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Histoire de Belgique/Tome 6/Livre 3/Chapitre 4/1

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Maurice Lamertin (6p. 316-325).
I

Au sortir de la crise de 1815-1820, le réveil de l’industrie avait eu pour conséquence d’incliner peu à peu vers Guillaume la bourgeoisie belge. Les catholiques lui savaient autant de gré que les libéraux de la sollicitude qu’il témoignait aux intérêts matériels. Au lieu de le railler, comme faisait la noblesse, de ce qu’il engageait sa propre fortune dans les spéculations et les entreprises et s’enrichissait lui-même en même temps que ses sujets, les gens d’affaires lui étaient reconnaissants d’une conduite qui non seulement affermissait leur confiance dans l’avenir, mais qui établissait encore une sorte de solidarité entre eux et le roi. La bienfaisance de son gouvernement personnel en matière économique rendait bien difficile de le combattre ouvertement sur les autres terrains. Malgré leurs griefs, les catholiques n’avaient pas osé entrer avec lui en lutte ouverte. La classe possédante ne pouvait rompre avec un souverain si attaché à l’augmentation de la richesse publique et si complètement d’accord avec elle sur la nécessité de conserver à l’État le caractère censitaire que lui avait conféré la Loi fondamentale.

Mais si les progrès constants de la prospérité de la Belgique tournaient à l’avantage du roi, ils ne profitaient en rien à la consolidation du royaume. Il n’est même pas exagéré de dire qu’ils agissaient à son détriment, et que la politique de Guillaume au lieu de pousser à l’ « amalgame » en éloignait le pays à raison même de son succès.

L’activité économique qu’elle suscitait en Belgique devait fatalement y réveiller le sentiment national engourdi sous la domination étrangère. Tout se tient dans l’ordre social, et lorsque l’énergie d’un peuple se ranime, il est impossible de lui imposer des limites. De même qu’à la fin du XVIIIe siècle, la prospérité de la bourgeoisie française l’avait soulevée contre l’Ancien Régime, de même la bourgeoisie belge, en devenant consciente de sa force et de son importance, se trouvait nécessairement amenée à supporter avec impatience la situation qui lui était faite dans l’État. Sans doute elle ne protestait plus, comme en 1815, contre son union avec la Hollande. Elle en avait trop largement profité pour avoir la moindre velléité de la rompre. Mais elle commençait à ressentir d’autant plus amèrement la subordination des provinces du Sud aux provinces du Nord, que celles-ci étaient bien loin de rivaliser avec celles-là. Tandis que la Belgique se transformait à vue d’œil, la Hollande, fidèle à ses traditions, montrait beaucoup moins de ferveur novatrice et d’esprit de progrès. Elle aussi se développait, mais elle se développait lentement, sans ardeur ni précipitation. Son commerce ne suivait que de loin la marche ascensionnelle de l’industrie flamande et wallonne. Vis-à-vis de ces travailleurs hardis et impatients qu’étaient les Belges, les Hollandais faisaient figure de patriciens conservateurs, gérant avec une sagesse prudente leur solide fortune. Bref, entre les deux pays se marquait le contraste des deux peuples, l’un attaché au passé, l’autre orienté vers l’avenir. Au lieu d’atténuer l’opposition séculaire de leurs tempéraments et de leurs idées, l’évolution économique ne faisait donc que l’accentuer. Et elle l’accentuait encore par les conflits qui continuellement mettaient aux prises, en matière de législation commerciale, les négociants du Nord avec les manufacturiers du Sud.

Il était impossible que les Belges ne ressentissent pas avec une amertume croissante, l’injustice qui leur était faite dans un État où ils avaient conscience de mériter le premier rang et qui les reléguait au second. La préférence accordée aux Hollandais dans toutes les branches de l’administration, l’égalité de la représentation des deux parties du royaume aux États-Généraux en dépit de l’inégalité des populations, le néerlandais imposé à la bourgeoisie francisée des provinces flamandes, fournissaient autant de griefs contre lesquels on ne protestait pas encore à haute voix, mais qui deviendraient des armes terribles dès que l’opposition se déciderait à entreprendre une lutte que les circonstances avaient retardée mais qu’elles étaient, en 1828, sur le point de déchaîner avec une violence d’autant plus grande qu’elle avait été plus longtemps différée.

