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Histoire de dom B… portier des chartreux, éd. 1941/002

La bibliothèque libre.
A Roma, chez Philotanus, imprimeur. [i. e. Amboise, Jérôme Légier, vers 1740-1741] (p. 193-318).

Bandeau de début de chapitre Histoire de Dom B… portier des chartreux
Bandeau de début de chapitre Histoire de Dom B… portier des chartreux

HISTOIRE
DE DOM B…
PORTIER DES CHARTREUX.



SECONDE PARTIE.



J ’ENTRE dans une nouvelle cariere : deſtinés par ma naiſſance à augmenter le nombre de ces pourceaux ſacrés, que la piété des Fidéles nourit dans l’abondance, j’avois reçû de la nature les plus heureuſes diſpoſitions pour cet état, & l’expérience avoit déja commencé à perfectionner ſes preſens.

La ſincérité n’a pas beſoin de faire ſon éloge pour perſuader. Il ſe trouve cependant des faits qui ſortent de la régle ordinaire : tels ſont ceux que je vais raporter. Si l’on ſe plaint que la vraiſemblance n’y eſt pas ménagée, qu’on ſe ſouvienne que ce ne ſont pas ici de ces jeux de l’imagination que l’on compoſe, que l’on manie avec adreſſe, pour ménager la crédulité du Lecteur ; mais qu’ils ſont exactement vrais, & que la vraiſemblance n’eſt pas toujours le caractere diſtinctif de la vérité. Dois-je craindre après tout, que l’on ne trouve étrange de voir des Moines ſcélérats, débauchés, corrompus, qui croyent qu’on eſt toûjours aſſez honnête homme, quand on n’eſt pas reconnu pour fripon ; qui rient de la crédulité des peuples, & ſous le maſque de la Réligion, dont ils ſe jouënt, Miniſtres infidéles, font tout ce qu’elle condamne l’objet de leurs plus cheres occupations : non cela ne paroîtra pas extraordinaire, c’eſt l’uſage : voit-on autre choſe ? Les Cordeliers, les Carmes, les Jeſuites, & tant d’autres travaillent tous les jours à me juſtifier : on en ſait mille hiſtoires, ſans celles que l’on ne ſait pas.

Qu’on me permette de placer ici quelques refléxions que j’ai faites, dans ces momens, où la ſuſpenſion du plaiſir me rendoit à moi-même, & me laiſſoit enviſager d’un œil impartial, la vie que nous ménions. Elles doivent paroître d’autant moins ſuſpectes, qu’elles viennent de la part d’un homme que ſon intérêt engageoit à ne les jamais faire.

Quelles raiſons aſſez puiſſantes ont pû raſſembler dans l’enceinte des Cloîtres tant de gens ſi différens par le caractere de leur eſprit & de leur cœur ? La pareſſe, la paillardiſe, la lâcheté, l’ivrognerie, le menſonge, la perte des biens & de l’honneur.

Pauvres gens qui avés la ſimplicité de croire que c’eſt la Réligion qui peuple ces ſaintes retraites : que je ſouhaiterois que vous puſſiés en pénétrer l’intérieur ! Indignés des miſteres d’iniquité qui s’y commettent, vous rougiriés de votre crédulité, & vous aprendriés à les mépriſer autant qu’elles ſont mépriſables. Je veux lever le bandeau qui vous couvroit les yeux.

Dites-moi vous qui avés connu ? Le Pere Cherubin, ce Saint homme dont la trogne vermeille ne reſpire que le plaiſir ; vous, dis-je, qui l’avés connu avant qu’il ſe fut affublé la tête d’un capuchon de ſerge noire, comment vivoit-il ? Il ne ſe couchoit jamais qu’il n’eût ſablé ſes huit ou dix bouteilles du meilleur, & ſouvent le jour le retrouvoit ſous la table, enterré parmi les débris du ſouper, il a quitté le monde, Dieu l’a illuminé de ſa grace, il lui a montré le bon chemin, il l’a ſuivi : je n’examine pas ſi c’eſt le Ciel, ou ſi ce ſont ſes créanciers qui ont fait ce miracle mais aprenés que le Pere Cherubin tiendroit encore tête au plus intrépide buveur, il boiroit, il mangeroit les revenus du Couvent, le Couvent même, les Moines, l’Egliſe, la Sacriſtie, les Cloches, le Diable ; voila le Pere Cherubin, tel vous l’avés connu tel il eſt encore aujourd’hui.

Et le Pere modeſte que vous avés vû parmi vous, bouffi d’arrogance & pétri d’amour propre, ſon caractere eſt-il refondu depuis qu’il a le corps ceint d’un triple cordon ? Vous le croyés, & moi qui le connois, je vous le garantis pour le plus inſolent coquin qui jamais ait endoſſé le harnois monacal : écoutés-le parler, Bourdalouë près de lui ne fait que bégayer : plus ſubtil que les plus grands Théologiens, que St. Thomas : il parle, raiſonne, entend, pénétre, perce ; à ſon avis le Pere Modeſte eſt un Phœnix, au vôtre, c’eſt un ſot, au mien, c’en eſt un encore.

Voyés-vous le Pere Boniface, ce madré furet qui panche dévotement la tête, qui tourne vers la terre des yeux mortifiés, qui ſemble, en marchant, compoſer avec le Ciel, & en implorer la fin d’une vie qui paroît pour lui un fardeau peſant ? Prenés garde à lui, c’eſt un ſerpent qui ſe gliſſe : il monte chez vous, veillés des yeux votre femme, reſſerrés vos filles, éloignés vos garçons : Bougre, Bardache, Fouteur, il eſt entré, vous étes ſorti, tâtés-vous le front, viſités votre femme, vos filles, vos fils, tout eſt foutu, tout eſt enculé.

Vous avés fait connoiſſance avec le Pere Hilaire, ſerrés bien les cordons de votre bourſe, vous avés affaire au plus adroit fripon. Bien-tôt aux converſations conſolantes, il fera ſuccéder des peintures énergiques des beſoins du Couvent ; les pauvres Peres manquent de tout, ils ſont nouris comme des miſérables, couchés comme des chiens, leur maiſon tombe en ruîne : ce pauvre Pere Hilaire, le ſouffrirés-vous en cet état ? Non, votre cœur s’attendrit, votre bourſe s’ouvre : puiſés, Pere Hilaire, puiſés, vous avés trouvé votre dupe, prenés, pillés, volés, emportés, tout eſt de bonne priſe, vous travaillés pour l’Egliſe.

Quelles foules de caracteres odieux n’aurois-je pas à tracer, ſi je voulois vous peindre ceux de tous les Moines ! Change-t’on d’inclinations pour changer d’habit ? Non, le buveur eſt toûjours ivrogne, le voleur eſt toûjours voleur, l’impudent toûjours impudent & le Fouteur eſt toûjours Fouteur. Je dis plus ; les paſſions prennent une nouvelle force ſous le troc, on les porte dans le cœur, l’exemple les fait éclore, l’oiſiveté les nouvelles, l’occaſion les augmente : le moyen d’y réſiſter ?

A juger ſainement de toutes ces différentes eſpéces d’animaux qui rampent avec mépris ſur la ſurface de la terre, & connuës ſous le nom général de Moines, il faut les regarder comme autant d’ennemis de la ſociété. Inhabiles aux devoir que la qualité d’honnêtes gens exigeoit d’eux, ils ſe ſont ſouſtraits à ſa tirannie, & n’ont trouvé que le Cloître qui pût ſervir d’azile à leurs inclinations vitieuſes.

On pourroit comparer leurs corps à ces fléaux du Ciel, à ces nuages de ſauterelles qui tombent ſur une terre, rongent, mangent, ravagent laiſſent les marques les plus funeſtes de leur paſſages, ou à ces armées de peuples barbares qui ſortirent de leur marais pour inonder l’Europe.

Ils ſe haïſſent, ils ſe déteſtent dans le particulier l’intérêt commun les réünit. rongés par leurs guerres civiles, ils n’en ſont diſtraits que par les étrangeres. Rien n’eſt mieux ordonné que l’extérieur de leur armée, rien ne l’eſt moins que l’intérieur. Faut-il élire un Général, que de factions, que de complots, que de brigues, autant que de Moines. On crie, on court, on s’agite, on ſe remue, on ſe bat, on ſe tuë. S’agit-il de faire quelqu’incurſion ſur le monde, d’attenter à la bourſe des Fidéles, d’inventer quelques nouvelles pratiques de ſuperſtition, c’eſt le même eſprit qui anime, c’eſt le même zele qui échauffe, tous concourent au but général : dociles aux ordres de leurs Supérieurs, ils ſe rangent ſous leurs drapeaux, montent en chaire, prient, exhortent, perſuadent, entraînent des peuples imbéciles, qui ſuivent aveuglement leurs caprices, & les adoptent comme les régles néceſſaires de leur conduite.

J’ajoûterai à cet éloge des vers dictés par le bons ſens & juſtifiés par l’expérience,

Tolle autem lucrum, Superos & ſacra negabunt,
Ergo ſibi non Cœleſtis hæc turba miniſtrat :
Utilitas facit eſſe Deos, quâ nempè remotâ,
Templa ruent, nec erunt aræ, nec Jupiter ullus[ws 1].

Sur tout ce que j’avois vû faire aux Révérends étant chez Ambroiſe, & en dernier lieu, ſur les galanteries du Pere Policarpe & Toinette, j’avois conçû les idées les plus riantes de l’état Monacal : je croyois que le froc étoit l’habit ſous lequel on eût le plus libre accès dans le Temple du plaiſir : mon imagination s’enivroit des chimeres agréables qu’elle ſe forgeoit. Elle ne s’arrêtoit pas dans les bras de Toinette : elle me repreſentoit les plus aimables femmes des lieux où mon ſort me conduiroit, ſe diſputant la conquête du Pere Saturnin, prevenans ſes deſirs par les attentions les plus tendres, & payant ſes bontés, par les [tranſports les] plus vifs & les plus délicieux. On croira facilement qu’étant dans de pareilles diſpoſitions, je reçûs avec joye l’habit de l’Ordre, dont le Pere Prieur (qui s’attacha d’abord à moi avec une affection vraiment paternelle) m’honnora dès le lendemain de mon arrivée.

J’avois apris aſſez de latin de mon Curé (qui pourtant n’en ſavoit guéres) pour figurer avec honneur dans le Noviciat. On me loüoit de quelques diſpoſitions aſſez heureuſes : en ai-je profité ? Hélas non ! A quoi m’ont-elles ſervi ? A être Portier, belle avance !

En écrivain fidéle, je me croirois obligé de mener mon Lecteur année par année juſqu’en Théologie : on me verroit Novice, puis Profès, enfin un vénérable Pere. J’aurois mille belles choſes à lui dire ; mais les belles choſes ne nous plaiſent qu’autant qu’elles nous intéreſſent. Hé quel intérêt prendroit-on à voir un Penaillon diſputer envers & contre tous, mettre le bon ſens à la raiſon, à la gêne dans des argumens en Baroco, dans des diſtinctions ſubtiles que lui-même n’entendroit pas : j’en fais grace.

Je ſens pourtant que je ne ſaurois paſſer cruëment ſur un ſi long eſpace de tems ſans entrer dans le détail de quelques bagatelles.

Un ſéjour de quelques années dans le Couvent, m’avoit bien fait rabatre des idées dont je m’étois bercé en y entrant. J’avois fait la déſagréable expérience, que ſi le plaiſir étoit fait pour les Moines, il ne l’étoit pas pour les Moinillons. Flottant entre le repentir de m’être engagé dans un état où je ne trouvois pas les agrémens que je m’étois promis d’y avoir, & le deſir d’arriver à la Prêtriſe, que je regardois comme la fin & le terme de cette carriere épineuſe où j’étois, & le commencement d’une autre qui ne me promettoit que de jours filés par la main des plaiſirs, je me laiſſois endormir par les careſſes du Prieur qui s’étoit fait un devoir de me vanger par toutes ſortes de bons traitemens, des mépris que les autres affectoient d’avoir pour moi, dont le prétexte aparent étoit ma qualité de fils de jardinier, & le véritable, ma ſupériorité dans les études.

Les reproches que l’on m’avoit fait ſi ſouvent ſur ma naiſſance m’avoient rendu la maiſon d’Ambroiſe odieuſe. Toinette étoit devenuë pour moi un fruit deffendu, c’eſt-à-dire que je ne manquois pas de bonne volonté pour elle ; mais toûjours entourée par les Supérieurs, pouvoit-elle être acceſſible pour un Novice ?

Une autre raiſon bien plus ſenſible, je ne trouvois plus Suzon : elle n’étoit plus pour moi. Ma chere Suzon avoit diſparu de chez Madame Dinville quelque tems après mon entrée chez les Céleſtins : on n’avoit apris aucune de ſes nouvelles. Sa perte m’avoit plongé dans la douleur, je l’aimois, un je ne ſai quoi plus fort que ſon tempérament m’attachoit à elle ; la ſolitude où je vivois avoit encore rendu plus vif le chagrin de ſa perte : des lieux où je l’avois entretenuë ſi familierement, où nos cœurs, encore enfans, avoient fait le premier eſſai de l’amour, n’étoient propres qu’à m’atriſter. S’ils me retraçoient un ſouvenir agréable, que je le payois cher par l’abſence de celle qui me le procuroit ! Devenus ſans objet ces idées ne m’occupoient plus ſans douleur.

Mais voila un garçon bien deſœuvré, dira-t’on, touché de mon état malheureux : à quoi vous occupiés-vous donc, pauvre petit Saturnin ! Hélas, je me branlois, mon Vit étoit toute ma conſolation, c’étoit avec lui que j’oubliois mes peines & mes douleurs.

J’étois un jour dans le fort de mon ouvrage écarté dans un lieu ſolitaire, je croyois n’avoir aucun témoin, & je me dulcifiois avec cette indolence voluptueuſe que la ſolitude permet. Un coquin de Moine m’obſervoit : il n’étoit pas de mes amis, au contraire, c’étoit un de ceux qui avoient toûjours marqué le plus d’éloignement pour moi ; il parut à mes yeux ſi bruſquement, que les bras me tomberent de ſurpriſe, & que je reſtai dans cet état expoſé à la malignité de ſes regards.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 204
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 204

Je me crus perdu, je crus qu’il alloit publier partout mon avanture, & la façon dont il m’aborda me fit juger qu’il n’y avoit pas de compoſition à attendre de lui. Ha, ha, Frere Saturnin, en levant les yeux au Ciel, & croiſant les mains ; ha, Frere Saturnin, je ne vous croyois pas capable de faire de pareilles choſes ? Vous, le modele du Couvent, vous, l’Aigle de la Théologie, vous… Hé morbieu, interrompis-je bruſquement, finiſſons ces éloges ironiques : vous avés vû que je me branlois ; je n’ignore pas que vous allés en faire fête à tout le Couvent : hé bien, ſacre… continuai-je, en reprenant mon ouvrage, allés-en rire, amenés qui vous voudrés, je vous attend à la dixiéme décharge. Hé, Frere Saturnin, reprit-il avec le même fang froid, ce que je vous en dis n’eſt que pour votre bien : pourquoi vous amuſer à vous branler comme un coquin ? Nous avons tant de Novices, c’eſt un amuſement d’honnête homme : vous vous rangés aparemment dans cette claſſe, lui répondis-je, ténés, Pere André (c’étoit ſon nom) vos diſcours commencent à m’impatienter, vos conſeils me déplaiſent autant que vos éloges, finiſſés décampés, ou je vous… La vivacité avec laquelle ces paroles m’échaperent, lui fit rompre ſon ſérieux forcé, il éclata de rire, & me tendant la main, va, me dit-il, touche-la, Frere, je ne te croyois pas un ſi bon vivant, je te plains d’être réduit à la dure néceſſité de te branler. Ce que je vois te rend digne d’un meilleur ſort ; il y a trop long-tems que tu te nourris de cette viande creuſe, je veux te faire part de quelque choſe de plus ſolide. Ce diſcours me deſarma, ſa franchiſe excita la mienne, je lui tendis la main à mon tour ; je ne connois pas, lui dis-je, la défiance quand on en agit comme vous le faites : j’accepte vos offres. Allons, reprit-il, parole d’honneur, tantôt je vous prens à minuit dans votre chambre : croyés-moi, boutonnés votre culote, ne tirés pas votre poudre aux moineaux, vous en aurés beſoin cette nuit. Je ne vous en dis pas davantage, je vous quitte, ne ſortés qu’après moi, il ne faut pas qu’on nous voye enſemble, notre réünion pourroit faire cauſer : à tantôt.

Je reſtai dans le dernier étonnement après le départ du Moine. Il n’étoit plus queſtion de branle : uniquement occupé de promeſſe, j’y rêvois ſans la comprendre. Qu’entend-il donc, diſois-je, par cette viande ſolide dont il veut me faire fête ? Si c’eſt quelque Novice, ma foi il peut le garder pour lui, ce n’eſt pas là mon gibier. Je raiſonnois en ſot, je n’en avois pas goûté : Lecteur, étes-vous plus habile que je ne l’étois alors ? Oüi, dites-vous, hé bien, n’eſt-il pas vrai que ce n’eſt pas un ſi mauvais morceau. Le préjugé eſt un animal qu’il faut envoyer paître. Il en eſt d’un garçon comme d’un mets pour lequel on avoit du dégoût ; le hazard en fait tâter, on le trouve délicieux. Eſt-il rien de plus charmant qu’un joli Giton, blancheur de peau, épaules bien faites, belles chûte de reins, feſſes dures rondes, un Cul d’un ovale parfait, étroit, ſerré, propre, ſans poil ? Ce n’eſt pas là de ces Conaſſes béantes, de ces gouffres où vous entreriés tout botté, fi donc. Je t’aperçois Cenſeur atrabilaire : tu veux me reprocher que je ſouffre le froid & le chaud, que j’ai loüé le Con, & que je chante aujourd’hui les loüanges du Cul. Aprend, grand innocent que j’ai pour moi l’expérience : chacun prend ſon plaiſir où il le trouve ; le mien eſt d’enfiler une femme quand elle ſe preſente, un beau garçon paroît, lui donnerai-je des coups de pied au Cul, non, nigaud, non, des coups de Vit. Allés aux écoles de ces fameux Sages de la Gréce, allés à celles des plus honnêtes gens de notre tems, vous aprendrés à vivre ; mais mon Moine va venir ; minuit ſonne : on gratte à ma porte, c’eſt mon homme, bon, marchons, Pere, je vous ſuis : mais où Diable me menés-vous donc ! A l’Egliſe, vous vous moqués de moi, peut-on toûjours prier Dieu : ſerviteur, je ne ſuis pas des vôtre pour cette nuit, chaque choſe a ſon tems, je vais dormir, Hé morbieu, ſuivés-moi donc, ne voyés-vous pas que je monte dans les orgues, montés : nous y voila.

Savés-vous bien ce que je trouvai dans ces orgues ? Une table copieuſement fournie de viandes, & garnie d’une piramide de bouteilles qui réjoüiſſoit la vûë.

Item, trois Moines, trois Novices, & une jeune fille de dix-huit à vingt ans, qui me parut jolie comme un Ange. Je ſuivois mon conducteur : le Pere Caſimir étoit le Chef de cette bande joyeuſe ; il me reçût d’un air riant : Pere Saturnin, me dit-il, ſoyés le bienvenu. Le pere André (c’étoit le nom du Moine ſous les auſpices duquel je paroiſſois) m’a fait votre éloge, ſa protection le juſtifie : il a dû vous dire comment nous vivions ici ; Foutre, manger, rire & boire, voila notre occupation, vous ſentés-vous des diſpoſitions à faire comme nous ? Parbleu, lui repondis-je, mon Révérend, vous verrés que je ne ſuis pas un ſujet inutile dans la Société, & s’il ne faut que cela, je me flatte de m’en tirer auſſi bien qu’un autre, ſoit dit, continuai-je, en me tournant du côté de l’aſſemblée, ſans diminuer le mérite de vos Révérences, allons, reprit le Pere Caſimir, vous étes de nos gens, commencés par vous placer ici entre cette charmante Enfant & moi. Ça décoëffons une bouteille en l’honneur du Pere : à vous, tope, & nous voila à flûter, & vous, Lecteur, vous ne ferés rien pendant que nous allons vuider nos bouteilles, tenés, amuſés-vous à lire ce rogaton.

