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Henri III et sa cour/Acte IV

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Henri III et sa cour
Œuvres d’Alexandre DumasMeline, Cans et cievol. 2 (p. 52-58).
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ACTE QUATRIÈME.


LE DUC DE GUISE.




PERSONNAGES

HENRI.

CATHERINE DE MÉDICIS.

LE DUC DE GUISE.

SAINT-MÉGRIN.

D’ÉPERNON.

JOYEUSE.

SAINT-LUC.

RUGGIERI.

ARTHUR.

DU HALDE.

GEORGES.




Même décoration qu’au deuxième acte.






Scène PREMIÈRE.


ARTHUR entrant, puis SAINT-MÉGRIN.
ARTHUR.

Dans la salle du Conseil, l’appartement de M. de Saint-Mégrin, à gauche. — (Saint-Mégrin sort de son appartement.) Pour vous, comte.

SAINT-MÉGRIN.

Cette lettre et cette clef sont pour moi, dis-tu ? Oui… À monsieur le comte de Saint-Mégrin. De qui les tiens-tu ?…

ARTHUR.

Quoique vous ne les attendissiez de personne, ne pouviez-vous les espérer de quelqu’un ?…

SAINT-MÉGRIN.

De quelqu’un !… comment !… Et qui es-tu, toi-même ?

ARTHUR.

Êtes-vous si ignorant en blason, comte, que vous ne puissiez reconnaître les armes réunies de deux maisons souveraines ?…

SAINT-MÉGRIN.

La duchesse de Guise !… — (Lui mettant la main sur la bouche.) Tais-toi !… Je sais tout… — (Il lit.) Elle-même t’a remis cette lettre ?

ARTHUR.

Elle-même.

SAINT-MÉGRIN.

Elle-même !… Jeune homme, ne cherche pas à m’abuser ! Je ne connais pas son écriture… Avoue-le-moi, tu as voulu me tromper…

ARTHUR.

Moi, vous tromper… Ah !…

SAINT-MÉGRIN.
Où t’a-t-elle remis cette lettre ?
ARTHUR.

Dans son oratoire.

SAINT-MÉGRIN.

Elle était seule ?

ARTHUR.

Seule.

SAINT-MÉGRIN.

Et que paraissait-elle éprouver ?

ARTHUR.

Je ne sais… mais elle était pâle et tremblante.

SAINT-MÉGRIN.

Dans son oratoire ! seule, pâle et tremblante !… Tout cela devait être, et cependant j’étais si loin de m’attendre… Non, c’est impossible. — (Il relit.) Plusieurs membres de la Sainte-Union se rassemblent cette nuit à l’hôtel de Guise ; les portes en resteront ouvertes jusqu’à une heure du matin. À l’aide d’un déguisement de ligueur, vous pouvez passer sans être aperçu ; l’appartement de madame la duchesse de Guise est au second, et cette clef en ouvre la porte. À monsieur le comte de Saint-Mégrin. C’est bien à moi… pour moi ; ce n’est point un songe… ma tête ne s’égare pas… Cette clef… ce papier… ces lignes tracées, tout est réel !… il n’y a point là d’illusion… — (Il porte la lettre à ses lèvres.) Je suis aimé… aimé…

ARTHUR.

À votre tour, comte, silence !…

SAINT-MÉGRIN.

Oui, tu as raison ; silence !… et à toi aussi, jeune homme, silence !… Sois muet comme la tombe… oublie ce que tu as fait, ce que tu as vu ; ne te rappelle plus mon nom, ne te rappelle plus celui de ta maîtresse. Elle a montré de la prudence en te chargeant de ce message. Ce n’est point parmi les enfants qu’on doit craindre les délateurs.

ARTHUR.

Et moi, comte, je suis fier d’avoir un secret à nous deux.

SAINT-MÉGRIN.

