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Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Chapitre XV

La bibliothèque libre.
Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 243-259).


CHAPITRE XV


LES INTÉRÊTS RUSSES. — RUSSIE ET JAPON. — MA-SAN-PO.
CHING-KAI-WAN. — YONG-AN-PO.


L’activité industrielle de la Russie en Corée n’est que le voile qui couvre des projets politiques. Depuis le moment où l’empereur se mit sous la protection de la Légation russe, l’influence de la Russie en Corée s’est affirmée. Une compagnie russe, soutenue par des capitaux français, a établi récemment une entreprise d’élevage de bestiaux et de moutons, à A-ya-chin, sur la côte de la province de Kang-won, avec l’intention de fonder une fabrique de conserves, qui est actuellement en construction. Elle a également établi une verrerie à Séoul. Elle a favorisé la création de la Compagnie de pêche à la baleine, du Pacifique, qui se livre à la pêche le long des côtes de la Corée, recueille des renseignements précieux sur les baies dont on n’a pas encore levé les plans, les mouillages qui n’ont pas encore été sondés, les trous d’eau et les courants — et de temps à autre prend une baleine. Elle possède douze navires. La Russie n’a la surveillance d’aucune ligne de chemin de fer en Corée, bien qu’elle soit intéressée dans la ligne que les Français sont en train de construire ; elle n’a pas non plus de mine d’or, mais une commission composée d’officiers de marine est occupée depuis plusieurs années à lever les plans de la région du Yalu. Certains droits lui ont été accordés à Ma-san-po ; elle s’efforce de se faire donner un emplacement où elle puisse établir une station navale, et, par le moyen d’une concession sur le Yalu pour l’abatage des arbres, elle, s’est fixée à Yong-an-po. En mai 1903 une mission commerciale s’est rendue de Séoul à Wi-ju par terre.

Aussi rapidement que les circonstances le permettent, la Russie relie son système télégraphique mandchourien aux principales lignes coréennes, et on est en train d’établir des communications télégraphiques entre Moukden et Wi-ju, Vladivostok et Won-san. L’action de la Russie à cet égard a rencontré de l’opposition en Corée. Quand le cabinet coréen refusa d’accorder la permission d’ériger les poteaux, permission que les ingénieurs russes, n’avaient pas attendue, M. Pavloff, le ministre de Russie fit délicatement comprendre que l’enlèvement des poteaux télégraphiques serait regardé comme un acte non amical, susceptible de créer des difficultés entre les deux gouvernements. Le cabinet coréen toutefois eut le courage de résister, et les fonctionnaires s’employèrent pendant des mois à jeter par terre tous les poteaux dressés par les Russes. La Russie se propose également de reconstruire la ligne télégraphique de Pékin à Séoul par Wi-ju, et, d’autre part, c’est son intention avouée de détacher de son chemin de fer, un embranchement sur An-tung, au bord du Yalu.

LA LÉGATION DE RUSSIE À SÉOUL

La Russie s’est également occupée de l’armée coréenne, les autorités militaires russes ayant envoyé un certain nombre d’instructeurs, qui, aujourd’hui, ont été retirés. La direction de la résidence, où se trouvent des appartements pour les hôtes de la cour, a été confiée à une dame russe, Mlle Sontag. Il y a très peu de résidents russes à Séoul. Il y a le personnel et la garde de la Légation, des prêtres de l’église grecque, et quelques boutiquiers. La colonie est très petite, mais elle parvient, à l’aide d’un stationnaire mouillé dans le port de Chemulpo, et grâce à des visites constantes de l’escadre du Pacifique, à l’occasion desquelles la musique du stationnaire joue pour le plaisir de la cour, à soutenir avec beaucoup d’éclat la majesté et la dignité du gouvernement russe. La Russie a récemment proposé d’établir des consulats dans les ports ouverts de l’empire (le consulat de la capitale est maintenant établi à Chemulpo) ; de rendre plus fréquents les services des vapeurs du chemin de fer mandchourien entre les ports ouverts de Corée et la Mandchourie ; de fonder une succursale de la Banque russo-chinoise à Chemulpo ; enfin de se servir plus souvent des ports coréens pour les besoins de l’escadre russe du Pacifique.

Depuis des années, la Russie s’avance lentement en Corée. Avant 1885, il y avait plus de vingt mille Coréens établis sur son territoire extrême-oriental, et en 1888, la Russie conclut un accord commercial avec la Corée, qui ouvrait la frontière coréenne aux commerçants russes.

