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Histoire de Servian/Chapitre09

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CHAPITRE IX



La Commune de Servian
Les Consuls (élections, fonctions)
Accession des habitants à la propriété
seigneuriale

Jusqu’à la guerre des Albigeois, Servian avait été gouverné par le Seigneur. Rattaché au domaine royal, le pays fut bientôt érigé en commune et élut des consuls. La plus ancienne mention des consuls date de 1269. Les consuls de Servian sont mentionnés dans la réunion de la Sénéchaussée de Carcassonne.

Cette réunion avait été convoquée pour empêcher l’exportation du blé hors de la Province, en prévision de la famine.

Les consuls étaient élus sur la place de la Poissonnerie par les bourgeois. Nous possédons de leur élection un acte authentique du 16 juin 1343 :

« Le bailli Jean de Crozals (de Croceis) a assemblé par la voix du précon sur la place publique, selon l’usage, ceux qui doivent se réunir pour une assemblée publique ad faciendum parlamentum pour nommer des consuls. Ils nomment Jean de Parets (Joannem de Parietibus) et Guillaume Fredely, damoiseau, tous deux consuls dudit lieu pour une année, d’une fête de Pentecôte à l’autre, et pas plus longtemps. Ils leur accordent pleine et entière autorité pour tout ce qui a trait à l’office du consul, d’agir, d’acheter, de répondre, de défendre en justice et hors de justice, le droit de la communauté, devant la curie ecclésiastique et civile, devant tous les juges, les procès de la communauté…, et les habitants, de leur côté, tiendront ce qu’ils ont fait, dit, agi, comme fait par eux-mêmes. Les consuls promettent de remplir leur office de consuls gratuitement, pour l’utilité du roi et des habitants, d’éviter les dépenses inutiles, et ils le jurent sur le saint Évangile ». Les témoins de cet acte furent Guillaume de Crozals-le-Vieux, Cauci, Raymond de Carcassonne. Le notaire ajoute : « Fait par moi, Pierre Comenas, notaire royal de Servian ».

Les assemblées de la commune se tenaient sur la Place, souvenir du Forum romain. En hiver, nos pères se réunissaient au four banal. Plus tard, les habitants bâtirent leur maison commune au-dessus de la Poissonnerie. On voit encore autour de cette place les arceaux murés, mais conservés, d’autres ont été entourés de maçonnerie pour pouvoir être utilisés par les propriétaires. À l’étage supérieur, sur le bord, un cordon de pierre se termine par un singe, finement sculpté. Est-ce une fantaisie de l’artiste, un symbole où une armoirie ? On ne sait. En visitant attentivement ces maisons, on retrouve à l’intérieur des traces d’ogives. On sait que nos pères recherchaient la splendeur dans les édifices municipaux.

Les assemblées se tenaient à deux degrés : d’ordinaire, les consuls convoquaient les bourgeois, burgenses. Pour les affaires plus importantes, tous les citoyens étaient appelés en une sorte de conseil général universitas burgensium. Les discussions se poursuivaient librement et les votes à mains levées. Les délibérations étaient consignées sur parchemin par les notaires royaux et conservées dans le Beffroi, en une salle qui porte encore le nom d’ « archives ». À en juger par les nombreuses pièces de parchemins que nous possédons, on doit conclure que les assemblées de Servian furent tenues par des citoyens intelligents, jaloux de leurs droits et de la bonne gestion de la chose publique.

L’année 1344 vit la commune prendre en accapte le bien des anciens Seigneurs et partager la propriété à l’ensemble des habitants.

Amelius d’Aiguesvives ne tint pas à garder le bien que son ancêtre Guillaume avait reçu du roi. Trouva-t-il la charge trop lourde ? On peut le conjecturer du retard qu’il mit à payer les censives annuelles. Il passa ses titres d’accapte à la commune.

Le 12 novembre 1344, le bailli Jean de Crozals avec les consuls réunirent le peuple sur la place. Les habitants consultés donnèrent mission à leurs consuls de faire l’achat du bien d’Estève, au plus juste prix, et s’engagèrent à payer un cens annuel de 150 livres tournois. Les bourgeois s’inscrivirent chacun pour une somme déterminée et se partagèrent la propriété. Il peut être intéressant de citer les noms des principaux citoyens qui contribuèrent à ce grand acte d’où est partie la prospérité de Servian.