Oui… mais un secret terrible : un de ces secrets qui tuent. Ah ! fais en sorte que ta physionomie ne le trahisse pas, que tes yeux ne le révèlent jamais… Tu es jeune ; conserve la gaieté et l’insouciance de ton âge. S’il arrive que nous nous rencontrions, passe sans me connaître, sans m’apercevoir ; si tu avais encore dans l’avenir quelque chose à m’apprendre, ne l’exprime point par des paroles, ne le confie pas au papier ; un signe, un regard me dira tout… Je devinerai le moindre de tes gestes ; je comprendrai ta plus secrète pensée. Je ne puis te récompenser du bonheur que je te dois… Mais si jamais tu avais besoin de mon aide, ou de mon secours, viens à moi, parle… et ce que tu demanderas, tu l’auras, sur mon âme, fut-ce mon sang. Sors, sors maintenant, et prends garde qu’on ne te voie… Adieu, adieu !

ARTHUR, lui pressant la main.

Adieu, comte, adieu !


Scène II.


SAINT-MÉGRIN, puis GEORGES.
SAINT-MÉGRIN.

Va, jeune homme, et que le ciel veille sur toi ! Mais il est dix heures, j’ai à peine le temps de me procurer le costume à l’aide duquel… Georges ! (Son valet entre.) il me faut pour ce soir un costume de ligueur… occupe-toi à l’instant de te le procurer. Que je le trouve ici quand j’en aurai besoin ; va. — (Georges sort.) Mais qui vient ici enveloppé d’un manteau ?… Ah ! c’est Côme Ruggieri.


Scène III.


SAINT-MÉGRIN, RUGGIERI.
SAINT-MÉGRIN.

Viens, oh ! viens, mon père, que je te remercie. Eh bien ! toutes tes prédictions se sont réalisées. Je te rends grâces, car je suis heureux ; oh ! oui, oui, plus heureux que tu ne peux le croire… Tu ne me réponds pas, tu m’examines !

RUGGIERI.

Jeune homme, avance avec moi du côté de cette lumière.

SAINT-MÉGRIN.

Oh ! que peux-tu lire sur mon front, si ce n’est un avenir d’amour et de bonheur…

RUGGIERI.

La mort peut-être.

SAINT-MÉGRIN.

Que dites-vous, mon père ?…

RUGGIERI.

La mort !…

SAINT-MÉGRIN, riant.

Ah ! mon père, de grâce, laissez-moi vivre jusqu’à demain, c’est tout ce que je vous demande.

RUGGIERI.

Mon fils, nos instants sont comptés au ciel, et Dieu tient en sa main la vie et la mort des hommes. Souviens-toi de Dugast.

SAINT-MÉGRIN.

Il est vrai que je cours un danger ; demain je me bats avec le duc de Guise.

RUGGIERI.
Demain ! à quelle heure ?
SAINT-MÉGRIN.

À dix heures.

RUGGIERI.

Ce n’est pas cela. Si demain à dix heures tu vois encore la lumière du ciel, compte alors sur des jours longs et heureux. Vois-tu cette étoile ?

SAINT-MÉGRIN.

Qui brille près d’une autre plus brillante encore ?

RUGGIERI.

Oui, et à l’occident, distingues-tu ce nuage sombre qui n’est encore qu’un point dans l’immensité ?

SAINT-MÉGRIN.

Oui, hé bien ?…

RUGGIERI.

Hé bien ! dans une heure, cette étoile aura disparu sous ce nuage, et cette étoile, c’est la tienne.

(Il sort.)



Scène IV.


SAINT-MÉGRIN, puis JOYEUSE.
SAINT-MÉGRIN.

Cette étoile, c’est la mienne ! Ruggieri, arrête ! Il ne m’entend pas ; il entre chez la reine-mère. Cette étoile, c’est la mienne ; et ce nuage !… Vive Dieu ! je suis bien insensé de croire aux paroles de ce visionnaire… Ces signes ne l’ont jamais trompé, dit-il ! Dugast ! Dugast ! et toi aussi, tu volais comme moi à un rendez-vous d’amour, lorsque tu es tombé assassiné ; et ton sang, en sortant de tes vingt-deux blessures, bouillait encore d’espérance et de bonheur. Ah ! si je dois mourir aussi, mon Dieu ! mon Dieu ! que je ne meure du moins qu’au retour !
xxxx(Entre Joyeuse.)