En 1893, des communications télégraphiques avaient été établies entre les deux pays, lorsque soudain, au moment même où la politique russe vis-à-vis de la Corée commençait à prendre forme, la guerre fut déclarée entre la Chine et le Japon. Quelles qu’aient pu être les prévisions quant au résultat de cette guerre, on ne peut douter qu’elle eut une influence prédominante sur les destinées actuelles de la Russie en Extrême-Orient. La politique de la Russie à l’égard de la Chine subit un changement, et la Corée devient l’objectif commun des deux puissances rivales. La Russie néanmoins ne put tirer parti à ce moment de la défaite chinoise et le Japon n’était pas assez fort pour retenir la péninsule de Liao-tung, ni assez hardi pour s’emparer de la Corée. Chassé de la péninsule de Liao-tung grâce à l’action combinée de la Russie, de la France et de l’Allemagne, le Japon aurait pu toutefois s’assurer une prépondérance absolue, matérielle et politique en Corée. Si telle avait été sa politique, il aurait pu, à un moment donné occuper le royaume en s’armant du même argument que l’Angleterre en Égypte et la Russie en Mandchourie. Malheureusement, pendant que la Russie, d’une manière délibérée et magistrale, s’emparait de la Mandchourie, le Japon, qui y allait de tout cœur, mais qui ignorait les pièges de l’expansion coloniale, se créait des difficultés sans fin en Corée, sans parler de sérieuses complications avec les puissances du dehors. Avant d’avoir réalisé les bénéfices de sa position, il avait conçu un projet pour s’assurer des personnes de l’empereur et de l’impératrice et pour s’emparer du gouvernement. Mais ce coup d’État devait retomber, aussitôt et lamentablement, sur sa propre tête. L’Impératrice mourut victime du complot, et bien que l’empereur fût mis en prison, il parvint, au bout de peu de temps, à se réfugier à la Légation russe, avec le prince héritier. L’empereur ayant échappé au complot, cela ne faisait qu’accentuer l’échec du Japon, et, en dépit de ses traités postérieurs avec la Russie concernant la Corée, il ne s’est jamais complètement relevé du coup qu’il s’est porté lui-même en cette occasion.

UN JEUNE PRINCE DU SANG

Le Japon conserve encore une haute influence en Corée. Mais, quelque prédominante que soit sa position, les menées de sa puissante rivale tendent insidieusement à la détruire. La situation que la Russie occupe aujourd’hui est beaucoup moins prépondérante que celle qu’elle occupait en 1896, et pourtant son influence, si elle est moins visiblement agressive, est plus efficace qu’autrefois. Le Japon n’a pas su employer les moyens politiques que l’occasion lui offrait pour développer ses intérêts commerciaux. Pendant ce temps la Russie poursuivait sans fléchir sa politique. Après la défaite de la Chine, la Mandchourie était dans sa main, et la Corée était son héritage.

L’action de la Russie sur le Yalu, de nos jours, son attitude à l’égard de Won-san, autrefois, sont l’une et l’autre déterminées par le même motif. La Russie considère la Corée comme le complément de ses possessions d’Extrême-Orient, tandis que le Japon, d’autre part, envisage le petit royaume comme le corollaire de l’expansion qui est indispensable à son existence. La Russie occupant la Mandchourie et la Corée, et projetant son ombre sur la Chine, c’est, pour le Japon, la condamnation à une infériorité perpétuelle. Réciproquement, la Russie doit considérer, de Vladivostok et de Port-Arthur, l’occupation de la Corée par les Japonais comme un coin enfoncé dans le centre de ses communications mandchouriennes. C’est donc la crainte d’une descente des Russes en Corée qui a excité le Japon et qui engendrera la crise entre les deux pays. Des arrangements particuliers et des ouvertures secrètes ont préparé la voie au dénouement, qui depuis longtemps est visible. En s’efforçant d’obtenir le port de Ma-san-po pour les besoins de son escadre du Pacifique, la Russie indiquait qu’elle ne dissimulerait plus longtemps ses intentions sur la Corée. Ma-san-po est devenu depuis un port ouvert. Le gouvernement japonais avait aussitôt formulé ses objections à l’égard du projet russe, et en même temps le gouvernement coréen était menacé de représailles immédiates. Mais bien avant la convention de Ma-san-po, conclue entre la Russie et le gouvernement coréen en 1900, ce port admirable avait déjà attiré l’attention des colons japonais et chinois. C’est par la force même des circonstances que l’endroit est devenu un port ouvert ; car les autorités locales s’étaient montrées sans force contre l’invasion des étrangers et l’établissement d’une zone étrangère autour du port. Il est remarquable que M. Pavloff, l’habile ministre russe à Séoul, ait réussi à conclure un accord, si on tient compte de la panique qui s’était emparée du gouvernement impérial à la suite des intimidations japonaises. La convention secrète entre la Russie et la Corée, passée en 1900, préservait l’indépendance du port, et, loin de le céder à la Russie, stipulait qu’aucun terrain du port de Ma-san-po ou des environs ne pourrait être concédé à perpétuité ni vendu à une puissance étrangère quelconque. Les mêmes conditions s’appliquaient à l’île de Keu-chai, située en face du port. Cet échec de l’ambitieuse politique russe était dû naturellement à l’action énergique du Japon, et rendait peu sûre la situation de la Russie à Ma-san-po. Le Japon, même sans déclaration préalable de guerre, aurait ouvert les hostilités contre la Russie, si cette nation avait essayé de maintenir, isolé et sous sa complète domination, ce port et ses approches.