Guillaume de Fortanier acquiert la dimerie de Pouzagols, dont il payera le cens ; les frères Romain et Bernard Amely (ne serait-ce pas les Amyllon ?) optent pour Combas ; Guillaume Adalbert pour le champ de Saint-Julien, du côté des moulins de Bassan, pour lui et pour les enfants de Raymond de Saint-Geniès ; Laurent Sabatier pour Launas ; Jean Arnaud pour le champ de Saint-Julien, près du fleuve de Lène, in flumine Lene.

On lit encore les noms de Raymond Gaches, Emenard Imbert, Pons Cance, Bernard Saurel, les frères Aimé de Saint-Adrien, Bernard Lenoir, le prêtre Jean Tauronie, pour lui et pour ses sœurs ; Jaques Raymond, Pons, Fabre, Pierre Armingaud.

Les consuls donneront, au nom de la commune, au roi, pour le bois de chênes et ses dépendances, 64 settiers de froment et 25 livres, en la fête de Saint-Nazaire.

Ils versent à Amelius d’Aiguesvives, 150 livres tournois, en payement, 50 à sa volonté, et 100 à la fête de Saint-Nazaire que le Clavaire (trésorier) du roi recevra comme droit de vente. Le viguier de Béziers, noble Pierre de Amputheo, confirmera la vente. Or, le droit des habitants de Servian repose sur cette vente à titre d’accapte ou à tout autre titre, et n’est pas accordé à titre de don ou d’aumône ; l’acte le spécifie clairement.

Malgré toutes ces précautions, les habitants de Servian durent subir un long procès et fournir non seulement leurs preuves d’achat, mais encore produire l’origine de la propriété d’Aiguesvives. Les recherches faites chez le notaire royal de Béziers Arnaud, les témoignages d’hommes honnêtes et désintéressés, tout contribua à affirmer leur droit. Tout examiné, le consul Béranger Arnaud, nommé commissaire pour cette enquête, dut conclure que des redevances grevaient la propriété. Il est dit dans ce document que le bois du roi était vieux, clairsemé, stérile, que les terres en étaient en grande partie sablonneuses, pierreuses, en hermes, remplies de rochers, incultes, inondées en grande partie et de jour en jour dévastées par les eaux. Les 172 settiers de froment annuels sont une trop lourde charge comme redevance de ce bois. Quant au four banal il exige beaucoup de réparations, et le droit de 25 livres tournois et de 72 settiers de froment est une trop lourde charge.

L’acte donne les limites du bois, il confronte d’un côté, la route qui va de Béziers à Pézenas ; de l’autre, celle qui va de Béziers à Montblanc.

Au moment de prendre possession de la propriété, une difficulté surgissait : c’étaient les droits acquis par Aymeric de Rochenégade, qui avait acquis une partie de ce bois de Guillaume de Florensac et de sa fille, probablement parents des Estèves.

Nous devons remonter quelques années plus haut pour élucider cette affaire. En 1282, nous rencontrons Aymeri de Rochenégade à Carcassonne, mandé par Philippe le Hardi, avec la noblesse de Carcassonne. Aymeri représente les droits de Simon de Montfort.

Les consuls de Servian ne pouvaient accepter de verser à la fois les redevances au roi et aux héritiers désignés pour une seule et même chose. Des recherches durent être faites pour vérifier les droits. Il fallut compulser les archives de la Sénéchaussée, aller jusqu’à la Chambre des Comptes, Camera compotorum, arriver aux conseillers du roi. Toute une série de pièces justificatives ont été conservées dans le Cartulaire de Servian, deux énormes rouleaux de parchemins renfermant des chartes royales, des Vidimus, sont très intéressants à compulser. On se rend compte du travail de recherches minutieuses que poursuivirent nos pères pour obtenir justice. Rien n’y est laissé à l’arbitraire, enquêtes, contre-enquêtes, nomination de commissaires sur les affaires en cours, bref une justice lente mais sûre.

Enfin, après bien des démarches, le roi Philippe VI reconnaît le droit des consuls de Servian, le 13 janvier 1342, à Avignon. La garrigue et le Devois qui avaient appartenu aux héritiers d’Aimery de Rochenégade et de Guillaume de Florensac et dévolue au roi, est cédée aux consuls. Le 14 octobre, le Sénéchal reconnaissait ces droits et les cédait en nouvelle accapte aux consuls et à la Commune, qui s’engageait à payer les arrérages des 4 dernières années, se montant à 55 livres.