JOYEUSE.

Eh bien ! que fais-tu là ? Est-ce que tu lis dans les astres, toi ?

SAINT-MÉGRIN.

Moi ! non.

JOYEUSE.

Je t’avais pris en entrant pour un astrologue. Quoi ! encore ? mais, qu’as-tu donc ?

SAINT-MÉGRIN.

Rien, rien ; je regarde le ciel.

JOYEUSE.

est superbe ! les étoiles étincellent.

SAINT-MÉGRIN, avec mélancolie.

Joyeuse, crois-tu qu’après notre mort notre âme doive habiter un de ces globes brillants sur lesquels notre vue s’est arrêtée tant de fois pendant notre vie ?

JOYEUSE.

Ces pensées ne me sont jamais venues, sur mon âme ; elles sont trop tristes… Tu connais ma devise : hilariter, joyeusement… voilà pour ce monde… quant à l’autre, peu m’importe ce qu’il sera, pourvu que je m’y trouve bien.

SAINT-MÉGRIN, sans l’écouter.

Crois-tu que là nous serons réunis aux personnes que nous avons aimées ici-bas ?… Dis ; … crois-tu que l’éternité puisse être le bonheur ?…

JOYEUSE.

Vrai Dieu ! tu deviens fou, Saint-Mégrin ; quel diable de langage me parles-tu là ? Arrange-toi de manière à ce que demain, à pareille heure, M. de Guise puisse t’en donner des nouvelles sûres, et ne me demande pas cela à moi. J’ai déjà le cou tout disloqué d’avoir regardé en l’air.

SAINT-MÉGRIN.

Tu as raison… oui… oui… je suis un insensé…

JOYEUSE.

Voilà le roi… Voyons… Éloigne cet air soucieux. On dirait, sur mon âme, que ce duel t’inquiète. Est-ce que tu serais fâché ?…

SAINT-MÉGRIN.

Moi, fâché !… Vrai Dieu ! s’il me tue, Joyeuse, ce ne sera pas ma vie que je regretterai, ce sera de lui laisser la sienne.


Scène V.


Les précédents ; HENRI, D’ÉPERNON, SAINT-LUC, BUSSY, DU HALDE, plusieurs pages et seigneurs, puis CATHERINE DE MÉDICIS.
HENRI.

Soyez tranquilles, messieurs, soyez tranquilles : toutes nos mesures sont prises. Seigneur de Bussy, nous vous rendons notre amitié, en récompense de la manière dont vous avez secondé notre brave sujet, le comte de Saint-Mégrin.

BUSSY D’AMBOISE.

Sire !

HENRI, à Saint-Mégrin.

Te voilà, mon digne ami ; pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? Cimier, faites apporter un fauteuil près notre trône : ma mère assistera à la séance ; prévenez-la qu’elle va s’ouvrir. Ah ! auparavant, sur la première marche, placez un tabouret pour M. le comte de Saint-Mégrin. — (À Saint-Mégrin.) J’ai à te parler… Par la mort Dieu ! nous voilà tous rassemblés, messieurs ; il ne nous manque plus que notre beau cousin de Guise…

CATHERINE, entrant.

Il ne se fera pas attendre, mon fils ; j’ai aperçu

ses pages dans l’antichambre.
HENRI.

Ils seront les bienvenus, ma mère. Messieurs, prenez vos places. D’Épernon, la tienne est devant cette table ; c’est toi qui seras notre secrétaire, en l’absence de Morvilliers.

CATHERINE.

Surtout… sire.

HENRI.

Soyez tranquille, ma mère, soyez tranquille.


Scène IV.


Les précédents ; LE DUC DE GUISE.
HENRI.

