voyelle u (= w) (dans qui, quando, quare), beaucoup moins importante d’ailleurs que i (yod), sera étudiée également à la fin du consonantisme.

Voyelles posttoniques.

Elles ont été traitées plus haut, à propos de l’accent.

  1. Minari, menacer, a pris en passant dans les langues romanes le sens de mener : mener à l’origine c’est menacer, en parlant des animaux que l’on mène en les menaçant.
  2. Deux centaines environ.
  3. Il y a environ un millier de mots, dont quelques-uns très usuels, d’origine germanique.
  4. G. Paris, La litt. fr. au moyen âge, 3e éd., §152
  5. La Chanson de Roland remonte plus haut ; mais le texte le plus ancien qui nous ait été conservé date de cette époque-là.
  6. Du moins en ce qui concerne le latin qui est à la base du français.
  7. Le groupe ns, dans des mots comme mensem, ne forme pas entrave, car ce groupe s’était déjà réduit à s en latin classique.
  8. En réalité on avait en latin vulgaire bono, fide, etc. ; cf. les observations préliminaires.
  9. On trouve, dans les plus anciens textes, des proparoxytons apparents, comme áneme, jóvene, imágene, ángele, glórie, etc. ; mais la pénultième ne compte pas et il faut prononcer : án’me, jóv’ne, imáj’ne, ánj’le, glór-ye.
  10. Cette contre-tonique se trouve sur la deuxième syllabe en remontant à partir de l’accent ; ex : bóni-tátem, véri-tátem; infírmi-tátes, amári-túdinem. La syllabe initiale portait toujours un accent.
  11. Tabula a donné en a. fr. taule (dialectal ?), auj. tôle
  12. Beaucoup de mots français commencent par ca : ce sont des mots d’emprunt : cf. infra, au consonantisme, traitement de c initial.
  13. Fier de ta lance signifie : frappe de ta lance.
  14. En se prononça d’abord in, comme aujourd’hui in dans fin, pin, ein dans plein.
  15. Rappelons que ĭ (bref) n’existe plus en latin vulgaire et qu’il est devenu e fermé.
  16. Frigidum aurait dû donner frid ; on admet que ce mot est devenu frę́gedum en latin vulgaire, d’où freid, froid.
  17. Prononcé oué ou üé ? La question est indécise. On trouve aussi la graphie oe.
  18. L’i ne sert qu’à marquer le mouillement de l.
  19. Ce sont des triphtongues provenant de la diphtongaison de ó en uo, ue et du maintien de u devenu final, m finale ne sonnant plus en latin vulgaire. La différence de traitement entre feu, jeu et lieu (à la place de leu) s’explique sans doute par l’action des consonnes initiales.
  20. Cf. le début de la Cantilène de Sainte Eulalie : Buona pulcela fut Eulalia.
  21. La graphie est ordinairement o et, chez les scribes normands ou anglo-normands, u (flor et flur, precios et precius). La prononciation paraît avoir été, au début, celle d’un e fermé, légèrement diphtongué.
  22. Elle existe encore dans l’expression : à la queue leu leu, c’est-à-dire à la queue le leu, à la queue du loup ; cf., en Normandie, les noms de lieu Pisseleu, Saint-Leu, Chanteleu.
  23. a. fr. vois, crois, nois.
  24. Garçon boulanger. La forme du lat. cl. est jūnior, celle du lat. vulg. jŭnior, jọnior.
  25. Genoil, peoil, verroil faisaient au cas sujet singulier ou au cas régime pluriel genolz, peolzpolz, verrolz (s ajouté à il se transforme en z et fait disparaître i, qui marque le mouillement de l). Par suite de la vocalisation de l on a eu : genouzgenous, pous, verrous, d’où le singulier genou, pou, verrou.
  26. Cf. pouilleux, a. fr. peouilleux.
  27. Sauf quelques dialectes du Nord de l’Italie.
  28. Les diphtongues ae, oe ont été traitées plus haut ; cf. e ouvert et e fermé.
  29. Prononcée áï à l’origine, mais devenue ęy vers 1100, puis ę (e ouvert) au milieu du xiie siècle.
  30. Et aussi, à l’origine, devant s + consonne : vestir, peschier.
  31. Pour les transformations de cette diphtongue, cf. le traitement de e tonique supra.
  32. Plourer comme demourer est devenu pleurer sous l’influence des formes accentuées sur le radical : je pleure, tu pleures, etc.
  33. On trouve déjà serorem, retundum, dans des inscriptions du iiie siècle.