Le 16 octobre 1344, les lettres de créance furent présentées à la curie royale de Béziers, par Jean Guittard, lieutenant du Viguier. Enfin, le 16 mai 1345, les habitants de Servian furent mis en possession de leurs droits par un instrument fait par leur notaire royal, Guiraud Taix (Teissoni). Cet acte important est le droit de possession de tous les Servianais et l’essor d’un développement de l’agriculture qui n’a jamais cessé depuis ce jour. Cet acte important est passé par les consuls de cette époque, Bernard Jordan, damoiseau ; Pierre Durand, Michel Fabre. Les conseillers des consuls, en cette circonstance, consiliarii consulum et Universitatis, méritent de passer à la postérité. Ce furent : Guillaume Vésia, damoiseau ; Guiraud Gavaudan le vieux, Pons de Rocamaria, damoiseau Jean de Parets, Bernard Escurme, Guillaume Bobi, Raymond de Carcassonne, Guillaume Gache, Romain Amely, Jacques Causse, Raymond Grégory, Jean Arnauld le vieux, André de Manse de la Roche. Par cet acte, la Commune prenait place dans la société du temps : elle possédait un grand territoire partagé sans révolution, entre les habitants. Elle devait prospérer.

Le territoire était immense ; il comprenait le bois du roi, l’étendue de terrain qui s’étend du Rouyre jusqu’aux portes de Béziers, bref tout le territoire actuel de Servian.

Jaloux d’affirmer au plus tôt leur autorité, les consuls firent rechercher les droits des anciens propriétaires. Tour à tour, Amélius d’Aiguevives, les héritiers d’Aimery de la Rochenégade et de Guillaume de Florensac furent interrogés. Sur leur témoignage, on rétablit les anciennes pénalités, 60 sols tournois d’amende contre le chasseur qui pénètre dans le bois. Suit une énumération d’amendes contre ceux qui laissent pénétrer dans le bois certains animaux, cinq sous pour les brebis, sept sous pour les chèvres dont la dent est plus nocive, trois sous pour les chiens qui y pénètrent sans grelot, sine squilla.

Après avoir interrogé les anciens bandiers (gardes-forestiers) Béranger, Gautier, Tocabeou, on rétablit leurs fonctions.

Afin de prendre officiellement possession de leur territoire, les consuls, suivis de tout le peuple, se transportèrent au bois et y brisèrent quelques branches, fregerunt ramos. Puis, ils établirent les bandiers, qui jurèrent d’observer les coutumes et les lois. La même opération se fit aux parcelles acquises de la Rochenégade et de Guillaume de Florensac.

Acte de tout cela est passé par le notaire royal et conservé aux Archives de Servian. Cet acte important est écrit sur deux parchemins, un de sept feuilles, un autre de cinq, il est écrit d’une belle écriture gothique très lisible et d’une encre que les siècles n’ont pas altérée. Le notaire fait observer qu’il a écrit lui-même ces actes sur sept feuilles de parchemin collées et cousues ensemble, collegi et impegavi septem folia pergamini. Si Dieu nous accorde quelque loisir, nous les publierons dans leur texte.

La Commune était érigée, il fallait en déterminer les limites. La séparation entre Servian et Valros est marquée par la « Cambre Gautier ». Valros garde la garrigue ayant appartenu à Jean Monasquier, de Servian, et on pose des bornes en pierre à l’amiable terminos lapideos per amicabiles propositiones.

Entre Servian et Bassan, c’est la source « Fontemane » qui sépare les territoires. Le consul Barthélemy Pontilli le reconnaît. Les troupeaux de Bassan ont le droit d’y être abreuvés, moyennant une redevance de 40 livres tournois. Le monastère de Cassan possède aussi une terre à Servian, elle est improductive, elle est donnée en accapte à Jean Roquet, de Saint-Baudille ; à Pierre Guitard et à Jacques le Rouge, pour 40 mesures, du bon.

Enfin, les consuls se préoccupèrent des remparts, qui n’avaient pas été réparés depuis le siège de Servian. Le 14 octobre 1397, les habitants se réunirent sous la présidence des consuls Pierre Fabre, Joudan Amelly ; il se tint un conseil de la plus grande partie des citoyens et de gens capables d’émettre un avis sérieux majoremem saniorem partem hominum de Cerviano. L’assemblée se tint par devant Jacques Montpezat, de Pézenas. La commune emprunta 30 francs d’or bon et légitime, du poids de l’or français, pour la réparation des remparts. Ces réparations se firent lentement. Mais déjà la population de Servian débordait l’enceinte trop étroite.