Entrez, mon beau cousin, entrez. Nous avions songé d’abord à faire dresser, nous-même, l’acte de reconnaissance que nous vous avions promis ; mais nous avons pensé que celui que M. d’Humières a fait signer aux nobles de Péronne et de Picardie serait ce qu’il y aurait de mieux ; quant à la nomination du chef, un article au bas du premier suffira, et déjà vous avez sans doute quelques idées pour sa rédaction ?

LE DUC DE GUISE.

Oui, sire, je m’en suis occupé. J’ai voulu épargner à Votre Majesté la peine… l’ennui…

HENRI.

Vous êtes bien aimable, mon cousin ; veuillez donner cet acte à M. le baron d’Épernon ; lisez-le-nous à haute et intelligible voix, baron. Or, écoutez, messieurs.

D’ÉPERNON, Lisant.

Association faite entre les princes, seigneurs, gentilshommes et autres, tant de l’état ecclésiastique que de la noblesse et du tiers état, sujets et habitants du pays de Picardie.
xxxxPremièrement.

HENRI.

Attends, d’Épernon. Messieurs, nous connaissons tous cet acte, dont je vous ai montré copie ; il est donc inutile de lire les dix-huit articles dont il se compose : passez à la fin, et vous, monsieur le duc, approchez et dictez vous-même. Réfléchissez qu’il s’agit de nommer un chef à une grande association ! Il faut donc que ce chef ait de grands pouvoirs… Enfin, mon beau cousin, faites comme pour vous.

LE DUC DE GUISE.

Je vous remercie de votre confiance, sire, vous serez content.

SAINT-MÉGRIN.

Que faites-vous, sire ?…

HENRI.

Laisse-moi.

LE DUC DE GUISE, dictant.

1. L’homme que Sa Majesté honorera de son choix devra être issu d’une maison souveraine, digne de l’amour et de la confiance des Français par sa conduite passée et sa foi en la religion catholique.

2. Le titre de lieutenant général du royaume de France lui sera octroyé, et les troupes mises à sa disposition.

3. Comme ses actions auront pour but le plus grand bien de la cause, il ne devra en rendre compte qu’à Dieu et à sa conscience.

HENRI.

Très-bien !

SAINT-MÉGRIN.

Bien !… et vous pouvez approuver de semblables conditions, sire… revêtir un homme d’une pareille puissance !

HENRI.

Silence !

JOYEUSE.

Mais, sire…

HENRI.

Silence, messieurs ; nous désirons, entendez-vous ? nous désirons positivement que, quel que soit le choix que nous allons faire, il vous soit agréable. Mon cousin, donnez-leur donc, en bon et loyal sujet, un exemple de soumission. Vous êtes le premier de mon royaume après moi, mon beau cousin, et, dans ce cas surtout, vous êtes intéressé à ce qu’on m’obéisse.

LE DUC DE GUISE.

Sire, je reconnais d’avance pour chef de la Sainte-Union celui que vous allez désigner ; et je regarderai comme rebelle quiconque osera braver ses ordres.

HENRI.

C’est bien, monsieur le duc. Écris, d’Épernon. — (Se levant de son trône.) Nous, Henri de Valois, roi de France et de Pologne, approuvons, par le présent acte rédigé par notre féal et amé cousin Henri de Lorraine, duc de Guise, l’association connue sous le nom de la Sainte-Union… et, de notre autorité, nous nous en déclarons le chef.

LE DUC DE GUISE.

Comment !…

HENRI.

En foi de quoi, nous l’avons fait revêtir de notre sceau royal — (Descendant du trône et prenant la plume.) et l’avons signé de notre main, Henri. — (Passant la plume au duc de Guise.) À vous, mon cousin : à vous qui êtes le premier du royaume après moi… Eh bien, vous hésitez ! Croyez-vous que le nom de Henri de Valois et les trois fleurs de lis de France ne figurent pas aussi dignement au bas de cet acte que le nom de Henri de Guise et les trois merlettes de Lorraine ? Par la mort-Dieu ! vous vouliez un homme qui possédât l’amour des Français… Est-ce que nous ne sommes pas aimé, monsieur le duc ? Répondez d’après votre cœur. Vous vouliez un homme d’une haute noblesse ; je me crois aussi bon gentilhomme que qui que ce soit ici. Signez donc, monsieur le duc, signez ; car vous avez dit vous-même que quiconque ne le ferait pas serait rebelle.