Le gouvernement, ou pour mieux dire le roi, puisque le roi et le gouvernement c’était tout un, ne semble pas avoir prévu le péril dont il était menacé. Appuyé dès l’origine par les libéraux belges, il s’était habitué à croire qu’il pourrait compter sur eux en toute occasion. Il les considérait comme un parti ministériel acquis à ses vues et aussi attaché que lui-même aux intérêts de la couronne. C’était là une erreur fondamentale. La persévérance et l’énergie avec lesquelles les amis de Dotrenge et de Reyphins avaient soutenu Guillaume n’avaient d’autre cause que la communauté de leurs adversaires. Partisans comme lui de la subordination de l’Église à l’État, ces libéraux joséphistes ou plus exactement bonapartistes, s’étaient résolument placés à ses côtés pour combattre les cléricaux. Mais leur anticléricalisme ne s’inspirait pas, comme celui du roi, de la nécessité de consolider l’unité du royaume. Il n’était que la conséquence de leur adhésion aux principes de l’État moderne tel que Napoléon l’avait construit au sortir de la Révolution. Ce n’était pas au profit des traités de 1815 et en faveur de l’ « amalgame » qu’ils avaient applaudi aux mesures prises par Guillaume contre leurs compatriotes catholiques : c’était par conviction intime, et leur conduite eût été exactement la même sous n’importe quel régime. Le roi se trompait donc du tout au tout en les croyant, quoi qu’il arrivât, attachés à sa politique. Leur alliance avec lui ne s’expliquait que par des motifs d’opportunisme. Ils s’y tenaient parce que la question cléricale l’emportait à leurs yeux sur toutes les autres. Leur horreur des jésuites les eût jetés dans les bras de tout gouvernement décidé à leur tenir tête.

Mais aux abords de 1828, cet anticléricalisme dans lequel s’étaient absorbés les libéraux de leur génération, commençait à céder le pas à des préoccupations d’un autre ordre. Aux jeunes gens qui n’avaient pas connu l’Ancien Régime et qui entraient alors dans la carrière, l’Église n’apparaissait plus l’adversaire irréductible de la société nouvelle. Peu croyants, par suite de l’instruction qu’ils avaient reçue dans les lycées et dans les athénées, ils restaient sans doute défiants à son égard mais ils ne l’étaient pas moins à l’égard de l’État qui, sous prétexte de défendre contre elle les libertés modernes, les confisquait en réalité à son profit. Le napoléonisme de leurs aînés ne leur suffisait plus. Le despotisme politique leur était aussi odieux que le fanatisme confessionnel. Formés par la lecture de ces journaux de réfugiés que Guillaume avait laissés complaisamment en Belgique déverser l’opprobre non seulement sur les cléricaux mais sur les Bourbons, ils avaient perdu insensiblement le respect de la monarchie absolue. Leur jeunesse s’intéressait passionnément à la lutte retentissante que, depuis le ministère de Villèle, les libéraux français soutenaient contre les « ultras » et la royauté de droit divin. Ils s’enthousiasmaient aux discours de Royer Collard. Les écrits politiques de Benjamin Constant les initiaient à la théorie du gouvernement constitutionnel et parlementaire, dont l’arrivée au pouvoir du ministère Martignac à Paris (5 janvier 1828) semblait annoncer le triomphe.

Quel contraste entre les États-Généraux et le parlement français ! Ici, des partis luttant pour imposer leur programme à la couronne et disposant par leurs votes du sort de ministres responsables devant les Chambres, c’est-à-dire devant la nation. Là, les députés régentés de haut par les ministres qu’il plaisait au roi de leur imposer et réduits au rôle de solliciteurs. Comment hésiter entre deux régimes dont l’un se réclamait de la souveraineté du peuple et des « immortels principes » proclamés par la Révolution, tandis que l’autre s’obstinait dans la tradition archaïque de l’absolutisme ? Aussi, les jeunes « jacobins » n’hésitaient-ils pas. La liberté telle qu’ils la comprenaient, c’était la liberté dans tous les domaines, affranchie de la tutelle de l’État, ne relevant que de la volonté des citoyens, égale pour toutes les opinions comme pour toutes les croyances. Le Globe, qui depuis son apparition en 1824 nourrissait la pensée de ces néo-libéraux, ne réclamait-il pas la liberté de l’instruction, apportant ainsi à l’Église le concours inattendu de l’avant-garde de ce parti qu’elle avait toujours considéré jusqu’alors comme son irréconciliable adversaire ?

