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Grammaire des arts du dessin/III archi

La bibliothèque libre.
Librairie Renouard (p. 70-72).


III

À LA BEAUTÉ DE L’ARCHITECTURE SONT LIÉES DEUX AUTRES QUALITÉS INDISPENSABLES. LA CONVENANCE ET LA SOLIDITÉ.

Qu’un édifice doive être conçu et disposé en vue de sa destination, cela peut paraître une vérité banale, même un pur axiome, et cependant le monde est couvert de bâtiments qui ne sont pas en rapport avec leur objet, car où les fautes en architecture sont le plus fréquentes, c’est justement là où il s’agissait d’éclairer le goût par les simples lumières du bon sens.

La convenance est le talent d’approprier un édifice à sa destination, et de choisir pour tous les membres de cet édifice la forme qui se prête le mieux à leur fonction. Supposons, par exemple, que l’entrée d’une maison soit convexe : elle repoussera le visiteur au lieu de l’inviter. Si elle est concave, au contraire, elle appellera le spectateur qui veut entrer, puisqu’elle semblera s ouvrir d’elle-même à son désir. Mais supposons maintenant qu’un monument ait été commandé à l’architecte dans le but de réunir, à un moment donné, des multitudes d’hommes venus de divers points : la forme convexe de l’édifice sera très convenable, cette fois, et parfaitement appropriée, parce qu’alors l’entrée, ne se trouvant nulle part, devra se trouver partout. Voilà pourquoi les grands théâtres de l’antiquité étaient convexes. À Rome le Cotisée, à Vérone l’Amphithéâtre, à Nîmes les Arènes, affectent la forme ovale, non seulement pour accuser au dehors la disposition intérieure, mais pour ménager à des masses d’hommes, accourues de tous les points de l’horizon, un accès facile, une entrée rayonnante qui ne les oblige ni à se heurter contre un angle, ni à se détourner de la ligne droite. On sentira par cet exemple comment telle configuration d’un édifice peut être, suivant la destination, conforme ou contraire à la convenance.

Quand elle est exquise, la convenance engendre toujours ce genre de beauté qui s’appelle caractère, c’est-à-dire l’expression générale du monument, la première pensée qu’il fera naître dans l’esprit du spectateur. Du plus loin que vous l’apercevez, un édifice doit vous dire : Je suis un temple, un tribunal, une douane ; et s’il le dit clairement, c’est que déjà il possède une parfaite appropriation, qualité précieuse, mais qui n’est encore, pour ainsi parler, que le second degré du beau. Nous verrons, dans le cours de cet ouvrage, comment la beauté, même la plus haute, se lie bien souvent à la convenance, et en quoi elle en diffère.

Une autre qualité essentielle de l’architecture est la solidité. Celle-là regarde sans doute le constructeur beaucoup plus que l’artiste. Toutefois elle n’est pas sans avoir une relation, souvent intime et directe, avec la sublimité ou la beauté d’un monument. Il est telle construction des antiques Pélages ou des Pharaons qui peut éveiller en nous des pensées grandes, des sentiments d’une poésie solennelle, lorsque, par l’immensité de ses proportions et par la force évidemment inébranlable et indestructible de ses supports, elle nous annonce une durée sans bornes et nous fait songer à l’éternité, à l’infini. En parcourant la Grèce, on y rencontre

mur cyclopéen.

çà et là des fragments de murailles énormes qui semblent avoir été construites avec des rochers qu’une race de géants aurait ajustés grossièrement et amoncelés. L’imagination populaire attribuait jadis à des cyclopes venus de la Lycie la construction de ces murs gigantesques, qui de nos jours encore ont conservé le nom de murs cyclopéens. Ainsi, voilà de simples pierres qui, par la seule solidité de leurs masses colossales, ramènent notre esprit aux temps fabuleux, aux temps héroïques, et s’adressent au sentiment du voyageur en lui faisant croire qu’elles n’ont pu être détachées des montagnes et superposées que par les frères des Titans.

Sous un autre aspect, la solidité de l’architecture touche à sa beauté. Un bâtiment qui ne serait pas solide ou qui le serait sans le paraître, lors même qu’on l’aurait l’ait admirable, ne nous laisserait pas le loisir de l’admirer, parce que la seule menace d’un péril troublerait en nous l’impression du beau. De là ce principe, sur lequel nous aurons souvent k revenir, que, dans tous les ouvrages de l’architecture, la solidité doit être non seulement réelle, mais apparente.