LE DUC DE GUISE, à Catherine, à part.

Oh ! Catherine, Catherine !

HENRI, indiquant la place où il doit signer.

Là, monsieur le duc, au-dessous de moi.

JOYEUSE.

Vive Dieu ! je ne m’attendais pas à celle-là. — (Tendant la main pour prendre la plume.) Après vous, monsieur de Guise.

HENRI.

Oui, messieurs, signez, signez tous. D’Épernon, tu veilleras à ce que des copies de cet acte soient envoyées dans toutes les provinces de notre royaume.

D’ÉPERNON.

Oui, sire.

SAINT-PAUL, à demi voix.

Nous n’avons pas été heureux, monsieur le duc, dans notre première entreprise.

LE DUC DE GUISE, de même.

La fortune nous doit un dédommagement ; la seconde réussira. Mayenne est arrivé. Vous prendrez ses ordres.

HENRI.

Messieurs, nous vous demandons bien pardon de cette longue séance ; cela n’a pas été tout à fait aussi amusant qu’un bal masqué ; mais prenez-vous-en à notre beau cousin de Guise : c’est lui qui nous y a forcé. Adieu, monsieur le duc, adieu. Veillez toujours sur les besoins de l’État, en bon et fidèle sujet, comme vous venez de le faire, et n’oubliez pas que quiconque n’obéira pas au chef que j’ai nommé, sera déclaré traître de haute trahison. Sur ce, je vous abandonne à la garde de Dieu, messieurs… Êtes-vous contente de moi, ma mère ?

CATHERINE.

Oui, mon fils ; mais n’oubliez pas que c’est moi…

HENRI.

Non, non, ma mère ; d’ailleurs vous vous chargeriez de m’en faire souvenir… n’est-ce pas ? Reste, Saint-Mégrin.

(Tous sortent.)



Scène VII.


HENRI, SAINT-MÉGRIN.
HENRI.

Eh bien ! Saint-Mégrin, j’ai profité, je l’espère, de tes conseils ; j’ai détrôné mon cousin de Guise, et me voilà roi des ligueurs, à sa place.

SAINT-MÉGRIN.

Puissiez-vous ne pas vous en repentir, sire ! mais cette idée n’est pas de vous. J’y ai reconnu…

HENRI.

Eh bien ! quoi ?… parle…

SAINT-MÉGRIN.

La politique cauteleuse de votre mère… Elle croit avoir tout gagné lorsqu’elle a gagné du temps. Je me doutais qu’elle machinait quelque chose contre le duc de Guise… Je l’avais entendue, en lui parlant, l’appeler son ami. Quant à vous, sire, c’est à regret que je vous ai vu signer cet acte. Vous étiez roi, vous n’êtes plus qu’un chef de parti.

HENRI.

Et que fallait-il donc faire ?

SAINT-MÉGRIN.

Repousser la politique florentine, et agir franchement.

HENRI.

De quelle manière ?

SAINT-MÉGRIN.

En roi. Vive Dieu ! les preuves de la rébellion de M. de Guise ne vous auraient pas manqué.

HENRI.

Je les avais.

SAINT-MÉGRIN.

Il fallait donc vous en servir et le faire juger.

HENRI.

Les parlements sont pour lui.

SAINT-MÉGRIN.

Il fallait imposer aux parlements la puissance de votre volonté. La Bastille a de bonnes murailles, de larges fossés, un gouverneur fidèle ; et M. de Guise, en s’y rendant, n’aurait eu qu’à suivre les traces des maréchaux de Montmorency et de Cossé.