La direction nouvelle du libéralisme belge s’explique, on le voit, par cette influence française que le roi lui-même avait, en matière politique, si imprudemment favorisée. Elle ne doit rien, quoi qu’on en ait cru, à l’enseignement des universités fondées en 1817. Sans doute, les jeunes libéraux, pour la plupart avocats ou gens de lettres, en avaient fréquenté les cours. Mais s’ils en avaient emporté des connaissances juridiques et des diplômes, ils n’en avaient reçu ni en tous cas conservé aucune de leurs idées. Les professeurs les plus éminents, un Schrant ou un Warnkoenig par exemple, avaient professé devant eux les principes de cet absolutisme éclairé contre lequel précisément ils s’insurgeaient. Le gouvernement avait pris soin de ne choisir que des maîtres dont les doctrines correspondissent à ses vues. Hollandais, Allemands ou formés à l’école de l’Allemagne, ils étaient tous, par origine ou par principe, aussi respectueux des droits de la monarchie qu’hostiles aux théories révolutionnaires et démocratiques. Ces savants et ces érudits s’abstenaient d’ailleurs pour la plupart de s’aventurer sur le terrain politique. Et l’objectivité même de leur enseignement l’empêchait d’avoir prise sur une jeunesse tout entière tournée vers l’action et qui sortait de leurs cours pour courir se griser de la lecture des journaux. En fait, les universités n’exercèrent aucune action sur l’esprit public. Leur rôle, dont elles s’acquittèrent consciencieusement, était de préparer les jeunes gens à l’exercice des professions libérales et non pas d’en faire des citoyens.

Ainsi, l’influence française qui, au XVIe siècle, avait déterminé l’évolution du protestantisme en Belgique[1], y détermina de même celle du libéralisme au commencement du XIXe siècle. La transformation qu’elle opéra dans les esprits entre 1825 et 1828 ne peut mieux s’attester que par l’exemple de Louis de Potter dont les circonstances allaient faire bientôt le maître de l’heure. Ce descendant d’une vieille famille brugeoise avait tout d’abord fait scandale par son scepticisme voltairien. En 1822, son ami Chênedollé le félicitait de « chercher des armes dans l’arsenal des papes pour les combattre et renverser le colosse sacerdotal »[2]. Son Histoire des Conciles et sa Vie de Scipion de Ricci avaient attaqué l’Église avec virulence, et Vilain XIIII lui écrivait, en manière de compliment, « qu’il sentait la grillade d’une lieue ». Son anticléricalisme l’avait naturellement rapproché du gouvernement. Il appartenait au petit nombre de ces Belges qui « permettent aux Hollandais de les appeler compatriotes ». Il était au mieux avec Falck, fréquentait à Rome le salon de Reinhold, et son ami Groovestins lui faisait part de l’intérêt avec lequel le roi lisait la Vie de Ricci. Mais à la haine du prêtre s’alliait en lui celle du noble. En 1824, après la mort de son père, il avait refusé, par une lettre d’une ironie dédaigneuse, le titre de noblesse que celui-ci avait sollicité. De plus en plus, il accentuait ses allures démocratiques. L’absolutisme, fût-il même aussi « éclairé » que celui de Joseph II et de Guillaume, lui apparaissait comme un opprobre à la souveraineté du peuple. Il n’admettait pas que sous prétexte de combattre les jésuites, le gouvernement usurpât un pouvoir arbitraire et il voyait dans sa prétention d’organiser en Belgique une Église nationale le dessein de « soumettre l’Église au joug de la politique ». Cet ennemi des papes en arrivait ainsi, en 1824, à considérer la question catholique comme la « question vitale ».

Pour la résoudre par la liberté et en même temps pour terrasser le pouvoir qui s’en faisait un instrument de despotisme, il était prêt à tendre la main à ses anciens adversaires.