Le Pere Caſimir[1] étoit d’une taille médiocre, brun de viſage, portant un ventre de Prélat, non Prélat de Papefiguiere ; ceux-là, dit Maître Jean la Fontaine, ſont maudits de Dieu, ont viſage mince, taille mingrelette, & ne dorment jamais : mais vrai Prélat de Papimaine, au corps rond, au ventre gros & bien nouri : il avoit des yeux qui vous enculoient de cent pas, & dont le regard farouche ne s’attendriſſoit qu’à la vûë d’un joli garçon, alors le Bougre entroit en rut, il henniſſoit, ſa paſſion pour le cas Antiphiſique étoit ſi bien établie, qu’il étoit redoutable aux Savoyards mêmes ; cependant il ne manquoit pas d’adreſſe pour faire tomber les oiſeaux dans ſes filets, il étoit auteur & bel eſprit à la mode, Cenſeur cauſtique, Ecrivain ſec, Loüangeur fade, plaiſant ſans legereté, ironique ſans délicateſſe. Il s’étoit fait un nom par quelques ouvrages qui devoient leur réputation plû-tôt à la ſotiſe de ceux qu’il dénigroit, qu’à leur propre mérite ; le ſuccès de ſes brochures le conſoloit des coups de bâton dont les auteurs mécontens payoient quelquefois les obſervations malignes qu’il faiſoit courir ſur leurs écrits. Il faut pourtant avoüer que ces auteurs avoient tort de faire tomber ſur lui leur colere ; car quoique les ſatyres paruſſent ſous ſon nom le pauvre Pere n’y avoit ſouvent d’autre part, que le ſoin qu’il s’étoit donné de rédiger les manuſcrits de quelques jeunes gens qui travailloient ſous ſes yeux. Il cultivoit précieuſément les petits talens qu’il leur connoiſſoit, leur diſtribuoit la matiere, revoyoit leur ouvrage, le faiſoit imprimer, & en recuëilloit les fruits, qui quelquefois étoient bien amers : il n’en étoit pas moins hardi, & tel que l’avare qui ſe conſole des huées du peuple, en ouvrant ſon coffre fort, les ris, qu’il excitoit dans le public, aux dépens des auteurs, eſſuyoient les larmes que ceux-ci lui faiſoient verſer dans le particulier.

Ses occupations littéraires ne lui faiſoient pas perdre de vûë les inclinations de ſon cœur ; mais il avoit trouvé le moyen de ſe ſatisfaire ſans ſortir de ſon cabinet, & ce moyen étoit de ſe ſervir, pour des plaiſirs, de ceux dont il ſe ſervoit pour ſes ouvrages : pour prix de leur complaiſance, il leur abandonnoit ſa niéce, & cette niéce obligeante acquittoit volontiers les dettes de ſon cher Oncle. Le Portier du Couvent étoit à la dévotion du Pere, & par cette voye tout entroit aiſément, vin, viande, filles, tout y avoit un libre accès. Les orgues avoient été choiſies préférablement à tout autre endroit, pour le lieu de la ſcène de ces Orgie, parce que, me dit le Pere Caſimir, on ne nous ſoupçonnera jamais de paſſer la nuit dans l’Egliſe ; une autre raiſon, c’eſt que nous ſommes tous portés pour aſſiſter aux Offices, & cette exactitude ferme la bouche aux babillars.

Malgré le ſoin que le Pere Caſimir prenoit pour conſerver ſes Eléves, il en perdoit toûjours quelqu’un ; j’en dirai la raiſon : quelquefois le ſouvenir des obligations, au lieu de produire de la reconnoiſſance, fait des ingrats. Ces Déſerteurs ſe ſervoient, contre le Pere, des traits qu’il leur avoit apris à éguiſer contre les autres. Un d’eux fit ſur lui ce Sonnet, qui doit paſſer à la poſtérité la plus reculée, à côté du fameux Sonnet de Desbarreaux.

SONNET.

UN jour Dom-Hapceon plus arrogant qu’un coq,
Las de ſentir ſon Vit auſſi droit qu’une quille,
Sortit de ſon Couvent, enfoncé dans ſon froc,
Et fut chez la Dupré, demander une fille.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux, 1741-Separateur
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux, 1741-Separateur

Le Bougre, qui jamais ne foutoit qu’en eſcroc,
Pour qui cinq ou ſix coups n’étoient qu’une vétille,
Crût qu’il ne s’agiſſoit que d’eſſuyer le choc,
Et tira ſon Engin de deſſous ſa mandille.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux, 1741-Separateur
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux, 1741-Separateur

Tout beau, dit la Putain, renguaine l’Inſtrument ;

On commence d’abord par payer largement :
De Foutre on vit ici, comme au Palais d’épices.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux, 1741-Separateur
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux, 1741-Separateur

Le Pater étonné de ce foutu Cartel,
Quitta, faute d’argent, ce pilier de Bordel,
Et fut de déſeſpoir enculer deux Novices.

Je ne ſaurois mieux finir, je quitte le pinceau, de nouveaux coups ne feroient qu’affoiblir ma peinture.

La Niéce du Pere Caſimir étoit brune, petite ; mais vive & pétillante, le premier coup d’œil ne lui étoit pas favorable, mais l’examen la vengeoit ; elle ſavoit ménager avec tant d’adreſſe la vûë d’une gorge qui n’étoit pas abſolument belle, qu’elle en tiroit meilleur parti, qu’une autre ne l’auroit pû faire d’une gorge plus accomplie, ſes yeux étoient petits, mais noirs & animés par le feu de l’amour, ils promenoient ſur vous ces regards fins & enjoüés, qui paroiſſoient conduits par l’indifference, mais qui l’étoient par la coqueterie la plus rafinée, ſa bouche étoit grande, mais bien bordée, elle rioit volontiers, elle croyoit ne montrer que la beauté de ſes dens, & découvroit des graces d’autant moins ſuſpectes, qu’elle n’étoient pas étudiées ; elle en enchantoit par la vivacité & le ſel de ſes poliſſonneries : en un mot, c’étoit ce qu’on pouvoit ſouhaiter de plus charmant, pour attraper le jour ſans s’apercevoir qu’on a paſſé la nuit.

Auſſi-tôt que je me vis placé à côté de cette aimable Fille, je ſentis renouveller ces mouvemens confus, que j’avois autrefois éprouvé, quand le hazard m’avoit fait découvrir Toinette & le Pere Policarpe. La longue privation du plaiſir m’avoit formé, pour ainſi dire, une ſeconde nature, auſſi ſuſceptible d’impreſſions, auſſi vives & auſſi piquantes ; je recommençai à vivre, parce que je crus que j’allois revivre pour le plaiſir. Je regardois ma voiſine dont l’air riant & facile me faiſoit connoître que mes deſirs ne languiroient qu’autant de tems que j’aurois la ſimplicité de ne les pas expliquer. Je ſentois bien que ce n’étoit pas l’envie de faire la Veſtale, qui la faiſoit trouver au milieu d’une bande de Moines ; mais le bonheur qu’elle ſembloit m’offrir, me paroiſſoit ſi grand, que j’avois peine à le concevoir : j’étois tremblant, & dans la crainte qu’il ne m’échapât, à peine aurais-je pû former le deſſein de le demander : j’avois la main ſur ſa cuiſſe, que je preſſois contre la mienne, je ſentis qu’elle me la prenoit, & la paſſoit par l’ouverture de ſon jupon ; je connus ſon deſſein, & je portai bientôt le doigt où elle le deſiroit. Le toucher d’un endroit dont la poſſeſſion m’étoit interdite depuis ſi long-tems, me cauſa un frémiſſement de joye qui me fut aperçû de toute la bande, qui me cria, courage, Pere Saturnin, vous y voila : peut-être aurois-je eu la ſotiſe d’être déconcerté de cette exclamation, ſi Mariamne (c’étoit le nom de notre Déeſſe) ne m’eût ſur le champ donné un baiſer, & déboutonné ma culote d’une main, tandis qu’elle paſſoit l’autre bras autour de mon col ; elle m’empoigna le Vit, il bandoit. Ah, Peres, s’écria-t’elle avec tranſport, en adreſſant la parole aux autres Moines, & en leurs découvrant mon Vit, qui s’éleva fierement d’un demi pied au-deſſus de la table : vous n’étes que des Embrions, en avés-vous de cette beauté-la ? Il ſe fit un Brouhahaha d’admiration, & chacun félicita Mariamne, ſur le plaiſir qu’elle alloit avoir : elle en paroiſſoit enchantée ; alors le Pere Caſimir impoſa le ſilence à toute la troupe, & après avoir auſſi complimenté ſa Niéce ſur l’acquiſition qu’elle venoit de faire, il m’adreſſa la parole ; Pere Saturnin, me dit-il, diſpoſés de Mariamne, je vous en ferois l’éloge, ſi vous ne la voyés pas, & vos deſirs le font mieux que je ne le pourrois faire. Vous lui trouverés la peau la plus douce les Tetons les plus durs & les plus mignons, le Con le mieux formé, elle va vous donner tous les plaiſirs imaginables ; mais ces plaiſirs ſont à une condition, elle ne ſera pas plus mauvaiſe pour vous qu’elle l’a été pour ces Peres. Ah, lui repondis-je, tranſporté d’amour ! Quelle eſt-elle cette condition, que faut-il donner, mon ſang ? Non : quoi donc ? Votre Cul : mon Cul ! Hè que diable en feriés-vous, Pere ? Oh, repondit-il, c’eſt mon affaire. L’envie d’être bien-tôt ſur Mariamne, fit que je n’inſiſtai pas ſur la propoſition du Pere. Je me mis bien-tôt en devoir d’enconner ma charmante, & mon Bougre de m’enculer : elle ſe coucha ſur le banc qui nous ſervoit de ſiége ; & je m’étendis ſur elle, & le Pere ſur moi : quelque douleur que je ſentiſſe, & quoique Caſimir me déchirât, le plaiſir d’en faire autant à la Niéce, dont le Con ſouffroit plus de la groſſeur de mon Vit, que mon Cul ne ſouffroit de celle du Vit de ſon Oncle, me conſoloit de ma peine. Quand les difficultés de l’entrée furent levées, des deux côtés nous ne trouvâmes plus qu’un chemin ſemé de fleurs ; quelquefois le plaiſir m’arrêtoit au milieu de l’ouvrage, mais bien-tôt Caſimir reveillant ma valeur, m’animoit à faire auſſi bien que lui. Ainſi pouſſé & pouſſant, les coups que je recevois de l’Oncle, alloient comme dans un écho, retentir & ſe perdre dans le Con de la Niéce, tantôt immobile & tantôt furieuſe, elle mouroit, reſſuſcitoit, me baiſoit, me pouſſoit, me mordoit, me ſerroit avec des convulſions qu’elle me communiquoit, & qui ſurprenoient toute l’aſſemblée.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 217
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 217

Il y avoit déja long-tems que nous avions laiſſé bien loin derriere nous le Révérend Caſimir. Surpris lui-même de l’opiniâtreté du combat, qui avoit déja coûté bien du ſang aux deux partis : il joignit ſon admiration à celle de la compagnie, qui, rangée autour de nous, attendoit dans un ſilence reſpectueux l’iſſuë de la bataille. J’étois furieux que Mariamne osât me tenir tête, à moi qui n’avois pas foutu depuis plus de huit ans, à moi qui croyois avoir raſſemblé dans ce moment tous les deſirs & toutes les forces que j’avois pû acquérir pendant un ſi long-tems : elle étoit enragée de trouver un Moine qui ſoutint ſes efforts ſans s’ébranler, elle qui avoit déſarçonné les plus vigoureux de la bande : le Foutre & le ſang confondus ruiſſeloient ſur nos cuiſſes, nous n’en étions que plus animés. Déja nous avions déchargés quatre fois, quand je m’aperçus que Mariamne, fermant l’œil, baiſſant la tête, & laiſſant tomber les bras, attendoit ſans mouvement que par une cinquiéme décharge, je lui donnaſſe le coup de grace. Elle n’attendit pas long-tems : elle le reçût, & après l’avoir ſavouré pendant quelques minutes, elle s’échapa de mes bras, & me dit qu’elle ſe rendoit fiere de la victoire que je venois de remporter : je pris un grand verre que je lui preſentai, & lui verſant une raſade, j’en pris autant de mon côté, & choquant enſemble, nous ſcellâmes notre reconciliation dans le vin.

La fin du combat avoit fait remettre chacun à ſa place : j’étois entre l’Oncle & la Niéce, l’objet des careſſes de tous les deux, l’un avoit la main ſur mes feſſes l’autre l’avoit ſur mon Vit. Les éloges que l’on nous donnoit firent bien-tôt place à une converſation plus reglée ; ce fut Caſimir qui l’entama : le ſujet en fut la Bougrerie ; Caſimir en prit la deffenſe comme un tendre Pere prend celle d’un Enfant chéri, il poſſédoit à fond ſa matiere, il s’en acquitta parfaitement bien. Il paſſa en revûë tous les Bougres célébres depuis Adam juſqu’aux Jeſuites : il y trouva des Philoſophes, des Papes des Empéreurs des Cardinaux ; il fit l’éloge de chacun en particulier, & tombant enſuite ſur l’injuſtice & l’aveuglement de ceux qui s’élevent contre un plaiſir adopté, pratiqué par les plus grands hommes, par les plus grands génies, il remonta à l’avanture de Sodome : il ſoutint qu’on avoit falſifié, par jalouſie, ce mémorable événement, & cédant tout-à-coup à ſon entouſiaſme, il finit ſon éloge par ces vers.

Taiſés-vous, Cenſeurs indociles,
Etourdiſſés les ſots de vos voix imbéciles ;
Mais n’allés pas foüiller dans l’Hiſtoire des tems.
Vous oſés, ignorans reptiles,
Des Ecrivains les plus habiles,
altérer les beautés & corrompre le ſens.
Sodome, ce n’eſt point par un ſouffle funeſte,
Que furent conſumés tes heureux Habitans ;
C’eſt par un feu Divin, c’eſt par un feu Céleſte :
Sodome, que n’étois-je alors de tes enfans !

Le diſcours du Pere reçût les aplaudiſſemens qu’il méritoit, & qu’il étoit ſûr de recevoir des Aſſiſtans, en traitant un ſujet qui leur étoit ſi agréable. On foutit encore tant en Cul qu’en Con, on bût, on rit, & l’on ſe ſépara avec promeſſe de ſe retrouver à la huitaine, car ces banquets ne ſe faiſoient pas tous les jours : les revenus du Pere Caſimir, qui regaloit ordinairement, n’y auroient pas ſuffi. Nous nous ſéparâmes les meilleurs amis du monde, Mariamne & moi. La pauvre enfant ne tarda guéres à s’apercevoir qu’il étoit dangereux de joüer avec moi, ſa ceinture devint bien-tôt trop courte, on m’en donna la gloire : le Pere Caſimir prit le ſoin de conduire les choſes ſécretement ; il étoit juſte qu’il prît ſur lui les riſques des hazards auſquels il expoſoit ſa chére Niéce. Elle en ſortit à ſon honneur, & tout auroit été le mieux du monde, ſi cette groſſeſſe inattenduë, n’avoit pas mis le déſordre dans nos aſſemblées nocturnes. J’eſſayai du reméde de Caſimir, & ſur ſes traces ; je me rendis bien-tôt redoutable au Cul de tous nos Novices ; mais je retombai peu de tems après dans mes anciennes erreurs, & les plaiſirs du Con m’enleverent à ceux du Cul.

Quelque jour, après avoir chanté ma premiere Meſſe, le Prieur me fit avertir d’aller dîner dans ſa chambre : j’y fus, & je trouvai avec lui quelques Anciens, qui me reçûrent, ainſi que le Prieur, avec de vives accolades, que je ne ſavois à quoi attribuer. Nous nous mîmes à table, & nous fimes une chére de Prieur, c’eſt tout dire, quand le vin que ſa Révérence avoit ſoin de ne pas choiſir dans le plus mauvais cru, eût repandu la gayeté dans la converſation, je fus ſurpris d’entendre mes Doyens, donnant l’eſſort à leur langue, lâcher les B. & les F. avec une aiſance que je n’aurois pas attenduë de gens que j’avois toûjours vûs ſous le maſque de la reſerve. Le Prieur voyant mon étonnement, me dit, Pere Saturnin, nous ne nous gênons plus avec vous, parce qu’il eſt tems que vous ne vous géniés plus avec nous ; oüi, mon Fils, ce tems eſt arrivé, vous avés reçû le Saint Ordre de Prêtriſe : cette qualité vous rend aujourd’hui notre égal, & me met dans l’obligation de vous revéler des ſecrets importans qui vous ont été cachés juſqu’à préſent, & qu’il ſeroit dangereux de confier à de jeunes gens qui pourroient nous échaper & divulguer des miſteres qui doivent être enſevelis dans un ſilence éternel ; c’eſt pour m’acquiter de cette obligation que je vous ai fait venir ici.

Cette exorde impoſant me diſpoſa à écouter avec attention ce que le Prieur alloit me dire ; il reprit ainſi la parole. Je ne vous crois pas de ces eſprits foibles que le mot de Fouterie effarouche : vous connoiſſés aſſez la nature, pour ſavoir que l’action de Foutre eſt auſſi naturelle à l’homme que celle de boire & de manger ; nous ſommes Moines, mais on ne coupe ni le Vit ni les Coüilles quand nous entrons dans le Cloître : l’imbécillité de nos Fondateurs & la cruauté des hommes ont voulu nous interdire une fonction auſſi naturelle, elles n’ont fait qu’irriter nos deſirs. Comment donc apaiſer ces flâmes que la nature elle-même a allumés dans notre cœur. Falloit-il, pour exciter la compaſſion des Fidéles, aller nous branler dans les ruës & dans les carrefours, falloit-il, pour nous conformer à leurs idées tiranniques, brûler continuellement d’un feu qui ne peut s’éteindre que par la mort ? Non, autant qu’il nous a été poſſible, nous avons tâché de garder un milieu entre l’auſtérité, que la qualité de Moines ſemble exiger de nous, & les foibleſſes de la nature. Ce milieu eſt de donner tout à celle-ci dans l’intérieur de nos Cloîtres, & le plus que nous pouvons, à l’auſtérité dans l’extérieur ; pour cet effet dans les Couvens bien réglés, on a un certain nombre de femmes avec qui l’on trouve un ſoulagement contre la concupiſcence que nous avons reçûë d’Adam, on va dans leurs bras oublier les déboires de la Pénitence. Vous me ſurprenés, lui dis-je, mon Révérend Pere ! Ah, pourquoi faut-il qu’une ſi belle police n’étende pas ſa ſageſſe juſques ſur nous ! Nos Convives s’éclaterent de rire. A cette exclamation le Prieur me repondit ; comment donc, mon fils, nous croyés-vous plus dupes que les autres, non, nous ne le ſommes pas : ſachés que nous avons ici un endroit, où, graces au Ciel, nous ne manquons pas de ces ſecours. Ici, repris-je, mon Pere, & vous ne craignés pas que l’on découvre ! Non, non, me repliqua-t’il, il eſt impoſſible de nous découvrir ? va-t’on déterrer un petit eſpace de terrein, placé entre la bibliotéque & quelques anciennes chapelles où l’on ne va jamais, & un grand mur qui le couvre du côté du jardin, le continent de notre maiſon eſt trop vaſte pour qu’on puiſſe s’apercevoir de cet endroit, nous ſommes en ſûreté de tous côtés, & ſi vous, qui demeurés ici depuis neuf ans, n’en avés ſeulement pas eu d’idée, comment voudriés-vous que des étrangers s’en aperçuſſent. Ah, m’écriai-je, quand me ſera-t’il permis d’aller avec vous travailler à conſoler ces charmantes recluſes ? Les conſolations ne leur manquent pas, me repondit-il en riant, & vous avés à preſent le droit de leur en donner ; car pour plus grande ſûreté nous n’admettons, comme je viens de vous le dire, que ceux à qui leur propre intérêt impoſe la diſcrétion, ceux qui ont reçû la qualité de Prêtre : vous étes de ce nombre, vous y viendrés, quand vous voudrés ; quand je voudrai, interrompis-je, ah, mon Pere je ſuis homme à vous ſommer de tenir votre parole dès-à-preſent : pour le preſent, non, me repondit-il, il faut attendre juſqu’à ce ſoir ; c’eſt l’heure à laquelle nos Freres, preſſés de leurs beſoins, viennent ſe rendre ici pour être introduits dans notre piſcine ; c’eſt ainſi que nous nommons l’apartemens de nos Sœurs : on n’en confie la clef à perſonne : il n’y en a que deux, qui reſtent continuellement, l’une entre les mains du Pere Dépenſier, l’autre entre les miennes.

