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Histoire de Servian/Chapitre23

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CHAPITRE XXIII



La Terreur, graves désordres

L’agitation des villes se faisait jour dans les campagnes. Contre les pouvoirs établis se glissaient sournoisement des comités de surveillance, dénonçant les tiédeurs des municipalités, Un peu partout, des clubs se tenaient dans les caves ; la population se divisait. Écoutons un récit du maire de Servian, conservé dans nos registres : « Le 29 janvier 1793, le citoyen maire a dit que personne n’ignore le fâcheux événement arrivé cette nuit au citoyen Manse (La famille de noble Arnaud de Manse de Lavidalle habitait le Pouzac, c’est ce domaine qui fut saccagé). Une troupe de 60 à 80 brigands en armes se sont portés à sa campagne, et après avoir forcé les portes à coups de haches et après avoir tiré plusieurs coups de fusils, dont un a blessé très grièvement le dit citoyen, ils lui ont enlevé tout ce qu’il pouvait y avoir de précieux dans sa maison.

« Il y a longtemps que nous nous attendions à de pareils événements. L’exemple des désordres ont été suscités par certains citoyens de cette commune… Il faut fermer les portes à 10 heures, un groupe de citoyens montera la garde, on fera des patrouilles ».

De toutes parts, les dénonciations pleuvent contre le Maire ; il a beau multiplier ses protestations de civisme, d’attachement au régime, le Directoire de Béziers le traite de suspect. Le 18 février, c’est un factum rédigé par Gabriel et Pierre Bournhonet et Étienne Turriès, tailleur. Le maire se demande s’il ne doit pas abandonner la mairie. Il ne veut pas lancer les citoyens les uns contre les autres ; il constate que le pays est divisé en deux partis, qui ne tarderont pas à en venir aux mains et à déchaîner une guerre civile. Il ne croyait pas si bien dire. Quelques jours après, le 29 mars 1793, un crime mystérieux vint jeter un froid sur la commune : Gabriel Bournhonet arriva à la mairie pour dire qu’il avait appris de deux valets de ferme, l’assassinat d’Antoine Lubac dans son champ, à la Matte. Une quinzaine de personnes, armées de fusils, lui avaient paru à lui-même une menace ; aussi, au lieu de demeurer à sa métairie de la Marceille, il était venu se mettre en sûreté dans sa maison de Servian. Sa maison était investie ; il entendait proférer des menaces contre lui et contre son frère. Le Directoire, informé, prit parti pour Bournhonet. Pour parer aux abus, Servian fut mis en état de siège et condamné à recevoir cent hommes, à les héberger et les nourrir. Et la Révolution avait supprimé le droit de gîte !

« Considérant que les communes de Saint-Gervais et de Servian sont continuellement agitées, remplies d’individus tels qu’émigrés et prêtres réfractaires, qu’ils soufflent le fanatisme et la discorde parmi les habitants faibles et crédules, qui leur donnent un asile, en quelque sorte inaccessible, qu’il faut atteindre les ennemis de la chose publique, les communes de Saint-Gervais et de Servian seront, sur le champ, mises en état de siège…

« Le détachement de la 74e brigade, qui tenait Lunas en état de siège, se transportera à Servian pour le même objet ».

La municipalité protesta contre ces mesures vexatoires, que rien ne justifiait, et demanda au Directoire la fermeture de la Société populaire, présidée par Bournhonet : « Elle est composée de buveurs de sang, de Jacobins qui veulent faire de la République un vaste tombeau pour y ensevelir tous ceux qui aiment la justice et la vertu ». Délibération.

Mais on en voulait, en haut lieu, à la municipalité de Servian, fidèle aux principes religieux et, malgré tout, à ses traditions.

Le 28 vendémiaire an VI, le Directoire de Montpellier, considérant que le canton de Servian est l’asile de prêtres réfractaires, que leur culte y est exercé au vu et au su de l’administration municipale, qui n’a jamais pris une mesure pour s’y opposer, que plusieurs administrateurs de ce canton favorisent ouvertement les ennemis de la chose publique, relève de leurs fonctions l’agent municipal de Servian, Vivarel, Estève, président, et Aiguesvives, adjoint. Ils seront remplacés par Laborde, Gabriel Bournhonet, Madaille et Bellonet. Le Directoire fait cependant une exception pour les communes de Bassan, de Montblanc, d’Abeilhan « dont les principes civiques n’ont jamais varié ».

Le nouveau Conseil redouble de surveillance contre les prêtres ; on prétend qu’un certain nombre d’entre eux se cachent au château de Cazillac. On monte la garde toute la nuit et l’on s’en retourne à Servian, à 5 heures du matin, sans avoir rien découvert.