En même temps, débutaient dans la carrière politique une foule de jeunes gens que la passion de la liberté emplissait d’une ardeur généreuse. Leur idéalisme, nourri des principes de 1789 et de la déclaration des droits de l’homme, leur montrait dans le régime parlementaire l’aboutissement final de la Révolution dont ils se proclamaient les disciples. C’étaient à Bruxelles, à côté de Ducpétiaux, de Levae, de Jottrand, de Charles de Brouckère, le Louvaniste Sylvain van de Weyer, le Brugeois Paul Devaux, le Luxembourgeois J.-B. Nothomb ; à Liège, Charles et Firmin Rogier, Joseph Lebeau, génération nouvelle dont les cadets avaient vingt ans à peine, dont les aînés pour la plupart n’avaient pas trente ans, et qui par sincérité et désintéressement, au sortir de l’université, s’étaient lancés dans la carrière ingrate et périlleuse du journalisme.

Sous l’action de ces propagandistes bénévoles, la presse s’animait brusquement d’une vie nouvelle. Le Mathieu Lansberg (devenu Le Politique en 1828), était fondé à Liège, en 1824, par les deux frères Rogier ; Le Belge paraissait à Bruxelles en 1826. Les vieux journaux où s’était épanché jusqu’alors le libéralisme ministériel se voyaient avec dépit détrônés par des feuilles nouvelles, débordantes de hardiesse et d’entrain.

En vertu même de leurs principes, les jeunes libéraux ne pouvaient manquer de contracter tôt ou tard avec les catholiques une alliance que leur imposait d’ailleurs l’intérêt le plus évident de leur parti. Ils ne se dissimulaient pas que la lutte qu’ils brûlaient d’entreprendre contre le gouvernement n’avait aucune chance d’aboutir aussi longtemps qu’ils ne pourraient compter que sur leurs forces. Car malgré les progrès qu’elle n’avait cessé de faire depuis l’Empire, l’opinion libérale, confinée dans la bourgeoisie urbaine, n’était que l’opinion d’une minorité dont l’énergie ne pouvait compenser la faiblesse numérique. Aussi longtemps que les catholiques s’étaient obstinés à exiger pour l’Église la prééminence dont elle avait joui sous l’Ancien Régime, aucune entente avec eux n’avait été possible. Mais voici qu’évoluant à leur tour, ils invoquaient les principes qu’ils avaient si longtemps combattus. Au lieu de revendiquer la liberté pour eux seuls, ils l’admettaient maintenant pour leurs adversaires. Ils répudiaient le privilège en faveur du droit commun. Ils étaient prêts à se réconcilier avec la société moderne pourvu que, rompant avec la tradition absolutiste du XVIIIe siècle, elle cessât de les soumettre à la raison d’État et de leur refuser l’égalité qu’elle reconnaissait à tout le monde.

En vain le Journal de Gand croyait les embarrasser en republiant le manifeste épiscopal du 8 octobre 1814, en faveur du rétablissement des dîmes, des tribunaux ecclésiastiques et des privilèges du clergé. Les jeunes catholiques avaient aussi complètement abandonné ces prétentions que les jeunes libéraux avaient rompu avec l’anticléricalisme de leurs aînés. À la place de Mgr. de Broglie, c’était maintenant Lamennais qu’ils reconnaissaient comme leur chef spirituel.

En proclamant la nécessité pour l’Église de ne chercher son salut que dans la liberté « dont la puissance temporelle aspire à la dépouiller peu à peu », et en lui faisant un devoir de ne pas entretenir plus longtemps avec les gouvernements « des rapports qui la constituent dans un état de dépendance incompatible avec ses droits essentiels », il donnait aux catholiques belges un programme qui répondait trop complètement à leurs besoins et à leurs tendances pour qu’ils s’effrayassent, comme le faisait une grande partie du clergé français, de sa nouveauté et de sa hardiesse[3]. À peine son retentissant manifeste avait-il paru (1828) qu’il se trouvait dans toutes les mains. Dès 1829, on en relève quatre éditions à Bruxelles. L’abbé van Bommel en donnait une traduction hollandaise. Les deux principaux organes de l’opinion catholique, Le Courrier de la Meuse et Le Catholique des Pays-Bas le propageaient avec zèle. Au sein du clergé comme au sein des fidèles, c’était une adhésion complète à la formule libératrice. Nulle hésitation, nul scrupule, une ardeur d’autant plus grande et plus confiante que dans l’Église belge désorganisée par la mort de ses évêques, personne ne peut en réfréner les emportements. À Bruxelles l’internonce du pape, Mgr. Capaccini, se méfie de cette fougue. « Les catholiques les plus pieux, écrit-il avec inquiétude à Rome, et ceux-là même qui refusèrent en 1815 d’accepter des fonctions publiques pour ne pas devoir prêter le serment à la Loi fondamentale parce que celle-ci reconnaissait la liberté des cultes et de la presse, ne désirent aujourd’hui que cette liberté, parce qu’ils sont convaincus que c’est là l’œuvre de leur salut »[4].