Ce n’eſt pas tout, continua le Prieur, l’étonnement que vous venés de faire paroître, Pere Saturnin, au ſujet de notre Piſcine, tiendra-t’il contre celui que va vous cauſer la nouvelle d’une choſe que vous n’avés jamais ſoupçonnée ; vous n’étes pas fils d’Ambroiſe. Je demeurai effectivement ſi interdit à ces mots, que je n’eus pas la force d’ouvrir la bouche. Oüi, pourſuivit le Prieur, vous n’étes ni le fils d’Ambroiſe ni celui de Toinette : vous étes d’une naiſſance plus relevée, notre Piſcine vous a vû naître, une de nos Sœurs vous a donné le jour ; alors il me conta ce que vous avés vû au commencement de ces Memoires. Ah lui dis-je alors, revenu de ma premiere ſurpriſe, quelqu’étonnant, mon Pere, que ſoit le miſtere que vous venés de m’aprendre, je ſens que vous n’aurés pas de peine à m’y faire ajoûter foi : oüi, j’ai dans le cœur des ſentimens qui juſtifient ma naiſſance, & ces ſentimens ne ſe trouvent pas dans celui du fils d’un jardinier ; mais avant que je me livre à la joye que doit m’inſpirer la connoiſſance de mon origine, permettés-moi de me plaindre d’un deffaut de confiance qui m’a ſouvent fait haïr un état auquel j’étois deſtiné par ma naiſſance, pourquoi m’avés-vous toûjours envié la douce conſolation d’embraſſer ma Mere, ſi elle vit encore : craigniés-vous que je n’abuſaſſe d’un ſecret que j’avois tant d’intérêt de garder. Pere Saturnin, me dit le Prieur attendri, vos reproches ſont juſtes ; mais ſoyés perſuadé que ce n’eſt pas par un deffaut de tendreſſe qu’on vous a interdit l’entrée de notre Piſcine : l’amour que nous avons pour vous, & dont nous vous avons toûjours donné des marques. Cet amour a long-tems combattu contre la ſevérité de nos régles : mais enfin il faut de l’ordre, & le tems nous met aujourd’hui en état de faire ceſſer vos plaintes, dès tantôt vous aurés ce plaiſir que vous ſouhaités, vous embraſſerés votre Mere, elle vit encore : ſi vous n’avés pas eu ce plaiſir plû-tôt, ce n’eſt pas un bien que vous ayés perdu, c’en eſt un que vous allés trouver. Ah, m’écriai-je, que j’ai d’impatience de me voir dans ſes bras : modérés-la, me dit-il, le ſacrifice ne ſera pas long, vous [y] n’avés plus que quelques heures à attendre : déja le ſoleil baiſſe, la nuit s’avance, & l’heure viendra ſans que nous y penſions ; nous ſouperons à la Piſcine : on vous y attend, vous ne paroîtrés au refectoir que pour le decorum, & vous viendrés nous retrouver ici.

Le plaiſir de voir ma Mere n’étoit pas le motif le plus preſſant qui me fit deſirer l’entrée de la Piſcine, l’eſperance d’y goûter ſans contrainte tous les délices de l’amour dans le bras d’un nombre de jolies femmes devoüées à mes deſirs, offroit à mon cœur une immenſité de plaiſirs que tous les efforts de mon imagination ne me rendoient que foiblement. Le voila donc enfin arrivé, me diſois-je, ce tems que j’ai ſi fort ſouhaité : heureux Saturnin, plains-toi de ton ſort ! Dans quel état de la vie aurois-tu trouvé ce que l’on vient de t’annoncer aujourd’huy ? Regretteras-tu des jours paſſés dans la triſteſſe, ſi ceux qui les vont ſuivre ſont auſſi charmans que tu dois te le promettre.

L’heure vint, je retournai chez le Prieur : j’y trouvai cinq ou ſix Moines, amenés par le même motif que moi. Nous partîmes à la file l’un de l’autre, & dans un profond ſilence, nous marchâmes juſqu’à ces antiques chapeles qui ſervoient de rempart à la Piſcine d’un côté : nous deſcendîmes ſans lumiere dans un caveau, dont l’horreur ſembloit être ménagée pour préparer un nouveau charme au plaiſir qui devoit la ſuivre. Ce caveau, que nous traverſâmes à l’aide d’une corde attachée contre le mur, nous conduiſit à un eſcalier qui étoit éclairé par une lampe. Le Prieur ouvrit la porte qui fermoit cet eſcalier : nous entrâmes par un petit detour dans une ſalle galamment meublée, autour de laquelle paroiſſoient quelques lits commodes pour les combats de Vénus : nous y vîmes le aprêts d’un magnifique repas. Perſonne ne paroiſſoit encore ; mais bientôt au bruit d’une ſonnette que le Prieur tira, nous aperçûmes une vieille cuiſiniere qui fut ſuivie dans le moment de nos Sœurs, qui étoient au nombre de ſix en tout, & qui me parurent charmantes : chacune d’elles fut ſe jetter dans les bras de quelqu’un de nos Moines, & je reſtai ſeul témoin de leurs tranſports, & piqués de l’indifférence qu’elles affectoient d’avoir pour un nouveau Frere qui s’imaginoit qu’elles devoient venir lui prodiguer leurs careſſes ; mais le nouveau Frere eût bien-tôt ſon tour, & en fut dédomagé avec uſure.

On n’obſervoit pas à la Piſcine plus ſcrupuleuſement l’intention du Fondateur qu’on ne le faiſoit aux repas du Pere Caſimir : point de maigre, les viandes les plus exquiſes ſervies avec toute la propreté poſſible, s’y trouvoient en quantité. On ſe mit à table chacun à côté de ſa chacune mangeoit, buvoit, patinoit, baiſoit, parloit Foutaiſe avec autant de liberté qu’il y en avoit à nos feſtins des orgues. Je ne me ſentois pas d’appétit, on m’en faiſoit la guerre : je me deffendois mal uniquement occupé du deſir de retrouver ma Mere, ou, pour parler plus naturellement, du deſir de m’eſcrimer avec quelqu’une de nos Sœurs. Je cherchois des yeux celle dont la vigueur Monacale m’avoit fait le fils, & je leur trouvois à toutes un air de fraîcheur & de jeuneſſe qui ne me permettoit pas de penſer que j’euſſe cette obligation à aucune d’elles. Quelques occupées qu’elles fuſſent auprès de leurs Peres, elles trouvoient toujours moyen de me lancer des regards dont la paſſion renverſoit les conjectures que je pouvois faire : je m’imaginois ſottement que je reconnoîtrois ma Mere au reſpect & à la tendreſſe que la nature m’inſpireroit pour elle ; mais mon cœur me parloit également pour toutes, & mon Vit bandoit ſans diſtinction en l’honneur de chacune d’elles.

Mon inquiétude divertiſſoit toute la Compagnie. Quand on eût aſſez mangé pour mettre une intervalle entre les premiers morceaux & les derniers, il fut queſtion de Foutre : dans le moment je vis le feu briller dans les yeux de nos adorables. Comme j’étois nouveau venu, on voulut me donner l’honneur de commencer la danſe. Allons, Pere Saturnin, me dit le Prieur, il faut, mon ami, que tu faſſe eſſai de tes forces avec la Sœur Gabrielle, ta voiſine. J’avois déja commencé à faire connoiſſance avec elle : nous avions préludés par des baiſers donnés & reçûs avec feu de part & d’autre, ſa main avoit même été juſqu’à ma culotte. Quoiqu’elle parut la moins jeune de la Compagnie, je lui trouvois aſſez de charmes pour ne pas envier le ſort des autres ; c’étoit une groſſe blonde à qui l’on ne pouvoit reprocher d’autre deffaut qu’un peu trop d’embonpoint, ſa peau étoit d’une blancheur ébloüiſſante, la plus belle tête du monde, des yeux grands, bleus & bien fendus, la paſſion les rendoit tendres & mourans, mais ils étoient vifs & brillans dans le plaiſir ; ajoûtés une gorge ferme & bien remplie, des Tetons qui formoient, en s’élevant au-deſſus du corſet, un Contour regulier, dont la chaleur, dont les mouvemens précipités charmoient les yeux, quand on ſe contentoit de les regarder, & enflammoient quand on y touchoit.

L’exhortation du Prieur n’avoit pas prévenu mes deſirs, Gabrielle les avoit excités : elle ſe prêta galamment à les ſatisfaire ; viens, mon Roi, me dit-elle, viens, je veux avoir ton pucelage, viens le perdre dans un endroit où tu as reçû la vie : ce mot me fit trembler. Sans être devenu plus vertueux, j’avois acquis chez les Moines des connoiſſances qui ne me permettoient pas d’être avec Gabrielle ce que j’avois autrefois été avec Toinette. J’étois prêt à enconner : un reſte de honte m’arrêta ſur le bord du précipice, je reculai. Ah, Ciel ! dit Gabrielle, en ſe relevant eſt-il poſſible que ce ſoit-là mon Fils ? Ai-je pû mettre aux monde un lâche tel que lui ? Quoi, foutre ſa Mere lui fait peur ? Ma chere Gabrielle, lui dis-je, en l’embraſſant, contentés-vous de mon amour : ſi vous n’étiés pas ma Mere, je ferois mon bonheur de vous poſſéder ; mais reſpectés une foibleſſe qu’il me ſeroit impoſſible de vaincre.

L’aparence même de la vertu eſt reſpectable aux cœurs les plus corrompus & les plus libertins. Mon action trouva des partiſans parmi nos Moines : ils convinrent qu’ils avoient eu tort de vouloir me faire une pareille ſurpriſe : il n’y eût qu’un coquin d’entr’eux qui voulut entreprendre de me convertir. Pauvre ſot, me dit-il, quoi, tu es aſſez ſimple pour t’effrayer d’une action auſſi indifférente ; parlons raiſonnablement, dis-moi un peux : qu’eſt-ce que la Fouterie ? La conjonction d’un homme & d’une femme : cette conjonction eſt ou naturelle ou deffenduë par la nature. Elle eſt naturelle, puiſqu’il eſt vrai que les deux ſexes ont dans le cœur un penchant invincible qui les porte, qui les entraîne l’un vers l’autre ; ſi ce penchant eſt dans le cœur de l’homme & de la femme indiſtinctement. L’intention de la nature étoit donc qu’on le ſatisfit indiſtinctement l’un avec l’autre, & la preuve s’en tire du livre même dicté par le Saint Eſprit : Dieu dit à nos premiers Parens, croiſſés & multipliés. Ils étoient ſeuls : comment Dieu entendoit-il que la multiplication ſe fit ? Adam ſuffiſoit-il tout ſeul pour peupler la terre ? Adam faiſoit des filles, il les foutoit : Eve avoit des fils, ils faiſoient avec elles ce que leur Pere faiſoit avec leurs ſœurs : ce qu’ils faiſoient eux-mêmes quand l’occaſion s’en preſentoit. Deſcendons au Déluge ; il ne reſtoit dans le monde que la famille de Noé : il falloit bien néceſſairement que les freres couchaſſent avec leurs ſœurs, les fils avec leur Mere, le Pere avec ſes filles, s’ils vouloient repeupler la terre. Allons plus loin ; Loth fuit de Sodome, ſes filles, qui avoient toûjours devant les yeux l’intention du Créateur, & qui venoient de voir leur bonne-femme de Mere changée en ſtatuë pour avoir été trop curieuſe, s’écrierent dans l’amertume de leur cœur, hélas, le monde va donc finir ! Elles auroient cru ſe rendre coupables aux yeux du Souverain Eſtre, ſi elles n’avoient pas travaillé de tout leur pouvoir à retablir ce qu’ils venoient de détruire : Loth lui-même pénétré de cette vérité, y contribua de tout le ſien. Voila la nature dans ſa premiere ſimplicité : les hommes ſoumis à ſes loix regardoient l’obligation de les exécuter comme leur premier devoir ; mais bien-tôt corrompus par leurs paſſions, il oublierent la volonté de cette tendre Mere, ils ne voulurent pas reſter dans l’état heureux où elle les avoit placés, ils renverſerent tout, ils ſe forgerent des chimeres qu’ils qualifierent de vertus & de vices, ils inventerent des loix qui, bien loin d’augmenter le nombre de leurs prétenduës vertus, n’ont fait qu’augmenter celui de leurs prétendus vices : ces loix ont fait les préjugés, & ces préjugés, adoptés par les ſots & ſifflés par les ſages, ſe ſont fortifiés d’âge en âge. Il falloit donc que ces impertinens Légiſlateurs, en renverſant les loix de la nature, refondifſent les cœurs qu’elle nous avoit donnés, il falloit qu’ils reglaſſent nos deſirs, qu’ils y miſſent des bornes, & puiſqu’ils prétendoient qu’on ne devoit goûter les plaiſirs de l’amour qu’avec une ſeule femme, & même après certaines formalités, il falloit qu’ils reſtraigniſſent les deſirs de chacun pour un ſeul objet, qu’ils ne fiſſent naître ces deſirs qu’après certaines formalités, & les conſervaſſent toûjours les mêmes. Ils ne l’ont pû faire : la nature au fond de notre cœur reclame contre leur injuſtice ; en un mot, la Fouterie ſans diſtinction eſt d’inſtitution Divine, c’eſt un precepte gravé par la main du Créateur, & la Fouterie diſtincte eſt d’inſtitution humaine : & l’une eſt auſſi élevée au-deſſus de l’autre, que le Ciel l’eſt au-deſſus de la Terre. Peut-on, ſans ſe rendre criminel, écouter l’homme préférablement à Dieu ? Non, non, Saint Paul, interpréte Sacré des volontés du Ciel, qui connoiſſoit toute l’étenduë des devoirs de la nature, a dit ; plû-tôt que de brûler, foutés, mes enfans, foutés : il eſt vrai que pour ne pas choquer la foibleſſe des petits genies, il met un correctif à ſa penſée, & ſe ſert de l’expreſſion, mariés-vous ; mais au fond, c’eſt la même choſe : on ne ſe marie que pour Foutre. Ah, que je t’en dirois bien davantage, ſi je ne me ſentois preſſé de ſuivre le conſeil de St. Paul. On rit de la ſaillie du Pere, & déja le Ribaud ſe levoit, & le Braquemart à la main, menaçoit tous les Cons de la ſalle : attendés, dit une des Sœurs, nommée Madelon, pour punir Saturnin il me vient une idée excellente : quelle eſt-elle, lui demanda-t’on ? C’eſt, repondit-elle, de le faire coucher ſur un lit, Gabrielle s’étendra ſur ſon dos, & le Pere, qui vient de parler comme un oracle, exploitera Gabrielle. Les ris redoublerent à cette folie : j’en ris moi-même, & dis que j’y conſentois, à condition que pendant que le Pere foutroit ſur mon dos, je foutrois moi avec la donneuſe d’avis. Allons, reprit-elle gayement, j’y conſens pour la rareté du fait.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 236
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 236

Chacun aplaudit une imagination auſſi bizarre : nous nous mîmes en poſture ; figurés-vous quel ſpectacle cela devoit faire. Le Pere ne pouſſoit aucun coup à ma Mere qu’elle ne le lui rendit ſur le champ au triple, & ſon Cul, en retombant ſur le mien, me faiſoit enfoncer dans le Con de Madelon : ce qui faiſoit un ricochet de Fouterie tout-à-fait divertiſſant pour les Spectateurs, non pas pour nous, car nous étions trop occupés pour nous amuſer à rire. Il n’eût tenu qu’à moi de me vanger de Madelon, en laiſſant tomber le poids de trois corps ſur le ſien ; mais elle étoit trop aimable & trop amoureuſe : elle travailloit de trop bon cœur, pour me laiſſer concevoir une pareille penſée : je la ſoulageois autant qu’il m’étoit poſſible, elle en eût pourtant la peine ; mais ce fut plûtôt un ſurcroit de volupté pour elle ; car ayant ſenti les délices de la décharge avant nos Fouteurs d’en haut : le plaiſir me rendit immobile : Gabrielle le ſentit, & les coups de Cul qu’elle repetoit avec une nouvelle vivacité, faiſoient pour moi ce que je n’étois plus en état de faire, & en m’agitant alloient donner de nouveaux ébranlemens de plaiſir à Madelon qui déchargeoit auſſi. Nos Fouteurs finirent leur affaire, & joignirent leur extaſe à la nôtre : nos quatre corps n’en firent plus qu’un, nous nous mourrions, nous nous confondions l’un dans l’autre.

Les éloges que nous fimes de cette nouvelle façon de goûter le plaiſir, firent venir l’eau à la bouche des autres Moines & Sœurs, les voilà les uns ſur les autres à Foutre comme des perdus en quatrain (c’eſt le nom que nous donnâmes à cette poſture) & nous à leur donner l’exemple. C’eſt ainſi que les plus belles découvertes que l’on ait fait dans la nature ſont dûës au hazard.

Gabrielle étoit ſi charmée de cette invention, qu’elle avoüa qu’elle avoit eû preſque autant de plaiſir, qu’elle en avoit goûté en me faiſant. Comme je n’étois pas moins curieux, que les autres de ſavoir comment la choſe s’étoit paſſée, on la pria de la raconter. J’y conſens, nous dit-elle, & d’autant plus volontiers, que Saturnin ne connoit encore que ſa mere, ſans ſavoir d’où elle vient, ni comment elle s’eſt trouvée ici : permettez-moi, mes Révérends de l’en inſtruire, & de remonter un peu plus haut que ce jour que vous ſouhaités que je vous rappelle. Mon ami, continua-t’elle, en m’addreſſant la parole, tu ne te vanteras pas d’une longue ſuite d’ayeux illuſtres, je n’en ai jamais connu : je ſuis fille d’une Loueuſe de chaiſe de ce Couvent, & ſans doute de qu’elqu’un des Peres qui vivoient alors, car elle étoit trop vive, & trop amie du Couvent, pour que je puiſſe en conſcience penſer que j’aye l’obligation de ma naiſſance à ſon bonhomme de mari.

A dix ans, je ne démentois pas le ſang dont je ſuis née, & je connoiſſois l’amour avant que je me connûſſe. J’étois toûjours avec les Peres, ils ſe faiſoient un plaiſir de cultiver mes heureuſes inclinations. Un jeune Profés me donna des leçons ſi touchantes & ſi ſenſibles, que j’aurois cru payer les autres d’ingratitude, ſi je ne leur avois fait connoître que j’étois en état de leur en donner moi-même. Je m’étois dejà acquitée envers chacun d’eux de ce que je lui devois, quand ils me firent la propoſition de me mettre dans un endroit où je ſerois en liberté de renouveller mes payemens auſſi ſouvent que je le voudrois : je n’avois pû les faire juſqu’alors qu’à la ſourdine, tantôt derriere l’Autel, tantôt devant, tantôt dans un Confeſſional, & rarement dans les chambres. Cette idée de liberté me flatta, j’acceptai leurs offres j’entrai ici.

