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Histoire de Belgique/Tome 6/Livre 4/Chapitre 2/1

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Maurice Lamertin (6p. 401-410).
I

Le prince Frédéric disposait de 14,000 hommes et de 26 bouches à feu[1]. C’était relativement beaucoup plus que n’en avait eu Marmont, deux mois auparavant, pour soumettre Paris. La nationalité hollandaise de la plupart des régiments garantissait leur fidélité. À la tête de l’état-major se trouvait le général de Constant Rebecque, celui-là même dont les habiles dispositions avaient si largement contribué, la veille de Waterloo, à l’échec de Ney aux Quatre-Bras. Les rapports arrivés de la ville en faisaient prévoir la reddition. Tout indiquait que les bandes indisciplinées de l’émeute n’oseraient affronter le choc des troupes régulières. L’imprudente démarche de Ducpétiaux, qui venait d’être arrêté comme il se présentait aux avant-postes en parlementaire, paraissait attester le découragement des rebelles. Timide, mais réfléchi et obéissant, Frédéric ne concevait aucun doute sur la mission dont son père l’avait chargé : ce serait tout au plus une opération de police.

Dans Bruxelles même, les apparences justifiaient cet optimisme. Le général Valazé, qui venait d’y arriver comme ministre de Louis-Philippe, écrivait à Paris que la fin des troubles était proche, que la bourgeoisie en avait assez, que les « ouvriers guerriers » qu’il voyait passer devant ses fenêtres étaient incapables de combattre et que « les soldats entreraient dans la ville comme ils voudraient ». Ceux que le souci de leurs intérêts avait rejetés vers le gouvernement ne se cachaient plus. Dans la soirée du 22, ils avaient risqué une manifestation orangiste au théâtre de la Monnaie, et le matin du 23, on rencontrait dans les rues des dames en grande toilette, impatientes d’assister au défilé des troupes hollandaises[2].

Depuis trois jours aucune autorité n’existait plus. Les bandes armées, qui avec l’appui des Liégeois et des étrangers s’étaient emparées du pouvoir, abandonnées à elle-mêmes à l’heure décisive, flottaient au hasard, n’obéissant à aucune direction, incapables, dans le décousu de leurs efforts, de prendre des mesures et de s’organiser. Les orateurs du club, les jeunes démocrates, les membres de la Commission de sûreté, bref, tous ceux qui, dans les derniers jours, avaient collaboré au mouvement révolutionnaire, sentant leur impuissance à le diriger, s’épouvantaient de leur responsabilité et de l’imminence d’une catastrophe. Pas plus que le prince, ils ne croyaient à la possibilité de la résistance. Aucun d’eux n’avait prévu une attaque en règle. Ils s’étaient flattés jusqu’au bout de l’espoir que les Hollandais ne répondraient pas à leurs provocations. De même que leurs compatriotes du XVIe siècle avaient compté sur la longanimité de Philippe II, ils avaient compté sur celle de Guillaume, si bien que l’arrivée de Frédéric les désemparait comme l’arrivée du duc d’Albe avait désemparé leurs pères. Affronter une lutte ouverte était aussi impossible que de conseiller la soumission. Le seul parti à prendre était celui qu’avait pris le Taciturne en 1566 : se replier momentanément pour attendre la revanche et la préparer. Les circonstances donnaient raison à ceux qui, comme Gendebien, n’avaient cessé de préconiser le retour à la France et d’affirmer que d’elle seule pouvait venir le salut. Dès la soirée du 22, c’est vers elle en effet que s’acheminaient les agitateurs devenus les victimes de l’agitation qu’ils avaient provoquée. Les uns coururent d’une traite jusqu’à Valenciennes, d’autres s’arrêtèrent en Hainaut. Rogier parti le dernier, bourrelé par le remords d’abandonner ces Liégeois qu’il avait quelques jours plus tôt amenés à Bruxelles, rôdait plein d’angoisse dans la forêt de Soignes.