Rien, dans l’état présent de Ma-san-po, n’indique qu’il puisse devenir un jour un centre d’influence russe dans la Corée méridionale. Les Japonais demandèrent, avant même que l’incident fût complètement dissipé, une large étendue de terrain à Ma-san-po, pour y créer une colonie. Ils se sont approprié presque entièrement le quartier désigné pour les colons étrangers ; ils y ont élevé, par centaines, des boutiques et des maisons, aux emplacements les plus avantageux. Des bureaux de poste et de télégraphe japonais se sont ouverts à Ma-san-po, ainsi qu’une auberge, peu confortable d’ailleurs. Une importante force de police japonaise s’y trouve détachée pour le service, et bientôt il y aura un stationnaire dans le port et une garnison d’infanterie pour protéger la colonie japonaise. Ces mesures impliquent un bail permanent, et c’est par là que les Japonais se proposent d’invalider la convention russo-coréenne. Le but de la politique japonaise à Ma-san-po est de réduire autant que possible les droits des Russes et de leur enlever toute importance dans le port. Les Russes acceptent cette situation avec beaucoup de philosophie et d’indifférence. Ils pourraient, s’ils le voulaient, protester à chaque instant contre la violation, par les Japonais, des clauses de la convention de 1900.

Il y a un an, la population étrangère de Ma-san-po se composait de deux cent trente Japonais, quarante et un Chinois, dix-huit Russes et deux Allemands. Ces chiffres comprennent les individus des deux sexes, mais non les enfants. La colonie russe comptait exactement huit hommes, dix femmes et trois enfants. Parmi les Japonais, il y avait soixante-dix-huit femmes. Il y a peu d’importations et d’exportations. La proximité de Fusan, qui n’est qu’à six heures de distance, rend inutile le commerce direct avec la colonie. Des vapeurs japonais de Fusan s’y arrêtent tous les jours, et les produits locaux sont amenés par des jonques du pays. Il y a une pêche abondante au large ; elle est complètement aux mains des pêcheurs japonais de Fusan. L’occupation principale sur la côte est la construction de la colonie. On s’y livre aussi un peu à l’agriculture et à beaucoup de bavardages.

Depuis l’insuccès de sa tentative contre Ma-san-po, la Russie a essayé d’obtenir la location à bail de Ching-kai-wan, qu’on nomme parfois Chin-hai ou Shin-hai, une baie située à l’extrémité sud de la péninsule coréenne, comme station navale. Ce port est exactement à mi-chemin entre Vladivostok et Port-Arthur. Étant donnée la situation géographique de Ching-kai-wan, son accaparement par la Russie était certainement de nature à soulever une opposition encore plus violente, de la part des Japonais, que dans le cas de Ma-san-po. Nam-pu, dont la Russie voulait s’emparer, est à environ vingt milles des limites du port à traité de Ma-san-po. Le gouvernement japonais, qui ne pouvait empêcher la Russie d’obtenir une station de charbon pour la Compagnie de Navigation Russe dans les limites du quartier étranger de Ma-san-po, s’opposa avec la plus grande énergie à ce qu’un terrain fût accordé aux Russes, pour les besoins de leur flotte, à vingt milles de là. Le Japon proteste également contre l’établissement d’un dépôt naval russe à Ching-kai-wan, où il n’y a pas de port à traité, et où, si le bail était confirmé, la Russie seule aurait accès.