Le jour de mon entrée, on m’avoit fait parer comme une jeune fille que l’on va mener à l’Autel. L’idée de mon bonheur repandoit un air de ſérénité ſur mon viſage, qui charmoit tous les Peres. Tous vouloient me rendre leurs hommages, & chacun vouloit avoir la gloire de me les rendre le premier. Je vis le moment que le feſtin de mes noces alloit finir comme celui des Lapites. Mes Révérends, leur dis-je, votre nombre ne m’épouvante pas ; mais mon courage me fait peut-être trop préſumer de mes forces, je ſuccomberois : vous étes vingt, la partie n’eſt pas égale. Je veux vous propoſer un accommodement ; il faut nous mettre tous nuds, & pour leur en donner l’exemple, je commençai par me débaraſſer de tous mes ajuſtemens, robe, corſet, jupe, chemiſe, tout partit dans le moment : je les vis tous dans le même état que moi ; mes Sœurs étoient auſſi toutes nuës. Mes yeux ſavourerent un moment le charmant ſpectacle de vingt Vit roides, gros, longs, durs comme le fer, & qui ſe preſentoient fierement au combat. Ah, ſi j’avois eu aſſez de Cons pour les recevoir tous à la fois, je l’aurois fait ! Allons, repris-je, il eſt tems de commencer, je vais me coucher ſur ce lit, j’écarterai les cuiſſes aſſez, pour qu’en accourant ſur moi le Vit à la main, vous puiſſiés m’enfiler l’un après l’autre, car il faut que le ſort régle le pas : les maladroits n’auront pas à ſe plaindre, puiſqu’en me manquant, ils trouveront des Cons tous prêts ſur qui ils pourront décharger leur colere. Voila, Meſſieurs, ce que j’avois à vous propoſer : ils aplaudirent tous avec des battemens de main à cet heureux effort de mon imagination, on tire au ſort, je tends la bague, on court, un, deux, trois paſſent ſans m’enfiler, & vont tomber ſur mes Sœurs qui leur font oublier leur malheur par toutes ſortes de plaiſirs : un quatriéme vient, c’étoit vous, Pere Prieur : ah, je payai votre adreſſe par les tranſports les plus vifs, & ſi c’eſt le plaiſir que l’on goûte dans une décharge mutuelle qui fait concevoir, vous ne devés partager qu’avec quatre ou cinq de ceux qui vous ſuivirent, la gloire d’avoir fait Saturnin ! Oüi, mon ami, continua-t’elle, en m’adreſſant la parole, tu as cet avantage au-deſſus des autres hommes : ils peuvent bien dire le jour de leur naiſſance, mais non pas celui où ils ont été faits.

Telles étoient les converſations que nous avions dans la Piſcine, tels étoient les plaiſirs que nous y goûtions : on juge que je n’étois pas des derniers à m’y rendre. Toutes les nuits j’allois chez le Prieur ou chez le Dépenſier : j’étois infatigable, & c’étoit toûjours moi qui conduiſois la Bande Joyeuſe, j’étois l’ame de la Piſcine, j’en étois les délices, & tout, juſqu’aux vieilles qui ſervoient, tout y tâta de mon Vit.

La refléxion cependant perçoit quelquefois au milieu de mes plaiſirs ; toutes nos Sœurs me paroiſſoient charmées de leur ſort. Je ne pouvois concevoir que des femmes, dont le naturel eſt vif & diſſipé, euſſent pû ſans frayeur, concevoir le deſſein de paſſer leur vie dans une pareille retraite, y vivre ſans dégoût, & être ſenſibles à des plaiſirs achetés par un eſclavage éternel. Elles rioient de mon étonnement & ne pouvoient elles-mêmes concevoir que je puſſe avoir de pareilles idées : tu connois bien peu notre tempérament, me diſoit un jour une d’entre elles extrêmement jolie, & que le libertinage, fruit trompeur d’une éducation cultivée, avoit fait jetter dans les bras de nos Moines, n’eſt-il pas vrai, me diſoit-elle, qu’il eſt plus naturel d’être ſenſible au bien qu’au mal : j’en convenois ; ferois-tu difficulté, reprenoit-elle de ſacrifier une heure du jour à la douleur, ſi l’on t’aſſuroit que l’heure ſuivante ſe paſſeroit dans une extrême joye ! Non aſſurément lui diſois-je : hé bien, pourſuivit-elle, au lieu d’une heure, mets un jour, de deux l’un ſera pour le chagrin, & l’autre pour le plaiſir, je te crois trop ſage pour refuſer un pareil parti, ſi on te l’offroit : je dis plus ; l’homme le plus indifférent ne le refuſeroit pas, & la raiſon en eſt bien naturelle. Le plaiſir eſt le premier mobile de toutes les actions des hommes : il eſt déguiſé ſous mille noms différens, ſuivant les différens caracteres. Les femmes ont de commun avec vous tous les caracteres poſſibles ; mais elles ont au-deſſus l’impreſſion victorieuſe du plaiſir de l’amour : leurs actions les plus indifférentes, leurs penſées les plus ſérieuſes, naiſſent toutes dans cette ſource, & portent toûjours, quoique déguiſée, la marque du fond d’où elles ſortent. La nature nous a donné des deſirs bien plus vifs, & par conſéquent bien plus difficiles à ſatisfaire que les vôtres : quelques coups ſuffiſent pour abbatre un homme, & ne font que nous animer : mettons-en ſix, une femme ne recule pas après douze. Le ſentiment du plaiſir eſt donc au moins une fois auſſi vif dans une femme, qu’il l’eſt dans un homme, & ſi tu te croirois heureux de payer un jour de joye par un jour de chagrin, trouverois-tu étrange que j’en donnaſſe deux, ſerois-tu ſurpris que je paſſaſſe les deux tiers de ma vie dans la peine, pour paſſer l’autre tiers dans le plaiſir. J’ai mis les choſes égales entre nous ; quand tu nous vois continuellement occupées de ce qui fait le ſouverain bonheur des femmes, quand nous ſommes continuellement dans vos bras, dis-moi, crois-tu que nous puiſſions ſonger à la peine, qu’elle ait quelque empire ſur nous ? Ne trouveras-tu pas notre condition mille & mille fois plus heureuſe que celle de ces filles imprudentes, qui nées avec [des] inclinations auſſi violentes que celle des autres femmes, vient porter dans le fond de la ſolitude des deſirs qui ne ſeront jamais apaiſés par les embraſſemens d’un homme. Ah qu’une pareille refléxion rendroit nos deſirs bien plus vifs, s’il étoit poſſible que nous nous refroidiſſions ! Tu me demandes ſi nous n’avons pas de retour vers le monde : nos cœurs enchantés, ont-ils le tems de le regreter, & qu’y regreterions-nous ? la liberté : elle n’eſt pas un bien quand elle eſt gênée dans le plus doux de ſes droits ; eſt-ce vivre qu’être continuellement expoſées à tous les caprices des hommes, eſt-ce vivre qu’être continuellement dans les tourmens d’une chaſteté involontaire, une fille brûle d’amour, & un préjugé fatal la note d’infamie, quand elle fait les premieres avances : ſi elle accorde une faveur, ſon amant ſe détache : ſi elle la refuſe, il ſe rebute : ſi elle veut faire valoir une grace ; ſi elle veut, par quelques difficultés irriter ſa paſſion, il s’échape. Ainſi toûjours languiſſante, entraînée par l’amour, retenuë par la bienſéance, elle ne trouve que deux écuëils également terribles pour elle : ſi elle ſe livre à l’amour une indiſcrétion peut la perdre, ſes plaiſirs ſont toûjours empoiſonnés par la crainte du qu’en dira-t’on : ſi elle reſte dans les bornes de la ſageſſe, il faut que ſon bonheur lui améne un mari : s’il ne vient pas, le tems fuit, les années ſe paſſent, ſes charmes ſe flétriſſent, elle meurt vierge & martire ; mais je veux que ſon bonheur le lui améne ce mari, la voila pour toûjours attachée à un homme, un ſeul homme, qui peut à peine ſuffire à la moitié de ſes deſirs ? & dont l’humeur bizarre fera peut-être de chacun de ſes jours, autant de jours de ſuplice. Ici avons-nous quelque choſe de ſemblable à craindre ? Libres des inquiétudes de la vie, nous n’en connoiſſons que les charmes, nous ne prenons de l’amour que les agrémens, & nous en laiſſons les chagrins à celles qui croyent n’en prendre que ce qu’il a de plus délicat : tous vos Moines ſont nos Amans, le Couvent eſt pour nous un Sérail qui ſe peuple tous les jours de nouveaux objets dont le nombre ne ſe multiplie que pour multiplier nos plaiſirs : nous remarquons la différence des jours que par la diverſité des agrémens qu’ils nous procurent : ah, Pere Saturnin, deſabuſe-toi, ſi tu nous crois malheureuſes ! Telle d’entre nous eſt ici depuis bien long-tems qui ne s’eſt pas encore aviſé de penſer au tems qu’elle y a paſſé, & pour t’épargner la peine de chercher cette heureuſe mortelle, je t’avoüerai que c’eſt moi.

Je ne m’attendois pas à trouver tant de raiſonnemens, des penſées auſſi juſtes, des refléxions auſſi ſuivies, une réſolution fondée ſur des motif auſſi ſenſibles, dans une fille que je ne croyois que capable de ſentir le plaiſir. Tout autre que moi auroit plaint la ſociété de la perte d’un ſujet qui en auroit pû faire les délices, ſi ſon tempérament le lui avoit permis ; mais je ne ſongeai dans le moment qu’à profiter de l’heureux penchant qui me la livroit, & à reparer par mes tranſports un tems qu’elle avoit employé à me prouver qu’elle n’étoit née que pour les goûter.

L’homme n’eſt pas né pour un bonheur durable : plongé dans tout ce que mon cœur pouvoit deſirer de plus ſatisfaiſant pour lui, je devins inquiet, je devins rêveur, j’oſe le dire, j’étois en Fouterie ce qu’Alexandre étoit en ambition : je deſirois de Foutre toute la terre, & après j’aurois été chercher un nouveau monde dans l’eſpérance d’y trouver de nouveaux Cons.

Depuis ſix mois je joüiſſois de la gloire inconteſtable d’avoir toûjours remporté le prix dans nos combats amoureux, mais du plus brave que j’étois, je devins bien-tôt le plus lâche. Je ne foutois plus que comme les autres ſe branlent faute de pouvoir faire mieux, l’habitude du plaiſir en avoit émouſſé la pointe, & j’étois avec nos ſix Sœurs comme un mari l’eſt avec ſa femme. Le mal de mon eſprit influa bien-tôt ſur mon cors, & ma langueur fut ſuivie d’une impuiſſance totale pour ce qui avoit fait autrefois mon plus cher amuſement. On s’en aperçût, on m’en fit des reproches ; mais tout ce qu’on pût me dire ne fit que gliſſer ſur mon cœur : j’allois rarement à la Piſcine, il ne fallut pas moins que toute la tendreſſe du Prieur pour m’y faire aller : il engagea nos Sœurs à travailler à ma guériſon, & elles n’épargnérent rien pour y réüſſir : non ſeulement elles employérent tous leurs charmes naturels, mais elles y joignirent encore ce que l’art le plus conſommé peut ſuggerer à une Vieille Coquete Fouteuſe, pour rappeller un jeune cœur entraîné par la vivacité de ſes paſſions, tantôt ſe rangeant en cercle autour de moi, elles offroient à ma vûë les tableaux les plus laſcifs, l’une mollement appuiyée ſur un lit, laiſſoit voir négligemment la moitié de ſa gorge, une petite jambe faite au tour, & des Cuiſſes plus blanches que l’albâtre, me promettoient le plus beau Con du monde ; l’autre les genoux élevés, & dans l’attitude d’une femme qui ſe preſente au combat, étendoit les bras, ſoûpiroit, & marquoit par ſa langueur & ſon agitation, l’ardeur qui la conſumoit ; d’autres dans des poſtures toutes differentes, la gorge découverte, les jupes levées, ſe chatoüilloient diverſement le Con, en s’agitant avec fureur, & en exprimant par leurs ſoupirs & leurs exclamations le plaiſir qu’elles reſſentoient, marque aſſurée de celui qu’elles feroient reſſentir ; tantôt toutes ſe mettoient nuës & me préſentoient la volupté dans tous les points de vûë qu’elles croyoient pouvoir me flatter, l’une le viſage apuyé ſur un Canapé, me montroit le revers de la Médaille, & paſſant ſa main par deſſous ſon ventre, elle écartoit les Cuiſſes & ſe branloit, de maniere qu’à chaque mouvement que faiſoit ſon doigt, je pouvois voir l’intérieur de cette partie, qui m’avoit autrefois cauſé de ſi vives émotions ; une autre ſur un lit de Satin noir, couchée ſur le dos, & les jambes pendantes & écartés, me préſentoit à l’endroit la même image que la précedente ne m’offroit qu’à l’envers. Une troiſiéme me faiſoit coucher par terre entre deux chaiſes, & mettant enſuite un pied ſur l’une & un pied ſur l’autre, elle s’acroupiſſoit, & ſon Con ſe trouvoit perpandiculairement ſur mes yeux. Dans cette ſituation, elle travailloit avec un Godmiché, pendant qu’une autre placée devant moi, foutoit de toutes ſes forces avec le plus vigoureux de nos Moines, nud comme elle, & poſé de façon que je voyois tous les mouvemens & du Con de la Sœur & du Vit de ſa Révérence, qui ſemblable à ces Béliers que l’on ſuſpendoit autrefois aux portes d’une fortereſſe pour les enfoncer, tomboit avec impétuoſité ſur le ventre de la Sœur : enfin on offroit à ma vûë les images les plus lubriques, tantôt toutes à la fois & tantôt ſucceſſivement.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 250
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 250

Quelquefois on me couchoit tout nud ſur un banc, une Sœur ſe mettoit à califourchon ſur ma gorge de ſorte que mon menton étoit enveloppé dans le poil de ſa motte, une autre s’y mettoit ſur mon ventre une troiſiéme qui étoit ſur mes cuiſſes, tâchoit de s’introduire mon Vit dans le Con, deux autres étoient placées à mes côtés, de façon que je tenois un Con de chaque main, une autre enfin, & celle qui avoit la plus belle gorge étoit à ma tête, & s’inclinant, elle me preſſoit le viſage entre ſes Tetons, toutes étoient nuës, toutes ſe grattoient, toutes déchargeoient, mes mains, mes cuiſſes, mon ventre, ma gorge, mon Vit, tout étoit inondé, je nageois dans le Foutre, & le mien refuſoit de s’y joindre : cette derniere cérémonie, qu’on appelloit par excellence la queſtion extraordinaire, fut auſſi inutile que les précédentes ; on me tint pour un homme confiſqué, & l’on abandonna la nature à elle-même.

Tel étoit mon état, quand en me promenant un jour dans le jardin ſeul, rêvant au malheur de ma deſtinée, je rencontrai le Pere Simeon, homme profond, qui avoit blanchi dans les travaux de venus & de la table, & tel que le vieux Neſtor, avoit vû pluſieurs fois renouveller le Couvent. Il vint à moi, & m’embraſſant tendrement, me dit ; ô mon Fils, votre douleur eſt grande, je le vois, mais que le ſujet ne vous en allarme point : mes longues méditations, & mon expérience conſommée m’ont fait découvrir un moyen de faire renaître en vous ce ſentiment vif pour le plaiſir, cette ardeur voluptueuſe qui caracteriſe le bon Moine, votre mal eſt grand ; mais aux maux déſeſpéres il faut de violens remedes.

La nature marâtre ne nous a donné des forces que juſqu’à un certain dégré : J’avoüe qu’elle nous traite nous autres Moines en enfans chéris ; mais la trop grande diſſipation dans un Moine peut faire ce qu’un moindre fera dans un homme ordinaire, & c’eſt cette diſſipation qui fait votre mal, c’eſt elle qui a cauſé votre dégoût. Il ne s’agit que de reveiller votre appétit malade par quelque mets ſucculans, & je ne connois pas de meilleur qu’une Devote : je ne pus m’empêcher d’éclater du ton flegmatique, dont ſa Revérence m’enſeignoit un pareil ſecret. Comment donc, reprit-il, je vous parle très-ſérieuſement, ce n’eſt point ici un paradoxe que je vous avance : tudieu, je vois bien que vous étes encore jeune : vous ne connoiſſés pas les Devotes, vous ne ſavés pas qu’elles ont des reſſources infaillibles pour rallumer les chaleurs éteintes : elles poſſédent l’art de ſe faire contenter par l’homme du tempérament le plus uſé : elles ſavent tirer parti de tout ; je l’ai éprouvé, moi qui vous parle : Oüi, mon fils, j’en ai foutu & plus d’une. Tems heureux, où je faiſois retentir les voûtes du Couvent en frapant avec mon Vit, hélas, qu’étes-vous devenu ! On ne parle plus du vigoureux Pere Simeon, ce n’eſt plus qu’un vieillard caſſé, ſon ſang eſt glacé dans ſes veines, ſa voix eſt tremblante la reſpiration lui manque, ſes jambes lui refuſent leur ſecours, ſes Coüilles ſont ſéches, ſon Vit eſt diſparu, tout meurt. J’avois toutes les envies du monde d’éclater aux exclamations originales du Vénérable Pere Simeon : mais la crainte de l’indiſpoſer de nouveau, me retint. O, mon fils, pourſuivit-il, vous étes encore dans cet âge heureux, fait pour les plaiſirs, profités-en, j’en ai profité, mais il n’eſt plus tems d’y penſer, un ſoin plus important doit m’occuper à préſent, c’eſt celui de la vie éternelle : je ne refuſe pourtant pas mes avis à ceux qui, comme vous, peuvent en avoir beſoin ; on n’eſt bon à rien, quand on n’eſt bon que pour ſoi : je vous le repéte. Le ſeul moyen de vous tirer de votre létargie, eſt de vous mettre au regime, c’eſt-à-dire, d’avoir recours à une Devote, & celui d’y parvenir eſt d’obtenir la liberté de confeſſer pour ce dernier article : je m’en charge ; Monſeigneur me fait l’honneur de m’eſtimer : le meilleur uſage que je puiſſe faire de ſon amitié eſt de l’employer à votre ſoulagement, l’autre article dépend de vous. Je remerciai le Pere de ſes offres obligeantes, & ſans avoir beaucoup de foi à l’efficacité de ſon ſecret : je le priai de vouloir s’y employer ; il me le promit.

Ce n’eſt pas tout, continua-t’il, avant que vous entriés dans cette carriere, il vous faut un guide pour y conduire vos pas. Je veux vous en ſervir : aſſéyons-nous ſur ce banc, nous y ſerons plus à notre aiſe. Nous nous aſſimes, & ſa Révérence ayant touſſé une bonne fois pour n’y plus revenir, reprit ainſi la parole.

Vous n’étes pas à ſavoir, mon fils, que l’heureuſe manie, que l’on qualifie du nom de Confeſſion, doit ſon origine à nos Ancêtres, quand je dis nos Ancêtres, j’entends parler des Prêtres & des Moines qui vivoient dans ces tems reculés où remonte cette pratique du Chriſtianiſme ; je peux bien leur donner ce nom puiſqu’ils nous ont laiſſé le plus bel héritage que des Peres puiſſent laiſſer à leurs enfans ; héritages dont les revenus ſont aſſignés ſur la crédulité des Peuples, payeurs exacts, fermiers toujours fidéles, qui ne laiſſent jamais accumuler les arrérages.

J’ai toûjours admiré la profondeur du génie de ces illuſtres Fondateurs. Dans ces ſiécles ſeveres les Prêtres ne connoiſſoient pas les richeſſes, les pauvres Moines attendoient le ventre creux que la charité des Fidéles pourvût à leurs néceſſités ; on établit la Confeſſion, tout change de face, les biens fondent ſur nous, bien-tôt nous quittons nos deſerts, nous venons dans les Villes renoüer avec les humains, nos richeſſes ne font qu’augmenter à l’ombre de ce Tribunal auguſte. Loüés ſoient mille & mille fois les heureux inventeurs de cette méthode pieuſe, ſur laquelle Dieu verſe ſes bénédictions depuis tant de ſiécles. Amen.