HENRI.

Mon ami, il n’y a pas de murailles assez solides pour enfermer un tel prisonnier… Je ne connais qu’un cercueil de plomb et un tombeau de marbre qui puissent m’en répondre… Mets-le seulement en état d’y entrer, Saint-Mégrin, et je me charge de faire fondre l’un et de faire élever l’autre…

SAINT-MÉGRIN.

Et, cela étant, sire, il sera puni, il est vrai ; mais

non pas comme il l’aura mérité…
HENRI.

Peu m’importe la différence des moyens, quand le résultat est le même… J’espère, Saint-Mégrin, que tu n’as rien négligé pour te préparer à ce combat, et que tu as accompli tes devoirs religieux ?

SAINT-MÉGRIN.

Non, sire, je n’en ai pas encore eu le temps…

HENRI.

Comment, tu n’en as pas eu le temps ?… As-tu donc oublié le duel de Jarnac et de La Châtaigneraie ? il avait été fixé à quinze jours de celui du défi… Eh bien ! ces quinze jours, Jarnac les a passés en prières, tandis que La Châtaigneraie courait de plaisirs en plaisirs, sans penser autrement à Dieu… Aussi Dieu l’a puni, Saint-Mégrin !

SAINT-MÉGRIN.

Sire, mon intention est d’accomplir tous mes devoirs de chrétien : mais, auparavant, il en est d’autres qui m’appellent… Permettez…

HENRI.

Comment, d’autres !

SAINT-MÉGRIN, avec impatience.

Sire, ma vie est entre les mains de Dieu… et, s’il a décidé ma mort, sa volonté soit faite !

HENRI.

Eh !… que dites-vous là ?… Votre existence vous appartient-elle, monsieur, pour en faire si peu de cas ?… Non, par la mort-Dieu ! elle est à nous qui sommes votre roi et votre ami. Quand il s’agira de vos affaires, vous vous laisserez tuer, si tel est votre bon plaisir : mais quand il s’agira des nôtres, monsieur le comte, nous vous prions d’y regarder à deux fois.

SAINT-MÉGRIN.

Vrai Dieu, sire, je ferai de mon mieux ; soyez tranquille.

HENRI.

Tu feras de ton mieux… ce n’est point assez : fais-lui jurer qu’il n’a ni plastron, ni talisman, ni armes cachées ; et, quand il l’aura fait, alors rappelle toute ta force, tout ton courage ; pousse vivement à lui.

SAINT-MÉGRIN.

Oui, sire.

HENRI.

Une fois délivré de lui, vois-tu, nous ne sommes plus deux en France, je suis vraiment roi… vraiment libre… je ne fais plus rien que par tes conseils… Ma mère va être fière de celui qu’elle m’a donné ; car tu avais raison, il vient d’elle, et il faudra que je le paye en obéissance… Mais, après ta victoire, elle n’aura plus de moyens de se ressaisir de moi… D’ailleurs, tu me défendrais contre elle… car tu es mon ami…

SAINT-MÉGRIN.

Sire, Dieu et mon épée me seront en aide.

HENRI.

Dieu… je m’en charge… puisque tu parais si peu t’en soucier… Quant à ton épée, je veux en juger par moi-même… — (Il appelle.) Du Halde, apporte des épées émoussées.

SAINT-MÉGRIN.

Sire, est-ce à une pareille heure, quand Votre Majesté doit avoir besoin de repos ?…

HENRI.

Du repos !… du repos !… Ils sont tous à me parler de repos !… et crois-tu qu’il dorme, lui…? ou s’il dort, que rêve-t-il ? Qu’il commande insolemment sur le trône de France, et que moi… moi, son roi… je prie humblement dans un cloître… Un roi ne dort pas, Saint-Mégrin. — (Appelant.) Du Halde ! donne-nous ces épées.

SAINT-MÉGRIN.