Personne ne s’aperçut de leur départ. La désorganisation qui les épouvantait n’était que le résultat de l’exaltation des patriotes. Ils s’y abandonnaient sans redouter l’inégalité de la lutte, sans se soucier de se subordonner à des chefs, sans compter sur rien d’autre que sur eux-mêmes. En dépit des menaces de Frédéric contre les « étrangers », aucun de ceux-ci n’abandonna la place. Décidés à risquer leurs vies, que pouvaient-ils craindre ? Le péril même où ils s’étaient placés les mettait dans l’obligation de combattre. Liégeois, Louvanistes, Tournaisiens, Namurois, paysans de la banlieue, hommes du Brabant, de la Flandre et du Hainaut prenaient position derrière les barricades ou aux fenêtres des maisons, suivant les indications des vieux soldats qui se mettaient à leur tête. Les Bruxellois disparaissaient au milieu de ces auxiliaires qui jouèrent le rôle principal dans la bataille, si bien que la capitale de la Belgique fut défendue par les Belges plus encore que par ses habitants, et que la nation tout entière collabora à sa résistance. C’est en cela peut-être que s’atteste le mieux le caractère des journées de septembre, et c’est aussi par quoi elles diffèrent de la révolution purement parisienne de juillet, à qui elles ressemblent à tant d’autres égards.

Ce serait une erreur de croire, comme on l’a dit trop souvent, que les combattants sortaient uniquement de la « populace ». En réalité, ils appartenaient à tous les groupes sociaux. Il semble même que le prolétariat ne leur fournit que peu de renforts. Les ouvriers de fabrique ne furent parmi eux qu’une minorité. Pour la plupart, ils appartenaient à la classe des artisans ou à la petite bourgeoisie. On y rencontre des bouchers, des menuisiers, des peintres en bâtiments, des journaliers, des marchands de liqueurs, des boutiquiers, des commis. D’autres sont des habitants de la campagne, accourus sous la conduite du maréchal-ferrant, comme à Uccle, du vétérinaire, comme à Waterloo, de l’instituteur, comme à Gosselies. Du Hainaut, des maîtres de houillères et de verreries amenèrent des défenseurs[3]. À côté d’eux, on remarque des avocats, des propriétaires, des fabricants. Ainsi parmi les combattants les rangs se confondent comme s’y confondent aussi Flamands et Wallons. Sans doute ceux-ci et particulièrement les Liégeois, furent les plus nombreux. De Gand et d’Anvers, où les Orangistes, grands industriels et commerçants, réussirent à maintenir l’ordre, il ne vint presque personne. Le sentiment catholique qui l’emportait dans les provinces flamandes, comme le sentiment libéral dans les provinces wallonnes, y poussait moins directement à la lutte. Mais le peuple s’y prononça partout en faveur de la Révolution. Durant les combats de Bruxelles, on vit à Saint-Nicolas les ouvriers des filatures agenouillés sous les plis du drapeau belge, autour d’une chapelle rustique, prier pour la victoire des patriotes[4].

Les mesures prises par Frédéric pour l’attaque de Bruxelles attestent sa certitude de l’emporter du premier coup. Les troupes furent dirigées simultanément en quatre colonnes sur le front qui leur faisait face. Deux d’entre elles devaient entrer dans la ville basse par les portes de Flandre et de Laeken, puis, tournant à gauche, tomber par derrière sur les défenseurs de la ville haute, assaillis eux-mêmes par les portes de Louvain et de Schaerbeek. L’attaque principale fut dirigée sur cette dernière, d’où la rue Royale conduit directement aux palais qui constituaient son objectif. Ce fut aussi le point où se concentra l’effort de la lutte et où se prononça la victoire. Partout ailleurs l’échec des troupes fut si rapide qu’il désorganisa complètement l’ensemble des opérations[5]. À la porte de Flandre, la cavalerie s’est à peine engagée entre les maisons, qu’elle recule en désordre sous la fusillade, les pavés, les meubles, la chaux vive qui s’abattent sur elle du haut des fenêtres. Même échec à la porte de Laeken, où les troupes cèdent au premier abord. À la porte de Louvain, les soldats, après s’être avancés jusqu’à la hauteur du palais des États-Généraux, se heurtent à une barricade et s’arrêtent.