Je ne vous parlerai pas de l’excellence du poſte de Confeſſeur, vous verrés par vous-même que la direction des conſciences n’eſt pas la culture d’un terroir ingrat, quand on ſait allier la connoiſſance du cœur humain, des reſſorts qui le font agir, des paſſions qui l’animent avec un air compoſé & devot, un roulement de yeux étudié, beaucoup de diſcrétion, beaucoup de douceur, quelque condeſcendance pour les foibleſſes qu’il faut pardonner à la nature : vous attirés les bénédictions du Peuple, les éloges, les careſſes des femmes, elles vous adorent, le Dieu, dont elles viennent implorer la miſéricorde par votre miniſtere, eſt moins leur Dieu que vous. Je ne vous dirai pas quel parti vous devés tirer de ces heureuſes diſpoſitions par rapport à votre fortune, votre intérrêt ſeul vous le dictera ; mais le conſeil que j’ai à vous donner, c’eſt de plumer impitoyablement ces vieilles Doüairieres, ces vieilles Bigotes qui viennent à votre Confeſſionnal, moins pour ſe reconcilier avec Dieu, que pour voir un beau Moine. Je ne vous demande grace que pour les jolies, parce que je la leur ai faite ; mais je me faiſois payer d’une autre monnoye.

Une jeune fille, par exemple, ne peut faire de préſens ; mais elle peut donner quelque choſe de bien plus précieux, ſon pucelage. Il faut uſer d’adreſſe pour lui enlever ce charmant bijou : fixés-vous à ces jeunes Devotes ; je prévois qu’il n’y a qu’elles qui puiſſent vous guérir : gardés-vous cependant de vous livrer ſans ménagement à la vivacité que pouroit vous inſpirer l’eſpérance de votre guériſon : on court moins de riſque à expliquer ſes ſentimens à une femme que l’uſage a aguérie, qu’à une jeune perſonne chez qui la paſſion n’a pas encore triomphé des préjugés de l’éducation. Une femme vous entend à demi mot, ſon cœur a déja fait la moitié du chemin avant que votre bouche lui ait appris vos deſirs : il n’en eſt pas de même d’une jeune fille ; mais s’il eſt plus difficile de la vaincre, la victoire en eſt bien plus douce. Je vais vous en tracer la route.

Dans toutes vous trouverés un penchant naturel pour tous les plaiſirs de l’amour. Le grand art eſt de ſavoir manier ce penchant : telle qui paroît ſous un habit modeſte, ſous un air mortifié, les yeux baiſſés, & la demarche compoſée, couvre un feu caché ſous la cendre, toûjours prêt à s’allumer au premier vent de l’amour ; parlés : ſûres de trouver dans un pareil commerce, dont le miſtere met leur réputation à l’abri de la médiſance, toutes les douceurs qui peuvent les conſoler de leur défaite, elles n’opoſeront qu’une foible réſiſtance à vos premieres attaques, preſſés, votre victoire eſt certaine.

D’autres, dont le temperament eſt moins vif, moins impétueux, donneront plus d’exercice à votre adreſſe avec celles-ci mêlés les careſſes de l’Amant aux remontrances du Directeur, échauffés leur naturel par des diſcours débités avec art, informés-vous adroitement des progrès qu’elles ont faits dans la ſcience de ſe procurer du plaiſir, levés imperceptiblement à leurs yeux le voile qui leur cachoit des voluptés inconnuës, decouvrés-leur tous les miſteres de l’amour, faites-leur-en des peintures vives & riantes, qui piquent, qui échauffent leur ſenſualité, montrés-leur le plaiſir dans les attitudes les plus ſéduiſantes, & dans les ſituations les plus favorables pour exciter leurs deſirs.

Vous m’objecterés peut-être qu’il eſt difficile de réüſſir dans la pratique d’un art auſſi dangereux ; point du tout, il ne faut que de l’adreſſe. Je conviens avec vous qu’il ſeroit dangereux d’encenſer ouvertement leurs deſirs que quelque perſuaſifs que fuſſent les raiſonnemens que leur cœur leur feroit en faveur de votre Morale ; car le premier ſentiment eſt pour ce qui nous flatte : mais la refléxion ramene à la raiſon. Cette raiſon ſevere qui n’adopte que des maximes ſeveres comme elle, leur ouvriroit les yeux ſur le péril qu’elles pourroient courir en vous écoutant ; mais il eſt mille moyens de concillier leur cœur & leur raiſon : que les portraits que vous leurs ferés des plaiſirs, paroiſſent faits, moins pour les engager à s’y livrer, que dans la vûë de les en détourner, inſiſtés ſur les plaiſirs, ſoyés court ſur les conſéquences, la raiſon s’oppoſera vainement aux impreſſions, que vos diſcours feront dans leur cœur, ces impreſſions ſeront toûjours dominantes, on s’en occupera, on les careſſera, on voudra goûter de ces plaiſirs, on craindra de ſuccomber, on reviendra à vous ; voila le moment déciſif : plaignés-les, flattés leur foibleſſe, attendrifſés-vous avec elle, plus de Morale, raſſurés leur cœur du côté du Ciel, détruiſés leur préjugés, du côté du monde, faites-leur enviſager que ce n’eſt pas un ſi grand mal que de céder à ſon penchant, que les faveurs qu’une fille tendre peut accorder à ſon Amant ne ſont rien quand elles ſont enſevelies dans l’ombre du ſecret, qu’elles n’en rendent la beauté que plus vive & plus piquantes par les nouveaux attraits dont elles l’embelliſſent, qu’il eſt dangereux de garder trop long-tems une fleur qui ſe fane tous les jours, qu’il eſt ſi doux de la laiſſer cuëillir, que ſa perte n’eſt qu’idéale, qu’un mari, quelque habile qu’il ſoit, fut-il éclairé par les yeux de la jalouſie même, n’en ſauroit avoir le moindre ſoupçon ; ajoûtés, d’une maniere détournée, qu’il eſt mille ſecrets pour empêcher ce que les filles craignent tant, la groſſeſſe, que vous en ſavés. Arrêtés-vous alors, examinés leur viſage ; vous le verrés enflammé, leurs yeux, vous les verrés étincelans, vous les verrés chancelantes, laiſſés tomber négligemment votre main ſur leurs Tetons, preſſés-les, ſerrés-leur tendrement la main, lancés-leur des regards paſſionnés, bien-tôt vous entendrés leurs ſoupirs, fidéles interprétes des ſentimens de leur cœur, joignés vos ſoupirs aux leurs, appliqués un baiſer ſur leur bouche, offrés-vous alors pour conſolateur de leurs peines : l’aveu de ce qui ſe paſſe dans leur cœur établit la confiance, on ne rougit plus d’être foible avec un homme qui connoît votre foibleſſe, & qui, par la ſienne, vous conſole de la vôtre.

Le diſcours du Pere Simeon m’avoit ſi fort échauffé l’imagination, il avoit été porter à mon cœur de ſi douces émotions, que preſque convaincu, je ne voulus plus douter de la poſſibilité d’une choſe que je n’avois d’abord regardée que comme un badinage. Je réïtérai mes inſtances auprés du Pere avec plus de vivacité que je ne l’avois fait la premiere fois, & bien-tôt par ſon canal, j’obtins ce que je demandois.

Il me tardoit de me voir erigé en Médiateur entre les Pécheurs & le Pere des miſéricordes. Je me faiſois une peinture charmante du plaiſir que j’allois avoir à entendre la Confeſſion d’une jeune fille timide, qui n’auroit pas laiſſé de donner à ſon tempérament les petites ſatisfactions qu’il auroit exigées d’elle. Je fus au Confeſſional prendre poſſeſſion de mon poſte.

On dit qu’un grand Philoſophe avoit la foibleſſe de rentrer chez lui & d’y reſter toute la journée, quand en ſortant le matin, une vieille étoit la premiere perſonne qui s’offrit à ſes yeux. Si l’exemple du Philoſophe avoit été une régle pour moi, j’aurois ſur le champ déſerté le Confeſſional ; cependant je tins bon, & je m’armai de courage contre l’ennui méritable que devoit me cauſer la Confeſſion d’une vieille qui ſe préſenta pour ma premiere pratique.

J’eſſuyai patiemment un déluge de balivernes, que je payai par des maximes de morale ſi conſolantes, par un patelinage ſi adroit, que ma vieille, charmée, m’auroit ſur le champ donné des marques de ſa ſatisfaction, ſi heureuſement le grillage ne s’étoit trouvé entre nous ; mais pour me dédommager, elle me voüa un attachement à l’épreuve de toutes les tentatives que les autres Directeurs pourroient faire pour la détacher de moi. Je lui paſſait ſon tranſport en faveur du profit que j’en pourrois tirer ; car lui voyant un air aiſé je la mis ſur [le] champ dans la claſſe de ces vieilles Doüairieres, dont le Pere Simeon m’avoit parlé : allons, dis-je en moi-même, bon pour plumer. Pour cela il falloit ſonder le terrein : elle étoit grande babillarde ; je la mis adroitement ſur le chapitre de ſa famille : grandes invectives d’abord contre un traître de mari qui portoit ailleurs un bien qui lui apartenoit : la bonne Dame paroiſſoit bleſſée dans l’endroit ſenſible ; autres invectives contre un fripon de fils qui ſuivoit l’exemple de ce mari perfide. Tous ſes éloges furent pour ſa fille, c’étoit toute ſa conſolation, une fille d’une devotion édifiante, d’une pureté de mœurs Angélique, une fille toûjours retirée dans ſa chambre pour être plus éloignée de tout commerce avec le monde, une fille dont toute l’occupation, tous les plaiſirs étoient le travail & la priere, qui ne ſortoit que pour venir à l’Egliſe. Ah, ma chere Sœur m’écriai-je alors d’un ton de tartuffe, que vous devés être charmée de vous voir revivre dans une pareille fille ; mais cette ſainte Ame vient-elle à notre Egliſe ? Que je ſerois heureux ſi j’étois édifié par ſon exemple ! Vous la voyés tous les jours ici, me répondit la vieille : quelque ſoit ſa dévotion, ſa beauté eſt encore plus frapante ; mais dois-je parler de beauté devant vous qui étes des Saints : vous mépriſés cela. Ah, ma chere Sœur, repris-je, nous croyés-vous aſſez injuſtes pour refuſer une admiration légitime à la beauté des ouvrages du Créateur, ſurtout quand ce qu’ils ont de mondain ſe trouve reparé par tant de vertus Céleſtes. La-deſſus ma vieille entouſiaſmée du tour que je venois de donner à ma curioſité, me fit le portrait de ſa Sainte, & je la reconnus pour une brune piquante qui ſe trouvoit régulierement à tous nos Offices. Pere Simeon, me dis-je alors, voila de nos Devotes, ménageons celle-ci, elle pourroit bien vous rendre Prophete. J’aurois peut-être effarouché la mere, ſi dans la premiere converſation je l’avois engagée à faire ranger ſa fille au nombre de mes Pénitentes : je remis cela à une ſeconde ſéance, & pour gagner ma vielle, je lui donnai une abſolution générale, tant pour le paſſé que pour le préſent : je l’aurois même donnée pour l’avenir, ſi elle avoit voulu ; cela ne coûte rien. Je l’engageai cependant à venir ſe rafraîchir ſouvent dans les eaux de la pénitence ; ainſi finit ma premiere expédition.

Il me ſemble que je vous entends crier, allons Dom-Bougre, vous voila dans le bon chemin, vous étes en train de vous guérir, à ce qui paroît : oüi, Lecteur, oüi, la ſainteté du caractere dont je viens d’être revêtu commence à opérer ; Dieu ſoit loüé, que la grace eſt puiſſante ! Je bande déja aſſez pour me faire croire que je banderai bien-tôt davantage.

Je ne manquai pas le lendemain d’aller à l’Office : on s’imagine bien à quelle intention. Je vis ma brune qui prioit Dieu de tout ſon cœur. La voila, me dis-je, cette charmante enfant, ce modelle de toutes les vertus ! Ah, quel plaiſir de croquer un morceau auſſi délicat ! Quel raviſſement de donner à cela la premiere leçon du plaiſir amoureux : vivat, je ſuis guéri, je bande comme un Carme : pourquoi ne pas dire comme un Céleſtin, valent-ils moins que les autres ; mais ma Devote me regarde, ſa mere lui auroit-elle parlé de moi ? Ah vîte, apaiſons le feu que ſa vûë nous inſpire, branlons-nous : le roulement d’iceux, que me cauſoit le plaiſir, fut pris par un excès de devotion.

Le plaiſir que j’avois en me branlant à l’intention de ma Devote, m’étoit un garant ſûr de celui que j’auroi, ſi j’en pouvois faire davantage. J’attendois de mon adreſſe un bonheur que le hazard me procura quelques jours après.

J’étois un jour ſorti du Couvent : le Portier, quand je rentrait, me dit, en m’ouvrant la porte, qu’une jeune Dame m’attendoit au parloir depuis deux heures, & vouloit abſolument me parler. J’y courus : quelle fut ma ſurpriſe en reconnoiſſant ma Devote : ſi-tôt qu’elle me vit, elle vint avec précipitation ſe jetter à mes pieds ; ayés pitié de moi, mon Pere, me dit-elle, en verſant des larmes dont l’abondance l’empêcha d’en dire davantage. Qu’avés-[vous] donc, ma chere fille, lui demandai-je, en la relevant avec empreſſement, parlés avec confiance, le Seigneur eſt bon, il voit vos larmes, elles ont eû leur effet, & déja il vous a fait miſéricorde, ouvrés votre cœur à ſon Miniſtre. Elle voulut parler, ſes ſanglots l’en empêcherent, elle tomba évanoüie entre mes bras : embaraſſé de cet accident, j’aurois été aſſez ſot pour aller chercher du ſecours ; déja même j’avois fait quelques pas, la refléxion me fit revenir : où vas-tu, me dit-elle, attens-tu une plus belle occaſion. Je m’aprochai de ma Devote, je la délaſſai, je lui découvris la gorge : jamais plus beau ſein ne s’étoit offert à ma vûë, en écartant ſa robe & ſa chemiſe, je crus ouvrir le Paradis. Je fixai mes yeux ſur deux globes gros, blancs & fermes comme le marbre : j’avois beau les preſſer, je ne pouvois les faire toucher, je les baiſois, je les preſſois contre mes jouës, je collois ma bouche ſur ſa bouche, je rechauffois ſon ſouffle. Sur le champ emporté par un mouvement dont je n’aurois pû me rendre raiſon à moi-même je courus à la porte de la ruë : j’affectai de l’ouvrir & de la refermer, comme ſi je venois de conduire quelqu’un dehors, je revins à ma Devote, je la pris dans mes bras, je la preſſai amoureuſement : une palpitation ſubite me ſaiſit, je la quittai, je reſtai tremblant à la conſidérer, & tout-à-coup ſoufflant ma lumiere, je repris ma chere Devote dans mes bras : Amour m’écriai-je, ſeconde-moi ; je gagnai ma chambre avec ce cher fardeau. Dieux, qu’il étoit leger ! Je le mets ſur mon lit, je ferme ma porte, je rallume ma bougie, & je reviens plus tremblant que je ne l’avois encore été, conſidérer ma proie, tous mes mouvemens ne lui avoient pas fait reprendre ſes eſprits. Je decouvre toute ſa gorge, je leve ſes jupes, j’écarte ſes cuiſſes, un ſentiment delicieux combat contre ma lubricité : je m’arrête, j’examine, j’admire ! Quel voluptueux ſpectacle ! L’Amour & les Graces ſe trouvoient ſur toutes les parties de ſon corps ; blancheur, embonpoint, fermeté, délicateſſe, tout y charmoit, tout étoit fait au tour : le blanc parſemé de petites veines bleues, qui montroient la fineſſe de la peau, le noir d’un poil plus doux que le velours, le vermeil d’un Con ménagé avec les nuances les plus heureuſes, formoient un contraſte parfait, & me faiſoient douter laquelle de ces couleurs contribuoit le plus à la perfection d’un tableau qui m’enchantoit. Apelles, toi qui travaillas pendant dix ans à raſſembler les traits des beautés les plus parfaites de la Gréce, ſi ma Devote s’étoit offerte à tes yeux, tu l’aurois peinte, & la Divinité que tu voulois repreſenter en eût été jalouſe.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 268
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 268

Las d’admirer ſans joüir, je portai la bouche & les mains avec fureur ſur ce que je venois de voir ; mais à peine y eus-je touché, que mon aimable Devote pouſſa un grand ſoupir & commença à donner un ſigne de connoiſſance en portant ſa main où elle ſentoit la mienne. Je la baiſe, ma bouche reſte collée ſur ſa bouche : ma Devote veut ſe débaraſſer, elle me repouſſe ; ſurpriſe, effrayée de ſe trouver ſur un lit dans une chambre, elle jette des regards inquiets, elle cherche à pénétrer en quel lieu elle eſt, elle veut parler, ſa langue eſt embaraſſée. L’ardeur qui me brûle produit ſur moi le même effet, je ne la quitte pas : elle fait ſes efforts pour s’arracher de mes bras, je lui reſiſte, je la renverſe, elle ſe releve furieuſe, elle ſe jette à mon viſage, elle veut le déchirer, elle mord, elle frape, tout ſon corps s’agite, la ſueur coule ſur ſes jouës animées. Rien ne m’arrête ; j’apuye ma poitrine ſur ſa poitrine, mon ventre ſur ſon ventre, je tâche par mon poids de la fixer ſous moi, je laiſſe faire à ſes mains tout ce que la fureur & l’ardeur de ſe deffendre lui inſpirent, j’employe les miennes à lui écarter les cuiſſes, elle les ſerre opiniâtrement, je déſeſpere de triompher, la rage augmente ſes forces, la paſſion diminuë les miennes, je m’excite, je les réunis, j’écarte les cuiſſes, je lâche mon Vit, qui ne ſent pas plû-tôt que j’ai déboutonné ma culotte, qu’il s’échape avec la même impétuoſité qu’un arbre ſe redreſſe quand on coupe la corde qui le tenoit courbé vers la terre, je l’aproche du Con, je pouſſe, il entre : toute la fureur de ma Devote s’évanoüit, elle me ſerre entre ſes bras, me baiſe, ferme les yeux & tombe pâmée : je ne me connois plus, rien ne m’arrête, je pouſſe, je repouſſe, j’aproche du but, je l’atteins, j’y touche, j’inonde le fond de ſon Con d’un torrent de feu : elle redecharge, nous reſtons ſans connoiſſance ; nos eſprits avoient abandonné le reſte de notre Corps pour ſe porter dans un endroit où le plaiſir regnoit avec un ſentiment ſi vif.

L’aimable Compagne de ma volupté revint bien-tôt à elle-même ; mais ce ne fut que pour m’inviter par ſes careſſes à la replonger dans le même état : elle me paſſe les mains autour du col, elle me baiſe tendrement, j’ouvre les yeux, je les fixe ſur elle : les ſiens ſont languiſſans, il ſe troublent, ils s’égarent, ſon Con s’enflamme, c’eſt une fournaiſe : mon Vit brûle. Ah, me dit-elle, le plaiſir me ſuffoque, je meurs ! Ses membres ſe roidiſſent, elle donne un coup de cul, j’en rends deux : nous déchargeons encore.

Nous repetâmes ſans diſcontinuer, juſqu’à ce que la nature, trop foible pour l’ardeur de nos deſirs, refuſa d’y repondre, & nous força de lui donner quelque relâche. Je profitai de ce moment pour courir à la cuiſine, où l’on me donna ſur ce qui devoit aller à l’infirmerie, de quoi reparer les forces de plus d’un malade ; je dis que je l’étois : je revins à ma chambre. Je trouvai ma chere Devote plongée dans la triſteſſe : je la diſſipai par mes careſſes, & j’attendis que nous euſſions ſatisfait un beſoin plus preſſant pour m’informer du ſujet de ſon chagrin. Nous ſoupâmes le plus commodément qu’il nous fut poſſible, & ſans faire beaucoup de bruit, de crainte qu’on ne s’aperçût du tréſor que je cachois, & qu’il ne fut confiſqué au profit de la Piſcine, ſuivant les régles de l’Ordre.

