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Histoire abrégée de l'île Bourbon/IV

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 25-31).

CHAPITRE IV

De Vauboulon, Firelin, les six élus, Bastide, de la Cour, de Villers, de Charanville, gouverneurs — Arrestation — Prison — Fuite — De Prades — Commandants des quartiers — Les Fêtes — Augmentations des six — Intercommerce — Monseigneur Maillard — Église de Saint-Paul — Mutilation — Question.
Habert de Vauloulon — De décembre 1689 à décembre 1691.

25. Cependant le père Bernardin fut mandé à la Cour par le roi qui l’écouta avec bienveillance et se montra favorable au progrès de la Colonie. À cet effet, il nomma de Vauboulon gouverneur avec des pouvoirs très étendus. Celui-ci partit avec le père Bernardin, le père Hyacinthe et le frère Lanion. Le père Bernardin qui devait l’assister de ses conseils et de son expérience mourut à Rio-Janeiro.

26. Dès son arrivée, de Vauboulon se montra cruel avare, impérieux ; il annulait les anciennes concessions[1] pour les faire revivre moyennant une taxe à son profit ; il s’emparait arbitrairement des produits à sa convenance. Ses exactions le rendirent odieux aux habitants qui, après l’avoir déposé, le mirent en prison à Saint-Denis, où il mourut après huit mois de détention, le 15 août 1692[2].

27. Dès 1690, de Vauboulon avait concédé au sieur Athanase Touchard une terre située sur les bords de l’Étang de Saint-Paul, et que celui-ci possédait depuis vingt ans. C’est la première concession régulière dont il soit fait mention dans les archives de la Colonie.

28. Le gouvernement passa entre les mains de Michel Firelin qui essaya d’administrer sous la direction du père Hyacinthe, mais ne pouvant établir son autorité, il s’enfuit dans les montagnes (1693).

Les six élus — 1693 à 1696.

29. La retraite précipitée de Firelin laissa la Colonie sans chef. Les habitants créèrent une commission élective composée de six membres résidant à Saint-Paul. Cette commission était chargée de prendre connaissance des affaires de l’île Bourbon. Elle était représentée à Saint-Denis et à Sainte-Suzanne par deux habitants qualifiés de principaux, qui rendaient compte à la commission des faits survenus dans leurs localités.

30. À l’exemple du dernier gouverneur, les Six Élus de Saint-Paul s’inspirèrent, mais plus heureusement, des conseils du père Hyacinthe, car ils administrèrent la Colonie jusqu’en 1696, à la satisfaction générale de la France et des habitants.

31. M. de Prades, désigné par plusieurs comme ayant gouverné durant trois ans, n’a fait que passer à Bourbon. Il s’était autorisé de son titre de capitaine au service de la Compagnie pour signer diverses pièces administratives pendant l’escale de ses navires.

Bastide — 1697 à 1699

32. Les habitants, déjà au nombre de 500, composaient les trois cantons de Saint-Denis, Saint-Paul et Sainte-Suzanne ; ils s’écartèrent peu à peu de leurs centres, afin d’occuper par concessions des terrains nouveaux et plus vastes. Cet éloignement rendait difficile l’action et l’autorité du gouverneur qui ne pouvait se transporter facilement d’un lieu à un autre. Par lettre du Ministre, il institua des commandants de quartiers qui le représentaient, avec mission de rendre compte de leur administration. Au fond, les Six Élus composèrent le premier conseil municipal, et les commandants établis par M. Bastide peuvent être considérés comme les premiers maires.

De la Cour — 1699 à 1701

33. Aussitôt installé, le gouverneur prit des informations au sujet du chirurgien Royer qu’il avait mission de faire pendre, à cause de la part que cet employé avait prise dans l’affaire Vauboulon. Sa mort, arrivée trois ans auparavant lui épargna l’ignominie du supplice.

Cette mesure de fermeté est la seule qui figure dans les actes administratifs de M. de la Cour. En dehors de quelques concessions signées ou retirées, ce gouverneur paraît avoir été plus attaché aux plaisirs qu’à l’accomplissement des devoirs de sa charge. La chronique dit qu’il passait le temps dans les danses et dans les fêtes.

