Aller au contenu

Histoire abrégée de l'île Bourbon/VI

La bibliothèque libre.
Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 34-38).

CHAPITRE VI

Justamond, de Beauvolier, gouverneurs — Ordonnance sur le café — Nouveaux plants d’Arabie — Ouragan — Milices — Premiers habitants de l’île de France — Les pirates.
Henri Justamond — 1715 à 1718.

7. Sous l’intérim de M. Justamond, le conseil provincial prit des mesures pour hâter le développement de la culture caféière. Un arrêté, du 4 décembre 1715 obligea chaque habitant à planter et à entretenir 100 caféiers par individu de 15 à 60 ans, libre ou esclave. Cependant le café, quoique cultivé, conservait un goût sauvage qui le fit déprécier et tenir en France pour qualité inférieure. Les Antilles fournissaient en quantité l’espèce tirée de l’Arabie, que sa qualité supérieure faisait rechercher de préférence. La Compagnie prévint le discrédit qui menaçait de frapper le café Bourbon, en introduisant dans l’Île une certaine quantité de plants de l’espèce d’Arabie. À cet effet, M. de Beauvolier de Courchant fut envoyé dans la mer Rouge sur le Triton, capitaine Dufougerais-Garnier ; il parvint, sans trop de peine, à se procurer des plants et des semences convenablement préparés du caféier Moka, et rapporta le tout à Bourbon en 1717.

Ces plants, confiés à M. Desforges-Boucher, lieutenant du roi, rapportèrent en 1720 assez de baies pour créer à Saint-Paul des caféries contenant ensemble 7,500 plants. Cette culture prit une telle importance que les industries primitives devinrent purement accessoires. En 1734, la Colonie exportait 9,000 kilos de café au prix variable de 3 à 5 sous la livre ; la Compagnie le revendait 13 sous en France. En 1789, la récolte s’éleva à 2,000,000 de kilogrammes et, en 1801, au chiffre de 3,500,000 kilogrammes.

Ajoutons que la découverte du café détermina de nombreuses immigrations à Bourbon, dans l’espoir de réaliser des fortunes promptes et faciles. Le mémoire de M. Parat (1715) porte la population à 643 personnes ; en 1717, elle s’élevait à 2,000 individus, y compris 1, 100 noirs. L’augmentation se continua dans la même proportion jusqu’en 1777.

8. Le 1er avril 1718 un ouragan des plus violents vint éprouver la colonie ; le bras de la rivière des Galets qui débouchait dans l’Étang fut obstrué, et les terrains à proximité perdus pour les propriétaires.

De Beauvolier de Courchant — 1718 — 1723.

9. Ce gouverneur favorisa de tout son pouvoir l’impulsion de la culture du café qu’il avait importé l’année précédente ; il établit des chemins de communication dans le but de faciliter les rapports et le trafic. C’est à lui que l’on doit les premiers travaux de la route de Saint-Paul à Saint-Denis. (Vieux chemin ou chemin improprement dit des Anglais.)

10. Tandis que M. de Beauvolier s’appliquait aux améliorations et au développement de l’agriculture, les noirs marrons d’une part, et les pirates de l’autre, recommencèrent leurs dépradations interrompues depuis 1710. Ces ennemis du dedans et du dehors augmentaient en nombre ; les marrons surtout constituaient un danger sérieux pour une population sans moyen de défense. La protection et la sûreté des habitants s’imposaient rigoureusement ; le Gouverneur y répondit par la création de milices régulières. Elles se composaient pour chaque localité de tous les hommes de 15 à 60 ans en état de porter les armes.

11. En 1718, proposition avait été faite du choix de plusieurs familles pour aller coloniser l’île de France, alors inhabitée ; cet appel ne fut pas entendu, parce que les colons préféraient leur patrie d’adoption à tout autre pays. Quelques individus furent néanmoins désignés à cet effet (1721), mais ils s’enfuirent dans les bois ; on dut les réquisitionner, et les embarquer sous les ordres immédiats du capitaine Henri Hubert.

« De 1710 à 1720, les pirates firent peu parler d’eux ; mais à cette dernière époque surgirent les Taylor, les Condent, les Egland et surtout le nommé la Buze, qui enlevèrent plusieurs navires en rade, entre autres celui qui portait le vice-roi de Goa et ses richesses, l’archevêque de la même ville et d’autres personnes de distinction » (1721)[1]

« Arrivé en rade, le vice-roi descendit à terre pour faire visite au Gouverneur. Peu de moments après, un vaisseau pirate, de 50 canons entrait dans le port et ne laissait pas échapper une aussi belle capture. Le capitaine s’empara du bâtiment, puis se rendit au Gouvernement. C’était l’heure du dîner. Le pirate se mit entre le Gouverneur et le vice-roi à qui il déclara qu’il était son prisonnier. Après de nombreuses libations, Olivier, Levasseur commençait à prendre une physionomie plus sociable. Desforges profita du moment : « Capitaine, lui dit-il, quelle rançon exigez-vous du vice roi ? — Il me faut mille piastres, répondit-il avec indifférence. — C’est trop peu, dit le Gouverneur, pour un brave homme comme vous et un gros seigneur comme lui. Demandez beaucoup ou ne demandez rien — Eh bien ! qu’il soit libre, dit le pirate. » Le vice-roi ne se le fit pas répéter, regagna son navire et mit à la voile.[2]

Quant au pirate, le surnom de la Buze lui fut donné depuis cet acte de générosité. Dix ans plus tard, il fut pris à Madagascar par l’Hermite, capitaine de la Méduse, puis amené à Bourbon, jugé, condamné et pendu le même jour, 17 juillet.

12. La chasse aux pirates était l’objet d’une attention spéciale de la part de l’Angleterre ; la France ne resta pas étrangère à ce mouvement, mais en faisant connaître aux forbans ses intentions de les gracier, à la condition de changer de conduite. Condent, et avec lui 125 corsaires, vivement pressés par les Anglais, s’adressèrent à M. de Beauvolier qui leur accorda le privilège de l’amnistie et l’autorisation de se fixer à Bourbon, 1721.

  1. Maillard.
  2. Lacaze.