Sire, je ne puis en ce moment ; vous m’avez rappelé des devoirs sacrés, il faut que je les accomplisse.

HENRI.

Oh oui !… Eh bien ! écoute, demain… — (L’heure sonne.) Attends ; c’est minuit, je crois ?

SAINT-MÉGRIN.

Oui, sire, c’est minuit.

HENRI.

Chaque fois que sonne cette heure, je prie Dieu de bénir le jour où je vais entrer. — (À Du Halde.) Du Halde, porte ces épées dans ma chambre. — (À Saint-Mégrin.) Il faut que je te quitte ; mais viens me trouver demain de bonne heure avant le combat.

SAINT-MÉGRIN.

J’irai, sire, j’irai.

HENRI.

Bien ! je compte sur toi.

SAINT-MÉGRIN.

Maintenant, je puis me retirer. Votre Majesté est satisfaite.

HENRI.

Oui, le roi est si content, que l’ami veut faire quelque chose pour toi… Tiens, voilà un talisman sur lequel Ruggieri a prononcé des charmes ; celui qui le porte ne peut mourir, ni par le fer, ni par le feu. Je te le prête ; tu me le rendras, au moins, après le combat ?

SAINT-MÉGRIN.

Oui, sire…

HENRI.
Adieu, Saint-Mégrin… maintenant, je vais dormir.
SAINT-MÉGRIN.

Adieu, sire…

HENRI.

Jeune, brave, aimé de ton roi, tu iras loin, Saint-Mégrin, je te le promets.

SAINT-MÉGRIN.

Merci, sire, merci…

HENRI.

Adieu…

SAINT-MÉGRIN.

Adieu, sire, adieu.


Scène VIII.


SAINT-MÉGRIN, GEORGES.
SAINT-MÉGRIN.

Je suis seul, enfin ! — (Appelant.) Georges… ah ! te voilà… Mon costume… bien… aide-moi… aide-moi…

GEORGES.

Vous allez sortir… Voulez-vous que je fasse venir une chaise à porteurs ?

SAINT-MÉGRIN.

Non…

GEORGES.

Le temps est à l’orage…

SAINT-MÉGRIN.

Oui. — (Allant à la fenêtre avec un rire convulsif.) Il n’y aura bientôt plus une étoile au ciel…

GEORGES.

Et vous allez sortir à pied ?

SAINT-MÉGRIN.

Oui, à pied…

GEORGES.

Sans armes…

SAINT-MÉGRIN.

J’ai mon épée et mon poignard, cela suffit… Cependant donne-moi l’épée de Schomberg ; elle est plus forte.

GEORGES.

La voilà… Voulez-vous que je vous accompagne ?…

SAINT-MÉGRIN.

Non. Il faut que je sorte seul.

GEORGES.

À minuit passé… que dirait votre mère ?

SAINT-MÉGRIN, à la fenêtre.

Ma mère… oui, oui, tu as raison… L’orage s’étend… Ma pauvre mère, je voudrais bien la revoir… ne fût-ce qu’un instant. Écoute : tu lui donneras cette chaîne, — (Coupant une boucle de cheveux avec son poignard.) ces cheveux, demain, si tu ne me revois pas, entends-tu.

GEORGES.

Et pourquoi, monseigneur, pourquoi ?…

SAINT-MÉGRIN.

Tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir… je ne puis pas te dire… Donne-moi mon manteau…

GEORGES.

Mon maître… mon jeune maître… ne sortez pas, au nom du ciel… la nuit sera terrible.

SAINT-MÉGRIN.

Oui, terrible, peut-être… N’importe, il le faut, elle m’attend, j’ai tardé beaucoup… Oh ! s’il allait être trop tard…

GEORGES.

Au nom du ciel, laissez-moi vous suivre.

SAINT-MÉGRIN, avec colère.

Reste, je te l’ordonne.

GEORGES.

Mon maître !

SAINT-MÉGRIN, lui tendant la main.

Non, embrasse-moi… adieu… adieu… n’oublie pas ma mère !