Au début, les choses avaient mieux tourné à la porte de Schaerbeek. Après en avoir démoli à coups de canon les défenses improvisées, les régiments dirigés par Constant Rebecque s’élancent au pas de charge vers la Place Royale. Une fusillade terrible brise bientôt leur élan. Constant Rebecque est blessé ; surpris, les officiers hésitent et se troublent. Impossible de s’arrêter pour répondre au feu des tirailleurs postés dans les maisons. Et voici que du bout de la rue le feu de la barricade construite devant la Place Royale s’ajoute en front à celui qui de côté tombe des fenêtres sur les assaillants. Ils sont arrivés à la hauteur du Parc ; l’abri tentateur de ses grands arbres est irrésistible et, tournant brusquement à gauche, ils s’y précipitent et s’y entassent : l’attaque est rompue. Bien plus, son succès est désormais impossible. La supériorité numérique des Hollandais était si écrasante qu’ils eussent sans doute emporté la barricade s’ils en avaient tenté l’assaut. En se réfugiant dans le Parc, ils perdaient l’avantage du nombre. Pour risquer de nouveaux efforts, il leur faudrait défiler par les ouvertures des grilles sous les coups de fusil et se laisser décimer en détail. Vainement ils exécutèrent quelques sorties, vainement aussi ils tentèrent de prendre à revers la barricade de la Place Royale, en cheminant par le palais et l’hôtel de Belle-Vue. Le soir venu, ils purent se convaincre qu’ils ne passeraient pas. « L’affaire est manquée », écrit Constant Rebecque.

Visiblement, l’armée s’est engagée dans un guêpier, et le plus terrible, c’est qu’elle ne peut songer à battre en retraite. Ce serait une honte intolérable de reconnaître devant l’Europe, à laquelle elle devait servir d’avant-garde contre la France, qu’elle ne peut venir à bout d’une poignée d’insurgés. Et surtout, il est trop certain qu’à la moindre apparence de recul, la Belgique entière se soulèvera. Le prince Frédéric a perdu la tête. Il comptait sur une promenade militaire et le voici lui-même presque assiégé ! Il se croit victime d’un complot. Les assurances qu’il a reçues des Orangistes ne lui paraissent plus que des machinations combinées pour l’attirer dans un guet-apens. Dans son désarroi, il se résigne à négocier avec les rebelles et, la nuit venue, se met secrètement en rapport avec d’Hoogvorst.

Plus intelligent et moins désorienté, il se fût épargné cette humiliante démarche. Elle ne pouvait qu’augmenter la résolution des patriotes. Le matin, ils avaient combattu sans espoir ; l’arrêt des Hollandais leur donnait maintenant la certitude de vaincre. Leurs forces croissaient en même temps que leur confiance en eux-mêmes. L’ennemi n’ayant pas pris la précaution d’encercler la ville, l’accès en était libre du côté du sud, et sur toutes les routes se pressaient des renforts. De Nivelles, du Borinage, des bandes d’hommes armés de piques marchaient sur Bruxelles ; des femmes même venaient prendre part à la lutte. D’Ath, on amenait des canons dont le peuple s’était emparé après avoir chassé la garnison. En Flandre, des paysans se mettaient en mouvement sous la conduite de leurs curés. Au début du combat, les défenseurs n’étaient encore que quelques centaines ; à la fin de la journée ils étaient des milliers. Plus leur succès était inattendu, plus il était éclatant. L’enthousiasme patriotique se déchaînait et s’imposait aux irrésolus et aux timides. Les Orangistes, si arrogants quelques heures plus tôt, avaient disparu.

Les promoteurs de l’insurrection ne s’étaient éloignés que parce qu’ils désespéraient de la bataille. Ils firent volte-face en apprenant qu’elle était engagée. Parti le dernier, Rogier rentra le premier dans Bruxelles au bruit de la fusillade. D’Hoogvorst, imperturbable, n’avait pas quitté l’hôtel de ville. Son adjudant, le baron de Felner, Pletinckx, Jolly et quelques anciens officiers étaient comme lui demeurés au poste, ne sachant que faire, ni s’ils avaient le droit de faire quelque chose. Ce droit pourtant, il fallait le prendre. Pour transformer l’insurrection en révolution, il était indispensable que des chefs décidés à en accepter la responsabilité et s’autorisant par cela même à parler en son nom, se missent à sa tête. Nul moyen de trouver ces chefs s’ils ne s’imposaient pas eux-mêmes. Au milieu du combat, ils devaient s’emparer du pouvoir comme on s’empare d’un fusil sur une barricade. Rogier le comprit sans doute et sa volonté l’emporta. D’Hoogvorst et Jolly consentirent à former avec lui une « Commission administrative » dont les attributions, n’étant pas définies, étaient aussi vagues et aussi étendues que la tâche qu’elle assumait. Cette tâche, c’était, tout en continuant la lutte, de donner un centre de ralliement à la Belgique soulevée. Pour sauver les apparences, les Commissaires firent afficher qu’ils avaient « accepté » provisoirement le pouvoir en attendant de le remettre « à des mains plus dignes ». On ne se demanda pas qui le leur avait offert. Mais personne ne douta de leur affirmation de n’avoir agi que « dans l’intérêt de la cause nationale, dont le succès dès hier est assuré ». Et avec une confiance magnifique dans ce succès, ils décrétaient le même jour que les braves tués en combattant seraient enterrés à la place Saint-Michel et qu’un monument « transmettrait à la postérité le nom de ces héros et la reconnaissance de la patrie ».