Les libéraux contemplèrent d’abord avec surprise une conversion si étonnante. Ils ne pouvaient se dissimuler que cette même liberté qu’ils revendiquaient par principe, leurs adversaires ne l’exigeaient que dans l’intérêt de l’Église et faute d’avoir pu la confisquer à son profit. Mais quoi ? Devaient-ils refuser l’alliance qui s’offrait et renoncer à l’occasion inespérée de marcher côte à côte contre l’ennemi commun pour s’obstiner dans de vieilles querelles et perpétuer leur impuissance ? « Dira-t-on, demandait le Mathieu Lansberg, que Le Catholique prêchant la liberté, il nous faille à toute force prêcher le despotisme »[5] ? L’opportunisme n’imposait-il pas l’union, quitte à la briser quand, la victoire obtenue, il ne serait plus possible de s’accorder ? N’existait-il pas d’ailleurs, entre catholiques et libéraux belges un terrain d’entente ? Ne souffraient-ils pas les uns et les autres des mêmes griefs ? Acharnés à se combattre, ils s’étaient mutuellement empêchés jusqu’alors d’opposer à la politique du gouvernement un front unique. Leurs dissentiments avaient fait leur faiblesse ou, pour mieux dire, avaient sacrifié la nation à leurs intérêts de parti. Il n’était que de s’entendre pour transformer leurs oppositions contradictoires en une opposition nationale. Puisque la divergence de leurs principes avait momentanément fait place à leur accord, il s’imposait donc de profiter de cette trêve pour le bien de la patrie. Unis, ils seraient invincibles. Plus ardents, plus révolutionnaires, plus hardis, les libéraux formeraient l’avant-garde. Derrière eux s’avanceraient les masses compactes du peuple que le clergé mettrait en branle. Car ce n’est pas sur elle seule que la bourgeoisie comptait pour amener le gouvernement à capituler. Elle n’entendait pas confiner la lutte dans le « pays légal ». La nation tout entière devait y prendre part. Froissée dans ses sentiments religieux, vexée par les impôts de l’abatage et de la mouture, il suffirait de se mettre à sa tête pour qu’elle marchât, et son élan serait irrésistible.

Ainsi, du mouvement des idées qui par des voies diverses avait amené au même point catholiques et libéraux, résulta non seulement l’union des partis, mais, par une conséquence nécessaire, l’union nationale. Dès 1817, van Meenen en avait prévu la naissance. Elle n’avait été retardée que par l’opposition du clergé aux libertés modernes. Du jour où il les acceptait, elle ne devenait pas seulement possible : elle était fatale.

  1. Histoire de Belgique, t. III, 2e édit., p. 427.
  2. J’emprunte cette citation, comme celles qui suivent, à la correspondance inédite de de Potter, conservée à la Bibliothèque Royale.
  3. Pour l’influence de Lamennais sur les catholiques belges, voy. Terlinden, op. cit., t. II, p. 240, 353 et suiv. et surtout p. 405 et suiv. (rapport de l’internonce à Rome). Cf. Delplace, La Belgique sous Guillaume Ier, roi des Pays-Bas, p. 165 (Louvain, 1899) ; G. Monchamp, L’évêque van Bommel et la Révolution belge. Bullet. de l’Acad. Roy. de Belgique, Classe des Lettres, 1905, p. 393 et suiv. ; Colenbrander, De Belgische Omwenteling, p. 149 ; Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 184 ; Thonissen, Vie du comte Félix de Mérode (Bruxelles, 1861). Comme spécimens des brochures du temps à ce sujet, voy. : de Robiano Borsbeek, Exposition des sentiments des catholiques (Bruxelles, 1830) ; L. de Potter, Réponse à quelques objections sur la question catholique dans les Pays-Bas (Bruxelles, 1829).
  4. Terlinden, op. cit., t. II, p. 352.
  5. Th. Juste, Histoire de la révolution belge de 1830. t. p, 100.