Ching-kai-wan n’est qu’à quelques heures de bateau à vapeur de ce Port-Hamilton que l’Angleterre fut amenée à abandonner, à la suite de l’entente entre la Russie et la Chine, stipulant que la Russie ne chercherait pas à acquérir de territoire en Corée. L’excuse, depuis invoquée par les Russes pour la violation flagrante de cet accord, est que ce fut là un marché passé avec la Chine et non avec nous. Il y a un autre détail, bien plus extraordinaire encore dans cette affaire, que Li Hung Chang confia, il y a quelques années, au représentant diplomatique d’une puissance étrangère, à Pékin. L’homme d’État chinois admit que le contrat entre la Chine et la Russie contenait une clause particulière, qui limitait à dix ans sa validité. En d’autres termes, l’Angleterre fut amenée à se retirer de Port-Hamilton, sous prétexte que la Russie n’empiéterait jamais sur le sol coréen, alors qu’une secrète entente existait entre la Chine et la Russie pour ne conclure cet arrangement que pour dix ans.

Bien que la situation de la Russie à Yong-an-po n’ait été acquise que récemment, la question remonte en réalité à l’automne de l’année 1896, époque à laquelle un marchand de Vladivostok, un certain M. Brünner, obtint du gouvernement coréen le droit pour vingt ans d’abattre du bois et de planter des arbres sur les bords du Yalu et du Tumen, et dans l’île de Ul-lyang. Le concessionnaire devait perdre tous ses droits, si le travail n’était pas commencé avant cinq ans. À la fin de cette période, l’agent russe à Séoul demanda une prolongation de trois ans. Il fut dit alors à Séoul que la demande de M. Pavloff avait été repoussée, mais on apprit postérieurement qu’un accord avait été conclu entre le commissaire nommé par le gouvernement coréen pour examiner l’affaire, et l’inspecteur chargé des intérêts de la compagnie à Yong-an-po, sur les bases suivantes :

I. Ledit district à Yong-an-po sera loué à la Compagnie russe ;

II. Les limites dudit district seront déterminées par le ministre russe et le ministre des Affaires étrangères du gouvernement coréen ;

III. La Compagnie russe paiera un impôt foncier au gouvernement coréen ;

IV. Si les possesseurs de tombes qui se trouvent dans les limites du district veulent les faire enlever, les frais de cette translation seront à la charge de la Compagnie russe ;

V. Si la Compagnie veut se servir du bois que les Coréens ont coupé et qu’ils transportent par la voie fluviale, elle devra payer aux possesseurs un prix raisonnable ;

VI. La Compagnie russe ne devra cultiver dans le district que les produits qui seront consommés sur place ;

VII. Les délinquants coréens dans le district seront jugés par les tribunaux coréens ; les délinquants russes, par les autorités civiles russes.

Ce contrat fut signé le 20 juillet 1903 par le fonctionnaire coréen Cho Sung-hyup et l’inspecteur russe Bojisco.

Toutefois, en mai 1903, avant que le gouvernement coréen eut rendu sa décision en cette matière, le préfet de Wi-ju signala la concentration à An-tung de troupes russes se préparant à franchir le Yalu. Quelques jours après, une quarantaine de ces hommes traversèrent le fleuve et s’arrêtèrent sur une petite île située au milieu. Là, ils retirèrent leur uniforme, de façon à pouvoir entrer à Yong-an-po en vêtements civils. De Yong-an-po ils se dirigèrent sur Yong-chyon, près Wi-ju, où, accompagnés d’une centaine de Chinois et de quatre-vingts Coréens, ils fondèrent un établissement, pour l’abatage des arbres et achetèrent dix-sept maisons, avec douze acres de terre y attenant, au nom de deux de leurs employés coréens. Le gouvernement coréen s’opposa aussitôt à la présence de cette colonie et menaça M. Pavloff de rompre les relations avéc lui, si la colonie ne se retirait pas immédiatement. M. Pavloff plaida pour le maintien du camp, invoquant des pouvoirs contenus dans la concession de forêt de 1896, qui en réalité n’avaient pas été confirmés à ce moment. Au commencement du mois suivant, le magistrat de Yong-chyon fit savoir qu’une autre troupe de Russes venait d’arriver à Yong-an-po, comprenant trois femmes russes, trente-six hommes et deux cents Chinois avec de nombreux chevaux. En juillet, vinrent encore trois femmes et soixante hommes, la plupart armés de fusils et d’épées, et qui tous, également, achetèrent aussitôt des maisons et des terres.