La Commission administrative est le germe du « Gouvernement provisoire » qui fut institué le 25 septembre. Il ne diffère d’elle que par le nombre plus grand de ses membres et par le nom plus significatif que les circonstances lui imposaient. Félix de Mérode, Gendebien et van de Weyer, que Rogier avait devancés dans la capitale, s’adjoignirent dès leur retour aux trois Commissaires. Le Gouvernement provisoire apparaît donc comme un simple élargissement de la Commission. Il ramène aussi au pouvoir les hommes que l’émeute du 22 septembre en avait dépossédés. En venant partager les périls des combattants, ils ont conquis leur confiance. L’exaltation patriotique et la joie de la victoire font oublier le passé. Les sentiments sont si unanimes que, pour la seconde fois, on accepte l’autorité par cela même qu’elle s’affirme. Pour se faire admettre de tous, il a suffi au Gouvernement provisoire de se proclamer. Il n’a d’autres titres que l’adhésion populaire et l’union des volontés. Si la nation le soutient, c’est parce qu’elle se reconnaît en lui et que pour ainsi dire il la personnifie.

L’activité de la Commission administrative avait tout de suite légitimé son installation. Dès le 24, elle chargeait un révolutionnaire espagnol, don Juan van Halen, de prendre le commandement des patriotes. Sans s’inquiéter de leurs origines, elle acceptait les services de tous les anciens officiers belges ou étrangers qui se mettaient à sa disposition. Le 26, elle lançait une proclamation déliant les soldats belges de leur serment de fidélité et les exhortant à se rallier au drapeau national, en même temps qu’elle assurait aux officiers qui quitteraient le service un avancement de grade. Elle faisait hospitaliser les blessés dans les maisons bourgeoises. Elle organisait l’arrière de la bataille tout en parant aux nécessités les plus immédiates de l’administration. À l’ordre légal détruit, elle s’efforçait de substituer un ordre nouveau par son autorité révolutionnaire. Elle ne s’imposait pas seulement aux patriotes, les conservateurs et les Orangistes eux-mêmes se tournaient vers elle comme vers la seule force qui pût s’opposer à l’anarchie. La Société Générale, qui deux jours auparavant avait refusé tout crédit à la Commission de Sûreté, s’empressait de lui avancer 10.000 florins au lieu de 5.000 qu’elle demandait[6].

La bataille cependant continuait à faire rage autour du Parc. Toutes les sorties des Hollandais étaient repoussées. Déjà des bandes de patriotes passaient à l’offensive. Le désarroi du prince Frédéric se trahissait par les contradictions de sa conduite. Une nouvelle tentative de négociation ayant échoué, il recourait brusquement à la terreur et faisait tirer sur la ville basse à boulets rouges, sans autre résultat que d’attiser l’énergie des combattants. Les nouvelles reçues de l’extérieur contribuaient encore à l’exaltation des Belges. On apprenait que le général Cort-Heiligers, venant de Maestricht à la rescousse du prince, harcelé par les paysans, repoussé de Louvain, trouvant Tirlemont en état de défense, errait aux environs de Wavre. Ses troupes désemparées ne rallièrent Bruxelles que le 27 et n’y renforcèrent que la démoralisation de l’armée.

Ainsi, les défenseurs de la capitale se sentaient soutenus par tout le pays. Leur victoire n’était plus qu’une question d’heures. Les Hollandais ne s’en rendaient que trop bien compte. L’indiscipline se mettait dans leurs rangs ; les officiers ne pouvaient empêcher le pillage des hôtels qui le long de la rue Ducale bordaient les derrières du Parc. Il était évident qu’à s’obstiner à tenir cette armée impuissante sous le feu de l’ennemi on risquait de la voir se débander. Ce risque était d’autant plus grand que l’audace et la force des agresseurs s’affirmaient davantage. Leur résolution de s’emparer du Parc de haute lutte était visible. Le 26 septembre, ils avaient dirigé contre lui une furieuse attaque. Sauf Constant Rebecque, tous les généraux étaient d’accord sur l’inutilité de prolonger le combat. Le prince désespéré se laissa convaincre. Sous le couvert de l’obscurité, l’armée décampa le 27, entre trois et quatre heures du matin. Au lever du soleil, lorsque les tirailleurs, étonnés du silence qui répondait à leurs coups de fusil se glissèrent dans le Parc, il était vide.