Comme nous étions tous deux extrêmement fatigués, nous ſongeâmes plû-tôt à nous repoſer qu’à cauſer. Quand nous eûmes fini notre repas, nous nous mîmes au lit ; mais nous ne nous vîmes pas plû-tôt nuds, que le repos s’enfuit bien loin de nous : je portai la main au Con de ma Devote, ſource & tombeau des délices que j’avois goûtés : elle porta la ſienne à mon Vit, & admirant ſa groſſeur, ſa longueur, la fermeté de mes Coüilles. Ah, me dit-elle, je ne ſuis plus ſurpriſe que tu m’ayes reconcilié avec un plaiſir que j’avois reſolu de haïr. Je ſongeai moins à lui en demander la cauſe qu’à lui faire ſentir, en le lui faiſant goûter de nouveau, qu’elle avoit eu tort de former une pareille reſolution. Elle me reçût avec une vivacité qui m’auroit ranimé dans les bras de la mort même, nos Culs ſe levoient & ſe baiſſoient comme des flots agités par l’orage, nos corps étoient comme deux barres d’acier qui ſortent de la fournaiſe, nous nous tenions ſi étroitement embraſſés qu’à peine pouvions-nous reſpirer : il ſembloit que nous craigniſſions que le moindre intervalle n’anéantit nos plaiſirs, le lit ne pouvoit plus ſoutenir nos ſecouſſes, il ſuivoit l’impreſſion de nos corps, il craquoit effroyablement. Une douce ivreſſe ſuccéda bien-tôt à nos efforts, & nous nous endormîmes couchés l’un ſur l’autre, étroitement ſerrés, langues en bouche & Vit en Con.

L’Aurore nous trouva dans la même poſture où nous nous étions endormis, & ſoit que l’imagination agiſſant ſur nos corps pendant le ſommeil, eût fait diſtiller cette eau délicieuſe qui annonce par ſa quantité le dégré du feu intérieur, ſoit que nous euſſions déchargé machinalement, nous nous reveillâmes tous trempés, les draps étoient innondés, & le matelas même avoit participé à nos plaiſirs. Nous ne fûmes pas long-tems à les renouveller : le repos m’avoit rendu aſſez de forces pour vous faire penſer que je m’en acquittai Monachalement ; je ne dirai pas combien de fois : je n’eus pas la peine d’enconner. Je paſſe rapidement à vous informer du ſujet qui avoit jetté ma Devote entre mes bras.

Je lui voyois un air d’inquiétude & de triſteſſe qui me pénétroit. Je la priai tendrement de s’expliquer, & d’être perſuadée que je remédierois à ſa douleur à quelque prix que ce fut. Perdrai-je ton cœur, cher Saturnin, me dit-elle, en me regardant languiſſamment, quand je t’avouërai que tu n’es pas le premier qui m’ait fait goûter les plaiſirs de l’Amour, raſſure-toi, mon cœur, contre une crainte dont il ne peut ſe deffendre, & qui vient malgré moi de repandre ſur mon viſage une triſteſſe que je n’ai pû te cacher. Oüi, c’eſt cette ſeule crainte qui m’inquiéte à préſent, celle de mon ſort ne m’occupe plus, puiſque je ſuis avec toi. Oſes-tu, lui repondis-je, te défier des charmes que tu étales à mes yeux ? Que tu en connois peu le prix, ſi tu doute de leur effet : oüi, l’ardeur qu’ils m’inſpirent eſt trop forte, pour ne pas s’indigner d’une pareille crainte : que tu me connois peu ! Si un préjugé ridicule a mis une différence entre une fille foutuë & une fille à foutre, ce préjugé n’eſt pas ma régle. La beauté, pour en avoir charmé d’autres, doit-elle perdre le droit de nous charmer ? Quand tu l’aurois fait avec toute la terre, n’es-tu pas toûjours la même, n’es-tu pas toûjours une fille adorable, en ſerois-tu moins précieuſe à mes yeux ? Les plaiſirs que tu as donnés à d’autres, ont-ils alteré la vivacité de ceux que tu viens de me donner ? Tu m’enleve, me repondit-elle, je ne fais plus de difficulté de t’aprendre des infortunes que tu viens de faire ceſſer.

Suite de l’Hiſtoire de la Sœur
Monique
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Mon malheur a ſa ſource dans mon cœur dans un penchant inſurmontable que la nature m’a donné pour le plaiſir, l’Amour eſt mon centre, c’eſt ma Divinité, je ſuis faite, je ne reſpire que pour lui : une Mere injuſte & cruelle s’étoit imaginée que ſa volonté devoit me tenir lieu de vocation pour le Cloître. Trop timide pour oſer mettre mon goût en concurrence avec ſes ordres abſolus, je ne fis parler que mes larmes, elles ne l’attendrirent pas : j’entrai, je pris le voile : le moment fatal où je devois prononcer l’arrêt de ma mort aprochoit : je frémis à la vûë du ſerment que j’allois faire. L’horreur d’une priſon telle que le Couvent, & le déſeſpoir d’être éternellement privée de mon unique bien, me plongerent dans une maladie qui auroit terminé mes peines, ſi ma Mere, touchée enfin de mon état malheureux, ne s’étoit reproché ſa dureté : elle étoit elle-même Penſionnaire dans le Couvent où elle vouloit que je priſſe l’habit. Un projet de retraite, qu’elle avoit connu ſans conſulter ſon cœur l’y avoit amené, la refléxion l’en retira : les femmes, quelques vertueuſes qu’elles ſoient, ne renoncent pas au plaiſir, ne ſe voyent pas vieillir ſans chagrin ; un ſentiment naturel que leurs efforts peuvent bien diſſimuler, mais qu’ils n’arracheront jamais de leur cœur. Ma Mere jugeant, par la violence que ſon tempérament lui faiſoit, de celles que je devois eſſuyer du mien, conſentit à me tirer de mon cachot, & reparut bien-tôt dans le monde ſur le pied d’une femme qui ſe conſoleroit aiſément de la perte du deffunt dans les bras d’un cinquiéme mari.

Connoiſſant le génie de ma Mere, je jugeai ſagement qu’il ſeroit dangereux pour moi de me trouver en rivalité avec elle : j’étois bien perſuadée, & je pouvois l’être ſans vanité, qu’un Amant qui ſe preſenteroit, ne balanceroit pas entre nous deux, & c’étoit cette préférence que je redoutois. Je compris que les plaiſirs de l’amour, quoique goûtés dans le miſtere, n’en étoient ni moins vifs ni moins piquans, que la retraite pouvoit me procurer ces plaiſirs auſſi aiſément que le grand monde : je ne penſai plus, je n’agis plus qu’en conſéquence de ce ſiſtême, & je paſſai bien-tôt pour une Devote du premier ordre. J’étois charmée du progrès de mon ſtratagème, & je ne ſongeai qu’à noüer quelque intrigue ſecrete à l’ombre de cette haute reputation de vertu où je m’étois miſe.

Cette reputation parut équivoque à un jeune homme que j’avois autrefois vû à la grille : il m’étoit arrivé une avanture cruelle à ſon ſujet. J’interrompis en cet endroit ma Devote : je me rapellois ce que Suzon m’avoit autrefois appris de la Sœur Monique, ſon averſion pour le Couvent, ſa paſſion pour l’Amour, la ſcène qu’elle avoit euë avec Verland, le caractere, le ſéjour que ſa Mere avoit fait dans le Couvent, je confrontois le portrait de cette Sœur avec le charmant minois que j’avois devant les yeux ; j’allai plus loin. Je me reſſouvenois que Suzon m’avoit dit que la Sœur avoit le Clitoris un peu long : dans l’eſpérance de trouver à ma Devote ce dernier ſigne qui devoit confirmer mes ſoupçons, je la fis coucher ſur le dos, & lui examinant le Con avec une attention que la paſſion ne m’avoit pas encore permiſe, j’y trouvai ce que je cherchois, un petit Clitoris vermeil, un peu plus long que les femmes ne l’ont ordinairement, & qui ſembloit n’être placé dans cet endroit charmant que pour augmenter les plaiſirs qu’il donnoit.

Ne doutant plus que ce ne fut elle, je l’embraſſai avec un nouveau tranſport : chere Monique, lui dis-je, aimable Sœur, eſt-ce toi que mon bonheur m’envoye. Elle ſe débarraſſa de mes bras, & me regardant avec une ſurpriſe inquiette, elle me demanda qui pouvoit m’avoir appris le nom qu’elle portoit au Couvent ? Une fille, lui repondis-je, dont la perte m’a coûté bien des larmes, & à qui tu n’avois caché aucun de tes ſecrets. Ah, s’écria-t’elle, je reconnois Suzon à ce portrait, elle m’a trahie ! Oüi, lui repondis-je, c’eſt elle ; mais c’eſt un ſecret qu’elle n’a jamais revelé qu’à moi, & pour t’engager davantage à lui pardonner, je t’avouërai que ce n’eſt qu’à mes importunités que je dûs la confiance de cette chere ſœur. Comment, reprit Monique, tu es le frere de Suzon ? Ah, je ne me plains plus d’elle, & ſi je le faiſois, je me mettrois dans la néceſſité de la deffendre contre les plaintes que tu en pourrois faire à ton tour ; car elle ne m’a pas caché ce qui lui étoit arrivé avec toi. Nous nous attendrîmes enſemble ſur le ſort de notre malheureuſe Suzon, & la Sœur Monique reprit ainſi le fil de ſon diſcours.

Puiſque Suzon t’a tout dit, qu’elle t’a conté mon avanture avec Verland, tu dois te douter que c’eſt de lui que je veux te parler à préſent. Ma métamorphoſe l’avoit ſurpris : il m’avoit vûë à la grille vive, ardente, coquete : une abſcence de pluſieurs années ne m’avoit pas fait ſortir de ſon ſouvenir. Le bruit que faiſoit ma devotion étoit dans toute ſa force, quand il revînt : il ne voulut en croire que ſes yeux ſur ce prétendu changement ; il me vit à l’Egliſe, & l’Amour lui fit bien-tôt un devoir d’une exactitude à m’y ſuivre, qu’il n’avoit priſe d’abord que pour un ſimple mouvement de curioſité.

Ma feinte devotion ne m’empêchoit pas de lancer à la dérobée des regards curieux ſur qui m’environnoit ; je l’aperçûs, je ſentis les plus vives émotions, je rougis à la vûë d’un homme qui avoit autrefois été témoin de toute ma foibleſſe, & je rougis encore plus de ne pouvoir lui cacher les diſpoſitions où mon cœur étoit de retomber dans la même faute. L’âge, en tempérant ſa vivacité, n’avoit rendu ſes graces que plus mâles & plus touchantes : ſa preſence ralluma mes deſirs, ils m’entraînoient tous les jours au même endroit ; & tous les jours je l’y voyois auſſi attentif à me regarder, & auſſi tendre dans ſes regards. Je m’étois faite violence pour contraindre les miens la premiere fois que je l’avois vû : ſon aſſiduité me rendit à la fin cette violence impoſſible, je ne lui cachai plus ce qui ſe paſſoit dans mon cœur, & mes yeux lui firent ſentir combien j’étois mécontente de ſa lanteur à m’aprendre de bouche les mouvemens du ſien ; il m’entendit, & profitant un jour du moment que j’allois ſortir de l’Egliſe, au déſeſpoir de l’inutilité de mes avances, il me ſuivit dans un détour obſcur & ſolitaire par où j’allois paſſer : il m’aborda d’un air timide, & me dit ; charmante Monique, un homme qui pour la premiere fois qu’il a eu le bonheur de vous voir, a merité votre colere, peut-il aujourd’hui, ſans courir le même riſque, ſe preſenter à vos yeux ? Ah, ſi le repentir le plus vif peut me faire oublier ma faute, vous devés me voir ſans indignation ! Sa voix étoit tremblante. J’eus pitié de lui, je lui repondis que le galant homme faiſoit oublier l’imprudence du jeune homme. Vous ne connoiſſés pas toutes mes fautes, reprit-il ; votre bonté vient de me pardonner un crime ; j’ai plus beſoin que jamais de cette bonté, puiſque je me ſuis rendu coupable d’une nouvelle offenſe : il ſe tût après ces mots, & quoique je l’entendiſſe, je lui repondis que je ne connoiſſois pas cette nouvelle offenſe dont il vouloit me parler ? Celle de vous adorer, me repliqua-t’il, en collant un baiſer ſur ma main, que je n’eus pas la force de retirer. Je lui fis connoître par mon ſilence que ce nouveau crime n’étoit pas inexcuſable, & dans la crainte de m’ouvrir trop à une premiere entrevüe : je le quittai charmée de l’aveu d’un amour que le mien avoit déja prévenu.

J’étois perſuadée que ſi Verland étoit ſincére, il trouveroit facilement l’occaſion de m’en donner de nouvelles aſſûrances. Il pénétra le motif de ma retraite, & n’affecta pas de la troubler par une obſtination qui pourroit me déplaire : il me laiſſa partir en ſoûriant, j’entendis ſes ſoupirs, & les miens lui repondoient au fond de mon cœur,

Que te dirai-je ? Une ſeconde entrevûë lui valut l’aveu d’une tendreſſe reciproque, & mon conſentement aux demarches, qu’il me demanda la permiſſion de faire auprès de ma mere, pour en obtenir ma main ; elle la refuſa, j’en fus au déſeſpoir, ſon refus irrita mon amour ; Verland en étoit accablé : nous nous étions ôté, par une démarche imprudente toute eſpérance, & pour comble d’horreur, ma mere étoit devenuë ma rivale. Elle ſe trahit elle-même par les éloges continuels qu’elle faiſoit de Verland. Le caractere de Devote qu’il falloit ſoûtenir, m’ôtoit la liberté de lui demander la raiſon du refus qu’elle avoit fait d’un homme à qui elle trouvoit tant de perfections ; ainſi, triſte victime de la devotion & de l’amour, j’étois réduite à la dure néceſſité de devorer ma douleur, & de ne laiſſer paroître ſur mon viſage qu’une indifference qui rendoit mes peines plus cruelles. Je n’y pû pas reſiſter ; j’étois furieuſe contre ma mere, j’étois furieuſe contre moi-même, mon amour étoit devenu capable de tout entreprendre. On ne me ſoupçonnoit pas de voir Verland, & je le voyois tous les jours, je ne pouvois plus vivre ſans lui, il ne pouvoit plus vivre ſans moi. Croiras-tu que juſqu’alors j’eus aſſez de pouvoir ſur moi-même, pour ne pas ceder à ſes inſtances, & pour rejetter (quoique ce fût le but de tous mes deſirs) le ſeul moyen de mettre ma mere à la raiſon ; mais attendrie par les larmes de mon amant, preſſée par mon amour, vaincuë par mon penchant, je prêtai l’oreille à la propoſition qu’il me fit de m’enlever, nous convinmes du jour, de l’heure, & des moyens.

La violence de mon amour ne me laiſſoit voir que les plaiſirs que je goûterois avec mon amant. L’autre le plus affreux me paroiſſoit un lieu enchanté, pourvû que j’y fuſſe avec lui. Le jour arriva, je me diſpoſois à m’aller jetter dans ſes bras, j’allois ſortir, un bras inviſible m’arrêta, ma paſſion avoit jonché de fleurs la route du précipice, où j’allois m’abîmer ; mais quand je fus arrivée ſur le bord, quand j’eus porté les yeux ſur ſa profondeur, elle m’effraya, je reculai, étonnée, & rougiſſant de mon peu de courage, je voulus vaincre ma timidité, je voulus étouffer ma raiſon, elle triompha, je cédai, je rentrai, mes larmes coulerent alors en abondance ; indignée de ma lâcheté, je faiſois de nouveaux efforts, je m’encourageois, & je m’éfrayois ; mon ame étoit dans un accablement qui ne peut être comparé qu’à celui que je prouvai hier. Cependant l’heure avançoit, il falloit me déterminer ; Quel parti prendre ? Helas ! j’étois dans un déſeſpoir ſtupide, qui m’ôtoit juſqu’à la liberté de penſer. Un rayon de lumiére m’éclaira dans le moment, & me rendit toute ma tranquilité ; je vis un moyen d’être à mon amant, & de tirer de ma mere une vengeance qui ne laiſſeroit rien à deſirer à mon cœur. Helas ! à quoi m’a ſervi tant de prudence ? à me plonger dans l’abîme où je craignois de tomber. Peut-être aurois-je été plus heureuſe dans une terre étrangere, où, toute à moi-même, n’ayant pour guide que mon cœur, pour principe que mon amour pour un mari qui m’auroit adorée, je n’aurois pas connu la contrainte, je n’aurois pas été eſclave de ces apparences qui m’ont perduë ! mais pourquoi m’abuſer ? j’aurois porté dans un climat étranger le même cœur, la même fureur pour l’amour, & ce caractere m’y auroit perduë comme il l’a fait ici.

Je fis à Verland le ſigne dont nous étions convenus, en cas que je ne puſſe pas exécuter le projet. Je remis à la premiere entrevûë à l’informer de mes raiſons, & cette entrevûë ne fut différée que juſqu’au lendemain. Nous nous trouvâmes à l’Egliſe ; il m’aborda ſans pouvoir me dire un mot, mais ſon viſage exprimoit tout ce qu’il ſentoit ; j’en fus éfrayée : m’aimez-vous, lui dis-je ? Si je vous aime, me repondit-il avec un tranſport de déſeſpoir qui l’empêcha d’en dire davantage. Verland, repris-je, mon cher Verland, je lis votre douleur dans vos yeux, mon cœur en eſt lui-même déchiré, plaignez-moi, plaignez-vous d’un défaut de courage, qui nous arracheroit pour toûjours à notre paſſion, ſi le déſeſpoir ne m’avoit fait trouver un moyen de nous conſerver l’un à l’autre. Quand je vous demande ſi vous m’aimez, ce n’eſt pas que je doute de votre amour, mais je tremble que vous ne vouliez pas m’en donner la ſeule preuve qui puiſſe m’en aſſûrer, arrêtez, lui dis-je, voyant qu’il vouloit parler, vous voulez me faire des reproches, vous ne m’en feriez que d’injuſtes ; je vous le repete, je ne doute pas de votre amour, vous ne doutez pas du mien, mais helas ! de quoi nous ſervirat-il de brûler d’une flâme inutile, puiſqu’une mere cruelle nous refuſe la ſatisfaction que nous lui demandons ? Ah Verland ! le rouge qui me couvre le viſage, ne vous dit-il pas quel eſt le moyen que je pretend employer ? Chere Monique, me dit-il, en me ſerrant tendrement le bras contre la bouche, ton amour te fait-il enfin ſentir la neceſſité d’une choſe que j’ai propoſée tant de fois inutilement ? Oüi, lui repondis-je, votre amour, n’aura plus de plaintes à me faire, il n’eſt plus tems de vous déguiſer la force de mes deſirs, ils ſont à leur comble : mais pour nous rendre heureux, je n’attend qu’un mot de votre bouche. Parlez, interrompit-il vivement, que faut-il faire ? Epouſer ma mere lui repondis-je. La ſurpriſe lui coupa la parole : il me regardoit avec des yeux égarés, épouſer votre mere, me dit-il enfin, Monique, que me propoſés vous ? Une choſe, lui repondis-je, irritée de ſon étonnement, dont je ſuis au déſeſpoir de vous avoir parlé. Je vois par la froideur avec laquelle vous recevez une propoſition qui m’a coûté des torrens de larmes, ce que je dois penſer de votre amour : votre indifférence m’éclaire ſur l’indignité de ma paſſion. Ciel ! ais-je pû concevoir de pareils ſentimens pour un homme que ſa lâcheté en rend indigne. Monique, reprit-il, triſtement, ma chere Monique, aye pitié de ton amant, à quoi veux-tu le reduire ? ingrat, lui repondis-je, quand j’oſe ſurmonter l’horreur que m’inſpire la penſée de te voir dans les bras de ma rivale, quand pour tromper une mere barbare, pour me livrer à tes deſirs avec plus de facilité, pour jouir continuellement du plaiſir de te voir, pour recevoir à tous momens tes careſſes, je ſacrifie ma gloire, j’immole à ton bonheur ce que j’ai de plus cher, je ſuis inſenſible aux fureurs de la jalouſie, j’étouffe les remords de mon cœur, tu tremble, ai-je plus de force que toi ? Non, mais tu n’as pas tant d’amour. C’en eſt fait, me dit-il alors, tu triomphe, j’ai honte de mon irreſolution, les remords ne ſont pas faits pour des cœurs auſſi paſſionnés que les nôtres.