L’action de ces colons s’est manifestée dans diverses directions. Quelques-uns, comme s’ils désiraient donner quelque couleur de vérité à leur existence de bûcherons et se méfiaient des ordres des fonctionnaires coréens, persistèrent à abattre des arbres sur une réserve interdite, en dehors des limites de la concession. Pendant ce temps, les autres ne restaient pas inoccupés ; ils commencèrent la construction d’une levée de vingt et un milles de long sur le Yalu, après avoir établi un petit chemin de fer dans ce but. Puis, des travaux d’un caractère plus durable furent entrepris ; des édifices de pierre apparurent, une manufacture fut construite, et des ouvrages de défense furent exécutés. Pour confirmer ces signes de l’occupation russe de la région du Yalu, une force de soixante-dix soldats franchit la rivière à Cho-san ; un second groupe de quatre-vingts hommes se rendit à Pyok-tong. Les Russes commencèrent alors à mettre en communication l’un avec l’autre ces divers postes de « bûcherons », et dans ce but ils établirent une ligne télégraphique de Wi-ju à Yong-an-po. Les Coréens coupèrent immédiatement les fils ; là-dessus, les Russes commencèrent à poser un câble sous-marin, partant de Yong-an-po, contournant la côte et remontant le Yalu jusqu’à An-tung, pour remplacer la ligne projetée de Yong-an-po à la Mandchourie par terre. Comme les travaux relatifs au câble étaient importants et qu’ils avaient besoin, en même temps que la colonie à Yong-an-po, d’être protégés, la Russie proposa d’amener trois cents soldats dans la place. À cette époque, vers la fin d’août, la colonie de Yong-an-po se composait de soixante maisons avec une population civile russe de soixante-dix personnes. Cependant le ministre japonais à Séoul, M. Hayashi, avait reçu à ce moment-là le texte du contrat projeté entre le gouvernement coréen et la Compagnie russe de bois de construction. Le 25 août, il envoya un ultimatum au gouvernement coréen. Le même jour, le ministre russe vint au ministère des Affaires étrangères et insista pour que la location à bail de Yong-an-po fût accordée. En dépit de cette requête pressante, le ministre déclara la chose impossible. Le 27, le ministre russe revint au ministère des Affaires étrangères à midi et y resta jusqu’à sept heures du soir, mais le ministre était malade et ne put le recevoir. M. Pavloff déclara alors qu’il n’avait plus rien à faire avec le ministre et qu’il s’adresserait directement à l’empereur. Dans son ultimatum, M. Hayashi déclarait que si le gouvernement coréen signait un tel contrat avec la Russie, le Japon envisagerait un tel acte comme une violation directe du traité entre elle et la Corée. Dans ce cas, le Japon estimerait que les relations diplomatiques entre les deux pays étaient rompues, et il agirait au mieux de ses intérêts.

AUX FRONTIÈRES DE LA MANDCHOURIE. — UN TRAIN DE BOIS SUR LE YALU

L’action vigoureuse du ministère japonais ne fut pas sans effet et le gouvernement coréen ordonna aussitôt au préfet de Yong-an-po de s’opposer à tout nouvel empiètement des Russes. Les efforts des fonctionnaires locaux furent pourtant vains et, vers le milieu de septembre, en plus de la colonie de Yong-an-po, celle de Yong-chyon s’était développée et se composait maintenant de cent vingt-huit cabanes chinoises, avec treize cents Chinois, soixante-dix Russes et vingt tentes. Des plaintes contre les Russes, qui s’appropriaient délibérément les biens des Coréens, commencèrent à arriver à Séoul et, le 13 septembre, on apprit qu’une ligne télégraphique venait d’être posée à nouveau entre Yong-an-po et la concession de bois sur le Yalu. Une autre information, beaucoup plus inquiétante, accompagnait la nouvelle de ce surcroît d’activité. Les Russes avaient construit une haute tour sur une élévation près du port de Turyu et ils préparaient des emplacements pour trois batteries d’artillerie de campagne. Le 23 octobre, une compagnie de cinq cents Russes commandés par deux officiers, ayant traversé le Tumen et pénétré de nuit sur le territoire coréen, un navire de guerre japonais vint, comme contre-démonstration, mouiller dans l’estuaire du Yalu, tout près de Yong-an-po.

On trouvera peut-être que j’ai donné une importance exagérée à la question de la concession russe. Mais, sans vouloir faire un chapitre d’histoire contemporaine, j’ai pensé qu’il était nécessaire d’apprendre aux lecteurs les phases diverses qui ont précédé le développement de l’action russe sur le Yalu[1].

  1. On dit aussi l’Am-nok.