L’échec des Hollandais s’explique certainement, en grande partie, par l’imprudence de leurs chefs, leur ignorance de l’état réel des esprits, la gaucherie de leurs manœuvres et la mauvaise qualité de leurs troupes. Il leur eût été facile de bloquer Bruxelles en occupant les routes par lesquelles ne cessèrent d’y arriver les vivres et les renforts. Isolés et affamés, ses défenseurs eussent été infailliblement contraints de déposer les armes. Permettre à la Belgique de collaborer à la défense de sa capitale, c’était rendre celle-ci imprenable, c’était aussi donner à la lutte ce caractère national qui s’y atteste d’une façon si frappante. Les volontaires des provinces, dont le sang mêlé à celui des Bruxellois coula sur la barricade de la Place Royale, eurent conscience que ce qu’ils défendaient sur ce tas de pavés, c’était la patrie et la liberté. Leur courage et leur enthousiasme ne le cédèrent pas à ceux dont avaient fait preuve, quelques semaines auparavant, les révolutionnaires de Paris. Le nombre des morts et des blessés atteste suffisamment l’acharnement de la bataille. Pour s’en tenir aux évaluations les plus modérées, il fut de 290 et de 373 du côté des Belges, de 108 et de 628 du côté des Hollandais[7]. Des témoins oculaires comparent la violence de la lutte à celle des combats de Saragosse[8]. Le sentiment national inspira si complètement les gens de toute origine et de toute condition qui y prirent part que nul acte de pillage ou de cruauté ne souilla la victoire. Les prisonniers hollandais furent bien traités. La fureur du peuple ne s’en prit qu’à une église calviniste qui fut dévastée et à la maison d’un Orangiste qu’on incendia. En pleine bataille, le caractère national se montra aussi réfractaire aux emportements de la haine qu’aux rigueurs de la discipline. La nuit venue, les hommes descendant des barricades se retrouvaient à l’estaminet. Le verre de bière coutumier leur était indispensable à la veille de la mort. Et cette bonhomie de leur héroïsme ne fait que le rendre plus touchant.

  1. Pour éviter une annotation inutile, il suffira de renvoyer ici le lecteur aux sources que j’ai surtout utilisées pour le récit des combats de Bruxelles. Ce sont les Esquisses historiques de la Révolution de la Belgique, p. 252 et suiv. ; les Mémoires du lieutenant-général Pletinckx (Buffin, Mémoires et documents inédits, t. I, p. 314 et suiv) ; le Journal du lieutenant-général de Constant Rebecque (Ibid., t. II, p. 32 et suiv.) ; la Relation d’un témoin oculaire (Ibid., t. II, p. 462) ; les rapports de l’agent anglais Cartwright à lord Aberdeen (Gedenkstukken 1830-1840, t. I, p. 31 et suiv).
  2. Gedenkstukken 1830-1840, t. II, p. 22-24.
  3. Voy. la liste des décorés de la Croix de fer jointe à l’arrêté royal du 2 avril 1835. Cf. De Bavay, op. cit., p. 35, 114, 150, 184, 380, 392, 478, 638.
  4. Willemsen, Les événements de 1830 à Saint-Nicolas (Saint-Nicolas, 1905).
  5. L’effectif des colonnes d’attaque se montait à 8.900 hommes, dont 4.700 furent dirigés sur la porte de Schaerbeek.
  6. Discailles, Charles Rogier, t. II, p. 24.
  7. De Bavay, op. cit., p. 178. Juste, Révolution Belge, t. II, p. 140, estime le nombre des tués à plus de 400 pour les Belges et à plus de 750 pour les Hollandais. Pour ces derniers, les chiffres que je donne, et auxquels il faut ajouter celui de 165 prisonniers, sont empruntés aux documents officiels utilisés par Buffin, Documents, p. 192.
  8. Gedenkstukken 1830-1840, t. IV, p. 173. Cartwright, loc. cit., p. 68, dit aussi : « The resistance of the people has been far beyond all exemple save perhaps of Saragossa ».