Charmé de ſon courage, je ne dûs qu’au lieu ſeul où nous étions, & à la crainte d’être ſurpriſe, la force de lui refuſer un témoignage de ma reconnoiſſance, que je ne remis qu’au jour de ſon mariage ; peut-être n’aurois-je pas eu la force de l’attendre, ſi l’impatience de ma mere n’eût pas été auſſi vive que la mienne. Verland lui avoit offert ſes vœux, ravie d’une conquête qu’elle croyoit ne devoir qu’à ſes charmes, elle ſe hâta d’en recuëillir les fruits, ils n’étoient pas faits pour elle. Le mariage ſe célébra, la joye que j’en témoignai, m’attira de ma mere mille careſſes, que je payai par d’autres qui étoient moins ſincéres. Mon cœur ſe ſouloit d’avance des plaiſirs de l’amour & de la vengeance. Verland parut, il étoit adorable, mille graces nouvelles animoient toutes ſes actions : le moindre ſourire m’enchantoit, les paroles les plus indifferentes m’enflammoient ; à peine pouvois-je contenir les deſirs qui m’entraînoient dans ſes bras. Au milieu du tumulte, il trouva moyen de s’aprocher & de me dire : j’ai tout fait pour l’Amour, ne fera-t’il rien pour moi ? Un coup d’œil fut ma reponſe. Je ſortis de la ſalle : il s’échapa, tout favoriſoit notre fuite, j’entre dans ma chambre, il m’y ſuit, je m’élance ſur mon lit, il ſe précipite ſur moi, ma voix s’affoiblit, l’expreſſion me manque, les peintures ſe refuſent à mon imagination : diſpenſe-moi de te faire le récit des plaiſirs que je goûtai ; un mot ſuffit pour te les faire connoître : toi ſeul, cher Pere, toi ſeul as été plus loin. O, ma Mere, m’écriai-je au milieu de nos tranſports que ton injuſtice va te coûter cher ?

Mon Amant étoit un prodige, une heure que nous reſtâmes enſemble ne vit pas un moment d’intervalle. En vain les forces lui manquoient, ſemblable à Anthée, qui luttant avec Hercule, ne faiſoit que toucher la terre pour reparer les ſiennes : mon Amant me touchoit, & revenoit à la charge avec plus de vigueur.

On nous cherchoit déja depuis longtems : on étoit même venu fraper à ma porte ; il fallut nous ſeparer, de peur de nous rendre ſuſpects. Verland ſe gliſſa dans le jardin & fit ſemblant de dormir ſur le gazon où on le trouva, comme il l’avoit prévû. On lui fit la guerre, on le railla : un feint étourdiſſement vint à ſon ſecours ; il dit, que pour ne point troubler les plaiſirs, il s’étoit retiré ſans parler : la fatigue de l’exercice qu’il venoit de faire, en lui donnant un air un peu abbatu, aidoit à faire croire ce qu’il diſoit.

Ne doutant pas que l’on ne vint encore me chercher, & que ſi on apercevoit quelque jour à ma porte, on ne manqueroit pas d’en profiter pour voir ſi j’étois dans ma chambre, je dérangeai la portiere qui bouchoit le trou de la ſerrure, & entendant venir quelqu’un, je me mis à genoux à demi proſternée vis-à-vis d’un Crucifix. Cela fit l’effet que j’en avois eſpéré : on crut que la diſſipation des plaiſirs n’avoit pas été capable de déranger mes exercices de piété ordinaire : on en conçût une nouvelle eſtime, j’oſe dire, une eſpéce de vénération pour moi ; enfin aſſez remiſe de mes travaux amoureux pour ne donner aucun ſoupçon, je fis rejoindre la compagnie, & j’affectai de me prêter par complaiſance à des divertiſſemens dont le plus doux avoit déja été pour moi.

Dès que j’eus formé le projet de marier ma Mere avec mon Amant, je m’apliquai à diſpoſer tout pour nous faciliter les moyens de nous voir, & pour prévenir toute ſurpriſe lorſque nous ſerions enſemble, j’affectai un redoublement de devotion, & de ne vouloir pas être interrompuë dans mes exercices. J’accoutumai tout le monde à ne point fraper à ma porte, dès que la clef n’y étoit pas ; Verland de ſon côté accoutuma ma Mere à ne le pas voir fort aſſidu aupres d’elle : il prétextoit des affaires & ſe couloit dans ma chambre. Nos plaiſirs, enfans de la contrainte & du miſtere, ne ſe ſentoient pas encore après un an des dégoûts, fruits ordinaires de la liberté, je les aurois crus éternels, j’aurois juré que tous les hommes enſemble n’y pouvoient rien ajoûter, un moment me détrompa.

Je rencontrai un jour une jeune perſonne que j’avois connuë autrefois : je lui demandai ce qu’elle faiſoit en cette ville ; elle me dit qu’elle n’y étoit attaché à perſonne. Je la pris à mon ſervice en qualité de femme de chambre ; mais, cher Pere, eſt-ce avec toi que je dois feindre ? Je me reproche déja cette diſſimulation, aprend que cette prétenduë femme de chambre n’étoit autre que Martin, dont ta Sœur a dû te parler en te contant mon Hiſtoire.

Je ne l’avois pas vû depuis notre ſéparation : il étoit encore auſſi joli, auſſi aimable, ſon menton étoit à peine couvert de quelques petits poils folets, blonds que j’avois grand ſoin de lui couper exactement. Martin étoit une jolie fille aux yeux de tout le monde, & ce n’étoit que pour moi qu’elle étoit un homme d’un prix ineſtimable.

Je n’avois pas fait miſtere à Martin de mon intrigue avec Verland. Trop heureux de me poſſeder, il ne s’embaraſſoit pas de partager ma poſſeſſion avec un ſecond : j’étois charmée de ſa docilité, je l’étois encore plus de ſa vigueur. J’avois arrangé ſagement mes plaiſirs ; Verland avoit le jour & Martin la nuit : ainſi les jours ſe levoient pour moi ſerains & délicieux, & ils ne diſparoiſſoient que pour faire place à des nuits auſſi voluptueuſes. Jamais mortelle n’a joüi d’une félicité plus parfaite ; mais le ſort des plaiſirs eſt d’être de peu de durée, & leur meſure eſt celle des tourmens dont leur perte vous accable.

Martin, comme je te l’ai dit, pouvoit paſſer pour une fille jolie ſous ſon habillement. L’ingrat Verland, hélas ! Pourquoi le traiter d’ingrat, n’étois-je pas moi-même la premiere coupable, & ſi mon inconſtance étoit inconnuë, mon cœur en étoit-il moins criminel ? Verland trouva des charmes à ma prétenduë femme de chambre, & négligea ſa Maîtreſſe. Dédomagé par les plaiſirs de la nuit, je ne m’étois pas encore aperçûë du vuide que l’indifférence de Verland commençoit à mettre dans ceux du jour. Mes jeûnes ſe multiplioient ſenſiblement : Verland poſſédoit ſi bien l’art de me perſuader, que je me croyois trop heureuſe qu’il voulut bien m’alléguer des motifs de ſon abſence ; je voulois quelquefois le gronder, il paroiſſoit, un ſourire, un baiſer, une careſſe, faiſoient évanoüir ma colere. Un jour de repos me le rendoit plus vigoureux ; il en vint juſqu’à me faire croire que l’intérêt de notre plaiſir rendoit ſes abſences néceſſaires : j’y conſentis, & l’infatigable Martin rempliſſoit ces jours de relâche.

Hier, jour infortuné, & dont je ne dois me ſouvenir que pour le déteſter, hier étoit un jour de repos pour Verland. Renfermée ſeule avec Martin, & n’ayant pour témoin que l’Amour, nous n’écoutions que ſes conſeils : j’étois couchée ſur mon lit, la gorge nuë, les jupes levées & les cuiſſes écartées, j’attendois que Martin reprit ſes forces : il étoit nud, & preſſant ma cuiſſe droite entre ſes cuiſſes, me tenoit d’une main les Tetons, & de l’autre careſſoit ma cuiſſe gauche. Tandis que ſes yeux & ſa bouche cherchoient à rallumer ſon ardeur, Verland, que nous n’attendions pas, entra, & nous ſurprit dans cete attitude. Il eût le tems de fermer la porte, & d’accourir à nous avant que la frayeur nous eut permis de changer de poſture. Monique, me dit-il, je ne blâme pas tes plaiſirs ; mais tu dois avoir la même complaiſance pour moi. J’aime Javote (c’étoit le nom que Martin avoit pris) je me ſens des forces ſuffiſantes pour vous contenter toutes deux : dans le moment il veut embraſſer Martin, il le tire de mes bras, il porte la main, & trouve, quelle ſurpriſe ! Sans lâcher Martin, il me jette un regard d’indignation, il n’oſe faire éclater contre moi ſa colere ; mais tout le poids en retombe ſur la cauſe innocente. Son amour venoit de ſe tourner en rage, il frapoit impitoyablement le malheureux Martin, & c’étoit moi qu’il frapoit dans l’endroit le plus ſenſible.

Je me jette entre ces deux Rivaux : arrêtés, dis-je à Verland, en l’embraſſant, mon cher Verland, reſpectés la jeuneſſe, au nom de notre amour, au nom de nos tranſports, Verland ayés pitié de ſa foibleſſe, ſoyés ſenſible à mes larmes : il s’arrête ; mais Martin, qui avoit eu le tems de ſe reconnoître, étoit devenu furieux à ſon tour : il ſe ſaiſit de l’épée de Verland, il ſe lance ſur lui. Je fuis à cette vûë, je me ſauve par un eſcalier dérobé, j’accours ici : tu ſais le reſte.

Monique ne pût achever ſans verſer un torrent de larmes. Hélas, s’écriat’elle, à quel ſort dois-je m’attendre ? Au plus heureux, lui dis-je : raſſure-toi, chere Monique, ce qui fait couler tes pleurs eſt peut-être ſans objet : ſi c’eſt la perte de tes plaiſirs, des plaiſirs plus grands la repareront bien-tôt. J’avois reconnu l’impoſſibilité de la garder plus long-tems dans ma chambre ſans être découvert ; ſi je l’euſſe été, j’avois tout à craindre. Je crus qu’il n’y avoit de meilleur parti à prendre que celui de la preſenter à la Piſcine, & ſans entrer dans aucun détail avec elle, je voulois la ſurprendre agréablement. Je ne craignois pas de lui promettre trop en l’aſſurant que les plaiſirs qu’elle avoit eûs juſqu’alors, n’étoient qu’une foible peinture de ceux qui lui étoient reſervés. Un ſemblable endroit devoit être un ſéjour Divin pour un tempérament tel que le ſien. Cher Ami, me dit-elle, en m’embraſſant, ne m’abandonne pas, dis-moi ſi je peux me flatter de reſter avec toi : ton conſentement ou ton refus vont décider mon ſort : ſi je te perds, je ſuis éternellement malheureuſe. Je l’aſſurai que nous ne nous quitterions jamais. Je n’ai plus, reprit-elle, qu’une inquiétude, pardonne ce dernier effort à un amour dont tu vas devenir l’unique objet. Je ſentis ce qu’elle n’oſoit m’avoüer : je lui offris d’aller m’inſtruire du ſort de ſes Amans, & de l’effet que ſa fuite avoit produit, Elle m’en remercia : je la laiſſai dans ma chambre, & je ſortis en lui promettant de revenir au plû-tôt.

Je courus la Ville, je m’informai par-tout de ce qu’il pouvoit y avoir de nouveau. J’allai juſques dans le voiſinage de Verland : rien n’avoit tranſpiré, & je jugeai que tout le déſordre s’étoit borné à la fuite de Monique, dont on avoit prudement dérobé la connoiſſance au Public. Je revenois annoncer cette nouvelle à ma Devote, j’allois rentrer, quand j’aperçus un domeſtique du Couvent, qui accourut à moi, & me dit que le Reverend Pere André lui avoit ordonné de m’attendre, de me rendre une lettre & un petit ſac d’argent, où je trouvai environ vingt piſtoles : je crus que ce Pere vouloit me charger de quelque commiſſion dont la lettre alloit aparemment m’inſtruire : je l’ouvre, & j’y trouve ces paroles.

Vous vous étes trahi par les précautions que vous avés priſes pour vous cacher, on vous a ſoupçonné, on a ouvert la porte de votre chambre, on a découvert le tréſor dont vous ne vouliés pas faire part à vos Freres, on s’en eſt ſaiſi, on a mis cette perſonne à la Piſcine : vous connoiſſés le génie des Moines ; fuyés, Pere Saturnin, fuyés, dérobés-vous aux horreurs d’une priſon qui ne finiroit peut-être qu’avec votre vie.

L. P. André.

La foudre, en tombant à mes pieds, m’avoit moins étonné que la lecture de cette lettre. Un accablement mortel m’ôta tout-à-coup le ſentiment : je ne revins que pour ſentir la péſanteur du coup dont j’étois frapé. O Ciel, m’écriai-je, que devenir, dois-je aller m’expoſer à la vengeance d’une troupe de Barbares ? Fuirai-je ? Malheureux j’héſite ! Ah fuyons ; mais où fuir ? Où [me] ſauver de leur fureur ? Dans le moment la maiſon d’Ambroiſe s’offrit à mon eſprit éperdu, comme l’azile le plus ſur contre la crainte préſente : je pris une réſolution courageuſe ; trop heureux que la généroſité du Pere André me mit à portée de me dérober au reſſentiment des Moines.

Ce ne fut pas ſans verſer des larmes de douleur que je ſortis d’une Ville où je laiſſois mon repos, mes plaiſirs & mon bonheur. Je pleurai la perte de Monique ; mais ſon ſort eſſuya mes larmes. Déchiré par mes remords, abbatu par mon déſeſpoir, j’arrivai chez Ambroiſe : je n’y trouvai que Toinette, je lui contai mon malheur, elle en fut attendrie, j’en reçus tous les ſecours que ſon état lui permettoit de me donner ; elle me couvrit d’un des habits d’Ambroiſe, & je reſolus de partir le lendemain pour Paris, flatté de l’eſpérance d’y trouver un état qui pourroit me dédommager de la perte de celui que je venois de quitter.

Je Partis après avoir ſecoüé, comme les Apôtres, la pouſſiere de mes ſouliers ſur mon ingrate patrie, & marchant à pied, un bâton blanc à la main, & preſque toûjours de nuit, pour dérober ma route, j’arrivai enfin dans cette Capitale de la France.

Je crus pouvoir braver alors la fureur Monacale : le preſent que le Pere André m’avoit fait, & ce que j’avois reçu de Toinette, pouvoient me conduire pendant quelque tems. Mon deſſein étoit de chercher d’abord un poſte de Précepteur, en attendant que la fortune voulût m’en procurer un meilleur. Quelques connoiſſances que j’avois à Paris, auroient pû m’y ſervir ; mais il étoit dangereux de les employer.

Moyennant un retour raiſonnable, j’avois troqué à la friperie mon habit de Payſan contre un plus honnête, Heureux, ſi en quittant le froc, j’avois auſſi quitté les inclinations qui le dominent. Le noir chagrin qui me devoroit me faiſoit croire que j’étois venu à bout de déraciner cette mauvaiſe tige, ou que j’en triompherois aiſément. Je l’avois même juré : je voulois m’enchaîner par un ſerment, moi que les liens les plus reſpectables n’avoient pû retenir : que l’homme eſt foible !

Aujourd’huy dans un caſque & demain dans un froc,
Il tourne au moindre vent & tombe au premier choc.

Je tombai, le choc ne fut pas bien violent, puiſque ce ne fut qu’un coup de coude qu’une Coquine me donna, en me diſant, Monſieur l’Abbé, voulés-vous payer une ſalade ? Plû-tôt deux, repondis-je, emporté par un mouvement naturel. La refléxion vint auſſi-tôt à mon ſecours, mais trop tard : j’étois trop engagé pour reculer.

Nous entrâmes dans une allée obſcure & étroite, & je penſai mille fois me rompre le col dans un eſcalier tortueux dont les marches gliſſantes & inégales me faiſoient trébucher à chaque pas. Ma Donzelle me tenoit par la main, j’avoüerai naturellement que ne m’étant jamais trouvé en pareil cas : je ne pouvois me deffendre d’un certain effroi qui parut de bon augure à ma conductrice : elle en auroit ri, ſi elle eût connu ma qualité. Nous arrivâmes enfin avec bien de la peine à la porte du temple ; nous frapâmes : une vieille, plus vieille que la Sibille de Cumes, vint ouvrir, en entrebaillant, la porte. Mon petit Roi, me dit-elle, il y a du monde, attens un moment, monte plus haut. Monter plus haut étoit bien difficile, à moins que de vouloir monter au Ciel : une porte ſe preſenta ſous ma main, elle s’ouvrit d’elle-même : j’allois me retirer dans la crainte de trouver quelqu’un, & de faire ſoupçonner ma probité : l’odeur me raſſura.

Abandonné à moi-même dans un endroit affreux, au bout du monde, dans un pays perdu, avec des gens inconnus, je me ſentis ſaiſir d’une horreur ſubite. Le danger que je courrois s’offrit à mes yeux : profitons, dis-je en moi-même, de ce moment de clarté, ſauvons-nous. Quelque choſe de plus puiſſant que la refléxion, m’arrêta ; il ſembloit qu’une mer immenſe ſe preſentât à mes yeux, & m’empêchât de gagner le rivage : je m’élançois, & je me retenois auſſi-tôt. Le Ciel a-t’il gravé dans nos cœurs des preſſentimens de ce qui doit nous arriver ? Oüi ſans doute, & je l’éprouvois ; dans le moment on ouvre la porte fatale, on m’apelle, je deſcens : infortuné, je courois à ma perte ; mais quelle joye délicieuſe devoit la précéder !

J’entre d’un air timide à la lueur tremblante d’une lampe : je vas m’aſſeoir ſans parler ſur une chaiſe, j’apuye le coude ſur une table mal aſſurée, je me couvre les yeux avec la main, comme ſi j’euſſe voulu me dérober aux refléxions qui venoient en foule m’aſſaillir. Une quêteuſe infernale s’avance : je lui donne le premier argent qui me tombe ſur la main ; elle me remercie d’une généroſité ſi peu commune. Sans faire attention à ſes diſcours, je ne m’occupois que de ma douleur. Un maintien auſſi triſte dans le temple de la joye, en ſurprit les Prêtreſſes : la vieille Sibille s’aproche de moi pour m’en demander le ſujet, je la repouſſe brutalement, elle s’en plaint ; laiſſés, Madame, lui dit la plus jeune, on peut avoir du chagrin.

Le ſon d’une voix qui ne m’étoit pas inconnuë, alla juſqu’à mon cœur : un tremblement ſubit s’empare de tout mon corps, je crains de me livrer à la douce eſpérance qui me flatte, je crains que l’illuſion ne ſe diſſipe, je crains de porter les yeux vers l’endroit d’où vient de partir cette chere voix : je les ferme, je ne veux m’occuper que des mouvemens qu’elle vient de reveiller ; mais bien-tôt je me reproche mon indifférence, je veux m’éclairer, je r’ouvre les yeux, je me leve, je m’aproche : Dieux, c’étoit Suzon ! Ses traits, quoique changés par l’âge, étoient trop bien imprimés dans mon cœur pour les méconnoître. Je tombe dans ſes bras ſans avoir la force de parler, mes yeux ſe rempliſſent de larmes, mon ame eſt ſur mes lévres prête à s’envoler ſur celles de Suzon, qui veut ſe débaraſſer : chere Sœur, lui dis-je d’une voix altérée, tu ne reconnois plus ton Frere ? Elle jette un cri, & tombe évanoüie.