On recherche les personnes suspectes d’incivisme ; on fait renouveler les serments. Un nommé Roulendes est sommé de prêter le serment ; au lieu d’élever la main, il l’a portée à son derrière. Il a crié en plein Conseil qu’il était assassiné ; il est dénoncé à l’accusateur public, à Béziers. Jean Arnaud, instituteur, a porté une accusation liberticide contre le Conseil général de la commune ; on le suspend provisoirement de sa fonction. À cette liste, on ajoute Jacques Plauzolles, Lauriol aîné, Antoine Aubagnac, Pierre Bousquet, qui ont adressé au représentant du peuple « que cette commune est celle du département de l’Hérault qui a montré le plus de fermeté et qui a eu le plus à souffrir des incarcérations et des assassinats ; elle a résisté à l’oppression, elle a combattu contre les buveurs de sang et les a mis dans l’impossibilité de nuire ».

Le Conseil constate, le 2 floréal, « que l’esprit public est à la hauteur de la Révolution, quoique la population ait été fanatisée dans son principe ; mais qu’elle est revenue de ses superstitions ; le temple de la raison a été ouvert, et on a vu avec plaisir les personnes les plus fanatisées abjurer leurs erreurs. La vérité des principes, consignée dans le superbe et magnifique rapport de l’immortel et incorruptible Robespierre. Cette commune réprouve l’agitation et le trouble ; que quelques individus, sous le marque de patriotisme, ne prêchent que l’insurrection aux lois et le manque de respect aux autorités constituées ». Reg.

Cependant on voulut célébrer la fête de la Raison. Les citoyens Fabre et Gourou demandèrent que l’on donnât un grand éclat à cette fête. Le 18 prairial, la fête fut annoncée, au lever du soleil par les tambours. Le précon invita les citoyens à se rendre. Le cortège partit de la Société populaire ; les instituteurs ouvraient la marche ; les jeunes citoyennes habillées de blanc portant des bouquets de roses suivaient ; après, venaient leurs maris, puis la Société populaire ; enfin, les autorités fermaient la marche. Arrivés devant le Temple de la Raison, on lut le rapport de Robespierre, on anathématisa ceux qui ne croyaient pas à l’Être Suprême et à l’Immortalité de l’âme.

La fête n’eut pas l’éclat désiré, le conseil municipal ne jouissait pas de la confiance des citoyens. Des représailles s’annonçaient contre Bournhonnet. Un soir, un grand nombre de citoyens qui s’étaient crus lésés par son administration, s’étaient réunis devant sa porte, à la poissonnerie ; on l’entourait. Il « dut à la force de son habit de n’être pas percé de part en part. Il fut blessé, on voulait lui arracher son écharpe, on lui reprochait des malversations dans sa répartition des impôts et dans les réquisitions militaires ». Dél. Une grande lassitude se manifestait contre le régime, dans toute la France ; les esprits se ressaisissaient.

On apprend que des brigands royaux fomentent une insurrection contre la République, qu’ils ont des intelligences dans beaucoup de communes. Le canton de Servian s’assemble en séance extraordinaire : « le Ier vendémiaire, AN 8, on découvre que Joseph Canet de Servian, ex bénédictin, Bousquet aîné ex bénédictin, manquaient de la commune depuis environ 5 ans, et qu’ils n’étaient point portés sur la liste des prêtres déportés, ni émigrés, que Gabriel Barrès, mari de Marie, avait pris la qualité de noble et Seigneur de Combas, dans plusieurs actes publics, que plusieurs individus de la commune avaient pris aussi des titres de noblesse, invite les citoyens à ne reconnaître aucun noble. » Délib.

La garde nationale veillera sur les ennemis de la république. Quelques jours après, le citoyen Pierre Jalabert de Pouzolles était assassiné ; on accusa les brigands royaux.

Le 12 fructidor, l’abbé Vabre caché dans la maison de Pierre Alter, au quartier des Barris, fut cerné toute la nuit, sans être pris. À 5 h. du matin, le vaillant abbé sortit à cheval accompagné de gens armés, guidés par Baptiste Vivarel et traversait le jeu de mail. Une immense détente s’opérait en France et nul ne fut surpris quand quelques jours après, le Juge de paix proclama la modification introduite en France par le Corps Législatif, le Tribunal, et le Gouvernement : « C’est, dit-il, la garantie de tous les droits. Il sera Majestueux tel qu’il convient pour représenter la première nation du monde… Par ce nouveau pacte social, toute dénomination de parti sera éteinte. » Délib. L’accalmie revenait dans les esprits.