Jean-Baptiste de Villers — 1701 à 1709

34. À cette époque le conseil des Six augmenta de quelques membres, en proportion du nombre croissant de la population. Les ordonnances de la Haye furent sagement renouvelées au sujet des absences non permises du dimanche, des règles concernant la chasse et d’autres abus. Les habitants reçurent pour la première fois la liberté de commercer entre eux, mais non avec les forbans, bien que ces derniers fussent presque les seuls à offrir les marchandises de l’Inde.

35. En 1703, le gouverneur reçut le cardinal légat, Mgr Maillard de Tournon, qui se rendait aux Indes. Avant son départ de Bourbon, sa Grandeur administra le sacrement de confirmation, félicita les habitants de leur piété, et leur promit de s’occuper d’eux auprès de la Propagande. En effet, quelques années après, le pape Clément XI confia la mission de Bourbon aux prêtres Lazaristes.

36. La chapelle de Notre-Dame des Anges étant devenue insuffisante, de Villers fit construire une église plus grande, dont il posa solennellement la première pierre en 1708 — Son nom est resté au piton le plus saillant de la Plaine des Cafres qu’il avait visitée peu de temps avant son départ.

De Charanville — août 1709 à juillet 1710.

37. Le brigandage reprit une nouvelle vigueur ; les traces de mutilations exercées par les noirs marrons furent plus nombreuses qu’en aucune autre époque. M. de Charanville déploya une grande énergie à la répression de ces désordres : plusieurs chefs révoltés reçurent la question.

38. À l’égard de ses administrés, le gouverneur se montrait bon, affable, hospitalier ; sa maison, transformée pour ainsi dire en hôtel, avait place pour tous, et chacun se retirait charmé des bons procédés du chef de la Colonie.

39. L’arrivée du chevalier Parat affligea M. de Charanville ; s’il était aimé des habitants, lui, de son côté, ne leur était pas moins attaché. Il chercha, dit-on, à prolonger le temps de son gouvernement, mais les dispositions de la Compagnie, acceptées d’ailleurs par les habitants, ne lui permirent pas de réaliser son projet.

Le départ précipité du gouverneur fit croire qu’on l’avait accusé auprès de la Compagnie de favoriser le commerce avec les forbans. Ceci est d’autant plus vraisemblable que plusieurs colons déjà influents avaient pris le parti de ne trouver aucun chef à leur convenance. De la Hure, de Florimont et Vauboulon avaient donné lieu aux récriminations ; mais d’Orgeret, Drouillard, Firelin et Bastide, à qui l’on ne reprochait rien de sérieux, ne furent point épargnés. On verra bientôt que le successeur de Charanville, et d’autres après lui, ont été également victimes du mauvais esprit des cabaleurs.

  1. Les premières concessions importantes remontaient à l’année 1673.
  2. Dans ses mémoires, Houssaye, capitaine du vaisseau Les Jeux, parle ainsi de ce fait : « De Chauvigny me demanda si je ne pourrais pas passer dans mon bord un honeste homme pour retourner en France, qui pût éclairer Messieurs de la Compagnie de tout ce qui se passait dans l’île… Il me dit que la Compagnie estoit volée… par ordre du Gouverneur… que les habitants estoient réduits à un estat si pitoyable qu’ils gémissaient tous les jours en attendant d’envoyer leurs plaintes, et me dit que le Révérend père Hyacinte m’informerait de tout plus particulièrement, ce que j’ai fait et trouvé très véritable…

    « Enfin le sieur de Chauvigny m’ayant fait voir le désespoir où estoient tous les habitants, et si grand, qu’ils avoient pris résolution de lier et garotter le dit gouverneur, et de m’en charger avec leurs raisons pour le repasser en France, et de restablir le sieur Chauvigny pour leur gouverneur et que la proposition lui en avoit esté faite non-seulement par les pauvres habitants, mais mesme par le révérend père Hyacinthe… ce que j’ay trouvé très vray de l’aveu mesme du père Hyacinthe… De manière, pour conclusion, que j’ay jugé à propos de donner passage au dit sieur Chauvigny… pour vous donner une entière lumière de toutes choses ainsy que les lettres du révérend père Hyacinthe qui vous confirmeront toutes ces vérités. »

    (Notes sur l’île de la Réunion.)