La vieille étonnée accourt, & veut ſecourir Suzon, je la repouſſe : je colle mes lévres ſur les lévres de ma chere Sœur, je ne veux que le feu de mes baiſers pour lui rendre la chaleur, je la preſſe contre mon ſein j’arroſe ſon viſage de mes larmes : elle ouvre des yeux humides de pleurs. Laiſſe-moi, Saturnin, me dit-elle laiſſe une malheureuſe ! Chere Sœur, m’écriai-je, la vûë de Saturnin t’inſpire-t’elle de l’horreur ? Tu lui refuſe tes baiſers, tu lui refuſe tes careſſes. Senſible à mes reproches, elle donna les marques les plus vives de ſa joye : la gayeté reparut ſur ſon viſage ; elle ſe repandit juſques ſur la vieille, à qui je donnai de nouvel argent pour nous aprêter à ſouper. J’aurois donné tout : je retrouvois Suzon, n’étois-je pas aſſez riche ?

On preparoit le ſouper : je tenois toûjours Suzon dans mes bras. Nous n’avions pas encore eu la force d’ouvrir la bouche pour nous demander quelles avantures pouvoient nous raſſembler ſi loin de notre patrie : nous nous regardions, nos yeux étoient les ſeuls interprêtes de nos ames, ils verſoient des larmes de joye & de triſteſſe, nous n’étions occupés que de ces deux paſſions, notre cœur étoit ſi rempli, notre eſprit ſi occupé, que notre langue étoit comme liée, nous ſoupirions ; ſi nous ouvrions quelquefois la bouche, nous ne prononcions que des paroles ſans ſuite, tout nous ramenoit à la refléxion du bonheur d’étre enſemble.

Je rompis enfin le ſilence : Suzon, m’écriai-je, ma chere Suzon, c’eſt toi que je retrouve : par quel heureux hazard m’es-tu renduë ? Mais dans quel lieu ! Ah Ciel ! Tu vois me repondit-elle, avec un viſage accablé, une fille malheureuſe qui a éprouvé toutes les alternatives de la fortune. Preſque toûjours l’objet de ſa fureur, & forcée de languir dans un libertinage que ſa raiſon condamne, que ſon cœur déteſte ; mais que la néceſſité lui rend indiſpenſable. Je vois que ton impatience ne te permet pas d’attendre plus long-tems le récit de mes malheurs : puis-je donner un autre nom à la vie que j’ai menée depuis que je t’ai perdu. Moins ſenſible à la honte de te réveler mes déréglemens, qu’au plaiſir de repandre ma douleur dans ton ſein, je vais te faire un aveu ſincere de mes peines : te le dirai-je, c’eſt toi qui les a cauſées ; mais mon cœur étoit de moitié ou plû-tôt lui ſeul a tout fait, lui ſeul a creuſé l’abîme où je ſuis plongée. Je t’ai toûjours aimé. Te ſouviens-tu encore de ces tems heureux où tu me faiſois une peinture ſi naïve de ta paſſion naiſſante : je t’adorois dès ce tems-là, quand je te racontois les avantures de Monique, quand je te découvrois nos miſteres les plus cachés, je voulois t’enflammer, je voulois t’inſtruire, je voyois avec plaiſir l’effet de mes diſcours : j’ai été témoin de tes tranſports avec Madame Dinville, les careſſes que tu lui faiſoient étoient autant de coups de poignard que tu portois à Suzon. Quand je t’entraînai dans ma chambre, j’étois dévorée par un feu que tu ne pouvois plus éteindre ; c’eſt ici l’époque de mes infortunes.

Tu as toûjours ignoré la cauſe de ce bruit affreux que nous entendîmes ; c’étoit l’Abbé Fillot, ce ſcélérat vomi par les enfers, pour faire le ſuplice de mes jours. Il avoit conçu pour moi un amour qu’il vouloit ſatisfaire à quelque prix que ce fut : il avoit choiſi la nuit pour l’exécution de ſon deſſein, il s’étoit caché dans la ruelle du lit, il profita de ta fuite pour venir ſe mettre à ta place. Hélas ! il eût bon tems d’une malheureuſe que la frayeur avoit fait évanoüir : il fit ce qu’il voulut. Ranimée par le plaiſir & trompée par ma paſſion, je crus le recevoir de mon cher Saturnin : j’accablai de plaiſir un monſtre que j’accablai de reproches quand je le reconnus. Il voulut m’apaiſer par ſes careſſes, je le repouſſai avec horreur ; il me menaça de reveler à Madame Dinville ce que j’avois fait avec toi. L’indigne employoit contre moi les mêmes armes dont je pouvois me ſervir contre lui ; il obtint par ſes menaces, ce que j’avois refuſé à ſes tranſports. Ainſi j’accordois tout à un homme que je déteſtois, & la fortune arrachoit de mes bras celui que j’adorois.

Je ne fus pas long-tems ſans ſentir les fruits amers de mon imprudence : je cachai ma honte auſſi long-tems que je le pûs ; mais je me ſerois trahie par un ſilence trop obſtiné. J’avois chaſſé l’Abbé Fillot ; il ſe conſoloit dans les bras de Madame Dinville. La néceſſité me le fit rapeller : je lui découvris mon état, il feignit d’y être ſenſible, il m’offrit de m’emmener avec lui à Paris, il ne manqua pas de me dire qu’il m’y feroit le ſort le plus heureux ; il ajoûta qu’il ne demandoit, pour prix de ſes ſervices que de vouloir ſouffrir qu’il me le rendit. Je ne voulois qu’être en un lieu où je puſſe me délivrer de mon fardeau, comptant bien ne me ſervir enſuite de ſon crédit que pour me placer auprès de quelque Dame. Je me laiſſai gagner par ſes promeſſes ; je conſentis de le ſuivre, & je partis avec lui ſous le déguiſement d’Abbé.

Les attentions qu’il eût pour moi ſur la route ne me firent pas repentir de ma confiance ; mais que le traître cachoit la ſcélératiſe de ſon cœur ſous des apparences bien trompeuſes ! Les ſecouſſes du caroſſe avoient trompé mon calcul, & je mis au monde, à une lieuë de Paris, le gage odieux de l’amour d’un miſérable. Tout le monde crioit au prodige & rioit. Mon indigne compagnon de voyage diſparut auſſi-tôt, & m’abandonna à mes douleurs & à ma miſere : une Dame plus compatiſſante que lui eût pitié de mon état ; elle prit un caroſſe, m’emmena à Paris, & me mit à l’Hôtel-Dieu. Elle me tira des bras de la mort ; mais ce fut pour me laiſſer dans ceux de l’indigence. Je ne l’aurois ſentie que trop tôt, ſi je n’euſſe lié connoiſſance avec une fille, que les hazards du même métier que celui que je fais aujourd’huy, avoient renduë compagne de mon ſort : la miſere me tint lieu de penchant.

N’en exige pas davantage : la vie de ta malheureuſe Suzon n’a plus été qu’un enchantement de plaiſirs & de chagrins ou plû-tôt que des chagrins continuels. Si le plaiſir s’eſt fait ſentir quelquefois à mon cœur, il n’a fait que colorer le fond de triſteſſe qui le rongeoit : ceſſera-t’elle cette triſteſſe ? Ah, puiſque je te retrouve, je ne dois plus me plaindre ; mais toi, mon cher Frere, ne me fais pas languir, es-tu ſorti de ton Couvent ? Quel hazard te conduit à Paris ? Un malheur ſemblable au tien, lui repondis-je, & que m’a cauſé ta meilleure amie : ma meilleure amie, reprit-elle en ſoupirant, en ai-je encore dans le monde ? Ah, ce ne peut être que la Sœur Monique ! Elle-même, lui repliquai-je ; mais ce récit nous tiendroit trop de tems : ſoupons.

Je fis à côté de Suzon le repas le plus délicieux de ma vie ; mais l’envie de me voir ſeul avec elle, & de ſon côté celle d’aprendre mes avantures, nous fit ſortir promptement de table. Nous nous retirâmes dans ſa chambre, ou, ſans témoin, ſur un lit, digne meuble de l’endroit où nous étions, & qui aſſurément n’avoit jamais ſervi à deux Amans auſſi tendres, tenant ma chere Sœur ſur mes genoux, & mon viſage preſque toujours collé ſur ſon viſage, je lui racontai ce qui m’étoit arrivé depuis ma ſortie de chez Ambroiſe.

Je ne ſuis donc plus ta Sœur, s’écria-t’elle, quand j’eus fini. Ne regrette pas, lui dis-je une qualité que le ſang donne & rarement le cœur : ſi tu n’es plus ma Sœur, tu es toûjours ma chere Suzon, tu es toûjours l’idole de mon cœur : chere ame, continuai-je, en la preſſant tendrement entre mes bras, oublions nos malheurs, & commençons à compter notre vie du jour qui nous a raſſemblés : en lui diſant ces mots, j’apliquois des baiſers ardens ſur ſa gorge ; j’allois la renverſer, j’avois déja la main entre ſes cuiſſes : arrête, me dit-elle, en s’échapant de mes bras. Arrête, cruelle, m’écriai-je : quelles graces aurai-je donc à rendre à la fortune, ſi tu rebutes les témoignages de mon amour ? Etouffe, me repondit-elle, des deſirs que je ne pourrois écouter ſans être criminelle : fais un effort ſur ta paſſion, je t’en donne l’exemple. Ah, Suzon, lui repliquai-je, tu n’as guéres d’amour, ſi tu peux me conſeiller d’étouffer le mien, & dans quelles circonſtances, quand rien ne s’opoſe à notre bonheur ? Rien ne s’opoſe à notre bonheur, reprit-elle, ah, que ne dis-tu vrai ! Dans le moment je vis des larmes couler ſur ſon viſage : je la preſſai de m’en expliquer la cauſe ; voudrois-tu, me dit-elle, partager avec moi le triſte prix de mon libertinage, & quand tu le voudrois, aurois-je la cruauté d’y conſentir. Tu crois lui repondis-je, m’arrêter par une raiſon auſſi foible : je partagerois la mort avec ma Suzon, & je craindrois de partager ſes malheurs ! Sur le champ je la renverſe ſur le lit, & je me mets en état de lui prouver que je ne crains pas le danger. Ah, cher Saturnin, s’écrie-t’elle, tu vas te perdre ! Je me perdrai, lui dis-je, tranſporté d’amour ; mais ce ſera dans tes bras : elle céde, je pouſſe ; qu’on me permette d’imiter ici ce ſage Grec, qui peignant le Sacrifice d’Iphigenie, après avoir épuiſé ſur le viſage des Aſſiſtans tous les traits qui caracteriſoient la douleur la plus profonde, couvrit celui d’Agamemnon d’un voile, laiſſant habilement aux Spectateurs le plaiſir d’imaginer quels traits pouvoient caractériſer le déſeſpoir d’un Pere tendre qui voit repandre ſon ſang, qui voit immoler ſa fille. Je vous laiſſe, cher Lecteur, le plaiſir d’imaginer ; mais c’eſt à vous que je m’adreſſe, vous qui avés éprouvés les traverſes de l’amour, & qui, aprés un long-tems, avés vû votre paſſion couronnée par la joüiſſance de l’objet aimé : rapellés-vous vos plaiſirs, pouſſés votre imagination encore plus loin, s’il eſt poſſible, elle demeurera toûjours au-deſſous de mes délices ; mais quel démon jaloux de ma tranquillité me preſente ſans ceſſe un ſouvenir que j’arroſe de larmes de ſang ? Ah, finiſſons, je ſuccombe à ma douleur !

Le jour vint avant que nous nous fuſſions aperçûs que la nuit avoit diſparuë. Dans les bras de Suzon, que je n’avois pas quittée depuis que nous étions couchés, j’avois oubliés mes chagrins, j’avois oublié l’univers entier. Ne nous quittons jamais, mon cher Frere, me diſoit-elle : où trouverois-tu une fille plus tendre, où trouverois-je un Amant plus paſſionné ? Je lui jurois de vivre toûjours avec elle : je le lui jurois, hélas ! & nous allions nous quitter pour ne nous jamais revoir. L’orage grondoit ſur notre tête, & le charme de l’illuſion le déroboit à nos yeux : Sauvés-vous, Suzon, vint nous dire une fille épouvantée, ſauvés-vous, fuyés par l’eſcalier dérobé ! Surpris, nous voulûmes nous lever, il n’étoit plus tems : un Archer féroce entroit au moment que nous nous levions : Suzon tremblante & éperduë ſe jette dans mes bras : il l’en arrache, malgré mes efforts il l’entraîne. O Dieux ! Cette vûë me rendit furieux, la rage me prêta des forces, le déſeſpoir me rendit invincible, un chenet, dont je me ſaiſis, devint dans mes mains une arme mortelle. Je m’élance ſur l’Archer : arrête, malheureux Saturnin ! Il n’eſt plus tems, le coup eſt porté, l’indigne Raviſſeur de Suzon tombe à mes pieds : on ſe jette ſur moi, je me deffends, je ſuccombe, je ſuis pris. On me lie, à peine me laiſſe-t’on la liberté de prendre la moitié de mes habits : adieu, Suzon, m’écriai-je, en lui tendant les bras, adieu, ma chere Sœur, adieu : on me traînoit inhumainement ſur l’eſcalier ; la douleur que me cauſoient les coups des marches contre leſquelles ma téte frapoit, me fit bientôt perdre connoiſſance.

Dois-je finir ici le récit de mes malheureuſes avantures ? Ah, Lecteur, ſi votre cœur eſt ſenſible à la compaſſion, ſuſpendés votre curioſité, arrêtés-vous, contentés-vous de me plaindre ; mais quoi, le ſentiment de ma douleur prévaudra-t’il toûjours ſur celui de ma félicité ? N’ai-je pas aſſez verſé de pleurs : je ſuis dans le port, & je regrette encore les dangers du naufrage. Liſés, & vous allés voir les ſuites effroyables du libertinage ; heureux, ſi vous ne le payés pas plus cher que moi !

Je ne revins de ma foibleſſe que pour me voir dans un miſérable lit, au milieu d’un Hôpital. Je demandai où j’étois ? A Biſſetre, me repondit-on : à Biſſetre, m’écriai-je ! Ciel, à Biſſetre ! La douleur me pétrifia, la fiévre me ſaiſit, & je n’en guéris que pour tomber dans une maladie bien plus cruelle, la vérole. Je reçus ſans murmurer ce nouveau châtiment du Ciel : Suzon, me dis-je, je ne me plaindrois pas de mon ſort, ſi tu ne ſouffrois pas le même malheur.

Mon mal devint inſenſiblement ſi violent, que pour le chaſſer on eût recours aux plus violens remedes : on m’annonça qu’il falloit me reſoudre à ſouffrir une petite opération. Il faut vous épargner ce ſpectacle de douleur : que puis-je vous dire ? Je tombai dans une foibleſſe que l’on prit pour le dernier moment de ma vie ; que ne l’étoit-il, j’aurois été trop heureux ! La douleur qui m’avoit cauſé mon évanouiſſement, m’en retira. Je portai la main où je ſentois la douleur la plus vive : Ah, je ne ſuis plus homme ! Je pouſſai un cri qui fut entendu juſqu’aux extrémités de la maiſon ; Mais bien-tôt revenant à moi-même ; & tel que Job ſur ſon fumier, pénétré de douleur, & ſoumis aux ordres du Ciel, je m’écriai dans l’amertume de mon cœur : Deus dederat, Deus abſtulit[ws 2].

Je ne ſouhaitois plus que la mort : j’avois perdu le pouvoir de joüir de la vie, l’anéantiſſement étoit le but de tous mes deſirs. J’aurois voulu me cacher éternellement ce que j’avois été, je ne pouvois penſer ſans horreur à ce que j’étois. Le voilà donc, diſois-je au fond de mon cœur, le voilà cet infortuné Pere Saturnin, cet homme ſi chéri des femmes, il n’eſt plus : un coup cruel vient de lui enlever la meilleure Partie de lui-même : j’étois un Héros, & je ne ſuis plus qu’un… Meurs, malheureux, meurs, peux-tu ſurvivre à cette perte, tu n’es plus qu’un Eunuque ?

La mort fut ſourde à mes cris ; ma ſanté revint, je me retablis ; mais ma débilité fit juger qu’on ne tireroit pas de moi les ſervices qu’on en avoit attendus, & auxquels on m’avoit deſtiné : on me déclara que j’étois libre. Je ſuis libre, repondis-je au Supérieur qui me l’annonçoit, hélas, à quoi va me ſervir cette liberté que vous me donnés ? Dans l’état cruel où je ſuis, c’eſt le preſent le plus funeſte que vous puiſſiés me faire ; mais, Monſieur, oſerai-je vous demander le ſort d’une jeune perſonne que l’on doit avoir amenée ici le même jour que moi ? Il eſt plus heureux que le vôtre, me repondit-il bruſquement, elle eſt morte dans les remédes. Elle eſt morte, repris-je, accablé de ce dernier coup, Suzon eſt morte ! Ah Ciel, & je vis encore ! J’aurois dans le moment terminé mes jours, ſi l’on n’avoit arrêté l’effet de mon déſeſpoir. On me ſauva de ma propre fureur, & l’on me mit dans le chemin de profiter de la permiſſion que l’on venoit de me donner, c’eſt-à-dire, à la porte.

Je reſtai un moment anéanti : mes yeux ſeuls, en repandant des torrens de larmes, témoignoient que je vivois encore : j’étois au dernier dégré du déſeſpoir & de la rage. Couvert d’un malheureux habit, ayant à peine de quoi vivre un jour, ne ſachant où aller, je m’abandonnai dans les bras de la Providence. Je prenois le chemin de Paris, j’aperçus les murs des Chartreux : la profonde ſolitude qui y regne fit briller à mon eſprit un trait de lumiere. Heureux Mortels, m’ecriai-je, qui vivés dans cette retraite à l’abri des fureurs de la fortune, vos cœurs purs & innocens ne connoiſſent pas les horreurs qui déchirent le mien ! L’idée de leur félicité m’inſpira le deſir de la partager. J’allai me jetter aux pieds du Supérieur : je lui contai mes infortunes. O, mon Fils, me dit-il, en m’embraſſant avec bonté, loüés Dieu, il vous reſervoit ce port après tant de naufrages : vivés-y, & vivés-y heureux, s’il eſt poſſible.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 316
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 316

J’y reſtai pendant quelque tems ſans emploi ; mais bien-tôt on m’en donna : je montai par dégrés au poſte de Portier, & c’eſt ſous ce titre qu’on m’a connu.

C’eſt ici que mon cœur ſe fortifie dans la haine qu’il a conçûë pour le monde : j’y attends la mort ſans la craindre ni la deſirer, & je prétends, que quand elle m’aura tiré du nombre des vivans, on grave en lettres d’or ſur mon tombeau ;

Hîc ſitus eſt DOM-BOUGRE,
fututus, futuit
[ws 3].

FIN.

  1. L’Abbé des F.


Notes de Wikisource

  1. Note de Wikisource : « Mais les prêtres, s’ils n’y voyaient pas de profit, nieraient la religion et les dieux. / C’est à eux-mêmes, non aux êtres supérieurs qu’ils rendent un culte ; / et ils ne prêchent des dieux que parce que ces dieux leur sont utiles ; / sans quoi bientôt les temples, les autels tomberaient en ruines, et il n’y aurait plus de Jupiter. » (Palingène, Zodiaque de la vie, traduit par Louis de Potter, disponible sur Gallica)
  2. Dieu a donné, Dieu a pris
  3. Ici gît Dom Bougre, il foutit et fut foutu.